Daily Archives: 10/04/2011
Côte d`Ivoire: plus de 4.000 Mauritaniens évacués, 450 bloqués à l`ambassade
NOUAKCHOTT – La Mauritanie a rapatrié par bus plus de 4.000 de ses ressortissants en Côte d’Ivoire et cherche à évacuer par voie aérienne 450 autres bloqués dans son ambassade à Abidjan, a annoncé samedi le ministère mauritanien des Affaires étrangères. L’évacuation par bus, organisée depuis mars, s’est déroulée “dans d’excellentes conditions” via le Mali notamment. Mais, “suite à la dégradation de la situation sécuritaire” en Côte d’Ivoire, “l’opération de rapatriement s’est arrêtée et 450 personnes sont restées dans les locaux de notre ambassade à Abidjan”, affirme le ministère dans un communiqué.
Le gouvernement mauritanien, qui suit “continuellement la situation de la communauté mauritanienne établie en Côte d’Ivoire depuis le déclenchement de la crise dans ce pays”, est “en contact avec les autorités concernées en Côte d’Ivoire” pour permettre leur rapatriement, ajoute-t-il. “Des appareils de (la compagnie aérienne) Mauritania Airlines peuvent à tout moment décoller vers Abidjan pour les transporter”, conclut-il. Le nombre de Mauritaniens établis en Côte d’Ivoire n’est pas officiellement connu mais on estime qu’ils sont plusieurs dizaines de milliers à travers tout le pays.
AFP
Faut-il, pour autant, se venger sur les petits « hratine » ?par Mohamed Baba
Après la condamnation pour faits d’exploitation de mineurs consécutivement à l’ « affaire d’Arafat », une petite psychose s’est emparée de la société « maure ». Les familles voient des agents de l’Initiative pour la Résurrection du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA Mauritanie) à tous les coins de rues. Le prénom « Biram » est dans toutes les bouches. On ne s’imaginait pas exposé à aller en prison pour si peu. « Boys », « bonnes » et autres commis de ménage deviennent, du jour au lendemain, autant de raisons offertes au voisin envieux, au cousin jaloux et aux méchants en tout genre de se venger sur vous. Des familles « honorables » ont été ainsi « trainées dans le net », calomniées et accusées de tous les maux. Malgré toutes les ambigüités et le risque de dévoiement que comportent ses méthodes et les déclarations de certains de ses animateurs, je salue le combat de l’IRA et souligne son rôle majeur dans les dernières avancées des droits des gens en Mauritanie. « Paris vaut bien une messe », disait un illustre Protestant. Parmi toutes les réactions et débats suscités par le début d’application de la loi criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes, votée en début du mandat du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, une seule retiendra mon attention dans ce petit texte. Il s’agit de la délectation que semblent éprouver certains « Maures » à la vue des employés hratine (exploités ou pas) mis à la porte par leurs employés. « Bien fait pour eux. Ils n’ont qu’à aller voir Biram pour les embaucher », semblent dire certains, avec une pointe de perfidie.
Il est peut être vrai que l’application brutale et sans accompagnement de la loi peut avoir des effets pervers. Des vies peuvent en être affectées et leur cours détourné. L’histoire de Maissara, que je m’en vais vous conter, s’en veut une illustration. Maissara est un petit hartani, de père inconnu. Sa mère, fille mère à quinze ans, aide sa grand-mère à tenir une petite échoppe quand les travaux des champs ne suffisent plus à occuper toute la famille. La grand-mère de Maissara élève, en plus de la jeune mère, trois autres enfants échelonnés dans les âges. Très vite le petit Maissara s’est trouvé livré à lui-même. Même dans les villes de l’Intérieur, la rue est une dure école, à l’issue incertaine. Les coups n’y attendent pas les années et on y dérape très vite. Un jour, il y a de cela 5 ans, la grand-mère de Maissara l’amenait chez Omar. Il y avait là, dans la famille d’Omar, des enfants de l’âge de Maissara. Omar est un directeur d’école aux méthodes réputées et craint par tous les enfants du quartier. Il n’est pas rare que des mères de famille, issues de toutes les conditions sociales, changent leur enfant d’école et le confie au Directeur Omar.
