Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

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LA “LONGUE MARCHE” DE L’ARABISATION EN MAURITANIE

Ambroise Queffélec UMR 6039 (CNRS) Université de Provence

Bah Ould Zein Université de Nouakchott 

 Résultat d’un découpage géographique colonial totalement arbitraire, la Mauritanie, islamisée et unifiée religieusement de longue date, présente du point de vue culturel et linguistique une hétérogénéité certaine qui a généré depuis l’indépendance bon nombre d’antagonismes voire de conflits politiques et ethniques. Rappelons que conquise à partir de 1904 par la France soucieuse avant tout de protéger les arrières de sa colonie-fétiche du Sénégal, la Mauritanie, parent pauvre et délaissée de l’A.O.F. à l’époque coloniale, se caractérise par la coexistence de deux communautés : la communauté maure, majoritaire1 et de langue hassaniyya qui comprend la fois des populations d’origine arabo-berbère (les Beidanes) et des populations noires autrefois dépendantes (les Harratines), occupe essentiellement le nord, l’ouest et le centre du pays. La seconde communauté, négro-africaine, minorée à l’époque précoloniale, elle-même divisée en plusieurs groupes2, Haalpulaaren (de langue poular) Soninkés (de langue soninké), Wolofs (de langue wolof) vit surtout le long de la rive droite du fleuve Sénégal, la partie la plus fertile du pays.

            Dans cette coexistence de deux communautés, coexistence qui a reçu dans le français local l’appellation significative de question nationale, le problème des langues a joué et continue de jouer un rôle central : schématiquement, le marché linguistique voit s’affronter selon un schéma qu’on pourrait retrouver au Maroc et en Algérie quatre langues ou séries de langues de statut inégal : les langues vernaculaires sont représentées respectivement par le hassaniyya, dialecte arabe3 imprégné de berbère4 (qui comme l’arabe appartient typologiquement au phylum afro-asiatique), et les langues négro-africaines (poular, soninké, wolof) parlées également dans les pays frontaliers, Sénégal, Mali. Essentiellement orales, ces langues vernaculaires sont en concurrence surtout dans le domaine écrit avec les deux langues de prestige que sont l’arabe classique et le français. 

            Dans la gestion de ce multilinguisme complexe, les divers pouvoirs qui ont dominé ont surtout centré leurs interventions sur les plans du statut officiel et de l’éducation (choix de la (des) langues d’enseignement) et c’est donc ces domaines que nous examinerons essentiellement. Après un historique des différentes politiques d’aménagement linguistique qui ont prévalu et qui seules permettent de comprendre la situation actuelle, nous étudierons cette situation présente qui, au terme d’une subtile politique d’arabisation a vu progressivement le corpus des usages linguistiques se rapprocher d’un status unilingue (arabe seule langue officielle) promu et défini sur des bases essentiellement idéologiques et politiques.1. 1904-1957 : l’époque coloniale : une francisation superficielle et inégale, porteuse de tensions virtuelles. En raison de l’existence d’un réseau d’établissements d’enseignement religieux structurés et prestigieux (les mahadras) et surtout de la résistance militaire et spirituelle à la pénétration des idées européennes, la puissance coloniale n’a mené qu’une politique de francisation très limitée et inégalitaire. Limitée, cette politique s’est bornée essentiellement aux domaines scolaire et administratif et n’a touché que des fractions de population trèsréduites.5 Inégalitaire, elle l’a été également en traitant différemment les populations négro-mauritaniennes et maures. Pour les premières, plus réceptives à la scolarisation, la politique pratiquée a été assez voisine de celle menée dans les autres colonies de l’A.O.F. et spécialement du Sénégal (dont la Mauritanie a longtemps relevé dans le domaine de l’enseignement) : système scolaire très élitiste avec de graves déperditions d’effectifs et emploi exclusif du français comme langue d’enseignement. Le résultat en a été une francisation très superficielle mais la création d’une “élite” négro-mauritanienne qui formera à l’indépendance les cadres du jeune état mauritanien. Pour les Maures, le refus obstiné et tenace des populations vis-à-vis de l’”école des infidèles “et de leur langue a obligé une administration coloniale manquant de dynamisme et de réelle volonté, à composer et à instaurer, sur le modèle des médersas algériennes, un système scolaire “franco-arabe” combinant arabe et français comme langues d’enseignement, mais aux résultats extrêmement faibles sur les plans tant quantitatif6 que qualificatif. Dans le même temps, le système scolaire traditionnel fondé sur l’étude de l’arabe coranique (mahadra) connaissait un déclin. 

            Cet aménagement linguistique différencié créait à l’indépendance une situation linguistique et politique potentiellement explosive reposant sur la confrontation virtuelle de deux groupes concurrentiels : les Négro-mauritaniens de langue maternelle négro-africaine, dont les élites francisées et ouvertes à la “modernité” avaient été placées de par leur connaissance du français à beaucoup de postes de responsabilité de l’administration ; les Maures de langue hassaniyya dont les élites traditionnelles beidanes se trouvaient marginalisées : les Hassanes — tribus guerrières — avaient vu leur domination politique et militaire fortement entamées par le colonisateur ; les Zwayas — tribus maraboutiques — avaient perdu une partie de leur prestige de lettrés coraniques avec l’émergence de l’école moderne et le déclin de leurs mahadras. La rivalité entre ces deux groupes, reposant sur un double sentiment de revanche (revanche des Négro-mauritaniens, pour avoir été méprisés à l’époque précoloniale, revanche des Beidanes pour s’être fait supplanter durant l’époque coloniale) s’est cristallisée depuis l’indépendance sur la question des langues et de l’enseignement.

2. 1959-1979 : du “réajustement” au bilinguisme puis à l’arabisation intensive

            L’histoire des deux premières décennies de la jeune République Islamique de Mauritanie proclamée en 1958 se caractérise par la reprise du contrôle du pouvoir par les Maures blancs. Cette évolution politique a pour corollaire sur le plan linguistique un processus d’arabisation qui va s’accélérant, sensible surtout dans les réformes éducatives qui constituent “l’élément moteur de la politique linguistique du P.P.M.”7, parti unique.

2.1. 1959 : le “réajustement”

            Les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mars 1961 stipulant que la langue nationale est l’arabe et que la langue officielle est le français (article 3 de la Constitution de 1961), la réforme de 1959met en harmonie textes constitutionnels et système éducatif en accordant une place légèrement plus importante à l’arabe : enseigné jusqu’alors à raison de six heures par semaine sur un total de 30 heures hebdomadaires, il occupe désormais 10 heures hebdomadaires au cours préparatoire et 8 heures aux cours élémentaire et moyen, contre respectivement 23 et 25 heures de français par semaine. Ce réaménagement des horaires de l’enseignement primaire donnant une place plus grande à l’arabe visait selon ses promoteurs à “rapprocher l’école du milieu social et culturel qui l’entoure” et à “répondre aux aspirations culturelles de la majorité de la population” (Chartrand, 1977, 67). Ce “réajustement” était cependant assorti d’une possibilité de dispense des cours d’arabe délivrée par l’inspecteur d’arabe aux enfants dont les parents en faisaient la demande formelle. 

            Les structures des enseignements primaire et secondaire restaient cependant calquées sur celles de la France selon Botti et Vezinet (1963, 49), la seule différence étant la place accordée à la langue arabe au second degré, enseignée “concurremment avec l’anglais”, 4 heures par semaine. 

            Le développement de l’arabe dans le système éducatif souhaité par le gouvernement8 s’accompagne selon Ould Youra (1997, 100) d’un intérêt croissant des Maures pour l’école moderne, alors que celui des Négro-mauritaniens ne faiblit pas : le taux de scolarisation dans le primaire passe très vite à 8 % en 1962. 

Cependant la réforme de 1959 ne provoqua que des mécontents : les Maures voulaient aller plus loin dans la voie de l’arabisation et les Négro-Mauritaniens ne voulaient pas de l’enseignement de l’arabe qui ne constituait pas leur langue maternelle. 

            En 1964, le gouvernement -où les Beidanes jouent un rôle prépondérant- décide d’introduire les notes d’arabe dans le calcul de la moyenne générale pour le passage en classe supérieure et adopte en janvier 1966 un décret d’application d’une loi rendant l’étude de l’arabe obligatoire dans l’enseignement secondaire.9 La réaction des Négro-mauritaniens ne se fait alors pas attendre : les élèves des ethnies noires — soutenus par de hauts fonctionnaires noirs rédacteurs du fameux “manifeste des 19” dénonçant le “racisme” du régime et sa volonté d’arabiser le pays — déclenchent un mouvement de grève dans les lycées de Nouakchott et de Rosso qui dégénère en violents conflits raciaux opposant Maures — beaucoup plus lourd dans la réalité semble-t-il — fait état de 6 morts et 30 blessés. Les établissements scolaires de la capitale furent fermés pour le reste de l’année.

2.2. 1967-1973 : le ” bilinguisme arabe-français “

            Lors du 2e Congrès ordinaire du P.P.M. tenu à Aïoun du 24 au 26 juin 1966 le pouvoir décide de promouvoir une nouvelle politique culturelle fondée sur le bilinguisme arabe-français. Le Président Moctar Ould Daddah (Discours et interventions, s.d., 283), dans son intervention du 18/7/1966 proclame ainsi que “Le bilinguisme apparaît comme le seul instrument d’une réalisation de la culture nationale nouvelle […] Le bilinguisme plaçant peu à peu sur un pied d’égalité le français et l’arabe est une option fondamentale qui concerne chaque citoyen mauritanien. [..] Un programme des études est en préparation. Il devra mettre au point un enseignement de qualité, tenant compte des réalités du monde moderne, tout en sauvegardant les valeurs traditionnelles de la culture musulmane”. La traduction de cette nouvelle orientation est la mise sur pieds en 1967 d’une réforme éducative qui se caractérise par un développement de l’arabisation : l’enseignement primaire — rebaptisé enseignement fondamental — voit sa durée portée de 6 à 7 années et comporte désormais de manière obligatoire pour tous les élèves une première année d’initiation à l’arabe (C.I.A.) conformément à l’horaire hebdomadaire suivant. Au niveau de l’enseignement secondaire, l’horaire de l’arabe est porté à 9 heures en sixième et cinquième, à 5 heures en quatrième et troisième et à 4 heures pour les classes du second cycle, le français continuant à occuper le reste de l’emploi du temps hebdomadaire fixé à 30 heures. 

            Cependant les diplômes, en dehors du brevet d’études et du baccalauréat arabes délivrés par le nouvel institut de Boutilimit, restent inspirés directement du système éducatif français. 

