Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 20/04/2014

BIRAM DAH ABEID : “EN MAURITANIE, LES HARATINES SONT TRAITÉS COMME DES OBJETS”

altPrésident de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, Biram Dah Abeid dénonce la subsistance de pratiques esclavagistes en Mauritanie.

Militant antiesclavagiste subversif, Biram Dah Abeid, lui-même descendant d’esclaves, est la bête noire du régime mauritanien depuis qu’il a, en 2008, fondé l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). En 2012, il a été détenu plusieurs mois (sans avoir été jugé) pour avoir brûlé des écrits considérés par certains comme sacrés mais qu’il qualifie pour sa part d’esclavagistes et d’anti-islamiques. Ce passage par la case prison ne l’a pas dissuadé de poursuivre son combat. À 49 ans, Biram Dah Abeid, qui a reçu le prix des droits de l’homme des Nations unies en 2013, est candidat à l’élection présidentielle de juin prochain.

Jeune Afrique : Un Noir a-t-il les mêmes droits qu’un Maure aujourd’hui en Mauritanie ?

Biram Dah Abeid : Tout le monde sait très bien que non. Les Maures sont largement minoritaires, mais ils s’accaparent tous les leviers du pouvoir : politiques, économiques et administratifs. Ils représentent 90 % des membres du gouvernement, 100 % des hommes affaires, 95 % des officiers supérieurs… La discrimination est en contradiction avec les lois en vigueur, mais celles-ci sont faites seulement pour tromper les Occidentaux, qui se satisfont des apparences. La loi qui criminalise l’esclavage n’a jamais été appliquée : les Haratines, qui représentent 20 % de la population, sont toujours des esclaves par ascendance et, à ce titre, considérés comme la propriété des Arabo-Berbères. Ce sont des objets. Ils n’ont pas droit à l’éducation, à la propriété, à l’état civil…

>> Lire aussi : Esclavage, les dix pays africains les plus touchés

Peut-on parler de racisme ?

Bien sûr ! Dans les discours comme dans les pratiques. Les Maures se considèrent comme des Blancs, des “beïdane”, et nous appellent les “soudan”, les Noirs. Pour eux, c’est synonyme d’esclave.

À quel âge avez-vous pris conscience de tout cela ?

J’avais 8 ans. Quand je suis né, on transhumait, mes parents et moi, derrière nos animaux, des deux côtés du fleuve Sénégal. Nous ne vivions pas avec les Maures. Mais avec la sécheresse, nous nous sommes installés dans un bourg à 35 km de Rosso. Il y avait là-bas cinq familles maures et 300 familles négro-mauritaniennes. Mais c’étaient les Maures qui dirigeaient tout. Quand on avait des problèmes avec les enfants maures, on nous corrigeait, mais les enfants maures, eux, n’étaient jamais corrigés. Et quand l’État distribuait quelque chose aux populations, il fallait toujours passer par les Maures. C’est là que j’ai commencé à poser des questions à mon père.

Comment faire évoluer les mentalités ?

Les mentalités ont déjà évolué. Mais nous devons continuer. Il faut que le pouvoir cesse d’être le fait d’une minorité qui fonde sa gouvernance sur la discrimination. Pour cela, il faut que l’élite noire accepte d’enfreindre les règles et dénonce le discours officiel qui présente, de façon très hypocrite, la Mauritanie comme une nation multiethnique.

 

Propos recueillis par Rémi Carayol

 

Source : Jeune Afrique

 

IBRAHIMA THIAW, SOUS SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES : ITINÉRAIRE D’UN ENFANT DE DÉPORTÉ

altSeules les défaites restent désespérément orphelines. Les victoires, elles, peuvent avoir l’embarras du choix devant la multitude de pères qui se les disputent. Si aujourd’hui la Mauritanie s’honore d’avoir en la personne de Ibrahima Thiaw un de ses fils à une position aussi élevée dans le système des Nations Unies, cela n’a pas toujours été le cas. Retour sur le parcours singulier d’un fils de déporté.

