Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Quelles modalités de conquête du pouvoir politique ? par Boye Alassane Harouna

boye alassane harouna« Il faut que les leçons ne soient pas oubliées si l’on veut que les souffrances ne soient pas perdues. »(Edgar Faure) 

 Face aux régimes despotiques, en l’absence d’un Etat de droit, d’une vraie démocratie, celle qui permet une alternance pacifique par la voie des urnes, il n’y a pas une mais plusieurs modalités de conquête du pouvoir politique. Autrement dit, la conquête du pouvoir politique dans de telles conditions revêt un caractère multidimensionnel. C’est cela l’enseignement  fondamental et universel de l’histoire.  Chez nous, cet enseignement trouve son expression et son illustration dans la formule pulaar « Fuunti laami, buri felli laami. », dès lors que cet aphorisme est compris dans son esprit, c’est-à-dire dans le sens de « Mieux vaut privilégier la diplomatie, les stratégies pacifiques, non violentes plutôt que la violence armée » dans la conquête du pouvoir.

Il est entendu que cette acception exclut toute forme de mesquinerie, de courtisanerie politique ou de combines dont raffolent les opportunistes ; elle est aux antipodes de toute compromission. Il est question, sur la base d’une analyse concrète globale des contextes, des enjeux, des rapports de force, de varier, combiner ou alterner les multiples formes de lutte possibles. Ici, on le voit, les stratégies pacifiques, si elles sont privilégiées, n’excluent pas l’usage de la force pour conquérir le pouvoir politique.

Ainsi donc, le choix de telle option (lutte armée, insurrection populaire, alternance pacifique et démocratique, etc.) plutôt que telle autre ne relève pas, loin s’en faut, de la volonté ou du désir de tel ou tel homme politique, quel qu’il soit et dans quelque pays que ce soit. Ce choix est fonction du contexte interne et de l’environnement politique international. Il ne se décrète ni ne s’impose autrement que par les conditions objectives du moment. Conditions qu’il importe de savoir identifier et exploiter à bon escient. Et c’est à ce niveau, me semble-t-il, qu’apparaissent le rôle décisif et la démonstration de la perspicacité, de l’aptitude d’une Direction politique à orienter, à impulser, pour faire basculer la lutte politique sur le terrain de la lutte armée… l e cas échéant. Ces conditions réunies, faudrait-il encore que le Parti ou le Mouvement concerné  soit prêt à assumer  jusqu’au bout l’action armée.

Pour illustration, par rapport à la réalisation des conditions effectives qui rendent objectivement possible et raisonnable l’usage de la lutte armée, nous pouvons puiser dans nos expériences récentes, notamment à travers les fameux évènements 1989/1990, voire 1991.  

 Brimades, vexations, humiliations, expropriation, massacres de populations innocentes, viols, vols, etc. Rien, en termes d’horreurs, d’abomination, de crimes contre l’humanité, ne fut épargné aux populations négro-africaines de Mauritanie. Cela est bien connu, y compris de ceux qui font comme si ces sombres pages de l’histoire récente du pays n’ont jamais été écrites. Ce qui l’est moins, ou ce dont on fait peu mention, ce sont les nombreux cas de révolte, de résistance physique, parfois héroïque, voire armée, de personnes dans de nombreuses localités et villages ciblés par l’appareil répressif raciste. Le ras-le-bol était réel, profond et général. La situation était explosive. Devant l’insupportable et l’inacceptable, nous pouvons raisonnablement affirmer que nous n’étions pas loin d’une situation propice à une insurrection populaire qui aurait pu déboucher sur une lutte armée. Nous en avions indiqué les prémices. Mais il fallait qu’elle fût  déclenchée. Pour cela il eût fallu une avant-garde suffisamment préparée et implantée pour encadrer et diriger une telle insurrection. Ce rôle, qui revenait légitimement aux FLAM, ne pouvait être assumé par celles-ci : ses dirigeants croupissaient à OUALATA ; ses jeunes militants, pourchassés, n’avaient d’autres choix que de prendre le chemin de l’exil. Sans Direction politique, sans encadrement, sans maturité politique et expérience de luttes, les pauvres populations étaient livrées à elles-mêmes. Une opportunité d’insurrection populaire de longue haleine ou d’un déclenchement de lutte armée soutenue s’évaporait. Pas de combat, faute de stratégies de combat et de combattants.