            En outre, conformément aux vœux du 3e Congrès ordinaire du P.P.M. tenu du 23 au 27 janvier 1968 à Nouakchott, l’article 3 de la Constitution est révisé le 4 mars 1968 pour faire de l’arabe, seul à être déclaré “langue nationale”, langue officielle du pays concurremment avec le français. 

            Parallèlement, les autorités préconisent une “arabisation progressive de notre administration au niveau de la région et du département. En écrivant en arabe, en s’exprimant en arabe, en irradiant en quelque sorte la langue arabe autour de lui, l’administrateur arabisant obligera les autres à faire un effort dans le même sens”.10 

            Cette deuxième réforme du système éducatif mauritanien se révèle un échec en ce qu’il développe les oppositions ethniques : Les Négro-africains considèrent l’arabe comme une langue d’oppression et d’assimilation menaçant à plus ou moins long terme leur identité culturelle propre. De plus, on se rendit compte que les élèves qui entraient en sixième ne maîtrisaient aucune des deux langues. D’où cette boutade attribuée à un haut fonctionnaire du Ministère de l’Éducation Nationale de l’époque : “le bilingue est celui qui ne sait ni le français ni l’arabe !”.

2.3. 1973-1979 : vers l’unilinguisme arabe

            Dans un climat de nationalisme exacerbé qui voit les liens avec l’ancienne puissance coloniale se détériorer fortement (1972 : révision des accords de coopération avec la France ; Juin 1973 : création d’une monnaie nationale, l’ouguiya ; Novembre 1974 : nationalisation de la Miferma, la grande société d’exploitation du minerai de fer de Mauritanie), les instances dirigeantes du pays décident de mener une politique d’arabisation encore plus intensive. Le bilinguisme instauré par la réforme de 1967 n’est plus perçu que “comme étape provisoire de l’arabisation”.11 À la suite des recommandations du congrès extraordinaire du P.P.M. tenu du 1er au 9 juillet à Nouakchott qui “définit l’exigence d’indépendance culturelle comme la priorité des priorités” (Chartrand, 1977, 70), est mise en œuvre en octobre 1973 une réforme éducative “qui doit conduire à l’adéquation de notre système scolaire à nos réalités spécifiques et à une indépendance culturelle véritable grâce à la réhabilitation de la langue arabe et de la culture islamique” (Institut Pédagogique National,1978, 2). Cette réforme qui, selon Turpin, 1987, 31, “s’inscrit clairement dans un rapport conflictuel langue arabe = authenticité culturelle versus langue française = aliénation culturelle” vise à arabiser en profondeur le système éducatif et la société mauritanienne toute entière :”L’arabisation de tout notre système d’éducation est désormais engagée d’une manière irréversible et sa progression qui conciliera le souhaitable et le possible, inéluctable” déclare en 1974 le Président Ould Daddah.12 Le document issu du congrès extraordinaire préconise l’instauration d’un unilinguisme de fait : “Il faudra dans les plus brefs délais […] instaurer l’arabe comme l’unique langue officielle […] Il est tout à fait naturel que dans un État indépendant dont l’arabe est la seule langue nationale et officielle, que l’enseignement soit donné en langue arabe. Cela se traduirait par l’instauration d’un système d’enseignement où tout le primaire serait arabisé, l’enseignement des langues étrangères n’intervenant que dans le secondaire”. 

            La réforme ramène la structure du 1er degré de 7 années à 6 années, avec deux premières années entièrement arabisées. Le français intervient en troisième année à raison de 10 heures par semaine sur un total de 30 ; en 4e et 5e années son enseignement représente 15 heures hebdomadaires puis 20 heures en 6e année. Le second degré, lui aussi ramené à six années organisées en deux cycles de trois années chacun, comporte deux filières : une arabe et l’autre bilingue. Dans la filière arabe, appelée à devenir à moyen terme la structure unique de l’enseignement secondaire, tous les enseignements se font en arabe et le français a le statut de première langue étrangère obligatoire. Dans la filière bilingue, le français est objet d’étude et véhicule des matières scientifiques ainsi que des matières comme l’histoire, la géographie ou la philosophie qui devaient au départ, suivant les recommandations officielles, être enseignées en arabe. 

            Des classes expérimentales arabisées voient le jour dans certains collèges13 et un lycée arabe est créé à Nouakchott. Le baccalauréat conçu jusqu’ici à Dakar est mauritanisé. Le cycle A long de l’Ecole Nationale d’Administration devient bilingue et des sections arabes sont instituées à l’Ecole Normale Supérieure ainsi que des services de traduction dans certains ministères. Des stages d’initiation et de perfectionnement en arabe sont offerts aux fonctionnaires qui ne connaissent pas ou ne maîtrisent pas cette langue. La réforme de 1973 ne tient pas cependant compte de tous les vœux du Congrès du P.P.M. de 1971 puisque la réhabilitation des langues négro-africaines à laquelle celui-ci appelle pour la première fois ne se concrétise pas (cf. Balta, 1980, 27).14 

            La politique d’arabisation intensive s’accompagne d’une politique de recrutement massif d’enseignants arabophones issus pour la plupart des mahadras et de l’enseignement traditionnel : “Des centaines d’enseignants et de professeurs issus de la mahadra furent ainsi recrutés sur concours et envoyés dans les classes entre 1973 et 1978. Par la même occasion, le système des “candidats libres” et d’ “auditorat libre” allaient permettre l’accès aux classes de plus de 6 000 élèves issus de l’enseignement traditionnel (Ould Ahmedou, 1997, 69). 

            L’effort de développement du système éducatif “moderne” s’accroît parallèlement puisque en 1979 le pays compte 422 écoles primaires, 18 établissements secondaires, une École Normale d’Instituteurs (formation des maîtres de l’enseignement fondamental), une École Normale Supérieure (formation des maîtres du secondaire), une École Nationale d’Administration (formation des cadres administratifs).

3. 1979-1999 : l’unilinguisme officiel

            La réforme de 1973 n’aura qu’une durée d’application limitée puisque le déclenchement en 1975 de la guerre du Sahara occidental va plonger le pays dans de graves difficultés qui aboutissent à la prise du pouvoir par les militaires lors du coup d’État du 10 juillet 1978, prélude lui-même à une période d’instabilité politique. Les nouveaux dirigeants sous la poussée des mouvements nationalistes arabo-berbères radicaux de tendance nassériste ou baathiste radicalisent leurs options linguistiques : le Comité Militaire de Salut National (C.M.S.N.) décrète en décembre 1980 l’arabe seule langue officielle du pays, mais pour éviter des réactions trop vives des  Négro – mauritaniens reconnaît aux trois principales langues négro-mauritaniennes le statut de “langues nationales”15 et au français celui de “langue étrangère privilégiée”. 

            Dès l’automne 1979, il décide en outre de mettre en place une quatrième réforme du système éducatif qui, après une période transitoire de 6 ans, devait être appliquée en 1985. Cette réforme reposait sur les principes suivants : “Officialisation de nos langues nationales, transcription de nos langues nationales (poular, soninké, wolof) en caractères latins, création d’un institut de transcription et de développement des langues nationales, enseignement de nos langues nationales qui, à terme, doivent donner les mêmes débouchés que l’autre langue nationale, l’arabe” (cité par Arnaud, 1981, 339). 

            Par ailleurs, l’arabe était censé devenir en 1985 “langue unitaire” : chaque Mauritanien étant supposé devoir parler deux langues nationales (dont évidemment l’arabe) ; le français “langue d’ouverture” serait enseigné uniquement au second degré comme seconde langue, le premier degré étant réservé à l’enseignement en langues nationales.

Une faille dans l’unilinguisme : le double cursus, un provisoire qui dure

            Dans l’impossibilité matérielle d’appliquer immédiatement cette réforme, les autorités instaurent à titre provisoire sur le plan scolaire un double cursus : 

            – les enfants maures ont l’obligation de choisir au premier degré la “filière arabe” pratiquement entièrement arabisée puisque le français y occupe une portion congrue : il n’occupe par ex. dans le primaire que 5 heures sur 30 par semaine et ce uniquement de la 3e à la 6e année. 

            – les enfants négro-mauritaniens, pour leur part ont le choix entre cette filière arabe et une autre dite “bilingue”16 où, après une première année totalement arabisée, ils pouvaient suivre, sur la demande expresse de leur parents, un enseignement en français de la 2e à la 6eannée à raison de 25 heures par semaine sur 30 heures, les 5 heures restantes étant consacrées à l’arabe : 

            Ségrégative et paradoxalement assez voisine de celle que le pouvoir colonial pragmatique avait mise en place, la solution retenue pour la période transitoire satisfaisait en théorie les deux composantes de la population mauritanienne. L’éclatement de l’enseignement fondamental, sur le modèle du secondaire, en deux options, arabe pour les hassanophones et bilingue pour les Négro-mauritaniens (puisque dans la pratique ceux-ci optent massivement pour cette option) permet à la fois de ménager les tenants de l’arabisation, actifs chez les Maures, tout en rassurant les Négro-mauritaniens inquiets de cette arabisation “à outrance”. 

            Sans doute à terme l’option bilingue devait-elle être supprimée au profit d’un enseignement dans les trois langues nationales poular, soninké, wolof)17 que devait permettre de mettre en place l’Institut des Langues Nationales ouvert en 1981. Sous l’égide de ce dernier, à la rentrée 1982, 12 classes expérimentales en poular, soninké et wolof sont mises en place pour l’enseignement fondamental principalement dans la capitale et la région du Fleuve où les populations négro-mauritanienne sont les plus nombreuses. Cependant, à l’enthousiasme manifesté les premières années pour l’enseignement en langues négro-africaines succède un certain désenchantement : les Négro-mauritaniens ont de plus en plus le sentiment d’avoir été conduits dans un ghetto par les tenants de l’arabisation, l’enseignement en langues nationales ne semblant aboutir sur aucune perspective d’avenir. Certains intellectuels négro-mauritaniens perçoivent l’introduction des langues africaines dans le cursus scolaire comme une manœuvre, “le prix payé par les tenants de l’arabisation pour que le français soit définitivement (et dans le calme) éliminé en tant que langue d’enseignement” (Perrin, 1983, 70). Les classes expérimentales sont fermées les unes après les autres. Les parents, les enseignants, et les élèves, tous peu motivés et insuffisamment préparés, se rabattent sur la filière “bilingue” en fait francisante, qui devait en théorie disparaître. Dès lors la réforme radicale attendue en 86 est morte avant même d’être née18 et le système mis en place lors de la période transitoire (qui devait s’achever en 1985) perdure jusqu’à nos jours.

