Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 27/12/2014

La relation de l’autorité religieuse et de l’Etat : Le cas musulman

Résultat de recherche d'images pour Dans son article traitant de la même question dans l’univers de référence chrétien, Gustavo de Aristegui relève à juste titre qu’il est difficile de traiter de la question sans tenir compte, d’abord, de la dimension historique des relations  de l’Eglise et de l’Etat en Occident et, ensuite de la diversité des modèles qui ont vu le jour au nom de la même référence chrétienne, voire même catholique (en Europe, comme aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud). 

 

Ces mêmes précautions méthodologiques sont nécessaires quand on essaie de comprendre la nature des relations effectives, ou possibles, entre l’autorité religieuse musulmane (que l’on se gardera d’appeler « Eglise »[1]) et le pouvoir politique proprement dit. Une étude historique s’impose pour mieux comprendre les évolutions de la pensée musulmane en la matière et surtout la diversité des approches proposées par des savants musulmans (ulémas), des penseurs ou des acteurs de la vie politique. Une telle étude – forcément longue et exhaustive -n’est pourtant point adaptée au présent article dont l’objectif est essentiellement de poser un cadre possible de relation, pour aujourd’hui et pour l’avenir,  entre l’autorité religieuse et l’Etat dans une démocratie régulant une société majoritairement musulmane. 

 

Entrer dans ce débat nécessite que nous mettions en évidence deux phénomènes qui sont implicitement omniprésents dans le débat contemporain : le premier est de l’ordre du malentendu historique, le second relève de la réduction scientifique quant aux références islamiques elles-mêmes. Un individu vivant en Occident ne comprendra rien aux débats sur la sécularisation, la séparation du religieux et du politique, dans les pays musulmans s’il ne les replace pas dans le contexte historique des cent dernières années. Dans les sociétés majoritairement musulmanes, la sécularisation ou la laïcité sont arrivées d’abord avec les colonisations et se sont imposées avec les indépendances. La colonisation est perçue comme une période sombre, de déni de soi, d’aliénation, où les colonisateurs ont essayé d’imposer leur ordre et leur idéologie, où les résistants musulmans et les savants ont été emprisonnés ou tués et où l’islam –  et en particulier l’autorité religieuse – était combattu ou instrumentalisé. La laïcité qui a accompagné l’entreprise coloniale ne résonne pas du tout dans la psyché comme un processus de libération et de paix sociale : contrairement à ce qu’elle a permis en Europe ou en Amérique (la liberté religieuse et le pluralisme), la laïcité est associée à son exact opposé dans l’histoire des sociétés musulmanes contemporaines (l’oppression et l’aliénation). Ce phénomène sera encore amplifié après les indépendances : tous les régimes qui se diront sécularisés et laïques suivront l’exemple de Kamal Atatürk imposant la laïcité à coups de décrets, d’emprisonnement et d’exécution. Ceux qui prôneront la laïcité seront dans les faits des régimes dictatoriaux, de Nasser en Egypte au parti Baas avec Hafez al-Assad en Syrie ou Saddam Hussein en Irak. Rien donc ne permet d’associer la sécularisation et la laïcité à plus de liberté, au respect de la pluralité religieuse et à la démocratie : les histoires sont différentes, les représentations tout à fait opposées. 

 

Le deuxième phénomène dont nous parlions tient à une interprétation des enseignements islamiques qui tend à simplifier et à réduire ces derniers et à affirmer que l’islam, par essence, n’établit aucune différence entre la sphère du religieux et celle du politique. Cette formulation s’est peu à peu imposée tant parmi les orientalistes que les musulmans eux-mêmes alors qu’elle est tout à fait discutable. Cette réduction scientifique est à la base de nombreuses incompréhensions qu’il faut absolument aborder. Il est impossible d’en étudier ici l’ensemble des causes et des conséquences, mais nous pouvons nous en tenir à rappeler que dès l’origine on a établi dans les sciences du droit et de la jurisprudence (fiqh) une distinction entre les méthodologies appliquées aux domaines du credo et de la pratique (pour lesquels les textes sont l’unique référence) et celles appliquées aux affaires sociales pour lesquelles les textes ne fixent que les orientations générales (le cadre éthique) mais au sein desquelles la rationalité individuelle et collective, la créativité intellectuelle et les contextes sociaux, politiques, culturels et économiques sont intégrés et partie prenante de l’élaboration juridique. Dans l’ordre du droit musulman, il existe dès l’origine une distinction entre l’ordre de la dogmatique qui s’impose et l’espace de la rationalité collective, qui débat, négocie et cherche le meilleur modèle d’organisation sociale et politique pour son temps. 

