Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 11/12/2014

Contribution : « Les sept dimensions du magal de Touba »

Capture d’écran 2014-12-10 à 19.10.46iGFM – (Dakar) Le grand Magal de Touba marque le départ, en 1895, du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, en exil au Gabon, où il resta sept ans, rappelle l’économiste Moubarack Lo dans une contribution transmise mercredi à iGFM qui la publie ci-dessous.

« L’ampleur du Magal reste une preuve tangible qui illustre la grâce que Dieu a accordée à Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Aujourd’hui, il apparaît, de manière formelle, qu’au-delà de l’aspect religieux, illustré par les prières, les offrandes et autres largesses, le Magal a un aspect qualitatif et quantitatif en ce sens qu’il participe à l’émergence socio-économique du Sénégal.

De fait, le Magal de Touba possède un caractère multidimensionnel qui permet de mettre en évidence ce que la communauté mouride est prête à faire, voir même à sacrifier, pour un bon déroulement de l’évènement.

1. La DIMENSION SPIRITUELLE

Dans la compréhension des pèlerins, le Magal de Touba accroît les valeurs spirituelles, sociales, et culturelles des mourides. Les résultats issus des enquêtes sur les ménages à Touba et les dahiras, menées par le Cabinet Emergence Consulting, en 2011, montrent clairement que pour 81% des individus enquêtés, l’un des déterminants fondamentaux de la célébration du Magal, c’est d’abord et avant tout, la confirmation de l’appartenance à la communauté mouride qui possède un sens très élevé du «Ndiguel».

En effet, le Magal est avant tout, une recommandation du Fondateur du Mouridisme  exprimée en ces termes : « Quant aux bienfaits que Dieu m’a accordés, ma seule et souveraine gratitude ne les couvre plus; par conséquent, j’invite toute personne, que mon bonheur personnel réjouirait, à s’unir à moi dans la reconnaissance à Dieu, dans la mesure de ses possibilités en sacrifiant des espèces allant de la poule au chameau, chaque fois que l’anniversaire de mon départ en exil le trouvera sur terre».

Partout, le discours reste le même, qu’ils soient membres des ménages ou de dahiras, ils ressentent tous un immense sentiment de joie, de plaisir et d’amour lors du Magal. De même, ils ressentent une certaine satisfaction d’action bien faite à l’égard de leur Seigneur. En célébrant le Magal, certaines personnes ont le sentiment d’accomplir une mission. Le Magal est en effet considéré comme une victoire de l’islam et de l’Homme africain : « C’est un jour de victoire pour l’islam. Je ressens beaucoup de plaisir et de fierté à y participer…..Je suis d’avantage réconforté dans ma position quand je vois que mes enfants ont les mêmes sentiments à aller à Touba pour magnifier le jour de victoire de l’homme noir».

L’avènement du Magal inspire beaucoup de valeurs islamiques  et de comportements: l’amour entre les différentes confréries, le partage, la paix, la solidarité, l’entraide, le respect mutuel, le pardon, la bonté, la propreté, la piété, la persévérance, la récitation du coran, des Khassaides, les causeries sur le Prophète, sur les hommes pieux, la dévotion envers Dieu, la « sunna » du prophète, l’union des musulmans, le rappel du droit chemin, la confiance en soi…..

Le Magal rappelle également des évènements partagés par toute la communauté musulmane dont le plus important est le pèlerinage à la Mecque qui a été cité par plusieurs enquêtés. En effet, à Touba tout comme à la Mecque, les pèlerins sont au même pied d’égalité, ils s’efforcent d’être purs et le plus proches de leur seigneur à travers les prières et la lecture du Coran. Il y a aussi le Ramadan, car après la privation et l’abstinence, le fidèle est autorisé, en fin de journée, à rompre son jeûne et bénéficie ainsi des faveurs de son Seigneur.

Le Magal rappelle aussi les évènements victorieux de la religion qui exaltent la Gloire Divine telles que la Tabaski, la naissance du prophète, le retour du prophète à la Mecque, l’arrivée du prophète à Médine, l’entrée de Seydina Oumar dans la religion musulmane et la guerre de Badr.