4. 1999-2001 : la dernière réforme

            Au printemps 1999 et en perspective de la rentrée suivante, le gouvernement mauritanien décide de procéder à une cinquième réforme du système éducatif. Les raisons avancées pour justifier cette réforme sont multiples : 

            – coût particulièrement onéreux d’un enseignement composé de plusieurs filières et nécessitant pour sa mise en œuvre des moyens humains et matériels importants. 

            – faiblesse persistante des performances des élèves, particulièrement sensible dans les disciplines scientifiques et dans la maîtrise insuffisante des langues. 

            – inadéquation des formations dispensées au regard des impératifs de développement socio-économique du pays. 

            La réforme tente de remédier à ces insuffisances en unifiant le système éducatif par la suppression des deux filières existantes, arabe et bilingue. Parallèlement, la durée du cycle secondaire est portée à 7 ans par l’adjonction d’une année au premier niveau. 

            L’enseignement du français en tant que matière débute dès la deuxième année du primaire à raison de six heures par semaine ; cette langue est chargée de véhiculer et de façon progressive de la troisième année du premier degré jusqu’à la terminale toutes les matières scientifiques. À l’arabe sont dévolues les matières relevant des lettres et sciences humaines ainsi que l’instruction religieuse et l’instruction civique. Par ailleurs l’enseignement de l’anglais est introduit dès la première année du premier cycle secondaire et l’initiation aux sciences physiques et à l’informatique débutent (en français) dès la troisième et la quatrième année du premier cycle secondaire. Enfin les langues nationales, le poular, le soninké et le wolof, bénéficient pour leur promotion de la création d’un département spécifique au sein de l’Université de Nouakchott. 

            Cette réforme qui se veut équilibrée et réaliste ne rencontre cependant l’adhésion ni des tenants de l’arabisation intégrale ni des Négro-mauritaniens extrémistes. Les premiers lui reprochent d’imposer une “francisation du système éducatif ” et de marquer “un retour à l’oppression culturelle”19 ; pour les seconds, “cette apparente unification se fait à nouveau au détriment du Négro-africain ; en effet, l’enseignement de six matières définies comme “matières culturelles” (Philosophie, langue, histoire, géographie, instruction civique, morale et religieuse, droit, etc.) dispensé en arabe reste imposé aux Négro-africains”.20 

            La filière unique voulue par les promoteurs de la réforme ressemble à une filière arabe — qui continuera d’exister pour les élèves qui n’ont pas été rattrapés par la réforme — dans laquelle l’apprentissage du français aurait débuté dès la deuxième année (au lieu de la troisième) et où les matières scientifiques seraient enseignées en français. Ce renforcement du français ne serait pas pour déplaire à ceux des étudiants arabisants qui souhaiteraient poursuivre des études supérieures en sciences et techniques en France ou dans des pays francophones comme le Sénégal, le Maroc et la Tunisie. 

            Il est certain que les petits Maures, dont il faut le rappeler, le hassaniyya, dialecte très proche de l’arabe littéral, est la langue maternelle, apprendront plus rapidement les rudiments de l’arabe que leurs camarades négro-mauritaniens, même si les uns et les autres, tous musulmans, auront déjà été alphabétisés en arabe à l’occasion du passage obligatoire par l’école coranique. 

            On notera aussi que cette réforme est inspirée par le désir d’améliorer l’enseignement des langues ; les mesures transitoires proposées portent sur l’augmentation des horaires d’enseignement du français et de l’arabe au premier degré qui passent de six heures hebdomadaires à sept heures pour les filières arabe et bilingue. La réforme prévoit aussi l’élimination de tout élève du primaire comme du secondaire qui aura obtenu à une épreuve de langue seconde (français ou arabe) une note inférieure à 5. 

            On pourra regretter cependant que rien ne soit dit dans la réforme de la pédagogie des langues secondes : français pour les “arabisants” et arabe pour les apprenants de la filière bilingue pendant la très longue période transitoire, puisqu’il y restera toujours deux filières jusqu’en 2010 au moins. On aurait aimé aussi des observations sur la pédagogie du français désormais seule langue seconde dans la filière unifiée mise en place fin 1999. Une réforme des méthodes d’enseignement du français semblent indispensable quant on connaît les déconvenues résultant des méthodologies et des programmes développés à la fin des années 80 et qui font que les apprenants de la filière arabe débarquent à l’Université avec un très faible niveau pour les meilleurs d’entre eux.

Conclusion

            Par beaucoup d’aspects, la situation linguistique et les politiques d’aménagement linguistique qui ont été menées en Mauritanie depuis un siècle ne sont pas sans rappeler celles qui ont prévalu dans les deux pays maghrébins frontaliers, le Maroc et l’Algérie. Même existence de minorités linguistiques et culturelles, Berbères en Algérie et au Maroc, Négro-africains en Mauritanie, même politique éducative différenciée de la puissance coloniale qui a cru pouvoir franciser plus facilement les groupes minoritaires, même volonté des pouvoirs issus de l’indépendance d’imposer par des politiques coercitives comme langue unitaire sinon unique l’arabe classique au détriment des vernaculaires, mêmes résistances des populations minoritaires menacées de déculturation. Sans doute face à ces ressemblances on pourrait trouver des différences importantes, ne serait-ce que dans le tempo des mesures d’arabisation, qui, souvent décidées à la hâte, correspondent pour la plupart à des sortes de fuite en avant idéologiques des gouvernants confrontés à des situations de crise majeures. Puisant à la source commune du panarabisme, ces politiques linguistiques ont comme point commun de se focaliser sur deux domaines symboliques, le statut officiel et l’institution scolaire, comme si le modèle jacobin de l’ancienne puissance coloniale décriée s’imposait à leur insu aux dirigeants souvent formés eux-mêmes dans le moule de l’école coloniale. L’échec de l’imposition de ce modèle jacobin en Afrique durant la première partie du XXe siècle devrait pourtant inciter les politiques à la prudence et à ne pas sous-estimer le pouvoir de résistance des individus et des communautés devant des mesures d’aménagement linguistique inspirées par des considérations essentiellement idéologiques.

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  1  Pour des raisons politiques, le pourcentage de population que représentent les  différentes communautés n’est pas publié officiellement. Différents recoupements amènent à estimer entre 60 et 80 % celui des Maures  (avec  sans doute une bonne moitié de Harratines) et entre 20 et 40 % celui des Négro-mauritaniens. 

  2  Dont approximativement 66 % de Haalpulaaren, 22 % de Soninkés, 7% de Wolofs. 

  3  Selon C. Taine-Cheikh (1979, 168), “le caractère incontestablement arabe du hassaniyya n’empêche pas, naturellement, un certain nombre de différences nettes entre ce dialecte et l’arabe littéraire. Sur certains points […] le hassaniyya apparaît cependant comme un dialecte assez conservateur (proche des parlers de nomades en général). L’un des exemples est, en phonologie, le maintien des trois interdentales de l’arabe classique ».  Cohen, 1963, 1,  relève ainsi que « l’alphabet arabe classique est inapte à rendre compte de toute la richesse du phonétisme de la hassaniyya et, si tous les sons auxquelles correspondent les lettres arabes sont représentés dans le dialecte, celui-ci en contient un certain nombre d’autres qui lui sont propres ». 

  4  La langue berbère “jusqu’au XIVe siècle universellement pratiquée par les populations blanches de Mauritanie” selon Dubié, 1940, 316, semble avoir disparu ou être en voie d’extinction. Il  a laissé cependant un certain nombre de traces dans le hassaniyya  actuel : la proportion des emprunts lexicaux du hassaniyya au berbère varie selon les spécialistes; elle serait de l’ordre de 15 à 20 % pour Leriche, 1952, 2,  n’excéderait pas 10% selon Taine-Cheikh (1989, 160). mais atteindrait les 30 % environ selon les recherches de Yahya Ould El Bara, chercheur et universitaire mauritanien,  qui recense 1600 emprunts du hassaniyya au zenaga. 

  5  Selon Lecourtois, 1979, 11, en 1960, le pays ne comptait qu’un C.E.G. et 20 écoles primaires et le taux de scolarisation dans le primaire ne dépassait pas 5 %. quant à celui des filles, il était infime (la première école de filles, celle de Boutilimit)  ayant été crée seulement en 1947, 

  6  Sur les causes multiples de ce quasi-échec, on consultera Ould Zein et Queffélec, 1997.  

  7  Chartrand, 1977, 86. 

  8  Le Président de la R.I.M. dans son message à l’Assemblée Nationale du 14 Mai 1963 déclare : “Il conviendra de mettre au point une formule permettant d’assurer l’enseignement de l’arabe avec une efficacité accrue” (Discours et Interventions, 148). 

  9  “L’arabe est obligatoire à partir du 1er Octobre 1965 pour tous les élèves entrant dans les écoles secondaires” (Décret du 13/1/1966). 

  10  Moktar Ould Daddah, Rapport moral, juillet 1971, p. 14. 

  11  Rapport moral du Secrétaire général du P.P.M. au Congrès d’août 1975. La commission culturelle de ce Congrès précise qu’ “on peut affirmer que le processus d’arabisation totale est engagé, qu’il s’accélérera rapidement et qu’il est irréversible, parce qu’après l’institution du bilinguisme qui n’était qu’une super-transition, la réhabilitation de la langue et de la culture arabes seront le début de la renaissance de nos valeurs nationales” 

  12  M. Ould Daddah, Rapport sur l’état de la Nation du 28 Novembre 1974, p. 34. 

  13  Sans aucune préparation, et dans une certaine improvisation selon Turpin, 1980, 102, qui relève que “l’Institut Pédagogique National, organisme chargé de l’application de la réforme (élaboration de nouveaux programmes et de  documents pédagogiques pour tous les degrés, recyclage des enseignants, etc.) ne sera créé qu’en 1975”. 

  14  Le Ministère de l’Éducation Nationale crée bien une section de langues à l’Institut Mauritanien de Recherches Scientifiques, avec pour mission la transcription des langues vernaculaires, mais cet Institut ne dispose d’aucun moyen matériel et humain ; de plus, se pose le choix du système de transcription graphique – arabe ou latin – qui soulève un problème plus politique que technique. Les autorités de tutelle qui ne se montrent guère empressées, laissent percer leur scepticisme sur les résultats : “Il y a certains parmi nous qui s’entêtent pour des raisons diverses à vouloir faire croire qu’on peut faire instantanément une langue sur mesure. S’ils étaient suivis dans leurs désirs qui relèvent du syncrétisme pur, ils auraient amené les communautés au nom desquelles ils parlent au suicide culturel. […] Nos langues nationales, une fois normalisées […] mettront longtemps avant d’être des langues-outils, aptes à véhiculer une culture scientifique”. (Ould Babah M., s. d., 7)  

  15  Comme le relève Turpin, 1982, 38, “le hassaniyya n’est jamais évoqué, en tant qu’il est totalement assimilé à la langue arabe, langue officielle et nationale”. 