Une jeunesse au bord du fleuve

Ibrahima Thiaw naquit le 02 octobre 1957 à Fanaye Niakwar, dans l’arrondissement deTékane. Comme premier des garçons de la fratrie, il était destiné aux travaux champêtres. Mais un père visionnaire en décida autrement. Le premier jour d’école se passe dans l’émotion des adieux : le jeuneIbrahima devait aller faire l’école à dix kilomètres de chez lui, dans une famille dont il ignorait tout. Ça forge un caractère. Ibrahima comprend très vite que l’échec ne fait pas partie des options. Il réussit sans encombre sa scolarité puis fait son internat à Rosso de 1972 à 1978. Plus il avançait dans sa scolarité, plus il s’éloignait géographiquement de son village natal. Il ira à Nouakchott en 1979 passer le bac en auditeur libre et l’obtient avec la mention. L’année est marquée par une implacable sécheresse qui décime le bétail et précarise davantage la situation de nombreuses familles dont la sienne. Orienté en FranceIbrahima parvint à obtenir une réorientation pour le Maroc. Il avait une idée derrière la tête. Il lui faut une formation dans un environnement plus proche de celui de la Mauritanie afin qu’il puisse se rendre utile dans la gestion des catastrophes écologiques. Ce sera donc l’Ecole Nationale Forestière d’Ingénieurs de Salé qui dépendait de l’institut agronomique et vétérinaire Hassan II. Pendant sa formation, il s’arrange pour revenir régulièrement faire des stages à la direction de la protection de la nature.

En 1983, il rentre définitivement en Mauritanie avec son diplôme d’ingénieur forestier. Il est immédiatement « recruté dans un service qui ne disposait que de deux Land-Rover pour toute la Mauritanie ».

Servir l’Etat : un « kowri » compétent

Ibrahima semble n’être qu’au service du public. Il débute sa carrière au ministère du développement rural où il s’échine à mettre sur pied une équipe fonctionnelle. Avec son Directeur, il encadre plusieurs techniciens, dont 25 sont envoyés en formation d’ingénieurs dans les pays voisins (Algérie, Mali, Maroc). Homme de terrain, Ibrahima arpente les rues de Nouakchott et de la Mauritanie pour vanter les mérites du « foyer amélioré ». C’est là, confie-t-il à KASSATAYA, qu’il reçoit la pauvreté en pleine figure : il découvre que près du tiers des habitants de la capitale mauritanienne n’avaient droit qu’à un repas chaud par jour. Pour introduire le « foyer amélioré » dans les ménages démunis, l’agent de développement n’avait à sa disposition que l’outil radio. Les populations cibles n’avaient accès ni à la télévision ni à la presse écrite. Et comment s’assurer de la communication d’une information neutre par des médias sous contrôle ? Tout un programme. Le jeune Ibrahima ne se laisse pas démonter pour autant. Avec sa jeune équipe, il fait recours à la bonne vieille méthode du bouche-à-oreille.

Victime direct des déportations de 1989-1991

C’est dans cette ambiance que surviennent ce que les Mauritaniens appellent pudiquement « les événements », évocation des massacres, exécutions extrajudiciaires au sein des corps constitués, déportations, tortures… dont avaient été victimes les populations noires de Mauritanie au détour d’un conflit avec le Sénégal (où des populations mauritaniennes avaient également subi les pires atrocités). L’administration mauritanienne noyautée par les franges les plus extrémistes en profite donc pour régler à sa façon la question de la cohabitation entre communautés nationales.

Ibrahima Thiaw n’est pas serein.  Son village d’origine, Niakwar, était en conflit ouvert avec le gouverneur de région, Mohamed Lemine Salem Ould Dah, notoirement connu pour ses thèses nationalistes arabes. Fin 1985, début 1986, le gouverneur avait été confronté à une opposition farouche des villageois d’abord du département de Keur Macène, de Rosso puis de l’arrondissement de Tékane qu’il voulait délester de quelques milliers d’hectares de terres agricoles. Le problème était pendant devant les tribunaux quand survint le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie.

Nouakchott, les journées se suivent, plus sanglantes les unes que les autres. Par réflexe, Ibrahima Thiawcourt les rues appareil photo en mains pour l’histoire. Il photographie plusieurs cadavres baignant dans leur sang à même le sol, en plein ramadan en pays réputé 100% musulman. Il passe ses journées dans la hantise de l’arrestation. A KASSATAYA, il confie : « je mettais tous les jours mes meilleurs vêtements pour que l’arrestation et la déportation ne se passent pas en haillons ». Il envoie femme et enfants au village en espérant mettre tout le monde à l’abri. La voiture de service avec ordre de mission est arrêtée à Rosso, les passagers gardés au poste et leurs affaires confisquées. Ibrahima Thiaw se rend alors sur place pour essayer de débloquer la situation. Au bureau du Wali (Gouverneur), il trouve une file longue comme un jour sans pain. Parmi ces personnes sous le soleil venues se soumettre à une enquête de nationalité, Ibrahima Thiaw aperçoit ahuri… le gouverneur adjoint et le chef de service de la SONELEC, tous deux des noirs mauritaniens. Ibrahima rebrousse chemin et réussit, par l’entremise d’un collègue maure, à faire libérer sa famille avec les bagages mais sans la voiture que les autorités craignaient de voir voler et envoyer auSénégal (sic).