A l’arrivée, il y a un sentiment de satisfaction, d’élévation et de purification spirituelle : « je me sens comme quelqu’un qui est à la Mecque, qui a une satisfaction intérieure et qui a reçu des bénédictions de la part d’Allah et du Cheikh ». Et la transformation est manifeste : « Je ne peux même pas l’expliquer, dès mon entrée à Touba je deviens comme une personne qui est sous l’emprise d’une force innée ». Cela peut aussi expliquer le sentiment d’ouverture spirituelle ressenti par certaines personnes lors du Magal. Pour les mystiques, le trajet vers la ville sainte constitue véritablement un voyage vers l’unité divine, la voie soufie elle-même.

En célébrant le Magal, certaines personnes ont le sentiment d’accomplir une mission, d’où la nécessité de venir à Touba pour renouveler sa foi et son appartenance à la communauté de Cheikh Ahmadou Bamba. « Le grand Magal est le jour de Cheikh Ahmadou Bamba, il est aussi le plus beau jour des mourides. Il marque la victoire de la vérité prônée par le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba sur l’homme blanc. Pour moi il représente la fête, la joie, c’est le jour le plus important de ma vie. Ce jour est sans égal. Le Tout puissant a demandé au Cheikh de choisir un jour pour le remercier, de ses œuvres et le Cheikh de choisir le jour le plus difficile, le plus dur, le jour où il a été pris en otage par l’homme blanc, partant de là, et tant qu’il me restera un souffle de vie, je reviendrai à chaque édition », disait une personne interrogée.

Pour la plupart des ménages et des dahiras enquêtés, le Magal doit aussi être un jourd’introspection spirituelle pour chaque mouride. Faire le point sur sa qualité de talibé, s’interroger sur ce qui doit être le comportement d’un bon mouride, sur son engagement dans les recommandations du Cheikh, sur ses actions en faveur de l’islam, etc.…

2. La DIMENSION FESTIVE (« BERNDÈÈL ») ET SOCIALE

Le Magal, c’est aussi la dimension festive avec le «Berndèèl». La qualité et la quantité des aliments et collations doivent permettre à chacun de sentir que le Magal, c’est la meilleure fête qui puisse exister. Donner à manger est un acte fortement recommandé par l’Islam. Et sur ce plan, il faut reconnaître que les ménages à Touba et les Dahiras ont toujours fourni des efforts immenses pour la réussite de cette journée. Dans presque toutes les familles ainsi qu’au sein des Dahiras, des moutons, des bœufs et même des chameaux sont immolés pour l’occasion. Une quantité astronomique de boissons, de gâteaux et de toutes sortes de mets est offerte aux pèlerins à Touba durant le Magal. Certains talibés reviennent même de Touba chargés de produits alimentaires qu’ils offrent aux gens qui n’ont pas pu se rendre au Magal.

Le jour du Magal, tout y passe pour une participation satisfaisante comme le dit ce jeune homme lors des entretiens : « Je cuisine avec les femmes, je participe à tous les travaux domestiques à côté de mes frères, sœurs amis et enfants, et cela avec énormément de fierté et de plaisir… ».

Au demeurant, la disponibilité de la nourriture pour tous, pendant et après le Magal à Touba, participent d’une certaine façon à la réduction de la faim et de la pauvreté au Sénégal, au moins durant cette période. Plusieurs villageois affluent ainsi à Touba, avec pour objectif de tirer profit de ses opportunités en termes d’accès à l’alimentation, à l’eau potable, aux revenus et aux autres facteurs de qualité de vie, dont les services de santé grâce aux campagnes de soins gratuits.

3. La DIMENSION ECONOMIQUE

Le comptage des véhicules entrés à Touba, par nos équipes, lors du Magal de 2011 (dont le nombre total, y compris les rotations, est estimé à 110.000 véhicules), a permis d’approximer le total de participants au Magal à 3 millions 90 mille personnes, y compris les habitants de Touba et Mbacke. L’âge moyen des participants adolescents et adultes (plus de 15 ans) se situe autour de 32 ans. Ces pèlerins, venus de tout le Sénégal et du monde entier, viennent ainsi répondre à l’appel du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba. Cela justifie amplement que le Parlement doive accélérer le vote d’une loi faisant du Magal une fête nationale chômée et payée ; un décret étant de moindre portée.

A court terme, le Magal génère une augmentation du volume d’activité de plusieurs secteurs économiques nationaux et un apport de richesses dans le tissu économique local.