. 16  Comme le notent Lecointre-Nicolau, 1996, 238, la filière francophone est dite “bilingue”. Elle ne l’est que dans la mesure où chaque élève parle aussi sa langue maternelle, wolof, soninké, pulaar. Mais ces “langues nationales” n’ont pas droit de cité dans l’enseignement public. 

  17  Évoquant la fin de la période transitoire de 6 ans, le Ministre  de l’Éducation Nationale déclarait à la presse en novembre 1979: “Le futur système d’enseignement sera fondé sur les langues nationales […] Chaque Mauritanien devra au moins maîtriser deux langues nationales et chaque Mauritanien devra maîtriser l’arabe” (citation d’après Turpin, 1987, 38). 

  18  En 1985, les langues nationales négro-mauritaniennes furent pourtant introduites comme langues secondes, mais seulement dans 14 classes de la filière arabe de l’enseignement fondamental. 

  19  Déclaration (en arabe) de l’Alliance Populaire Progressiste du 8 Avril 1999, p. 1. 

  20  Déclaration des F.L.A.M., Dakar, 1/7/1999. 

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DEVANT LES BALLES DE L’ENNEMI, DERRIÈRE LE COUTEAU DU FRÈRE !

Les Français avaient coutume de dire que la femme de César doit-être insoupçonnable, nous aussi nous aurions aimé que certains de nos “opposants” et intellectuels soient comme madame César,

c´est-à-dire insoupçonnables, honnêtes et sincères, mais hélas ! Aujourd´hui si nous grattons un tout petit sur leurs actes, écrits et discours clivant, ce n´est pas une paille que l´on trouve mais un baobab !

” Anndi fof haali fof bonni foof, kono anndi fof deƴƴi fof bonni fof” autrement Il faut parfois répondre à

l´insensé selon sa folie afin qu´il ne s´imagine pas être sage.

De l’autre côté on nous berce de la rengaine de l´unité des forces vives mais certains n’hésitent pas à recourir au besoin à la calomnie et au mensonge pour tenter de jeter le discrédit sur certains symboles et icônes de notre résistance. Est-ce de la bonne méthode? Le fait est que nos rangs se gonflent quand les siens se clairsément. Et si ceci expliquait tout cela?

L´autre avait raison de dire l’ennemi de l´africain c´est toujours l´africain. En lisant les mémoires de Nelson Mandela ” Un long chemin vers la liberté” on s´en rend compte plus amplement, certains même ont osé dire que ” les autorités de l’Apartheïd l´ont acheté” parce qu’il avait eu le courage politique de dialoguer avec l’ennemi pour préparer la transition et l’alternance politique en Afrique du Sud. J´ai envie aussi de dévaliser le fondateur du mouvement de Libération

l´Irgoun dans son livre mémoire: “devant, le feu de l’ennemi, derrière, le dénigrement de tes frères “.

En Mauritanie on assiste aux mêmes faits et actes parce que certains ont eu le courage de prendre leur destin en main et de définir leurs stratégies de lutte en toute indépendance et en toute liberté, selon leur analyse du moment de la situation concrète du pays. Ce qui est étonnant dans cette campagne malsaine, malencontreuse et malhonnête que ce sont des frères qui ont refusé, par couardise, de prendre le bateau de la lutte avec vous et qui de loin veulent aujourd’hui vous définir la direction ou la stratégie à prendre !

Quand le pouvoir criminel tire sur nos militants, les lâches n’ont rien trouvé à dire que de rejeter la responsabilité sur Biram et Samba Thiam ? Quelle imbécilité aurait dit le sage Amadou Hampathé Ba.

“Imbécilité, ô imbécilité drue!

Elle nous ordonne de dépouiller,

de dépouiller la peau d´un moustique

pour en faire un tapis,

un tapis pour le Roi.”

À défaut d’oeufs et autres fruits pourris ces récidivistes aigris méritent vraiment une grimace.

Et si on pouvait se focaliser sur l´essentiel et ne jamais se tromper de cible et d´adversaire ?

La Mauritanie mérite mieux et heureusement que la base militante et le peuple ne sont pas dupes et savent qui est QUI et qui a fait quoi. L’adhésion populaire à notre choix nous réconforte dans notre orientation politique et les urnes ont parlé et le peuple a fait son choix n’en déplaise aux aigris de la toile. La bave du crapaud n´atteint pas la blanche colombe. la calomnie la plus vile ne peut ternir une réputation sans tâche. Ne nous trompons pas de cible et d’adversaire.

Nous les patriotes et Progressistes, n’avons qu’un seul ennemi et adversaire dans cette lutte : c’est le régime militaro-policier, c’est le système raciste, esclavagiste et ethno-génocidaire. L’heure est à la résistance au hold-up électoral. L’ heure est de faire des prières pour nos martyrs. L’heure est à l’unité des cœurs et des esprits. L’heure est à l’unité de toutes les forces vives du changement.

De grâce élevez un peu le débat, surpassez vous pour outrepasser l’impasse, au nom de la patrie et de notre peuple qui a trop souffert et continue de souffrir le martyre !

Demain il fera jour et la lutte continue !

Kaaw Toure

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UNE INTERVIEW EXCLUSIVE DU GRAND COMBATTANT DE LA LIBERTÉ ET RÉSISTANT DE TOUJOURS ABDEL NASSER ETHMANE YESSA

“Je soutiens le porte-voix de la rupture, Biram Dah Abeid et favorise son avènement à la Présidence de la République”. 

Entretien réalisé par Adama Guène (Observateur de la société civile, Jeune ambassadeur de l’Union africaine pour la justice transitionnelle, Dakar).

Monsieur, Abdel Nasser Ethmane Elyessa, alias Jemal Ould Yessa, je vais vous poser beaucoup de questions, au risque de vous bousculer. Est-ce que vous consentez ?

Oui, bien sûr, avancez, foin d’autocensure !

Tout d’abord, on ne vous connait pas d’abonnements aux réseaux sociaux, sur la toile vous ne laissez pas de trace audio ou vidéo, à partir de 2009. A part l’écrit parcimonieux, vous êtes plutôt discret. De la part de quelqu’un qui exerce la politique depuis longtemps, c’est curieux, non ?

Vous avez sans doute raison de noter l’apparente contradiction mais le défaut de visibilité corrobore aussi une hygiène de vie. Donc, je ne suis pas près de renoncer au luxe de l’invisibilité.

Vous intervenez rarement dans le débat mauritanien, souvent avec une certaine virulence concernant des sujets de société comme le « passif humanitaire », l’écologie, la laïcité, le féminisme, etc. A la veille de l’élection du Président de la République en 2024, sur quel candidat se porte votre choix ?

Tout d’abord, afin de prévenir le malentendu, je vous réponds, à titre individuel. La direction de campagne du candidat le représente mieux. 

Je soutiens le porte-voix de la rupture, Biram Dah Abeid et favorise son avènement à la Présidence de la République. L’instant est venu, depuis longtemps, de rompre la fatalité du Chef d’Etat arabo-berbère et militaire. Les histoires longues ont une fin et celle-ci, en sus d’avoir déçu et provoqué l’affliction et le deuil, devient un germe de discorde et de ruine. Il faut tourner la page, au prix d’un dégât moindre. A présent, la cohésion de la Mauritanie exige l’alternance historique. Nous avons besoin d’un meneur de réformes, d’extraction noire subsaharienne, pour nous guérir du cumul des ressentiments, nous préserver des pièges de la récidive, rendre justice à la loi du nombre, libérer les énergies, valoriser le travail manuel et éradiquer les privilèges de la généalogie. Biram Dah Abeid a payé, en prison et mainte fois, l’amère rançon d’une œuvre vouée à éteindre(le) statu quo et purger l’héritage de l’esclavage et de l’humiliation. Son aversion au racisme institutionnalisé explique notre convergence. La concordance procède, surtout, de la passion de l’égalité que résume l’article premier de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Ce que vous citez, là, ne parle pas trop aux Mauritaniens. Ce qui vient de la France a-t-il bonne presse en Afrique ?

Me reprocheriez-vous la référence à la Révolution française ?  Je vous objecterai un aveu : Rien de ce qui m’a mené à la quête de liberté et de foi en l’espèce des humains ne provient de ma culture autochtone, plutôt réservoir de préjugés de race et de prime à l’arbitraire. Exceptés l’honneur, la chevalerie, la générosité et le pardon qui ne sont pas précisément des valeurs de progrès, l’héroïsme belliqueux et les ruses de l’Invisible constituent l’essence même du legs de nos ancêtres. L’addition des deux contrarie le combat sur le chemin de l’affranchissement de l’individu, acteur et finalité de l’intérêt général. Rendons-nous à l’évidence, afin que prévale la paix, à l’ombre du droit naturel, il nous appartient de couper, enfin, le cordon ombilical qui nous enchaîne au passé. Du reste, je m’assume francophone et francophile de gauche, naturellement pas de la gauche misérabiliste où l’on érige l’esthétique de la pauvreté en attestation de pertinence. N’en déplaise à la meute du panafricanisme de l’aigreur, nos problèmes, en Mauritanie, ne résultent d’un rapport de belligérance avec l’Occident et l’impérialisme. Chez nous, nous récusons des pesanteurs et des iniquités endogènes, qui remontent à notre histoire d’avant la colonisation. Hier et aujourd’hui, ce sont nos congénères qui nous oppriment, mentent et volent. Sans la pression de la communauté internationale, ils nous écraseraient allègrement.

Vu vos origines, on pourrait vous accuser de démagogie, de populisme quand vous défendez la veuve et l’orphelin ?

