Daily Archives: 02/02/2011
Affaire Mint Bacar Vall : les dessous d’un épisode judiciaire…entretien avec Me Ebety
Oumoulmounine Mint Bacar Vall, a été finalement remise en liberté jeudi dernier.Condamnée à six mois de réclusion, elle aura séjourné moins deux semaines en prison. À en croire des sources qui ont suivi l’affaire de près, sa défense aura profitée d’une faille dont la responsabilité incombe au juge du tribunal correctionnel….Evoquant cette affaire, Me Ebety affirme dans une interview au Rénovateur que « l’arrêt de la cour d’appel rendu aux fins d’annulation d’un mandat de dépôt délivré irrégulièrement est bien fondé…
Normalement un mandat de dépôt devait être décerné contre elle, au moment où le juge prononçait sa sentence. Mais celui-ci n’a délivré de mandat de dépôt que bien plus tard. Du coup la défense a fait appel, le mandat délivré irrégulièrement fut annulé, et Mint Bacar Vall s’est retrouvée libre. Cet épisode est l’ultime étape d’une longue mise en scène destinée à tirer l’accusée d’affaire.
Tout a commencé le 13 décembre 2010. Ce jour-là, Birane Ould Dah Abeid, à la tête d’un groupe de militants de Droits de l’Homme, porte plainte contre Mint Bacar Vall pour esclavagisme. Il s’attendait à ce que la lumière soit faite sur le cas de deux fillettes qui vivaient dans le domicile d’Oumoulmounine, situé à Arafat. Mais contre toute attente, Birane s’est retrouvé, avec un certain nombre de ses compagnons, dans les cellules du commissariat d’Arafat. Motifs invoqués : la police parle pelle- mêle de participation à une manifestation improvisée devant le domicile de Mint Bacar Vall, incitation à la violence, insultes racistes et assaut contre la police. Dès cet instant certains militants qui accompagnaient Birane en date du 13 décembre 2010, tirent sur la sonnette d’alarme. «Birane n’a pris part à aucune manifestation», dit Ithmane Ould Bidiel. «En fait, lorsque nous sommes arrivés au commissariat d’Arafat, on a trouvé une forte mobilisation des policiers devant nous, lesquels ont procédé à des arrestations ciblées. La machination consistait à nous empêcher d’assister à la déposition de deux fillettes, à isoler ces fillettes en vue de les influencer dans leur déposition et les amener à déclarer qu’elles n’étaient esclaves», poursuit-il. Aurait-il vu juste ? Quoiqu’il en soit Birane et six de ses compagnons seront bientôt condamnés à six mois de prison et l’affaire dite d’esclavage orientée vers le tribunal des mineures.
Le 16 janvier 2011, Mint Bacar Vall est condamnée à six (6) de prison ferme par le tribunal pour mineurs. Certains trouvent là que c’est un début timide de répression de l’exploitation des mineurs, d’autres par contre soutiennent que par la sentence prononcée, la justice cherche à couvrir Mint Bacar Vall et la soustraire à une condamnation pour esclaves. «Pour nous à S.O.S esclaves, les cas signalés à Arafat relève bien de l’esclavage», dira Boubacar Messaoud. «Puisque Birane a été envoyé en prison, il faillait poussé la mise en scène jusqu’à bout. Voilà pourquoi Mint Bacar a été condamnée», poursuit-il en substance. Eh ! bien la mise en scène est arrivée à son terme, jeudi dernier, date de la remise en liberté de Mint Bacar Vall qui a profité du fait qu’aucun mandat de dépôt n’a été délivré contre elle.
Interview avec Me Brahim Ould Ebety
Libération de Mint Bacar Vall : « L’arrêt de la cour d’appel confirmé par la cour suprême rendu aux fins d’annulation d’un mandat de dépôt délivré irrégulièrement est bien fondé… ».
Condamnée à six mois de réclusion ferme, Mint Bacar a séjourné un peu moins de deux semaines en prison. L’arrêt de la cour d’appel qui a permis sa libération a-t-il une valeur au regard de la loi ? Le Rénovateur a posé la question à un spécialiste, en l’occurrence Me Brahim Ould Ebety.
Le Rénovateur Quotidien : Alors qu’il portait plainte Birame Ould Dah Ould Abeïd s’est retrouvé en prison, que vous inspire cet épisode ?
Brahim Ould Ebety : il s’agit d’un épisode regrettable à plus d’un titre parce qu’il constitue une offense d’une part à l’ensemble des conventions internationales auxquelles la Mauritanie a adhéré et d’autre part à l’état de la législation nationale où le pays a inscrit son action et par l’ensemble de ses institutions dans la lutte pour l’éradication de l’esclavage sous toutes ses formes. En fait Birame Ould Dah Abeïd, dans le cadre de l’action de son initiative pour l’éradication de l’esclavage, après avoir découvert deux jeunes fillettes mineures d’origine harratine qui travaillent au domicile d’autrui, a porté les cas à la connaissance des autorités administratives et policières qui l’ont accompagné dans les lieux pour finir par la reconstitution de toutes les données relatives au type de pratique. En se référant alors aux données du dossier, il est difficile de distinguer la pratique esclavagiste de l’exploitation de mineurs dès lors où il s’agit de fillettes mineurs et d’origine harratine. Il se dégage des deux cas et de leurs caractéristiques telles qu’elles apparaissent nettement que sa poursuite et par voie de conséquence sa condamnation tend plutôt à couvrir ou à atténuer la gravité des pratiques découvertes, eu égard aux données des deux cas qui ne peuvent être qualifiés, conformément à l’état de notre législation, que de pratiques esclavagistes.