En effet, les résultats des enquêtes menées à Touba montrent que le Magal entraîne des changements importants dans les dépenses des participants a l’événement. En moyenne, le ménage type enquêté consomme, pour chacun des trois jours de l’événement, l’équivalent de 45.000 F CFA par jour, soit quinze fois plus que la dépense journalière, en temps normal, d’un ménage moyen sénégalais.

Le pèlerin-type (adulte) enquêté mobilise 76.000 FCFA pour le Magal, qu’il utilise comme suit :

a)   26.000 FCFA en contribution à la famille d’accueil ou à la Dahira

b)   10.600 FCFA en Hadiyas

c)   35.000 CFA en dépenses pour soi- même répartis comme suit : (i) 25.000 FCFA pour les dépenses personnelles telles que : habillement, coiffure, achat de chaussures, etc.; (ii) 5.000 FCFA pour les frais de transport; (iii) 2.437 FCFA en téléphone ; (iv) 2.500 FCFA en ouvrages et articles religieux.

Touba la Sainte, pendant la période du Magal, c’est également le point culminant du business au Sénégal. En l’espace de quelque jours, la ville devient un carrefour commercial pour troquer, acheter, vendre. Avec le Magal, l’activité économique de Dakar prend un répit en faveur de la ville religieuse qui accueille les marchands ambulants, surtout aux alentours du quartier Touba mosquée, rendez-vous de milliers de pèlerins qui font des emplettes après avoir visité le mausolée du fondateur du Mouridisme. Bien entendu, le site est placé sous haute surveillance. Devant son étal au marché Ocass de Touba, un commerçant déclare : « Ce qui est fabuleux, c’est que c’est un gros business qui est fait avec un grand respect du religieux » (Cheikh Guèye et Abdou Salam Fall diraient : « Deureum ak Ngeureum »).

Les commerçants et vendeurs à la sauvette viennent de partout, surtout des régions de Dakar, Kaolack, Diourbel et Thiès, mais aussi des pays limitrophes comme la Guinée, la Gambie et la Mauritanie, pour écouler leurs marchandises et faire des affaires. Le chiffre d’affaire est plus que triplé en période de Magal, ainsi que le volume de travail.

Pour la plupart des entreprises, il est également nécessaire, à l’approche de l’événement, de mettre en place un dispositif spécial pour faire face à l’accroissement des commandes. Les entreprises de téléphonie, de transfert d’argent, d’agro-alimentaire, des banques sont obligées de poursuivre la démarche de fidélisation destinée à leur clientèle, en essayant de les accompagner et de continuer à leur offrir un service de qualité.

4. La DIMENSION INFRASTRUCTURELLE

A long terme, le Magal favorise le développement et la modernisation de la ville de Touba.

Dans un souci d’anticiper les besoins futurs des pèlerins dans leur diversité, plusieurs travaux ont été réalisés, ou sont en cours de réalisation à Touba  au cours de ces dernières décennies: constructions de routes, électrification, construction de la seconde résidence Khadîm Rassoul, rénovation de la Grande Mosquée, réhabilitation des forages, construction de centres de santé, renforcement de la disponibilité en eau, etc,.

Au-delà de l’effort de l’Etat dans le processus de modernisation de la ville de Touba, les talibés mourides se distinguent également à travers leur capacité de mobilisation des fonds afin d’améliorer d’années en années les conditions d’accueil et d’hébergement des pèlerins.

Grâce au Magal, la ville de Touba se modernise donc, donnant a donné naissance, pendant les trente dernières années, à une nouvelle grande ville qui s’impose de manière inattendue dans le paysage urbain sénégalais et suscite de nouveaux enjeux.

Tout ceci accélère le développement des infrastructures à Touba et en fait progressivement une ville dotée des commodités nécessaires au bon déroulement du Magal.

5. La DIMENSION SOCIO-CULTURELLE

Autre dimension fondamentale du Magal de Touba, l’aspect socio-culturel. Pour les ménages mourides et les dahiras enquêtés, le Magal offre à beaucoup de mourides l’occasion unique de se retrouver. Beaucoup de personnes profitent du Magal pour organiser leur rencontre annuelle de famille. L’événement est donc un important facteur de renforcement de liens familiaux pour des gens de plus en plus dispersés au Sénégal et dans le monde. Mais tout au bout, il y a comme le dit ce membre de dahira, une remise en cause de soi : « on se demande si on s’est suffisamment investi dans la préparation du Magal, aussi bien physiquement que financièrement ». Cela explique certainement le désir de toujours faire plus.