Ibrahima revient à Nouakchott et se replonge dans le travail : histoire de ne pas se laisser envahir par les scènes d’horreur et les frustrations quotidiennes ?

Grâce à ses efforts, M.Ibrahima Thiaw devient une référence au sein du ministère. Pendant les dix ans qu’il passera au ministère, l’une de ses plus belles réalisations restera sans doute la création en 1990 du Parc National de Diawling qu’il pilote de bout en bout, malgré les résistances des agro businessmen. Une performance. Et même après son départ de Mauritanie, il n’oubliera pas ce « bébé » qu’il continuera à faire financer depuis l’UICN.

Son dynamisme et sa compétence n’échappent pas à un observateur particulier : le colonel Mouawwiya Ould Sidi Ahmed Taya himself, l’homme qui règne en maitre absolu sur la Mauritanie à l’époque. Lors d’une visite au ministère, le dictateur, ébloui, glisse au ministre en charge du département : « vous avez un kowri compétent ». Ayant eu vent de la remarque raciste, Ibrahima Thiaw, encaisse cette énième vexation. Et ce ne sera pas la seule rencontre entre les deux hommes comme nous le verrons plus loin.

Toujours en 1990, il se rend à Ségou pour une réunion du CILSS. Sur le point de reprendre son vol retour à l’aéroport de Bamako, il rencontre des Mauritaniens qui lui apprennent que plusieurs villages avaient été déportés dans l’arrondissement de Tékane. Sa famille en était fort probablement. Malgré l’insistance de ses informateurs, Ibrahima décide de rentrer en Mauritanie« Pour moi les choses étaient claires : il était hors de question que je prenne la fuite de mon propre chef, pas même pour aller rejoindre les miens de l’autre côté de la rive. La Mauritanie est mon pays et si je dois en partir ce sera contraint et forcé », confie-t-il àKASSATAYA.  Mais Ibrahima prend une décision lourde de portée : les photographies prises à Nouakchott, véritables pièces à conviction qu’il avait fait développer au Mali devaient être détruites à l’aéroport deBamako. Il rejoint Nouakchott sans encombre mais continue de subir les vexations, les humiliations à travers les enquêtes et les surveillances quotidiennes.

 

Les chemins de l’exil

Ibrahima vit alors une situation personnelle difficile, tiraillé entre le sens du devoir envers son pays et un père déporté au Sénégal par ce même pays qu’il chérit et sert malgré tout. En 1991, avec deux mauritaniennes,Ibrahima est invité à une rencontre organisée par UNIFEM (devenue depuis ONUFEMME) à Dakar. A l’aéroport, il est arrêté par la police sénégalaise qui s’apprête à l’expulser en même temps que ses deux compatriotes. Au petit matin, l’intervention des organisateurs lui permet d’entrer en territoire sénégalais. A la fin de la rencontre, il rend visite à son père dont l’état de santé s’est dégradé à un point tel que l’estomac d’Ibrahima en est noué.  Il n’en fallait pas plus pour le convaincre de se résoudre à s’exiler. Un an avant, il avait décliné un poste de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) au Tchad. Il ne refusera pas le second. Il est embauché la semaine d’après. Il met un point d’honneur à quitter l’administration mauritanienne dans les règles de l’art, en se libérant officiellement. C’était en janvier 1992. Un mois après, son père décède. Il repose toujours au Sénégal. C’est une blessure qui laisse des cicatrices. Ibrahima commence à s’interroger sur la justesse de ses choix : pourquoi n’avoir pas vécu avec son papa dans les camps de réfugiés ? Un papa qui croyait en la Mauritanie, qui l’a accompagné toute sa vie et pour qui, si Ibrahima doit fournir tant d’efforts dans ses études et son travail, c’est pour lui-même et pour la Mauritanie.

Faut-il serrer la main du diable ?