Pour la grand-mère, Omar n’est pas un directeur quelconque. Des liens plus compliqués le lie à elle et à ses deux autres sœurs. Contrairement à ses sœurs, la grand-mère de Maissara avait connu sa propre grand-mère. Elle s’appelait « El bambarya », portait des scarifications au visage et « appartenait », pour partie, à la mère d’Omar. Mais c’est là une histoire bien ancienne. La grand-mère de Maissara, ses grand-tantes et la mère de ses dernières ont toujours habité de l’autre côté de la ville d’Aleg. Elles louent, toutes, leurs services chez des Maures « blancs » mais jamais chez Omar. A la fois pour ne pas faire payer ses services à quelqu’un de la famille mais aussi pour ne pas être traitées d’anciennes esclaves. Une tacite entente s’est conclue entre ces deux familles interdisant à l’une de rémunérer les services de l’autre. Il n’y a, cependant, pas de clause qui proscrive qu’Omar aide celles qu’il considère comme étant ses protégées ni que ces dernières le lui rende sous forme de fagots de bois, bottes de paille ou portion de récolte de haricots blancs ou de graines de pastèques. Sans protocole, le Directeur accepta de garder le petit Maissara, de se charger de son éducation et, notamment, de son instruction. Aucune raison objective, expliquait-il à la grand-mère, ne pourrait l’empêcher de faire de Maissara un ingénieur. Il sera, cependant, précisa-t-il en direction de la grand-mère et du gamin, traité comme les autres enfants, même droits et mêmes devoirs. Il se lèvera tôt, comme les autres, pour aider à tirer le lait des chèvres pour préparer le petit déjeuner. Il fera les courses et autres commissions pour le compte des adultes de la famille, comme les autres enfants. Il se pliera au rituel de la tournée du lave-mains qu’on présente aux convives avant et après les repas. Il débarrassera la nappe à tour de rôle avec les autres petits garçons de la famille.
La famille d’Omar est composite et la maison abrite plusieurs générations. Etait ce parce que le prénom « Maissara » était plus facile à prononcer ou que des considérations intimes défendaient à certaines de ces dames de crier, à haute voix, certains prénoms ? Le fait est que le petit protégé d’Omar est statistiquement plus mobilisé que les autres petits de la famille. Cependant Maissara ne s’en est jamais plaint et Omar ne ratait pas d’occasion de rappeler à toute la famille les closes du contrat non écrit qui justifie la présence du petit dans la famille.
Puis vint l’affaire de « Arafat », un quartier de la Capitale, loin d’Aleg. Des militants des Droits de l’Hommes ont dénoncé la présence de fillettes mineures travaillant au service d’une famille de « Maures ». Les deux familles, « Maures » et « Hratine » ont été interpelées. D’autres cas ont été jugés et pour certains d’entre eux, la prison était au bout. Que faire du petit Maissara ? Qui est Maissara aux yeux de la loi ? Quels liens le lient-ils à la famille d’Omar ? Qui sont, pour Maissara, les petits dont il partage les jeux, les couches et les classes tous les jours ? Que fait, exactement, Maissara, dans la famille d’Omar ?
On prit des avis. Omar se déplaça pour voir le Procureur de la République et lui exposa le cas de Maissara : comment, lui dit il, préserver l’intérêt de ce petit et rester en conformité avec la loi ? En ami de la famille, le défenseur de la société, conseille à Omar de renvoyer Maissara chez sa mère ou sa grand-mère. Il faut, lui dit-il, laisser passer cet orage. Tu pourras toujours demander à sa grand-mère de le garder le soir quitte à ce que tu le gardes, toi, à la maison pour midi.
D’autres avis sont plus tranchés. « Maissara n’est pas membre de la famille. Pourquoi risquer la prison pour si peu. Rien ne peut être tiré de ce petit. Renvoyez-le dans sa famille. Qu’ils se débrouillent et, s’il le faut, qu’ils appellent Biram ».
Rendre Maissara à sa grand-mère c’est le retirer de l’école. C’est le ré-implanter dans un milieu qui ne lui est pas profitable.
Mais où est l’Etat dans cette affaire ? Où est la puissance publique ? Pourquoi le Directeur Omar ne peut-il pas garder le petit Maissara chez lui, assurer sa subsistance et veiller sur son instruction ? Quitte à faire signer à sa mère et à sa grand-mère une décharge ou une procuration de transfert d’autorité parentale. Ne devrait-il pas y avoir un moyen de régulariser cette situation au meilleur de l’intérêt de l’enfant ?