Soyons sérieux ! Je n’ai pas grandi dans la curiosité du commandement ou le désir de la notoriété. L’éducation traditionnelle les considérait, déjà, motifs d’inconfort et de restriction. Dedans, il n’y a pas d’agrément enviable. Qui y échappe s’estimera chanceux. Nul ne doit être réduit à la fortuité de sa naissance, d’où notre résolution à démentir les déterminismes du berceau. Nous ne cédons à la surenchère, la réalité des inégalités et du pillage en Mauritanie suffit à valider nos griefs. Malgré la rigueur du constat précité, je reste rétif à la démagogie et ne me sens en sûreté au milieu des vociférations de la foule. Si le peuple en mouvement touche au sublime lorsqu’il abat la tyrannie, sa fureur et son enthousiasme du lendemain recèlent une formidable charge de destruction et d’homicide. A l’heure de la désinformation, l’instinct grégaire de la multitude justifie la vigilance et un excédent de veille. L’irresponsabilité et l’ivresse noyées dans le tumulte d’une masse sans visage entraînent souvent la débâcle de l’esprit critique et le triomphe de l’animalité. L’histoire de l’humanité charrie de tels charniers, par millions. Je ne suis de ceux auprès desquels l’intolérance légitime à l’autocratie autorise une réaction de nihilisme.

Pourquoi le choix de Biram Dah Abeid ? D’autres candidats de l’Opposition sont en lice.

Et pourquoi pas lui ? Des 5 candidats de l’opposition, d’ailleurs nos alliés, Biram, d’emblée, est le plus disposé à renverser la table, secouer le tapis, bref oser le coup de balai téméraire qui nous réconcilierait avec la normalité. Ici, il y a lieu de comprendre, par normalité, la rationalité du mérite, comme fondement universel du prestige et de la récompense. Il n’est plus décent de continuer à entériner, dans l’indifférence et la banalité, la promotion permanente des filles et fils de grande et moyenne tente-case, toute communauté confondue, au prétexte de leur patronyme. L’élégance et la prudence commandent, aux ci-devant, de s’effacer un peu, même provisoirement, afin d’encourager l’expérimentation d’une formule alternative, dont découlerait une chance de réaliser mieux. Nous devons tarir les micro-persécutions qui jalonnent le quotidien des cadets sociaux, défaire la trame de passe-droits et d’usurpations qui nuisent toujours aux mêmes.  Il s’agit d’une prise de risque raisonnable, au regard des échecs de la gouvernance, depuis l’éviction du régime civil en 1978. Dites-le au Président sortant, les aristocraties rances et faisandées ont vécu, elles n’incarnent plus que l’imposture d’une popularité factice. Quiconque continue à leur conférer de la considération n’a pas compris les impératifs du siècle. La conservation de la gent parasite ralentit notre marche vers la répartition équitable de l’effort et du rendement.

La campagne du Président Ghazouani met en avant la présence de personnalités Haratine, Hal pulaar, Soninké, Wolof. Ce n’est pas un démenti aux présumées discriminations que vos camarades et vous dénoncez ?

La solution ne réside pas dans l’affichage d’un personnel-alibi que l’on convoque, en vue d’inverser l’invraisemblance : « regardez, nous ne sommes pas racistes, nous associons tout le monde ». La figuration ne fait le film. Dans la quasi-totalité des domaines de la production de richesse et de l’exercice de l’autorité d’Etat, le noir mauritanien survit aux marges du système de prédation. Le capital privé national étant de causalité politico-administrative, vous constaterez la mainmise des tribus maures sur les douanes, la banque, l’agriculture, les mines, la pêche, le commerce d’importation, le commandement militaire et de sécurité, le récit collectif et même la religion…Le plafond de verre impose, aux Mauritaniens subsahariens et natifs des castes, l’acceptation d’une infériorité indue. Nous cherchons à le briser.  

Quelles sont selon vous les qualités du Président Ghazouani ?

Je ne connais pas vraiment le Président sortant. A s’en tenir aux dires concordants de ceux qu’il reçoit, l’aptitude au consensus l’habite et façonne son tempérament. La vox populi le répute peu enclin à l’avidité matérielle, affable, à l’écoute et profondément réfractaire à la violence. Il n’hésite à rendre service aux anonymes et, je puis en témoigner, ne leur réclame de contrepartie. Le culte de la personnalité le dérange mais il le supporte, par courtoisie envers le laudateur. Il fuit le scandale davantage qu’il n’incline à la réparation résolue des erreurs et fautes de sa cour. C’est ici que les qualités de l’homme se confondent à ses failles. Nous en traînons, tous.

…et ses défauts ?

Hélas, il exagère le souci de contenter son prochain, d’où un laxisme et une complaisance qui vont le (nous) perdre. Il avalise le recyclage à tout-va, tolère une gredinerie autour de lui puis en congédie l’auteur, ponctuellement disgracié. Au bout de quelques mois d’oubli, le temps de se fondre dans l’amnésie collective, voici le délinquant de retour, promu à l’occasion d’une série de « mesures individuelles », selon le jargon de clôture des réunions du Conseil des ministres. A parcourir ces répétitions hebdomadaires de l’opprobre, l’on s’interroge si la Mauritanie compte des compétences en dehors des Maures.  Pire, l’attitude de conciliation mécanique que le Président adopte en modèle de direction des affaires de la cité finit par discréditer l’éthique et diffamer l’équité, au nom de laquelle son parti (Insaf) prétend gouverner. Aujourd’hui, la corruption et le laisser-faire n’importe quoi ont atteint des abîmes vertigineux et pas un indicateur prédictif n’augure la perspective de les réfréner, sous le pouvoir du moment. Consultez, je vous prie, la composition des donateurs de la campagne du Président, au titre du patronat. La liste des 12 capitaines d’industrie vous confirmera quel groupe ethnique confisque l’économie de la Mauritanie. L’on dirait un catalogue des revenants du Prds.   Inconscience ou mépris, ils ont eu l’outrecuidance de diffuser, fièrement, l’écrit qui les accable.

J’ai lu une de vos phrases fétiches, qu’est-ce que vous appelez « faillite du système » ?

Les exemples de reconversion des médiocres et des cuistres à barbe, d’impéritie sans complexe, de surfacturation de chantiers, de détournement des marchés publics, de rétrocommissions et surtout leur impunité pourraient alimenter des mois de témoignages devant une instance d’audit. Je vous épargne les suspicions de blanchiment massif dans les secteurs du bâtiment, du commerce et du transfert de monnaie. Certains de nos diplomates recrutent auprès d’eux des parents proches, d’aucuns savent à peine lire une déclaration, d’autres doivent le poste à une maladie, l’armée règle ses dépenses en sacs bourrés de liquidités, les généraux s’arrogent le partage exclusif, entre leurs parentèles respectives, des bourses de formation d’élèves-officiers, à l’étranger… Le roman de l’entreprise de rapine comporte assez de rebonds et de ricochets pour enrichir, bien au-dessus des capacités de l’intelligence artificielle, l’imaginaire des scénaristes de tragicomédie. L’échec du premier mandat est attesté, reconnaissons-le. Le second ne dérogerait à la leçon empirique du précédent. J’ai écouté le discours du Président de la République, dans la nuit du 14 au 15 juin courant. Il promet de sévir au détriment des concussionnaires et des prévaricateurs, agglutinés, ce soir-là, à sa proximité. Les susdits ont applaudi. La minute d’après, ils arboraient un maintien réjoui. Bien jobard qui les suspecterait de naïveté.

Peut-être que le Président Ghazouani est victime des siens, le cas ne serait pas extraordinaire, ça s’est vu ailleurs ?

Il me semble présomptueux de blâmer, toujours, l’entourage du Prince et d’exonérer celui-ci. En l’occurrence, le Président, désigne ses collaborateurs et sait l’amplitude de leurs travers. Le Chef de l’Etat, vous pouvez me croire, ne méconnait la banqueroute présente, ni le détail des mesquineries, du trafic de prérogatives, de l’enrichissement illicite, des conflits d’intérêt et de l’incurie de l’appareil de gouvernement et de la haute administration. Il ne saurait plaider l’ignorance de bonne foi. Mal secondé, il lui arrive de résoudre des litiges périphériques, régler des détails, lever des blocages, corriger des négligences, réparer une déficience du service public, arbitrer dans le vide. Autour de lui, en dépit de ses propres décisions, la mauvaise volonté tient lieu de conduite. La plupart des responsables auxquels il délègue ne suivent ses directives que s’ils en tirent un profit privé. A force de bienveillance, de placidité et d’investissement sur l’horizon lointain, il s’est enlisé dans l’impuissance d’endiguer la vitesse du pourrissement en cours. Qui va-t-il admonester ? Ses subordonnés laissent l’impression, nette, de ne pas craindre leur chef. Bien entendu, ils ne sont pas tous mauvais ou lacunaires. Disons que le respect de l’autorité présidentielle et le zèle à la redevabilité ne les singularisent. Observez la cacophonie de la cérémonie d’ouverture de campagne de l’Insaf au stade olympique de Nouakchott, les fautes de syntaxe sur les affiches, en Arabe et Français, l’orateur assoiffé qui réclame un peu d’eau, le Premier ministre se désaltérant au goulot parce qu’il ne trouvait pas de verre. Dès le début de l’oraison du Président, une partie du public commença à se retirer. Une fois rémunérés, les rabatteurs de badauds et leur bétail de circonstance se dispersaient. La scène se renouvela lors du rassemblement nocturne des jeunes. C’est ainsi que l’élite de l’instant dirige la Mauritanie, en dilettante. Pourtant, en 2022, deux ans après son élection, le Président bénéficiait du plébiscite, inédit, de l’opinion et des politiciens. Je suis tenté de conclure à un gâchis irrattrapable.

Vous ne ressentez pas la lassitude de ressasser d’invariables critiques et revendications ? La politique c’est aussi le pragmatisme et la volonté de construire, non ?

En politique, au sens noble du métier, deux postures s’offrent au militant : Soit il compose et se dilue, dans l’espoir – prétentieux – de changer le système de l’intérieur, soit il enfourche la dissidence, à l’image de l’insurgé, réitère l’assaut et garde patience. A équidistance, s’ouvre le troisième choix, en somme la souplesse contextuelle, une combinaison de lucidité tactique et de certitude chevillée au corps. Les modalités qui articulent les deux dernières options se manifestent ainsi, la première étant disqualifiée, à nos yeux :

1. Sous un règne de brutalité que caractérisent le recours à la contrainte des corps, la torture et l’attentat à la vie des innocents – quand bien même la vertu ornerait la gestion du bien public – aucune agressivité, pas une subversion ne doit être évitée au despote. Le plus sacré des devoirs de l’existence en société dicte de précipiter sa chute, peu importent l’intrigue à ourdir et ses outils. Aussi, le Chef fautif sera-t-il vitupéré, au travers de sa famille, de sa tribu, de ses prétoriens et combattu avec une ardeur d’autant moins économe qu’il aura commis et couvert des crimes de sang en proportion significative. Si sa nuisance vise une ethnie, le motif aggravant requiert le déversement d’un surplus de férocité à ses dépens. La Mauritanie est sortie du cas paroxystique, en 2005. 