De surcroît, le Magal est un moment de retrouvailles et de renforcement des valeurs culturelles telles que le partage, la revivification des liens de parenté, d’amitié, la communion, l’humilité, le sens du pardon, le don de soi et la fidélité à l’image des « baye fall », le respect des anciens, l’union face à Dieu, la mise en pratique sans exclusion de la Téranga, la mise en exergue de la culture mouride, à travers l’habillement, la littérature et la poésie (les Wolofals).

Pour la plupart des ménages et dahiras enquêtés, c’est le lieu de magnifier le rôle important que le Magal joue dans le brassage ethnique entre les Sénégalais. Contrairement à beaucoup d’autres pays africains, le Sénégal a toujours su se préserver des conflits ethniques, cela grâce, en partie, à de tels évènements qui regroupent des millions de personnes d’ethnies, de races, de conditions sociales différentes pour un même but : rendre grâce à Dieu et célébrer l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba.

Il en est de même pour ce qui est du renforcement de la paix et de l’harmonie entre les confréries islamiques du pays. Beaucoup de mourides aiment en effet inviter leurs amis et collègues des autres confréries (Tidianes, Khadres, Layénes, etc…) à se joindre à eux dans la célébration du Magal.

En outre, le Magal peut servir de plateforme pour prôner la paix, l’unité et la tolérance dans le pays à travers les prêches et les recommandations du Cheikh et de son khalife général. En effet, Touba, lors du Magal devient un point de convergence des différentes confréries, des partis politiques, et des différentes ethnies que comptent le Sénégal. C’est alors l’occasion de défendre l’intérêt national par la promotion du dialogue, de l’entraide et l’union des cœurs à travers les enseignements du Cheikh : « Si chacun regardait son prochain à travers l’image du Cheikh, alors tout le monde s’aimerait et se respecterait» dit un membre de Dahira.

Sous cet angle, on peut dire que le Magal est « un facteur de régulation sociale » qui renforce la solidarité et la paix entre différentes couches de la société.

D’un point de vue ésotérique, « les prières que l’on y effectue, la lecture du Saint coran durant la journée et toute la nuit participent à rendre le pays plus stable et assurent le bien être à tous : « Aujourd’hui malgré les difficultés de la vie, il y a quelque chose qui n’existe qu’au Sénégal c’est la paix et cela nous le devons à l’œuvre de Cheikh Ahmadou. C’est grâce à lui que la paix règne dans ce pays ».

6. La DIMENSION ÉDUCATIVE

Le Magal possède aussi une dimension éducative. Le Comité d’organisation et les Dahiras organisent en effet de grandes animations culturelle avant, pendant et après le Magal, avec des conférences, des débats, des séminaires, des expositions, des chants religieux, à Touba, à Dakar, dans les autres régions du pays et dans le monde, dans les médias, sur Internet, et dans les universités. Tout ceci contribue à l’éducation des talibés et leur permet de mieux s’imprégner des enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba.

7. La DIMENSION INTERNATIONALE ET DIPLOMATIQUE

Il faut aussi noter le caractère international et diplomatique du Magal, par la présence à Touba de nombreuses délégations de pays étrangers, représentées en général par leurs ambassadeurs. Certains pays frontaliers du Sénégal comme la Gambie et la Mauritanie sont représentés à la fois par des officiels, par des Oulémas et par plusieurs milliers de pèlerins. Nul doute que Le Magal constitue un évènement qui contribue au succès de la politique diplomatique du Sénégal. Autre facteur très important de l’événement, des occidentaux, de plus en plus nombreux, se retrouvent à Touba lors du Magal. Si certains ne viennent que par curiosité, d’autres par contre sont là par conviction religieuse et attachement aux enseignements du Cheikh Ahmadou Bamba.

Le Magal contribue ainsi à la vulgarisation des œuvres de Cheikh Ahmadou Bamba. En effet le Magal est un évènement universel. Des gens viennent de partout dans le monde pour le célébrer. L’affluence des médias vers la ville sainte le confirme. D’autres éléments vulgarisateurs concernent les conférences, les causeries, et les expositions sur la vie du Cheikh en général.