La situation de ce petit Maissara est symptomatique de la grande complexité de l’application de la loi. Comment régulariser la situation d’une bonne, d’un boy ? Existe-t-il une convention type ? Vers quelle administration se tourner ? Qui pourrait jouer le rôle des assistantes sociales, si utiles dans les autres pays ? Il est incompréhensible qu’une question si importante soit laissée au seul soin des ONGs. Si l’Etat considère que ces questions ne relèvent que du domaine des Droits de l’Homme, pourquoi ne pas y impliquer la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ? Il est urgent que l’Etat se saisisse de cette question, éclaire les gens, les oriente et surtout fasse que les petits hratine ne soient pas victime d’une loi censé libérer leur communauté.
Mohamed Baba
Humour et humeur: Qui aime bien, châtie bien! par Bocar Daha Kane, FLAM-Europe de l´Ouest.
Les spéculations vont bon train depuis qu’ils ont annoncé et décidé des thèmes qui seront débattus à ce congrès des Flam. Ils ont même choisi ceux qui doivent partir ainsi que ceux qui doivent les remplacer. Ils disent qu’ils sont membres et sympathisants, ils adorent tellement les Flam qu’ils sont dans l’obligation de faire du zèle : parler et écrire avant les organes de communication officiels.
Ils ont un amour fou du mouvement, voilà des années qu’ils y militent sans se rendre compte que le mouvement n’a aucune stratégie politique. N’ont –ils pas vu que toute la littérature des Flam n’est que le plagiat du travail de ceux qui sont sur le terrain ? Le manifeste et autres productions ne sont-ils pas les travaux des mercenaires rémunérés avec les cotisations des adhérents naïfs ? Le président Samba Thiam, autrefois l’homme sans conviction et sans aucune maitrise, est apparemment dégouté et trahi par des animateurs. Toutefois, il n’ira jamais en Mauritanie, ah woui !!! les glaces Häagen-Dazs ne se trouvent pas en Mauritanie, et en plus il n’aime pas tiviski surtout qu’il faudra le partager avec les hommes de terrain.
Ils sont tellement disciplinés qu’ils sont devenus des éclaireurs, ils sortent des rangs et nous font part de ce qui se fait et de ce qui va se faire avant les communiqués officiels. Ils ont fait de la rumeur une science. Ils nous tiennent en haleine, car ils nous révèlent le drame de leur «mouvement chéri » par épisodes. On a l’impression de suivre “Manuella” ou “Rubi” .
La lutte continue!
Bocar Daha Kane- Bordeaux-Flam-Europe de l´Ouest
Témoignage: avril1989, expulsions forcées (suite)
Les émeutes et les tueries d’avril 1989 dans les deux pays, qui culminèrent par l’établissement d’un pont aérien, ne furent en fait en Mauritanie que le prologue de la vaste campagne contre les Noirs qui suivit. Le gouvernement mauritanien profita du pont aérien pour commencer l’expulsion systématique vers le Sénégal de tous les citoyens noirs, les obligeant à quitter le pays par avion ou en traversant le fleuve. Parmi les personnes expulsées figuraient des intellectuels, des fonctionnaires, des hommes d’affaires, des syndicalistes, des personnes suspectées d’appartenir à l’opposition ainsi que des paysans et des éleveurs de la vallée du fleuve Sénégal. Le gouvernement tenta de justifier ces expulsions massives en les décrivant comme une mesure visant à “rapatrier” des Sénégalais ayant obtenu la nationalité mauritanienne de manière frauduleuse ou à expulser certaines personnes dont il ne pouvait garantir la sécurité.
Le premier secrétaire de l’ambassade de Mauritanie à Dakar, M. Bilal Ould Werzeg, déclara au New York Times que seuls des citoyens sénégalais furent expulsés, dont la plupart s’était procuré des papiers mauritaniens frauduleusement. Il ajouta: “Peu importe la carte d’identité ou le passeport que vous détenez, c’est votre origine qui est déterminante“ (16). Il admit cependant que des listes de Sénégalais suspects avaient été compilées par la police et qu'”évidemment, il peut y avoir quelques erreurs, mais nous faisons notre possible pour les prévenir”.
Il est cependant tout à fait clair que le gouvernement expulsa des milliers de Mauritaniens authentiques, profitant de la confusion créée par le conflit et du pont aérien pour réduire la population noire de Mauritanie. L’expulsion de nationaux ou d’étrangers est contraire aux normes internationales de protection des droits de l’homme. L’article 12 de la Charte africaine de droits de l’homme et des peuples, que la Mauritanie a ratifiée le 26 juin 1986, prévoit notamment: “L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux“.