2. En revanche, sous une coterie de prédation tribale et de fraude qui consent, à ses détracteurs, un espace d’expression et les exempte de la privation de déplacement, la compétition partisane abrite une marge de compromis. Ici, la divergence respectera les standards de la bienséance et de la retenue, à la condition de ne jamais occulter les méfaits de la gestion néo-patrimoniale et du népotisme. La détente qui éluderait le préalable de la transparence, expose, l’opposant, à trahir sa vocation de redresseur de tort et le frotte, dès lors, aux rugosités du réalisme. Le pragmatisme n’est pas le conseiller idoine des ambitieux, encore moins l’orient des justes. La situation du jour en Mauritanie correspond au substrat que je viens de décrire. Autrement dit, quel que soit le verdict des urnes au lendemain du 29 juin 2024, les protagonistes potentiels de la crise à venir gagneraient à prévenir l’impasse. Compte tenu de la fragilité de notre voisinage immédiat et des désordres de la planète, le vainqueur et le vaincu authentiques sont tenus de ne pas exclure la formation d’un gouvernement d’union. La clairvoyance les appelle à cosigner un pacte d’apaisement. Aucun n’a intérêt à piétiner l’autre. Leur jeu à somme nulle anéantirait le pays. Au demeurant, la menace ne viendra de notre camp. Nous ne sommes des pyromanes et ne détenons les instruments de la coercition.

Qu’est-ce que vous craignez et à la lumière de quels indices ?

Vous avez vu la démonstration des fantassins, de l’artillerie, des blindés et des unités anti-émeutes, au cœur de la capitale et ce durant 3 journées consécutives. Le geste d’intimidation n’était pas approprié. De même, une éminence de la campagne du Président sortant pouvait s’abstenir d’agiter ce genre de dissuasion : « La gestion de l’Etat est très ardue à celui qui méconnaît l’appareil de la gouvernance et en a plutôt des perceptions inapplicables aux réalités du terrain. Nous ne pouvons risquer l’avenir de notre nation, en la livrant à des gens dépourvus de l’expérience suffisante de gestion de la chose publique. Celui à qui une telle faculté fait défaut ne pourra jamais s’en sortir, il sera choqué face au réel. Il échouera à y remédier. C’est pourquoi, nous ne pouvons compromettre un pays, au salut duquel beaucoup de personnes sont mortes, d’autres sacrifiées ; et nous, on le néglige ? Jamais ! C’est impossible » : 

https://www.facebook.com/watch/?mibextid=oFDknk&v=783715003897478&rdid=PlqTvgvQUkuzjZkh

Un observateur neutre qualifierait, la tirade, de malvenue, au minimum. Quand l’on va à l’émulation, il y a lieu d’y aller doucement et de ne pas répudier l’hypothèse de la défaite.  La convocation du collège électoral n’est pas une proclamation de guerre civile.

Des récriminations montent contre la Commission nationale électorale indépendante (Céni), c’est un début de contestation du scrutin ?

Il surviendra certainement une tension, à cause de la fiabilité discutable de la Céni. L’instance d’organisation du vote manque d’impartialité et d’intégrité. En attestent les décomptes rocambolesques du scrutin de mai 2023. Les « grands électeurs » de l’Insaf escomptent, de leur troupeau convoyé, la preuve de la docilité, en photo. Or, jusqu’ici, l’interdiction du téléphone portable, aux abords de l’isoloir, n’est pas acquise. Traquez les anecdotes émoustillantes du fonctionnement de la Céni, menez votre enquête, demandez-vous comment elle sélectionne ses fournisseurs et embauche son personnel. Vous découvririez matière à vous hérisser le poil. Enfin, je vous invite à le retenir, un pourcentage conséquent de la diaspora est écarté de l’enjeu.

Si l’Opposition, singulièrement le candidat Biram Dah Abeid remporte la compétition, vous allez bien devoir vous mouiller, mettre les mains dans le cambouis de l’Exécutif ?

Pourquoi devrais-je nécessairement prétendre à une fonction de l’Exécutif ? Les cadres de bonne facture et du meilleur aloi sont légion, à l’intérieur et parmi la diaspora. Plusieurs végètent au sein de la Majorité en sursis. Personne n’est irremplaçable. Certes, réserve morale oblige, je ne puis servir l’Etat, tant que l’article 306 du code pénal et la loi d’amnistie de 1993 polluent notre jurisprudence. L’article 306 est digne de Daesh. La loi de 1993 insulte l’unité nationale et le sens élémentaire de la droiture.

Votre engagement peut dérouter. A part donner des leçons et planter des feux rouges, quelle est l’utilité de ce magistère ?

En contrepoint du politicien de terrain, véritable moteur du rapport des forces, émerge le lanceur d’alerte, une manière de rebelle de la plume et de la parole, doublé d’une vigie insomniaque, généralement à l’abri du danger. Sa citadelle se nomme exil. La vocation s’est imposée à moi. Nous sommes désormais nombreux sur le Continent. L’objecteur de conscience africain affiche une contenance d’oxymore car elle procède d’un accommodement parsemé d’épines. L’idéaliste (ce n’est pas une péjoration) se résout à vivre de peu, prend vœu d’irrévérence, s’interdit les dettes et ne s’asservit à la propriété d’un bien consistant dans son pays d’origine, dont la menace de la spoliation lui vaudrait le chantage. Il acquiert la double nationalité qui le protège des siens, gagne son pain à l’extérieur et se détourne des privilèges. Celui-là peut défier le destin, voyager léger et vivre heureux, en harmonie avec sa conviction et la compagnie de ses livres.

Bon, romantisme à part, reposons la question sous un autre angle : A quelles missions vous sentez-vous le mieux préparé ?

La direction des Eaux et forêts, les questions d’environnement, le règlement du déni de citoyenneté, l’inspection générale de l’Etat, le contrôle en amont des marchés publics, l’humanisation des prisons, m’intéressent. Un poste subalterne où j’aurais les coudées franches m’agrée.

Vous vous dites internationaliste, universaliste et n’hésitez à vous impliquer dans les luttes hors de votre pays. Combien de nationalités portez-vous ?

Je ne suis titulaire que du passeport mauritanien et m’en désole, d’ailleurs. Il est vrai qu’au renversement d’une dictature ou d’un régime d’exception, je festoie.  Malheureusement, l’occasion se raréfie, les brutes reprennent l’initiative.

Selon la rumeur, l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz soutiendrait votre candidat, Birame Dah Abeid. Confirmez-vous ?

Mohamed Ould Abdel Aziz est toujours à la merci des juges et je n’entends rajouter à son infortune. Je ne cible un adversaire à terre.

Et si vous n’y arrivez pas en 2024 ? Comment préparez-vous la suite, la traversée du désert ?

Vous plaisantez ?  Le désert et nous entretenons une cordiale familiarité : Nous ne cessons de l’arpenter. De toute façon, la dynamique du changement drastique est lancée, d’elle-même. Il nous revient de poursuivre le labour de la société, la formation des militants à la rébellion non-violente et à la déconstruction de l’ordre hégémonique. Le fruit mûr tombera avant terme. Sérénité et endurance !

En quelque sorte, vous vous apprêtez à rééditer l’expérience récente au Sénégal ?

S’il vous plaît, comparez ce qui est comparable ! Le Sénégal est un Etat de droit. La Mauritanie est encore une ébauche de république bédouine qui aspire à la modernité de l’esprit. Quelques décades l’en séparent. Chez nous, la base de la société s’avère aussi corruptible que le sommet est corrompu. La majorité triche parce que le nivellement par le bas et la disqualification de l’excellence ont ouvert les vannes de l’anarchie, de la foire d’empoigne.  Alors, pour échapper à la file d’attente, le citoyen, pressé, achète son droit ou donne du coude, parfois en vient aux mains. A titre d’illustration, osez un tour dans les locaux de l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (Anrpts), un spectacle ubuesque vous y attend. Ensuite, vous présenterez des excuses au Sénégal.

Comment vous comptez vous assurer des résultats à la sortie des urnes ?

Le grand défi de l’Opposition liguée, consiste à mutualiser ses ressources humaines, aux fins d’avoir 1 ou 2 représentants à l’intérieur de chaque bureau de vote et à l’entour Il faudra veiller à choisir des gens de confiance et éviter d’en mandater qui soient vulnérables à la vénalité. Voilà notre talon d’Achille.

A mi-campagne, des dizaines de localités réclament une visite du présidentiable Biram Dah Abeid, qui a le vent en poupe. Vous pensez y parvenir, vu la modicité de vos finances ?

Notre campagne est démunie. Nous manquons de moyens mais y sommes habitués. Donc, le candidat ne se rendra pas dans certains endroits du pays. Pour l’instant, nous nous efforçons de réunir quelques ordinateurs neufs et des téléphones performants pour restituer, à temps, les procès – verbaux de dépouillement. Nous font aussi défaut des drones à usage civil et de quoi alimenter, en carburant, nos émissaires motorisés. Les contributeurs de bonne volonté peuvent se rapprocher du candidat, à Nouakchott. Il n’est pas trop tard. Je le souligne, nous leur garantissons l’anonymat.

Pourquoi pas vous ?

Je séjourne loin de là, en Europe. De surcroît, il ne me paraît sage de confier, à un chômeur, le maigre denier de la cause.

Avant de conclure, quel passage de l’introduction au programme de Biram Dah Abeid vous inspire le plus ?

 « …la Mauritanie de nos aspirations signera et ratifiera le Statut de Rome, endossera pleinement les mécanismes de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, abolira, de son corpus juridique, la peine de mort et les châtiments corporels et interdira l’enseignement des livres du Fiqh qui règlementent l’infâme institution de l’esclavage ».

Un dernier mot aux électeurs ?

Oui, voter Biram Dah Abeid équivaut à une révolution, les flots d’hémoglobine en moins. J’y appelle l’ultra-minorité de compatriotes qui me ferait grâce d’entendre les arguments de la raison et les alarmes de l’altruisme. Même à nous supposer un degré élevé de méchanceté et la tentation de la revanche, mes camarades de l’opposition radicale et moi, une fois parvenus au pouvoir d’Etat, ne pourrions réussir l’exploit de surpasser, les autorités actuelles, en médiocrité et brigandage. Essayez-nous, qu’avez-vous de si précieux à aliéner? Le bien-être, le confort, l’indépendance de la magistrature, l’abondance, les loisirs, le pouvoir d’achat, la couverture maladie universelle, la garantie du lendemain radieux ? Vous n’en jouissez, même pas à dose homéopathique ! Dans un environnement sain, 5 années d’attente gratuite suffisent à instruire le désenchantement. Alors, à moins de se résigner ou de s’en remettre aux décrets hasardeux de la Providence, les prières, seules, ne hâteront l’échéance de l’émancipation.