C’est à travers l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba que le Magal a cette dimension mondiale. En effet « son courage et son pacifisme ont ému tous les musulmans et même ceux qui ne le sont pas. Il s’est sacrifié pour le triomphe de la vérité. Injustement harcelé, il a su rester un homme fidèle à ses convictions, en recommandant : le travail de la terre, l’apprentissage du saint coran et des « khassaïdes », le refus de l’aliénation et le respect du « ndiguel».

Par Moubarack LO

Président Emergence Consulting

Coordonnateur d’une enquête sur l’impact économique du Magal de Touba

 

http://www.gfm.sn/contribution-les-sept-dimensions-du-magal-de-touba/

Guest édito :Grandeur et misères d’une présidence

barka baL’OBS – En dépit de la passion, du bruit et de la fureur qu’ils ont suscités chez certains,politiques ou pas, les Mémoires du Président Diouf ont une valeur inestimable et constituent une mine d’or pour les chercheurs et les historiens. Le parcours exceptionnel de l’homme (Gouverneur à 26 ans, Secrétaire général de la Présidence à 27 ans, Ministre à 32 ans, Premier ministre à 34 ans, Président de la République à 45 ans!), sa longévité au pouvoir justifient amplement que l’on s’attarde sur ses souvenirs, aussi sélectifs soient-ils. De Diouf, arrivé au pouvoir par la seule volonté de Léopold  Sédar Senghor par le biais du peu démocratique article 35, l’histoire retiendra sûrement l’homme qui a fait connaître au Sénégal ses plus grandes avancées démocratiques: instauration du multipartisme intégral, adoption du code consensuel de 1992 et surtout la première alternance démocratique au pouvoir en s’inclinant élégamment devant une défaite électorale.

Mais à côté de cette grandeur incontestable, le parcours de Diouf aura été terni jusqu’au bout par une dérive monarchique consubstantielle au régime présidentialiste hérité de Senghor. Des épisodes très controversés de sa gouvernance ont été expédiés dans le livre sans que le Président Diouf, droit dans ses bottes, n’éprouve aucune once de remord ou de regret. Ainsi, en est-il de la radiation massive en 1987 de la Police nationale dont le coup de gueule, consécutif à l’arrestation de cinq agents, mais qui exprimait plus sourdement ses déplorables conditions de travail, a été assimilé à un crime de haute trahison. Conséquence: le Sénégal a été le seul pays au monde à s’être réveillé sans police! Cette punition collective  et traumatisante de fonctionnaires travaillant dans un corps stratégique continue d’entraîner aujourd’hui encore des conséquences incalculables autantsur le fonctionnement de la policeque sur le plan social. Pourtant le mêmeDiouf, qui accuse dans ses Mémoires le Général Tavares da Souza et d’autres officiers d’avoir fomenté un coup d’Etat contre son régime après les troubles de 1988, fait beaucoup plus grave qu’une grogne de policiers, se gardera de sévir  lourdement contre les présumés putschistes. Deux poids, deux mesures?

Encore lourdes de conséquences pour le Sénégal, c’est sa gestion très contestable de certaines crises intervenues durant son règne et présentées sous sa plume comme des succès.

Ainsi, ce qu’on a pudiquement appelé les «évènements» de 1989 qui ont failli conduire à la guerre entre la Mauritanie et le Sénégal. Si l’on peut se féliciter de la sagesse de Diouf pour son souci à l’époque d’éviter à tout prix l’escalade, il est curieux de le voir tresser des lauriers à son homologue mauritanien: «S’il n’y avait pas eu à la tête des deux Etats Maaouiya Taya et moi-même, la situation aurait été beaucoup plus grave» (p280)! Là, on est à la limite du révisionnisme. Maaouiya Taya, un homme d’Etat responsable?  Vraiment? Que ce soit sur la question de l’Omvs ou sur celledes vallées fossiles, ce colonel putschiste a toujours pratiqué une politique belliciste injustifiable à l’encontre du Sénégal. Pis, adepte de l’idéologie baassiste la plus obtuse, il s’est plutôt signalé tout au long de son sanglant règne comme l’artisan d’une purification ethnique brutale contre la composante négro-mauritanienne de son peuple. Commencées dans l’armée, ces purges ont culminé pendant la crise avec le Sénégal avec une déportation massive des populations noires. Des actes assimilables à des crimes contre l’Humanité et qui devraient valoir aujourd’hui à Taya, au nom de cette terreur d’Etat, d’être poursuivi devant la Cpi. Sous le prétexte que l’armée mauritanienne disposait de missiles livrés par Saddam Hussein, capables de détruire Saint-Louis et Dakar, Diouf a adopté visà vis de la Mauritanie une ligne capitularde qui continue, aujourd’hui encore, de nuire à notre sécurité nationale. On en veut pour preuve les tueries intervenues au Boundou pendant cette période trouble, conséquence de la cohabitation difficile entre les réfugiés mauritaniens et les populations locales qui les avaient accueillis. Missiles ou pas, peut-on sérieusement croire que dans un parfait «équilibre de la terreur»,  Nouakchott et Nouadhibou seraient sorties indemnes, à  Dieu ne plaise, dans un conflit armé avec le Sénégal, là où l’armée mauritanienne avait été  incapable de tenir le choc face aux rebelles du Polisario?