Il semble que l’objectif du gouvernement était de réduire l’influence politique de la population noire. L’expulsion des Noirs avait un double objectif: réduire leur nombre, particulièrement celui des intellectuels noirs, et réduire les possibilités de collaboration entre les Noirs et les Haratines pour ainsi amoindrir le risque de voir ces derniers renier leurs allégeances politiques vis-à-vis de leurs anciens maîtres maures.
Un réfugié de Ndiawar expliqua pourquoi il pensait que l’action du gouvernement mauritanien avait été préméditée.
D’une manière générale, il était très important d’éloigner les Négro-mauritaniens du reste du monde noir, particulièrement du Sénégal avec lequel les liens étaient solides et séculaires. C’est, d’une certaine manière, l’une des choses dont on peut penser qu’elle a été préméditée et bien préparée. Alors que certains événements qui ont eu lieu en 1989 étaient des représailles à certains faits imprévus, la nécessité d’isoler les Noirs et de les séparer du monde noir sous-tendait véritablement la politique gouvernementale et était assurément préméditée. Il y a eu tant d’exactions dans la vallée, des personnes battues, tuées, etc., qu’il est difficile de prétendre que les événements de 1989 se sont passés comme ça, ex-nihilo. Depuis 1987, lorsque les Sénégalais se rendaient en Mauritanie, ils devaient se présenter à la police pour y déposer leur pièce d’identité et étaient soumis à d’interminables interrogatoires sur l’objet de leur visite, leurs activités, leurs déplacements. Ils pouvaient être appréhendés en ville et, si par exemple ils n’avaient pas leur pièce d’identité sur eux, ils pouvaient être arrêtés comme des délinquants (17).
Le nombre exact des personnes expulsées n’est pas connu. Il est d’autant plus difficile à déterminer que des centaines de Noirs ont fui la Mauritanie pour échapper aux persécutions. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime qu’en juin 1991, il y avait 52.995 Mauritaniens au Sénégal; en juin 1993, 52.945 était enregistrés. La plupart des observateurs s’accordent pour dire que le chiffre réel est bien supérieur étant donné que celui avancé par le HCR comprend seulement les réfugiés régulièrement inscrits auprès des autorités locales et ne tient pas compte des milliers d’autres qui vivent chez leurs proches sur la rive sénégalaise du fleuve ou dans les villes du Sénégal. Un nombre plus réduit de réfugiés a également fui vers le Mali. Le chiffre officiel donné pour ce pays est de 13.000. Mais là aussi, le chiffre réel est sans aucun doute plus élevé car l’intégration dans la vie locale des communautés maliennes est facile.
La première phase d’expulsions en Mauritanie s’opéra globalement selon trois schémas: l’expulsion de villages entiers au sud, l’expulsion des bergers peuhls et l’expulsion sélective dans les villes.
Les villages du sud
Dans les villages du sud, les forces de sécurité expulsèrent les Noirs de façon indiscriminée, obligeant parfois des communautés entières à traverser le fleuve vers le Sénégal (voir chapitre 4 sur les terres.) Les forces de sécurité encerclèrent les villages, détruisirent les pièces d’identité des habitants, confisquèrent le bétail et les biens, embarquèrent les villageois de force sur des pirogues à destination de la rive sénégalaise du fleuve. Ceux qui résistèrent ou tentèrent de fuir avec leurs biens furent arrêtés, emprisonnés et parfois exécutés.
Des villages entiers au sud furent incendiés ou détruits par l’armée (18). Un secouriste originaire de cette région, qui s’y rendit en novembre 1990, fit ces commentaires sur l’ampleur des dégâts:
Dans les régions de Brakna à Sélibaby, j’ai décompté environ trente villages qui avaient été vidés de leur population halpulaar. Certains d’entre eux sont à présent occupés par des Maures; beaucoup ont été incendiés et vidés. Les Maures se sont installés dans certains villages comme Néma et Gourel Gobi (près de Djowol) et y cultivent les terres. Lorsque j’ai vu ce qui s’était passé, j’étais complètement abattu. Je fus saisi d’un fort sentiment d’injustice sociale (19).