Le Rénovateur Quotidien : Mint Bacar Vall devait être jugée pour esclavage et non pour exploitation des mineures, soutiennent les militants de Droits de l’Homme, êtes-vous de cet avis, Me? Si oui quelles sont les raisons ?
B.O.E : Dès lors où les cas sont ainsi définis, il s‘en suit que le régime de leur poursuite est régi par la loi portant répression des pratiques esclavagistes.
Le Rénovateur Quotidien : L’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel qui a remis Mint Bacar Vall en liberté, a-t-il une valeur au regard de la loi?
B.O.E : j’estime que l’arrêt de la cour d’appel statuant en chambre de conseil sur appel contre le mandat de dépôt, sans préjudicier au fond, et tel que confirmé par la cour suprême est bien fondé aux motifs que la femme était en liberté et que le juge de premier degré (tribunal correctionnel) en la condamnant sans décerner mandat au moment du prononcé de sa décision et après appel de sa défense du jugement au fond ne peut plus en délivrer parce que dessaisi du dossier par l’acte d’appel. Il s’en suit que l’arrêt de la cour d’appel confirmé par la cour suprême rendu aux fins d’annulation d’un mandat de dépôt délivré irrégulièrement est bien fondé, eu égard à l’état de notre législation où nous devons nous efforcer à tous les niveaux d’imprimer, au moins dans les formes, la rigueur de la légalité aux décisions judiciaires.
Dossier réalisé par Samba Camara –LE RÉNOVATEUR
Quelles modalités de conquête du pouvoir politique ? par Boye Alassane Harouna
« Il faut que les leçons ne soient pas oubliées si l’on veut que les souffrances ne soient pas perdues. »(Edgar Faure)
Face aux régimes despotiques, en l’absence d’un Etat de droit, d’une vraie démocratie, celle qui permet une alternance pacifique par la voie des urnes, il n’y a pas une mais plusieurs modalités de conquête du pouvoir politique. Autrement dit, la conquête du pouvoir politique dans de telles conditions revêt un caractère multidimensionnel. C’est cela l’enseignement fondamental et universel de l’histoire. Chez nous, cet enseignement trouve son expression et son illustration dans la formule pulaar « Fuunti laami, buri felli laami. », dès lors que cet aphorisme est compris dans son esprit, c’est-à-dire dans le sens de « Mieux vaut privilégier la diplomatie, les stratégies pacifiques, non violentes plutôt que la violence armée » dans la conquête du pouvoir.
Il est entendu que cette acception exclut toute forme de mesquinerie, de courtisanerie politique ou de combines dont raffolent les opportunistes ; elle est aux antipodes de toute compromission. Il est question, sur la base d’une analyse concrète globale des contextes, des enjeux, des rapports de force, de varier, combiner ou alterner les multiples formes de lutte possibles. Ici, on le voit, les stratégies pacifiques, si elles sont privilégiées, n’excluent pas l’usage de la force pour conquérir le pouvoir politique.
Ainsi donc, le choix de telle option (lutte armée, insurrection populaire, alternance pacifique et démocratique, etc.) plutôt que telle autre ne relève pas, loin s’en faut, de la volonté ou du désir de tel ou tel homme politique, quel qu’il soit et dans quelque pays que ce soit. Ce choix est fonction du contexte interne et de l’environnement politique international. Il ne se décrète ni ne s’impose autrement que par les conditions objectives du moment. Conditions qu’il importe de savoir identifier et exploiter à bon escient. Et c’est à ce niveau, me semble-t-il, qu’apparaissent le rôle décisif et la démonstration de la perspicacité, de l’aptitude d’une Direction politique à orienter, à impulser, pour faire basculer la lutte politique sur le terrain de la lutte armée… l e cas échéant. Ces conditions réunies, faudrait-il encore que le Parti ou le Mouvement concerné soit prêt à assumer jusqu’au bout l’action armée.
Pour illustration, par rapport à la réalisation des conditions effectives qui rendent objectivement possible et raisonnable l’usage de la lutte armée, nous pouvons puiser dans nos expériences récentes, notamment à travers les fameux évènements 1989/1990, voire 1991.