Dans son livre, le Président Diouf revient  également sur un épisode concernant un autre de nos voisins, la Guinée-Bissau. Il s’agit de l’ «opération Gabou», déclenchée en 1998 qui avait deux buts. Une mission officielle: rétablir la «légalité constitutionnelle», en réalité, protéger le Président Nino Vieira en proie à une  insurrection armée conduite par son ancien bras droit et frère d’armes Ansoumane Mané. Et une officieuse qui consistait à «liquider» le Mfdc dans ses bases arrière situées dans ce pays. Cette intervention mal préparée a failli être fatale à notre armée. Non seulement Ansoumane Mané était soutenu par la quasi totalité de l’armée bissau-guinéenne qui n’en pouvait plus du régime corrompu de Nino Vieira, mais Diouf avait oublié que le pays d’Amilcar Cabral était le seul en  Afrique de l’Ouest à s’être libéré par les armes en ayant infligé une cuisante défaite aux colons portugais. Les Jambaars se retrouvèrent piégés par des  soldats rompus à la guérilla, soutenus par la majorité de la population, disposant d’une impressionnante puissance de feu, dont notamment les redoutables orgues de Staline et qui les considéraient de surcroît comme des envahisseurs voulant coloniser leur pays une seconde fois. Pourtant, une fois de plus, malgré une décision politique catastrophique, nos soldats firent preuve d’exploits guerriers retentissants comme la prise du camp de Bra, réputé imprenable, par le capitaine Ngom. Cet intrépide guerrier, qui a laissé un souvenir impérissable aux habitants de Bissau, fut porté disparu après une violente contre-offensive des insurgés. L’aile du Mfdc dirigée par Salif Sadio, partie prenante au conflit aux côtés du Général Ansoumane Mané, parvint même à entrer dans  notre ambassade à Bissau après la chute de Nino Vieira consécutive au retrait des troupes sénégalaises. Seul le sang-froid de l’ambassadeur du Sénégal à Bissau, le Général Mamadou Niang, parlementant avec des rebelles ivres de revanche, permit d’éviter un massacre de grande ampleur. De toutes ses péripéties, pas un mot dans le livre de Diouf. Au contraire, tirant le bilan de cette aventure politico-militaire en Guinée-Bissau qui coûta la vie à  de nombreux soldats sénégalais, là aussi, loin de tout mea culpa, l’ancien chef de l’Etat se contente d’un lapidaire «Et j’ai renvoyé les troupes à la maison» (p 342) face à une demande pressante de Nino Viera de maintenir notre contingent sur place.

A rebours, on comprend mieux à présent le coup de gueule tonitruant de Wade à son accession au pouvoir: «Je pars en France acheter des armes! (…) Le Sénégal n’aurait jamais dû perdre son rang dans la sous-région du fait de petits pays»! Si maladroite qu’elle soit dans sa formulation, cette déclaration ne faisait que traduire une réalité têtue: sous Diouf, l’armée sous-équipée avait le moral dans ses chaussettes, surtout après les désastres de Babonda et Mandina Mankagne. Et en ce qui concerne nos relations avec nos voisins, notre diplomatie nes’était jamais aussi mal portée. En exergue de son livre, le successeur de Senghor a choisi de rendre  un vibrant hommage à son épouse. On ne saurait le lui reprocher. Mais de la Casamance à la Gambie, en passant par le Golfe, le Libéria ou la Guinée-Bissau, il aurait pu avoir une pensée pieuse pour  les centaines de soldats tombés au champ d’honneur sous son commandement.

Barka BA

babarka@yahoo.fr

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