Dans les régions de Brakna, de Trarza et de Sélibaby, de nombreux villages furent “vidés” de leurs habitants et sont actuellement occupés par des Maures. Selon un réfugié: “Il y a ici des femmes dont les maris sont de l’autre côté; des maris dont les femmes sont restées sur l’autre rive. Frères, pères et fils sont séparés les uns des autres” (20).
Ahmed, un paysan et éleveur, fut expulsé de Brakna avec 400 autres personnes. Il décrivit les abus et la tragédie qu’ils vécurent lors de leur expulsion.
Trois filles se sont noyées. Parmi elle, ma fille âgée de 12 ans; les deux autres, âgées de 11 ans, étaient les filles de nos voisins. Nous étions dans notre village lorsque les gendarmes sont venus, accompagnés de Haratines et de Maures blancs armés de fusils, de haches et de couteaux. Ils ont rassemblé nos biens et ont embarqué 50 ou 60 d’entre nous –hommes, femmes et enfants– dans un camion. Nous avons été complètement fouillés et dévêtus. Les hommes étaient en culotte et chemise et les femmes en linges de corps. Ils nous ont même pris nos chaussures. On a ensuite été conduit à la gendarmerie où ils nous ont dépouillés de nos biens avant de nous conduire jusqu’au fleuve. Comme il n’y avait pas de pirogue du côté mauritanien, ils nous ont ordonné de nager. Les personnes âgées qui ne pouvaient pas nager ont dû être transportées par les hommes. J’ai dû porter mon propre père.
Nous avons été expulsés le 27 juin [1989]. Le 28 juin, les corps des trois fillettes ont été retrouvés à différents endroits sur le fleuve. Nous sommes ensuite allés à Djoudé où nous sommes restés pendant deux mois avant de venir ici (21).
Dans un entretien avec Human Rights Watch/Africa, deux femmes originaires de Ngnawlé décrivirent l’expulsion des habitants de leur village. Ce qui suit est une synthèse de leurs témoignages.
Rien ne laissait présager ce qui nous attendait. Soixante-quatre soldats lourdement armés sont arrivés un matin très tôt et ont encerclé le village. A huit heures du matin, les hommes ont été convoqués à une “réunion” et placés sous une tente. A 10 heures, les femmes ont été convoquées à leur tour. Nous avons refusé d’y aller arguant du fait que nos hommes étaient détenus depuis le matin et n’avaient même pas été autorisés à prendre leur petit-déjeuner. Pour protester contre leur détention, les hommes ont quitté la tente. Les militaires les ont bloqués, fusils braqués. Nous savions que l’objectif était de nous déporter. Les soldats ont demandé des renforts. Ils ont obligé l’ensemble du village à s’asseoir toute la journée en plein soleil, sans rien manger. Les renforts sont arrivés à 6 heures de l’après-midi. Parmi eux, un Haratine nous parla discrètement. Il nous dit de ne pas résister car nous risquions d’être tués. Il nous dit ensuite qu’il ne pouvait pas nous protéger mais juste nous donner un conseil. Après cela, le village dans son ensemble tomba d’accord sur le fait que nous n’avions d’autre choix que de partir tous ensemble. Cependant, ils ne prirent que les hommes et laissèrent les femmes.
Il y avait là un très vieil homme de 78 ans à qui ils ont délibérément cassé les lunettes. Ils obligèrent les hommes à traverser le fleuve et brutalisèrent les femmes. Ils emmenèrent de nombreuses jeunes filles qu’ils violèrent avant de les ramener. Ils dévêtirent les femmes dont ils ne voulaient pas. Les plus jeunes furent laissées simplement avec leurs linges de corps. Les femmes et les enfants furent ensuite transportés dans des camions à Salindé, à une centaine de kilomètres, pour les embarquer sur des pirogues. Après la traversée, des villageois sénégalais nous ont amenés sur la rive du fleuve opposée à notre village (22).
Un réfugié décrivit à Human Rights Watch/Africa l’expulsion, le 22 décembre 1989, d’un village d’environ neuf familles, d’à peu près huit membres chacune:
Vers trois heures de l’après-midi, le village entier a été convoqué à une réunion de recensement. On nous a demandé d’apporter nos pièces d’identité ainsi que tout autre document attestant de notre état civil afin qu’ils puissent déceler les faux documents. Lorsque nous furent tous rassemblés, la plupart des cartes d’identité, des actes de naissance et autres documents ont été confisqués. On nous a ensuite dit que ceux dont les pièces d’identité n’avaient pas été confisquées pouvaient rentrer tandis que les autres devaient rester.