 

L’histoire des sociétés musulmanes témoigne de cette réalité et de la multitude des approches. Si certains courants littéralistes[2] ont confondu, et confondent encore les deux sphères (du culte et du social quant aux méthodologies), la tradition classique des écoles de droit a établi et respecté cette distinction. A l’époque omeyyade comme abbasside, la plupart des ulémas participaient à des conseils qui n’étaient pas intégrés à l’exécutif, certains ont clairement joué un rôle de critiques et de contre-pouvoir et si la religion a pu être souvent instrumentalisée sur le plan politique, il existait un champ ouvert de réflexion juridique critique qui cherchait le renouvellement de la compréhension, de l’application des enseignements religieux et de la cohérence avec les valeurs.  

 

L’époque moderne a bien sûr posé la question de la démocratie aux sociétés majoritairement musulmanes. Y avait-il oui ou non contradiction ? Etait-il possible d’établir une démocratie en terre musulmane ? Qu’en était-il de la relation du pouvoir politique et de l’autorité religieuse ? Certains courants musulmans – littéralistes ou d’opposition strictement politique – ont pu affirmer que le concept de « démocratie » était « occidental » et que les musulmans devaient rester fidèles aux « modèles islamiques » d’organisation politique. Aujourd’hui les membres (opposants mais non violents) de Hizb at-Tahrir (Parti de la Libération) ou les mouvances qui gravitent autour de la rhétorique extrémiste d’al-Qaïda et de son idéologue Ayman al-Zawahrî, promeuvent cette vision du pouvoir islamique global, du retour au Califat mondial, d’une fusion indistincte du pouvoir politique et religieux. 

 

L’immense majorité des savants et des penseurs musulmans n’adhére pas à cette vision réductrice et place le débat non au niveau des modèles d’organisation politique mais sur le plan des principes qui les sous-tendent. Ainsi les enseignements de l’islam ne s’opposent pas – mais au contraire tendraient à promouvoir s’ils sont bien compris et contextualisés – la référence à l’Etat de droit, la citoyenneté égalitaire, le suffrage universel, la responsabilisation des élus (accountability) et la séparation des pouvoirs. Ces cinq principes fondamentaux sont ceux qui forment le socle de l’impératif démocratique et de fait les enseignements islamiques ne s’opposent en rien aux principes de la démocratie. Loin des dérives dictatoriales des pays arabo-musulmans, de nombreuses expériences (Sénégal, Turquie, Indonésie et dans une certaine mesure l’Iran[3], etc.) prouvent que l’expérience démocratique n’est pas par essence étrangère aux sociétés musulmanes. 

 

Ce qui demeure impératif, au cœur de ce débat, c’est de réaffirmer le caractère inaliénable et indiscutable des cinq principes susmentionnés et que les sociétés musulmanes se doivent de respecter. Chacune de ces sociétés – à l’exemple des démocraties européennes ou américaines – devra trouver son modèle d’organisation politique issu de son histoire, de sa culture et de sa psychologie collective. Ainsi les principes seront communs, et dans le fond universels, mais les modèles seront divers, historiques et contextuels. 

