Mais la question qu’on doit se poser, au lieu de tirer sur l’ambulance, est de savoir comment notre commission électorale en est arrivée à une telle inextricable situation. Ce qui vient de se passer serait-elle de sa seule faute ? Pour un certain nombre de Mauritaniens, les responsabilités sont partagées, entre beaucoup d’acteurs politiques. En premier lieu, le pouvoir en place qui n’aurait pas pris, en fondant la CENI, suffisamment de précautions pour la pourvoir en ressources humaines. Comme il est de coutume, en Mauritanie, pour pourvoir une structure en ressources humaines, on se partage les postes. La présidence prend sa part du gâteau, les généraux se partagent le reste. Les miettes reviennent aux ministres et autres.
En deuxième lieu, et comme pour remercier les partis politiques dialoguistes, il leur a été laissé la possibilité de choisir des représentants au sein du directoire. Ce qui fut fait. Le président Messaoud Ould Boulkheïr l’a reconnu, quand il a demandé pardon au peuple mauritanien pour la faute qu’il a commise en contribuant à la mise en place de la CENI. C’est dire qu’APP, El Wiam et Sawab portent, aujourd’hui, une lourde responsabilité, en ayant coopté, eux aussi et au même titre que le pouvoir, des personnalités dont ils ignoraient les compétences, voire la moralité.
Résultats des courses, les uns et les autres récoltent les fruits de leur égarement. Au lieu de dresser un cahier de charges clair pour la CENI, dresser des critères de sélection de son personnel, ils ont laissé, aux «sages », la latitude de garnir la structure de personnel. Un personnel venu de n’importe quel horizon. Pire, ils ont même raté l’occasion d’auditer « leur » CENI, avant le scrutin du 23 novembre. Pourtant, des signes avant-coureurs ont émané de ladite structure, lorsqu’elle a annoncé, sans concertation – sans consensus, donc – la date des élections pour la fin-septembre, début-octobre 2013. On se rappelle du tollé que cette annonce avait suscité, aussi bien auprès du pouvoir dont les médias ont vite zappé le communiqué, les partis de la CAP, d’AP et de la COD. Puis, au lieu de mettre un frein à la machine lancée par la CENI, le pouvoir, pensant, après en avoir peut-être eu le flair, pouvoir mettre l’institution sous sa coupole, décide de ne pas faire voter son budget par le Parlement, mais de le lui accorder par « provision ». On lui a même permis, en violation des textes, de signer un marché de gré à gré, pour les bulletins de vote, avec une société suspectée de fraude et traînée devant la justice britannique.
Echec sur toute la ligne
Autre signal de la CENI, l’instance électorale ne s’est presque jamais préoccupée d’organiser des élections inclusives. En effet, c’est dès après sa mise en place qu’elle s’est lancée dans le recrutement de son personnel, a déployé des démembrements régionaux, au lieu de tenter de rapprocher le pouvoir et la COD, une de ses missions, pourtant. C’est ce qui a poussé le président Messaoud à dire que la CENI ne se préoccupait que de sous, sa voix ne se faisait entendre que pour réclamer de l’argent.
Un autre signal aura été la décision de lancer le RAVEL, là aussi sans aucune concertation avec ses partenaires. L’opération a été fortement entachée d’irrégularités. Transports d’électeurs, inscriptions massives d’électeurs sans leur présence physique. Des irrégularités dénoncées, en leur temps, par les partis politiques décidés à aller aux élections mais, aussi, par la COD. Le maigre enthousiasme qu’a suscité l’opération obligera, même, la CENI à prolonger l’opération de quinze jours.
Enfin, le directoire de la commission ne s’est jamais attaché l’expertise des dirigeants de celle qui avait organisé les élections de 2006 et 2007. A la question de savoir si la CENI l’avait approché à cette fin, l’ancien président Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine a répondu par la négative. Il se disait, pourtant, disposé à apporter sa modeste contribution.
Malgré ses signaux, les partenaires de la CENI ont laissé faire, croyant peut-être qu’elle allait corriger ses errements, mais hélas, la date du 23 est arrivée sans que rien de cela n’advienne. Une mauvaise préparation, un déroulement chaotique des opérations de vote et, comble du comble, des résultats qui mettent beaucoup trop longtemps à être divulgués. Pouvait-il en être autrement, si ce n’était à demander l’impossible, à cette CENI incompétente ? Comment une telle structure, qui ne s’est, à aucun moment, préoccupée de la bonne tenue d’un scrutin qu’elle savait pourtant très complexe et qui s’est même permis de s’asseoir sur la loi, en refusant de remettre les procès-verbaux des bureaux de votes aux représentants des partis, pouvait-elle réussir ce gros challenge ? Ceux qui ont fait confiance à cette CENI ne pouvaient récolter que ce qu’ils ont semé.
Paradoxalement, la COD paraît, aujourd’hui, la principale gagnante du scrutin du 23 novembre, même si, selon le taux de participation annoncée par la CENI, la majorité des Mauritaniens inscrits a voté. Huit jours après le scrutin, les citoyens continuent à attendre les résultats : du jamais vu, dans un pays se vantant d’être une démocratie « tout court ». La CENI, cette désormais mal-aimée, distille les résultats au compte-gouttes, laissant s’installer une atmosphère de suspicion et de tension en divers endroits du pays. Elle est même incapable de donner les tendances réelles du scrutin, ses chiffres faisant cependant apparaître que le parti du pouvoir arriverait en tête pour les deux scrutins, talonné de près par Tawassoul.
Ce retard suspect, dans la proclamation des résultats, prouve que la COD mais aussi les partis de la CAP avaient raison de douter de la capacité de la CENI à organiser des élections transparentes et impartiales. Aujourd’hui, même l’UPR emboîte le pas à ces formations politiques protestataires. Les sit-in et manifestions décrétés, çà et là, et les nombreuses demandes de recomptage de voix ont fini de jeter le discrédit sur le scrutin. Certains se demandent, déjà, s’il ne faudrait pas remettre l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur. Mais ça, c’est une autre paire de manches. Ce qui est sûr, c’est que la CENI semble avoir joué en faveur de la COD, même si le boycott de cette dernière n’a pas été suivi comme elle le souhaitait.
Dalay Lam