Les hommes dont les cartes d’identité avaient été confisquées ou qui n’en avaient pas ont été escortés jusqu’à leur domicile par trois gendarmes, deux agents de la Garde Nationale et plusieurs policiers. Lorsque nous sommes arrivés, chaque homme a dû faire un décompte détaillé de tous les membres de sa famille. Chaque membre de la famille a dû sortir de la maison tel qu’il était habillé. Ceux qui portaient de beaux habits ont dû les enlever et donner leurs montres. Toutes les femmes qui portaient des bijoux en or ont également dû les donner. Les familles ont été obligées de monter dans des camions. Nous avons été conduits jusqu’au bord du fleuve, à un endroit appelé Deamil, à environ quinze kilomètres du village, où on nous obligea à traverser. Sous la menace de fusils, certains d’entre nous furent obligés d’embarquer dans des pirogues, d’autres de traverser à la nage. Tout le monde ne savait pas nager et les personnes âgées ont particulièrement souffert. Beaucoup se sont noyés (23).
A SUIVRE…
HUMAN RIGHTS WATCH/AFRICA
L´éditorial : Non mon colonel Dia,« Alâaa !!! »
Le colonel Dia Adama Oumar avait en charge le dossier du passif humanitaire. Il est le personnage central de cette affaire qui ne finit pas. Après l’acte posé à Kaédi, certains avaient cru à l’aboutissement de cette histoire douloureuse de notre vécu récent. Ils avaient cru à une volonté politique de nature à réconcilier la Mauritanie. La journée du 25 mars, au-delà de la symbolique, fut donc prise comme la date de la réconciliation nationale, voire la date de l’unité nationale. Mais seulement le folklore est plus manifeste que le réel pour tourner positivement cette page sombre de la Mauritanie.
Comme le Président s’était engagé à régler définitivement le passif humanitaire, il avait confié ce dossier à son Chef d’état major particulier, le colonel Dia Adama. Malheureusement, aujourd’hui, même ceux qui étaient d’accord avec la méthode de ce colonel pour le règlement du dossier sont devenus très pessimistes. Le chef militaire leur a fait subir une technique de boomerang digne d’un professionnel de l’émission « Grand Cabaret » sur la chaine française bien connue.
Le colonel Dia avait soutenu devant les rescapés et autres orphelins ou veuves que le dossier est sur la table du Président Aziz pour son règlement définitif. Mais la léthargie inexpliquée a fait que, sans l’aide du colonel, les ayants droits avaient cherché à rencontrer le Président de la République.
Et surprise ! Ould Abdel Aziz leur dira que, non seulement, il n’était pas au courant de la situation décrite par ces pauvres victimes mais qu’il avait donné carte blanche à ses collaborateurs pour régler ce dossier. Le décor planté par le Président veut dire au moins que toutes ces « activités », toutes ces «réunions » que Dia Adama et ses hommes organisaient n’avaient qu’une seule finalité : faire de la diversion et occuper les pauvres victimes dont ils devaient s’occuper. Diversion pour maintenir ces miséreux dans les angoisses de l’injustice.
Mais pourquoi, mon colonel ?
Mon colonel, la réponse de votre patron (le Président de la République) et vos affirmations devant les victimes sont pour le moins diamétralement opposés ! Dia, si vous soutenez le contraire de ce que dit votre chef, c’est l’occasion de prendre votre responsabilité pour la justice et la postérité d’une Mauritanie triturée violement par nos faits et gestes.
Alâaa, mon colonel, alâaa Dia, ça ne doit pas vous ressembler, mais bof…
L’espoir de la symbolique a été déçu. Le passif humanitaire, n’en déplaise à ceux qui se prévalent de l’avoir réglé, ne l’a pas été ; loin de là. Est-ce à dire que la rencontre directe entre les victimes et le Président nourrit un nouvel espoir ?
Tout le monde l’espère. Et tout le monde espère qu’après des agissements qui n’ont abouti à rien du tout, une solution réelle vienne clore ce problème qui a endeuillé bien des Mauritaniens ; un problème que vous et vos « assistants » n’avaient pu résoudre et qui, pourtant, donne lieu à une propagande
débridée clamée partout par toutes sortes de laudateurs du pouvoir. Décidément, dans cette affaire, on parlait plus qu’on n’agissait.
Seydi Moussa Camara- LA NOUVELLE EXPRESSION