Je vous remercie de m’avoir accordé autant d’attention, c’est moi qui sors de l’entretien, bousculé.

Vous m’en voyez navré. Merci à vous !

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FLAMNET-RÉTRO: De l’identité des Haratines ! par Bara Ba

Les Haratines, cette force montante, constitueront, de plus en plus, un enjeu important  dans l’évolution future des  rapports de force inter- communautaires. Voilà pourquoi ce groupe  ne laisse personne indifférent . Voilà pourquoi, également,  le doute, la réflexion  et un questionnement qui  traversent actuellement  certains segments de ce courant  sur la meilleure voie devant mener à leur liberation interpellent chacun de nous. Lorsque j’ai lu la réponse de Samory à  Nany, suite à une lettre, naïvement, adressée aux Nations-unies, j’ai décidé,  à mon tour d’entrer dans le débat . à ma manière. Prenant d’emblée  le contre-pied  de  Ould Nany, je pose que  la  libération de l’esclave – tout esclave-  passe par une rupture ombilicale d’avec le maître , nécessairement.

Cette rupture ombilicale d’avec le maître  se justifie en raison de la nature même de la relation d’intérêt  maitre-esclave, par essence conflictuelle, antagonique; En effet  l’un cherche à asservir, à aliéner une liberté,  l’autre cherche  à  recouvrer cette liberté, à se soustraire à  l’asservissement. On  entend  souvent dire, comme par définition, que «  l’esclave  est celui-là qui manque de tout, qui fait  tout  et qui n’a aucun droit, et que le maître est celui qui a tout, qui ne fait rien et qui a tous les droits  ».

 Par ailleurs l’histoire enseigne qu’en général, l’esclave recouvre rarement sa liberté, par la volonté du maître, ou au gré de celui-ci ! L’esclave se libère ou  rompt les chaînes de servitude, par la seule  force de sa volonté, dans  certaines conditions favorables.

 Il me paraît alors  normal et tout naturel, pour revenir au cas mauritanien, que le ? “haratine -abeid ?”, pour se libérer, empruntât, lui aussi, cette  même voie  de  rupture;  il devra, pour se faire, s’affranchir du lien tribal , psychologique et économique .

J’ai dit s’affranchir du lien tribal car celui-ci participe de l’instrumentalisation du groupe Haratine par le montage, à dessein, d’une  « majorité maure », dont les bénéfices et retombées positives reviennent  presqu’exclusivement au seul sous- groupe dominant Bidhaan! La tribu, en fait, constitue un carcan subtil  qui  entretient un semblant de relations affectives inter-membres destiné, en réalité, à maintenir l’esclave dans la dépendance, sentimentalement et socialement .

Autre chaîne dont il faudrait  se défaire: ce  mensonge « religieux  », grossier, déliberement entretenu  par le maître, afin de  renforcer la dépendance psychologique de l’esclave, qui stipule que ?’ ne pas obeir à la volonté du maître conduirait au purgatoire”; que le maître  serait celui- là, seul , capable de lui garantir le paradis, chose au dessus du pouvoir même des  prophètes !

Enfin dernière dépendance à briser, et non des moindres, la dépendance économique; ?’l’autonomie  économique” de l’esclave vis-à-vis du maître est indispensable pour sa  véritable  libération. Il est heureux de constater que ce processus  est  dejà  en marche en milieu urbain,  forcé par les sécheresses des années 70; à ce niveau les Haratines qui vivent en milieu urbain ont un rôle majeur à jouer, dans le réveil de la multitude, encore  endormie dans le fin fond du pays !

Rompre donc, en conclusion, les chaînes tribale, psychologique et  économique , afin  d’accéder  à l’affranchissement définitif et irréversible, telle me paraît être la seule voie qui puisse  mener vers la liberté ;  mais attention  à ne pas tomber dans l’illusion que  cette liberté, une fois conquise,  conduirait automatiquement  à l’émancipation du haratine et surtout à sa pleine citoyenneté; il en faudrait beaucoup plus  !

Tant  que demeurera le racisme anti-Noir il serait illusoire de nourrir un tel espoir .

 Sans l’élimination de la discrimination raciale, érigée en Système, contre les Négro -mauritaniens ( Haratines et Négro- africains ), les Haratines, en se libérant  de l’esclavage, changeraient, simplement, de type de « ghetto » ; ils auront quitté  le ?’ghetto” de l’esclavage pour retomber  dans celui du racisme, ni plus ni moins !.

Voilà pourquoi  ils devront comprendre que la voie la plus courte  pour leur libération et émancipation  totale  passe, nécessairement, par la  fin du racisme d’Etat . 

Voie toute politique, on en convient !

Cette approche, on le voit,  milite, par voie de conséquence, si tant est qu’elle est bien comprise, pour un changement dans la stratégie actuelle, adoptée jusqu’ici par certains leaders Haratines, axée essentiellement sur la dimension exclusive « droits de l’homme »,  qui se mène comme  en vase clos ! L’engagement politique militant est nécessaire, qui prendrait en charge toutes les dimensions de la lutte devant mettre fin à l’esclavage …

Ici  se situe mon incompréhension à voir certains militants activistes de  cette cause, se tenir en  marge des chapelles politiques, comme par évitement, alors que les choses restent fortement  imbriquées !

Bien entendu cet « engagement politique » ne se fera pas sans un choix .difficile, voire douloureux !

En effet cet engagement politique et militant  suppose,  au  préalable, une clarification  sur « l’identité des Haratines » !

 Qui sont -ils ? Négro-africains ? Arabo-berbéres ? Une entité spéciale à part ? ou encore juste une classe sociale tout court ?

Il leur appartiendra de se définir, de  déterminer leur identité ou ce qu’ils souhaitent devenir. Alors seulement se dégagerait  une  stratégie claire et adaptée, pour leur libération et émancipation !

Nous avons dit que ces choix ne seront pas sans douleur, ni sans  passion et  sans  heurts, car le front Haratine n’est plus ce qu’il paraît , c’est- à -dire uni .

J’ai encore en mémoire certains propos de leaders Haratines, teintés d’une sorte de dilemme douloureux  qui définit le Hartaani comme  objet d’un double rejet, coincé  entre « le mépris des uns et l’esclavage  des autres  »,  coincé entre« un  déni de statut dans un cas, et un déni d’humanité dans l’autre », pour emprunter cette formule à quelqu’un.

J’avoue pour ma part ne pas bien comprendre ce dilemme, fondé sur des termes aux effets négatifs certains , mais dont les  préjudices moraux et sociaux respectifs sont sans commune mesure, l’un de l’autre  !

J’ai aussi entendu parler d’une certaine terminologie, comme de  « Hartaani arabe », assumée de surcroît , que je trouve doublement absurde .

En s’identifiant au maître,  l’esclave, quelque part, ne retardait-il pas ou pire, n’hypothéquait-il pas  par là  même, les chances mêmes de  sa  libération?

 En second lieu, il m’avait  toujours semblé que, biologiquement, l’Arabe était de race sémitique et le Hartaani  nègre!

Hartaani arabe** ? Peulh arabe ? ces notions étaient pour moi un non sens, et cachaient  une vaste tromperie !

J’affirme qu’il est faux de prétendre que le Hartaani « est essentiellement de culture arabe ».

Le fond culturel du Hartaani est nègre, encore une fois, fait de vestiges sur lesquels se sont  déposés, progressivement,  des éléments de culture arabe.

 Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’habitat du Hartaani, d’observer son pas de danse rythmé par la “Taballa”, ses cérémonies festives qui rappellent étrangement celles de  fin des  travaux  champêtres, cette manière bruyante et joyeuse de s’éclater, toute sédentaire, ces  coeurs de l’Est  qui vibraient  au moindre grincement des cordes « noires » de Banzouman Sissoko, et j’en  passe .

Ce sont là, sans aucun doute, des débris de culture négro- africaine, ensevelie sous le limon de l’apport arabo-berbère .

Le Hartaani  est donc de culture hybride ; il n’est pas culturellement arabe mais « linguistiquement » arabe, comme le soutenait à juste titre  quelqu’un, récemment à Flamnet. Et la nuance est de taille !

Ce fond culturel nègre est si présent chez le Hartaani, que l’intégration des Haratines en milieu négro- africain ne posait pas de problème. Cela est prouvé au  Sénégal voisin, et cela a également été prouvé dans la région du Tooro où les évènements de 86 /89  ont révélé des  groupes entiers insoupçonnés de Haratines qui s’étaient complétement fondus dans les populations Négro-africaines locales ; ces « Hartaanis assimilés » , se sont vus forcés de se démarquer, de s’expurger des villages  sur exigence de  l’Armée , afin  d’éviter de se  faire réprimer ou déporter .

Si l’intégration a pu être ainsi  possible et même aisée  dans ces milieux, c’est bien parce que le fond culturel nègre était là, enfoui dans leur inconscient collectif, qui ne demandait peut-être qu’à revivre !.

Alors, Hartaanis arabes ? Hartaanis nègres , ou « awlad hartaani » tout court ?

Quand le choix sera fait, les leaders du mouvement se devront alors d’identifier le camp des forces-partenaires  ou  des  alliés naturels   .

Il est à  penser qu’ils se rangeront  au coté de ceux  avec qui ils partageaient cette commune discrimination profonde, cette commune oppression subie, cette commune exclusion imposée, côtoyant  les forces  avec lesquelles  ils partageaient aussi, «  cette communauté de résistance  continue et de lutte opiniâtre pour la liberté et l’indomptable esperance » , pour citer Césaire .

Alliance du camp des opprimés dans leur marche pour l’émancipation et la conquête d’une pleine citoyenneté , non pas pour opprimer, à leur tour, qui que ce soit, mais pour jeter les bases d’un Etat de droit , respectueux de la dignité des uns et des autres, sans distinguo.

Une nation  ne peut pas vivre moitié libre, moitié esclave, disait A Lincoln .

J’ai déjà dit  que ces choix ne seraient pas sans passion, ni sans heurts.

De jeunes loups  émergeaient enfin, au discours controversé, et dont la virulence du propos dérange les cercles du  pouvoir, agace les figures de proue du mouvement . 

Entre autres,  Biram Ould  Dah Ould Abeid – sorte de Malcom X des Haratines -.

Ould Abeid  qui se voit accusé de précipiter la violence alors qu’il est, lui même, la victime première de cette violence exercée par ceux- là mêmes qui l’accablent aujourd’hui, et pourtant le condamnent  à l’inhumaine indignité de l’esclavage  !