 

Ce qui doit également demeurer essentiel c’est la séparation claire de l’ordre de la dogmatique qui s’impose aux croyants au nom de leur foi choisie et personnelle et l’ordre des affaires sociales qui se négocient entre les citoyens dans l’espace de leurs responsabilités et de leurs droits civiques. A l’intérieur et dans le respect de l’ordre constitutionnel d’une société donnée, il est impératif que l’espace public de l’élaboration juridique débattue et négociée soit protégé de toute imposition religieuse de nature théocratique. La longue tradition du droit et des juristes musulmans n’a point connu ni promu cette réduction et l’époque moderne impose aux sociétés majoritairement musulmane de trouver des modèles qui reconnaissent la pluralité religieuse, respectent la liberté de conscience et de culte (ou de non culte) de chacun, protègent les droits des citoyens (musulmans ou non) et encouragent la participation politique critique, voire contestataire.
 
 
Rien de tout cela ne s’oppose aux principes de l’islam et il appartient à la pensée musulmane contemporaine d’affirmer clairement les principes qui sont les siens et de faire preuve d’une énergie et d’une créativité renouvelée pour élaborer des modèles sociaux et politiques fidèles aux principes mais adaptés aux défis de notre époque. Il ne s’agit pas d’importer des modèles d’Occident (ni, pour l’Occident, de vouloir les imposer à l’image de l’horreur et de la déroute de l’expérience irakienne) mais d’exiger de soi d’entrer dans un processus de démocratisation réel et neuf qui reconnaît les principes inaliénables, distingue les pouvoirs et respecte les citoyens. La pensée musulmane a beaucoup évolué ces dernières années au cœur de la crise profonde qui la traverse et il est possible de rester optimiste et d’espérer que le discours critique qui émerge ici et là, dans le monde musulman autant que parmi les musulmans occidentaux, puisse prendre de la densité et proposer des perspectives réellement démocratiques à la fois fidèles à l’éthique musulmane et en phase avec notre époque. 

 

Texte publié sur le site de l’organisation ATMAN en Espagne

 

 

 



 

[1]  Le clergé catholique, et l’ordre clérical proprement dit, n’a pas de pendant dans l’univers musulman,ni dans la tradition sunnite ni dans la tradition chiite. 

 

[2] Les salafis littéralistes parfois – et faussement – appelés  les « wahhabites »

 

[3] L’Iran post-révolution (1979) a établi les principes d’une démocratisation réelle qui a permis par exemple l’élection du courant réformiste en la personne de Khatami. Cette expérience a des limites évidentes avec le rôle dévolu à la « référence religieuse suprême » (l’ayatollah Khomeiny puis Khamenei) et il convient d’en établir une critique claire tout en relevant la réalité de l’alternance contrairement aux pays arabes avoisinants.
 

   http://tariqramadan.com/blog/2007/03/09/la-relation-de-lautorite-religieuse-et-de-letat/ 

Mkheitir, condamné à mort, n’a pas eu droit à une justice sereine et à un procès équitable…

Mkheitir, condamné à mort, n’a pas eu droit à une justice sereine et à un procès équitable…Peine de mort pour Mkheïtir, à Nouadhibou, pour “apostasie”, accusé d’avoir insulté le Prophète Mohamed (PSL). Peine de mort!

Dès le premier instant où le “crime” fut révélé (un article de lui faisant remonter les origines des discriminations dont la caste des forgerons fait l’objet aux soit disant pratiques du Prophète lui même!), des groupes d’extrêmistes soit disant religieux l’ont réclamé en déclenchant une vaste offensive de terreur contre toute pensée libre, en s’octroyant le droit de juger et condamner dans la rue, les vues et pratiques des gens qui n’ont pas nécessairement la même approche réactionnaire et intolérante de l’Islam tel qu’eux le veulent et en contradiction avec celui pratiqué depuis toujours sous nos cieux.

La grande militante des droits de l’homme Aminetou Mint Mokhtar a fait l’objet d’une « fatwa » terroriste publique de la part d’un individu qui se fait passer pour le grand gourou de l’extrémisme sous enseigne religieuse, enjoignant à ses troupes de lui crever les yeux avant sa mise à mort.