Brimades, vexations, humiliations, expropriation, massacres de populations innocentes, viols, vols, etc. Rien, en termes d’horreurs, d’abomination, de crimes contre l’humanité, ne fut épargné aux populations négro-africaines de Mauritanie. Cela est bien connu, y compris de ceux qui font comme si ces sombres pages de l’histoire récente du pays n’ont jamais été écrites. Ce qui l’est moins, ou ce dont on fait peu mention, ce sont les nombreux cas de révolte, de résistance physique, parfois héroïque, voire armée, de personnes dans de nombreuses localités et villages ciblés par l’appareil répressif raciste. Le ras-le-bol était réel, profond et général. La situation était explosive. Devant l’insupportable et l’inacceptable, nous pouvons raisonnablement affirmer que nous n’étions pas loin d’une situation propice à une insurrection populaire qui aurait pu déboucher sur une lutte armée. Nous en avions indiqué les prémices. Mais il fallait qu’elle fût déclenchée. Pour cela il eût fallu une avant-garde suffisamment préparée et implantée pour encadrer et diriger une telle insurrection. Ce rôle, qui revenait légitimement aux FLAM, ne pouvait être assumé par celles-ci : ses dirigeants croupissaient à OUALATA ; ses jeunes militants, pourchassés, n’avaient d’autres choix que de prendre le chemin de l’exil. Sans Direction politique, sans encadrement, sans maturité politique et expérience de luttes, les pauvres populations étaient livrées à elles-mêmes. Une opportunité d’insurrection populaire de longue haleine ou d’un déclenchement de lutte armée soutenue s’évaporait. Pas de combat, faute de stratégies de combat et de combattants.
Au début des années 90, l’option lutte armée fut retenue et mise en œuvre par les FLAM. Elle sera suspendue. L’analyse des facteurs qui ont présidé au déclenchement et à la suspension de cette lutte armée met en évidence et renvoie à l’impératif de la réalisation de conditions suffisantes et nécessaires à son déclenchement.
On peut aussi évoquer, toujours à titre d’illustration, la conspiration entreprise par les officiers Négro-africains dès 1986/1987, qui déboucha sur le putsch avorté le 22 octobre 1987. Dans la première étape de la phase préparation, deux options se posèrent : travailler pour bâtir et implanter dans tout le pays une solide Organisation militaire clandestine ; ou œuvrer pour entreprendre un putsch. La première option s’inscrivait sur le long terme ; la seconde, finalement retenue, sur le court terme.
Avec le recul, nous pouvons aujourd’hui dire que si la première option avait été retenue et travaillée à fond, les évènements de 1989 qui ont ciblé principalement les populations civiles, a fortiori ceux de 1990 qui ont ciblé essentiellement des militaires Noirs, que ces évènements macabres ne se seraient probablement pas déroulés de la manière que l’on sait : cueillir aussi facilement les militaires, comme de petits fruits mûrs ; et les faire aussi facilement couic, sans aucune résistance possible. L’existence d’une Organisation militaire clandestine, conçue en application de la première option préconisée par le noyau concepteur du putsch avorté en 1987, aurait rendu possible et non suicidaire, sinon une résistance généralisée et durable, du moins une riposte significative et coordonnée permettant un vaste repli qui aurait permis d’éviter l’hécatombe à laquelle on a assisté dans les rangs des militaires Noirs.
Au-delà de cette considération, une telle Organisation militaire clandestine aurait pu aussi constituer, si elle avait vu le jour, la structure militaire de base, lorsque la lutte armée fut déclenchée quelques années plus tard, au début des années 90. Cette organisation militaire aurait même pu être en mesure d’intervenir dès 1989, et même renforcer ses rangs par l’incorporation de volontaires civils, pour s’opposer aux unités de l’armée mauritanienne qui faisaient subir le martyre aux populations civiles négro-africaines dans quasiment toutes les villes et villages du Sud.
C’est une évidence : le choix de la forme de lutte (lutte armée, quel type ? Lutte pacifique, par voie des urnes ou résistance pacifique avec mise en œuvre de formes de luttes non violentes et de longue haleine pour étouffer un pouvoir en place : grèves durables et généralisées, villes mortes, boycotts, le tout combiné avec des pressions internationales ?) n’est pas une donnée subjective qu’on impose à coups de baguette magique. Elle n’advient ni par supplication ni par injonction. Elle se prépare, si elle est envisagée, calmement, sans vacarme. Répétons-le en guise de conclusion, ce choix est dicté par des contextes qu’il importe de cerner. Il est aussi tributaire de l’état de préparation. Car le contexte peut être mûr, nous l’avons vu plus haut, mais s’il y a vide politique par absence d’une véritable Organisation apte à prendre en charge la gestion de ce contexte insurrectionnel, le rendez-vous historique est manqué.
Se mettre des œillères et claironner à toute occasion “lutte armée !”, “lutte armée !”; ne voir qu’un seul aspect d’une situation complexe qui en comporte une multitude ; faire de la « lutte armée » un postulat unique et incontournable, valable partout et toujours, c’est desservir l’idéal pour lequel on combat, ce n’est point le propre d’une avant-garde lucide et responsable. L’évolution et le succès du combat politique en Mauritanie passe aussi par l’appréhension et l’application de cette dimension élémentaire : analyse objective d’une situation politique dans tous ses aspects pour en définir les stratégies de luttes appropriées.
Boye Alassane Harouna
9 janvier 2011