Mauritanie sous tension | Par Mansour LY
Le Sahel brûle, la Mauritanie sous tension | Par Mansour LY
Un État ne s’effondre pas d’un coup. Il se délite d’abord dans les regards détournés, les silences organisés, les pactes non tenus. Aujourd’hui, le Sahel ne traverse pas une crise ordinaire. Il subit une reconfiguration brutale et durable. On y observe l’effondrement de l’autorité publique, la fragmentation du tissu social, ainsi qu’une instrumentalisation croissante des identités.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 4,7 millions de déplacés, des milliers d’écoles fermées, et des pans entiers de territoire passés sous contrôle d’acteurs armés. Dans les pays comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, l’autorité militaire s’est substituée à la légitimité sociale, créant un vide que ni les institutions ni la communauté internationale ne parviennent à combler.
Parallèlement, les outils d’intégration régionale sont affaiblis. Le G5 Sahel est devenu une coquille vide, l’Alliance des États du Sahel se contente d’afficher une posture de rupture sans cap clair, et la CEDEAO est prise entre sa volonté de sanctionner et ses propres impasses politiques.
La haine comme moteur des fractures sociales
Cependant, la menace la plus profonde ne vient pas des armes, mais des logiques sociales délétères qui se renforcent. Sous les radars médiatiques, une guerre intercommunautaire rampante s’installe. À Djibo, Arbinda, Yirgou et ailleurs, des communautés entières sont injustement stigmatisées, en particulier les Peuls, souvent associés sans preuve au djihadisme. Cette stigmatisation, en plus d’être injuste, alimente les ressentiments, légitime les vengeances et constitue un terrain fertile pour les recruteurs extrémistes. En oubliant la réconciliation, on hypothèque toute possibilité de paix durable.
La Mauritanie : paix relative, tensions latentes
Face à cette décomposition, la Mauritanie apparaît encore, de l’extérieur, comme un îlot de stabilité. Pourtant, cette perception cache une réalité plus fragile. Plusieurs signes doivent alerter. D’une part, la frontière Est reste poreuse, en particulier avec le Mali, et les dispositifs sécuritaires dans le Hodh sont insuffisants. D’autre part, la vallée et les régions périphériques connaissent une vulnérabilité sociale persistante, tandis que la jeunesse, en proie au chômage et au désarroi, oscille entre résignation et colère. De plus, la mémoire communautaire demeure vive, parfois douloureuse, et rarement apaisée.
Une fragilité intérieure plus préoccupante que la menace extérieure
Ainsi, la stabilité de la Mauritanie est moins le résultat d’une stratégie affirmée que le fruit d’une conjonction temporaire de facteurs favorables. Elle repose sur une paix par défaut, non sur un projet de société partagé. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre que la vraie ligne de fracture ne réside pas uniquement à la frontière, mais au sein même du pays. Ce qui menace la Mauritanie n’est pas seulement une infiltration militaire. C’est la fragilité du lien civique, l’absence de reconnaissance mutuelle entre citoyens, la coexistence de citoyennetés à plusieurs vitesses.
L’échec silencieux des dialogues négligés
À cet égard, il est urgent de tirer les leçons des voisins sahéliens. Si les populations maliennes, nigériennes ou burkinabè avaient anticipé l’effondrement, elles auraient certainement traité les dialogues nationaux avec plus de sérieux. En Mauritanie, ces dialogues existent, mais restent souvent instrumentalisés, perçus comme des exercices de communication sans effet réel. Pourtant, ils devraient constituer des moments de refondation, des respirations démocratiques et inclusives. Les ignorer, c’est alimenter une fracture silencieuse qui peut, un jour, devenir irréversible.
La mobilisation citoyenne comme digue de résistance
Dès lors, la réponse ne peut plus venir uniquement d’en haut. L’État, à lui seul, ne peut ni contenir les tensions à venir ni porter l’ensemble de l’édifice républicain. C’est pourquoi le sursaut doit venir de la base. Il faut une mobilisation civique forte, un refus clair des logiques de division, une vigilance permanente face aux discours de haine. Être citoyen aujourd’hui en Mauritanie, c’est croire suffisamment en sa nation pour dire la vérité, pour refuser l’injustice, et pour défendre un avenir commun.
Cinq chantiers pour éviter l’effet domino sahélien
1. Reconquête humaine du territoire
Pas de légitimité sans services publics. Il s’agit de déployer des équipes pluridisciplinaires dans chaque moughataa vulnérable : enseignants, juges, agents de santé, animateurs sociaux. Ce sont les services concrets, réguliers, visibles, qui fondent la confiance et l’autorité.
2. Diplomatie d’équilibre et de médiation
La Mauritanie ne doit ni s’isoler, ni s’aligner aveuglément. Elle peut devenir une passerelle crédible entre les grands ensembles géopolitiques. Il lui faut maintenir des liens ouverts, jouer un rôle modérateur, et anticiper les dynamiques régionales plutôt que les subir.
3. Coalition citoyenne pour la paix
Refuser la logique des milices et privilégier celle de la médiation. Il faut construire des réseaux de veille et d’action civique, impliquant les leaders religieux, les femmes influentes, les jeunes engagés, capables de désamorcer les tensions locales.
4. Système de veille multidisciplinaire
Sans données fiables, sans capteurs sociaux, les États naviguent à l’aveugle. Une cellule nationale d’intelligence territoriale, associant chercheurs, services publics et société civile, pourrait détecter les signaux faibles et alerter en temps utile.
5. Récit national inclusif et réparateur
On ne construit pas une nation sans mémoire partagée. Il faut reconnaître les injustices passées, intégrer les blessures dans une narration commune, et projeter une vision de la Mauritanie plurielle, assumée, unie par la justice et non par la peur.
Le choix à faire : la digue ou le glissement
En définitive, la Mauritanie est à un tournant. Elle peut devenir la digue face à l’effondrement sahélien, ou bien glisser lentement vers le même sort. Ce choix ne se fera pas dans les palais ni dans les chancelleries. Il se jouera dans les quartiers, dans les consciences, dans les solidarités invisibles. Il dépend de ce que chaque citoyen est prêt à défendre ou à abandonner.
Le feu est à nos portes. Mais il est encore temps d’en tracer les digues. Ensemble, fermement.