Pourquoi ? Parce qu’elle a osé réclamer justice pour un citoyen,-quel que soit le crime qui lui est reproché. Ces gens sont descendus dans la rue en hurlant et menaçant de mort tous ceux qui ne sont pas d’accord avec leur vision erratique de l’islam, cassant, brûlant, menaçant, comme si, désormais, ils s’étaient appropriés la Mauritanie, comme si, déjà , ils y avaient instauré leur « califat », suscitant la panique ou le silence coupable d’une partie de l’opinion démocratique et, pour le moins, la complaisance voire la chaude compréhension des autorités qui leur assurent la plus parfaite impunité malgré les graves menaces qu’ils font peser sur la vie et les biens des gens.

Ce sont ces gens qui hurlèrent à la mort au verdict et qui ont avant cela, totalement ôté à la justice, à Nouadhibou, ses deux piliers centraux : la présomption d’innocence et le droit de chacun de se faire assister par un avocat de son choix. Dès les premières secondes de son écrit controversé et blessant pour l’immense majorité des musulmans, et avant même que l’on ne l’entendît s’expliquer, se justifier ou se rétracter suivant les règles de la tolérance islamique et du droit positif, fusèrent de partout dans une opinion chauffée à blanc et manipulée, le mot d’ordre sinistre : la Mort !

Ils ne réclamèrent pas justice, non, ils exigèrent de l’Etat de n’avoir rien à faire qu’à leur offrir la tête de Mkheïtir. Après on verra bien de quoi il était réellement coupable… Au même moment, un des ténors du barreau qui se hasarda à accepter d’examiner le dossier pour assurer sa défense subît les foudres de l’enfer de la part des nervis qui ne lui laissèrent aucun autre choix que de renoncer à sa défense ! Conséquence : ce sont deux commis d’office (le comble !) que l’Etat allouera au futur supplicié parce que le code pénal dans son immense magnanimité exige qu’il en soit ainsi…

Que Mkheïtir mérite ou non la mort, est-ce une « décision » de rue ou sous pression de rue ? Quels échanges ont pu se faire dans la sérénité du prétoire pour juger de la réalité et de la qualification des faits qui seuls importaient en l’occurrence, conformément au droit en vigueur ? Que l’on s’entende bien : la peine ressentie par les musulmans par suite de ce qui leur fut rapporté des dires de MKheïtir fut immense, car le Prophète fut dans l’histoire de l’Humanité, la personnification même de la Compassion et de la Justice, le symbole absolu de la Miséricorde surtout en faveur des pauvres, des démunis, des étrangers, des voyageurs, des sans voix.

Tous les témoignages historiques confirment ce que même ses pires ennemis ne peuvent nier. Mkheïtir avait donc eu tort pour cette raison d’évidence. Mais la question était et est toujours de savoir si la justice est rendue pour la valeur qu’elle représente en elle-même ou pour satisfaire telle ou telle frange de la société. Quelle est la portée de ce qu’il a dit quand, d’abord, il récuse l’apostasie et confirme sa foi religieuse , se rétracte et se repentit d’autre part?

Voilà des questions qui appartiennent non à la foule hurlante et vengeresse par définition mais à une communauté d’experts et de scientifiques du droit dont les échanges seuls auraient eu la pertinence d’édifier et d’apaiser les âmes et les cœurs assoiffés non de revanche mais de justice, de paix sociale et de respect de leurs convictions les plus profondes.

Mais on sait qu’un procès n’exprime pas seulement l’état du droit en vigueur dans un pays au moment de son déroulement. Il est très souvent le miroir étincelant des rapports (de forces) sociaux en cours, dans un ordre social se camouflant derrière la Justice, ses institutions, ses codes, ses mœurs jurisprudentielles ….et sa bonne conscience tranquille.

En tout cas, tellement plus crédible serait la justice si, au-delà des mots et des actes bruts, elle jugeait aussi en ayant à l’esprit la raison des bêtises humaines qui souvent plongent dans le déchirement et la dureté des conditions sociales de leurs auteurs.

Ce que Mkheïtir pourrait apprendre à ses dépens c’est que de Dieu et de Son Prophète (PSL) ne viennent jamais l’Injustice. Ce qu’il faut craindre c’est celle de ses propres contemporains. Il l’a perdu de vue, il s’est perdu…

Source : gourmo lo