Ould Abeid fait face, présentement, à la même situation qu’avait vécue Martin Luther King Junior, auprès des Blancs du Sud ( Etats-Unis), pendant les campagnes chaudes du “Civil rights movement”.

Je crois que Ould Abeid, tout comme Samory ( en plus timide ), tente d’une certaine manière, de s’inspirer  de  la  méthode et des  justifications du Dr King.

King rappelait, à travers une lettre écrite à partir de sa cellule de prison à Birmingham, la nécessité de ?’créer la tension?’, seule façon, disait -il, « d’amener en surface l’injustice vécue par les négros, et d’aider les honnêtes gens à se hisser au dessus de l’esclavage et du racisme, et à tendre vers la fraternité ».

Une différence essentielle toutefois entre les deux hommes, King, lui , bénéficia d’une complicité interne de taille à la maison blanche, en la personne de Lyndon B Johnson qui incita  au  jeu de  rôle «  inside-outside »*** ; circonstance favorable très éloigné de Ould Abeid, quand on sait que le « Président des pauvres » tergiversait et hésitait encore à s’attaquer aux problèmes de fond , en s’offrant  quelque diversion !                                                                                                                                         

King , songeur , soulignait par ailleurs sa déception à l’endroit « des Whites moderate »( Blancs modérés )  qui  restaient plus dévoués à l’ordre qu’à  la justice ; qui préferaient  la paix négative -qui est absence de tension -, à la paix positive -ou présence de justice.  Whites moderate qui, constamment, vous disent, ajoutait -il,«  je suis d’accord avec vous sur vos objectifs, mais je ne puis être d’accord avec vos méthodes » !

Ces « whites moderate » sont symbolisés, chez nous, par Ould Nany et ce type de professeurs  à l’image des Ould Bilal, Ould Maouloud et consort et qui sont légion …

Miské , Yehdih Bredeleil , Babaha, Mohameden Ould Babah symbolisaient le KKK !

Daddah et Jemil, eux, avancaient, masqués . mais non loin des seconds.

Ould Abeid, Samory, et tous ces jeunes loups, se devraient, je crois , de méditer cette maxime de Césaire   , « une révolte qui n’est que révolte conduit à une impasse historique » !

Hartaanis arabes, Hartaanis-négro-africains ou « awlad Hartaani » tout court ?

La problématique est  posée, qu’il  appartiendra  aux haratines  de  trancher !

Bara Ba – Militant FLAM- Dakar Sénégal

Le 30 Mars 2010

www.flamonline.com

www.flamnet.info

Notes

** Certains esprit retors se plaisent à arguer que « tous les Haratines ne sont pas noirs, et que tous les Bidhaans ne sont pas blancs » !… Nous fondons nos assertions sur l’immense majorité, et n’avons que faire de quelques rares cas d’exception isolés !

Aussi, ces quelques  Bidhaans qui sont noirs de peau, se sentaient-ils ou se considéraient-ils  dans leur tête , comme Noirs ? certainement pas !  

*** « role inside -outside » .le Président Johnson s’etait entendu secrétement avec M L King dans la distribution des rôles : King devait agiter le système de l’exterieur en lui donnant le pretexte d’apporter les changements de l’interieur !

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Décès de Aly Kalidou Ba, ancien directeur de l’informatique et signataire du Manifeste des 19

Après son frère  Abdoul Aziz Ba, décédé le 28 mai 2012, les frères Mohamed El Bachir Bal et Mohamed El Habib Bal décédés les 24 février 2018 et 19 juillet 2020, Abdoulaye Sow le 22 juillet 2020, Demba Seck  et Satigui Oumar Hamady Sy décédés les 13 et 14 novembre 2022 puis son cousin Mohamed Abdallahi Ba décédé le 04 février 2023,  tous signataires du Manifeste des 19, la Mauritanie perd à nouveau un de ses premiers cadres qui avait fait le choix de la dignité, de vivre loin des éclats sombres de la compromission. 

Né en 1939 ou en 1940 à Gouriki, notre regretté Aly Kalidou Ba est décédé ce mercredi 24 avril 2024 peu avant 1 heure du matin à Nouakchott. Qu’Allah l’accueille dans son paradis. Nous adressons nos sincères condoléances à la famille, à sa veuve gorgol Ndira Barry, à ses enfants Abdoul Aziz dit Zeus, Mariame, Coumbis, Hamidou et Sidi Mahmoud, ses frères et sœurs, et à tous ceux qui sont proches et chers.

La Mauritanie a perdu un de ses premiers hauts cadres « En 1966 déjà, il était inspecteur de trésor (finances) formé à Grenoble puis il a poursuivi une autre formation à Washington. Après celle-ci, il est nommé directeur de l’informatique au ministère des finances. Un poste qu’il cumule avec celui de gouverneur suppléant de la Mauritanie auprès du FMI et de la banque mondiale » précise son fils Abdoul Aziz.

La disparition dans l’anonymat et dans l’indifférence de Aly Kalidou Ba, comme des autres auteurs du Manifeste des 19, est le reflet d’une Mauritanie raciste qui assume ouvertement la suprématie et la mainmise totale d’une seule communauté sur tous les leviers du pouvoir. Assuré de sa « victoire », le système dominant ne fait plus semblant. 

Le temps  a fait son œuvre. Les uns après les autres, ces pionniers, précurseurs et visionnaires s’effacent. Pas leur œuvre malgré l’acharnement avec lequel la direction de leur pays s’emploie à les recouvrir d’un oubli qui est le lot commun de ceux qui dérangent mais auxquels l’histoire a donné raison. C’est peine perdue. Preuve en est que l’on est nombreux à se souvenir.

Qu’Allah accueille ces grands hommes dans son paradis. Des 19 visionnaires, il reste Daffa Bakary et Traoré Souleymane dit Jiddou. Nous leur souhaitons une très bonne santé.

Pour lui rendre hommage et immortaliser, nous republions ce texte daté du 11 février 2022.

……………………………………………………………………………………………………….

Le 11 février 1966, arrestations des auteurs d’un texte de référence : le Manifeste des 19

Il est des faits auxquels leur immédiate évidence confère une force singulière et durable. Le Manifeste des 19 conserve, cinquante-six ans après sa publication, un impact qui, non seulement ne s’est pas démenti, mais s’est renforcé. Le texte fait plus que jamais sens et référence. Devenu flambeau et cri de ralliement, il renferme une démarche, une séquence historique, un jalon de l’histoire politique de la Mauritanie. Jamais un texte aura eu une telle portée emblématique. On sait à quel point le regard rétrospectif peut se révéler un juge sévère. D’où vient qu’année après année, la postérité s’est faite plus généreuse?

Le Manifeste est une réussite à de multiples égards

D’abord par la simplicité des mots voulus pour dire la réalité. «Manifeste», il fallait y penser. Ni déclaration, ni résolution, ni charte, ni appel…juste un manifeste. Un texte pour avertir, montrer et donner à voir des faits évidents dans leur simplicité et leur vérité et d’autres qui couvent sous les cendres.

La fortune d’un écrit ou d’une démarche n’est jamais acquise d’avance. C’est le temps qui la consacre même si, en l’occurrence, il y avait de multiples raisons à ce que ce texte là rencontre, non pas le succès, expression subalterne en l’espèce, mais l’adhésion. Il y a d’abord le profil des auteurs. Ils appartenaient à toutes les ethnies négro-africaines ainsi qu’en témoignent leurs noms. Issus de l’élite négro-africaine, les rédacteurs du Manifeste avaient beaucoup à perdre du fait de leur initiative. Et d’abord leur statut ou, pour être trivial, leur place. Ils la perdirent effectivement. Leur liberté par-dessus tout. Elle leur fut également confisquée. Ils étaient ingénieurs, hauts fonctionnaires, enseignants. Ils étaient l‘ossature de l’administration et savaient ce qui se tramait, ce qui était en vue et ce qui risquait d’arriver.

En un mot, et le principal est là. Les faits leur ont donné raison. Le jugement de l’histoire a suivi. Ils ont eu raison trop tôt. Ce qui est difficilement pardonné. Ils ont compris très tôt que le fait déclencheur de leur soutien au mouvement lycéen débuté le 4 janvier 1966, l’introduction à la hussarde de la langue arabe dans l’enseignement du second degré, ne pouvait simplement s’analyser en termes de réforme du système éducatif. Loin d’être anodin, le fait brut faisait date C’était un jalon essentiel qui donnait le signal de ce qui se passe aujourd’hui : une arabisation massive à vocation assimilatrice, une politique discriminatoire par l’instrumentalisation d’une langue, la promotion d’une identité culturelle et raciale unique, hégémonique voire exclusive d’un pays pourtant multiculturel.

La force du Manifeste, c’est son actualité

Des phrases rédigées il y a cinquante huit ans et dont la résonance est aujourd’hui telle qu’on n’a nul besoin de les revisiter. Tout y est. Sous toutes ses formes, la politique d’effacement et d’invisibilisation des Négro-africains de l’espace public est décrite dans ses mécanismes et chiffres à l’appui. Le seul changement intervenu, à plus de cinq décennies d’intervalle, tient à l’ampleur de ce qui est décrit et à son caractère désormais systématique.

Parmi tant d’autres, un exemple montre la perspicace vigilance des vigies de 1966. Et l’actualité leur donne raison au moment même où des chevaux de retour nous vendent leur projet d’assimilation sous l’emballage de l’islam, « notre religion commune». Une communauté qui, au passage n’a jamais fait obstacle ni au racisme, ni aux injustices, ni aux pogroms, ni aux tortures ni aux déportations mais qui réapparaît dès qu’il est question de transcription des langues nationales, de l’emprise de l’arabe sur la scène nationale. Plus que jamais, les auteurs du Manifeste ont eu raison de dissocier ce qui, en effet, doit l’être : l’appartenance à une religion et la préemption de cette religion par un groupe dominant à des fins hégémoniques et d’exclusion. Les auteurs du Manifeste avaient vu venir et avaient annoncé les tenants d’une « politique de civilisation » ayant pour « pilier fondamental le credo religieux». Au « Vous êtes musulmans donc devenez arabes » qui se murmurait en 1966, les rédacteurs du Manifeste avaient répondu : musulmans mais pas arabes. C’était il y a cinquante-six ans. Aujourd’hui, d’autres, assurés de leur victoire, ne se contentent plus de murmurer. Ils ordonnent.

Ciré Ba et Boubacar Diagana– Paris, le 24/04/2024

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