Au début des années 90, l’option lutte armée fut retenue et mise en œuvre par les FLAM. Elle  sera suspendue. L’analyse des facteurs qui ont présidé au déclenchement et à la suspension de cette lutte armée met en évidence et renvoie à l’impératif de la réalisation de conditions suffisantes et nécessaires à son déclenchement.

On peut aussi évoquer, toujours à titre d’illustration, la conspiration entreprise par les officiers Négro-africains dès 1986/1987, qui déboucha sur le putsch avorté le 22 octobre 1987. Dans la première étape de la phase préparation, deux options se posèrent : travailler pour bâtir et implanter dans tout le pays une solide Organisation militaire clandestine ; ou œuvrer pour entreprendre un putsch. La première option s’inscrivait sur le long terme ; la seconde, finalement retenue, sur le court terme.

 Avec le recul, nous pouvons aujourd’hui dire que si la première option avait été retenue et travaillée à fond, les évènements de 1989 qui ont ciblé principalement les populations civiles, a fortiori ceux de 1990 qui ont ciblé essentiellement des militaires Noirs, que ces évènements macabres ne se seraient probablement pas déroulés de la manière que l’on sait : cueillir aussi facilement les militaires, comme de petits fruits mûrs ; et les faire aussi facilement couic, sans aucune résistance possible. L’existence d’une Organisation militaire clandestine, conçue en application de la première option préconisée par le noyau concepteur du putsch avorté en 1987, aurait rendu possible et non suicidaire, sinon une résistance généralisée et durable, du moins une riposte significative et coordonnée permettant un vaste repli qui aurait permis d’éviter l’hécatombe à laquelle on a assisté dans les rangs des militaires Noirs.

Au-delà de cette considération, une telle Organisation militaire clandestine aurait pu aussi constituer, si elle avait vu le jour, la structure militaire de base, lorsque  la lutte armée fut déclenchée quelques années plus tard, au début des années 90. Cette organisation militaire aurait même pu être en mesure d’intervenir dès 1989, et même renforcer ses rangs par l’incorporation de volontaires civils, pour s’opposer aux unités de l’armée mauritanienne qui faisaient subir le martyre aux populations civiles négro-africaines dans quasiment toutes les villes et villages du Sud.

C’est une évidence : le choix de la forme de lutte (lutte armée, quel type ? Lutte pacifique, par voie des urnes ou résistance pacifique avec mise en œuvre de formes de luttes non violentes et de longue haleine pour étouffer un pouvoir en place : grèves durables et généralisées, villes mortes, boycotts, le tout combiné avec des pressions internationales ?) n’est pas une donnée subjective qu’on impose à coups de baguette magique. Elle n’advient ni par supplication ni par injonction. Elle se prépare, si elle est envisagée, calmement, sans vacarme. Répétons-le en guise de conclusion, ce choix est dicté par des contextes qu’il importe de cerner. Il est aussi tributaire de l’état de préparation. Car le contexte peut être mûr, nous l’avons vu plus haut, mais s’il y a vide politique par absence d’une véritable Organisation apte à prendre en charge la gestion de ce contexte insurrectionnel, le rendez-vous historique est manqué.

Se mettre des œillères et claironner à toute occasion “lutte armée !”, “lutte armée !”; ne voir qu’un seul aspect d’une situation complexe qui en comporte une multitude ; faire de la « lutte armée » un postulat unique et incontournable, valable partout et toujours, c’est desservir l’idéal pour lequel on combat, ce n’est point le propre d’une avant-garde lucide et responsable. L’évolution et le succès du combat politique en Mauritanie passe aussi par l’appréhension et l’application de cette dimension élémentaire : analyse objective d’une situation politique dans tous ses aspects pour en définir les stratégies de luttes appropriées.

 Boye Alassane Harouna

9 janvier 2011

www.flamnet.info

 

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