Pour le compte de l’UICN, Ibrahima Thiaw participe au sommet mondial pour le développement àJohannesburg. Il y retrouve de vieilles connaissances mauritaniennes.  Le président Mandela, s’apprête à visiter l’exposition de l’IUCN. Le président Brésilien Cardoso est aussi attendu. Ibrahima Thiaw suggère à la délégation mauritanienne d’inviter Ould Taya. Le dictateur ne veut pour rien au monde manquer l’occasion de poser avec Mandela, icône de la lutte contre l’Apartheid. Que le sort peut parfois être cruel ! Ould Taya dont le régime s’est rendu coupable des pires abominations sur les populations noires de son propre pays réduit à faire des coudes pour se faire photographier aux côtés de l’homme qui a redonné leur dignité aux noirs d’Afrique du Sud ! Comment réagira le grand Madiba ? Entouré des présidents Brésilien et mauritanien,Nelson Mandela tint les deux par leur main qu’il soulève. On est grand où on ne l’est pas. Il a bien pardonné à Frederik Willem de Klerk, à Roelof Frederik « Pik » Botha et aux champions de l’Apartheid. Le chef de l’Etat mauritanien exulte et la rencontre fortuite devient un événement national majeur. Les images tournent en boucle à la télévision nationale. Ibrahima tient une belle revanche ! Ould Taya demande à voir le « kowri compétent ». Le dictateur est briefé quand même sur l’identité de ce cadre qui fait le bonheur des spécialistes des questions environnementales dans le monde : son père a été déporté au Sénégal.Ibrahima Thiaw n’écoute que son sens du devoir et va rencontrer son bourreau. L’entretien en tête-à-tête a duré une bonne heure, « sous la fumée du cigare qui emplissait la pièce. Il m’a paru très informé de la situation des parcs et du département de l’environnement en Mauritanie mais aussi de l’énergie, les enjeux de l’exploitation des ressources du fleuve Sénégal… Il voulait avoir mon point de vue sur la gestion des parcs nationaux et du secteur de l’environnement et dans quelle mesure il pourrait apporter des améliorations ».

A la fin de l’entretien Ould Taya interpelle Ibrahima Thiaw : « Avez-vous quelque chose d’autre à demander ? » Machiavel a fait d’heureux princes : écraser et se faire magnanime. Ibrahima Thiaw l’avait-il deviné ? Toujours est-il qu’il se contente d’engager la discussion sur les Mauritaniens expatriés, leur place, les rapports que le pays entretient avec eux. Le chef de l’Etat avoue ne pas suivre la question. A la fin de l’année une rencontre scientifique est organisée avec les cadres mauritaniens expatriés. Non ! Ibrahima Thiaw ne demandera pas le retour de sa famille en catimini. Ibrahima Thiaw confie à KASSATAYA la suite :« quand j’ai rejoint ma chambre, la première chose que j’ai faite c’est de me laver les mains symboliquement sept fois, comme pour les débarrasser d’une grande souillure ». Il n’a pas précisé s’il a utilisé du détergent ou de l’eau de Javel. Combien de personnes pourraient faire preuve d’un tel dépassement de soi et éviter de laisser leur jugement se faire altérer par la haine ou la subjectivité devant de telles circonstances ?

La consécration

Son tempérament et son sens du devoir seront les principaux marqueurs qui façonneront la carrière d’Ibrahima Thiaw. Au siège de l’UICN en Suisse comme chargé de programme SahelIbrahima est le seul africain et le seul musulman. Il passe ensuite chargé de programme Afrique de l’ouest (1994) puis Afrique(1995). En 1997, il s’occupe de l’ouverture d’un bureau régional pour l’Afrique de l’ouest au Burkina Fasoavec poste de Directeur. Il restera en poste pendant 10 ans au cours desquels il ouvre le bureau national de l’UICN en Mauritanie en 1999 alors que le pays était en mauvaise posture avec les bailleurs. Pour faire bénéficier le pays de financements, il fallait monter des programmes régionaux puisque la Mauritanie n’était plus éligible aux financements bilatéraux de plusieurs pays notamment ceux des Pays-Bas (alors principal bailleur en matière d’environnement pour l’Afrique de l’ouest) suite à la déportation des paysans que ce partenaire finançait par l’entremise de la SONADER (Société Nationale de Développement Rural). Le bureau régional Afrique de l’Ouest deviendra le plus important de l’UICN.

En 2006, le Conseil d’Administration de l’UICN lui demande de quitter toutes affaires cessantesOuagadougou pour venir assurer la Direction Générale par intérim en attendant la désignation d’un DG. Il y restera six mois. L’année suivante (2007), il migre vers le PNUE comme directeur de division. Il restructure le département, le dote d’un programme, fait accroitre son budget de 950% et en fait la plus grosse division de l’institution aussi bien en personnel qu’en budget.

Pour autant, Ibrahima n’est pas un homme pressé. En 2010, le poste de Directeur exécutif adjoint se libère mais il ne juge pas opportun de postuler. La seconde occasion sera la bonne. En 2013, il soumet sa candidature qui est soutenue par la Mauritanie. Le processus est long et complexe. Il y a 85 postulants avec de sérieux atouts. Sa candidature est finalement retenue et il devient Sous secrétaire général des Nations Unies, directeur exécutif adjoint du PNUE. Il est à ce jour, avec son compatriote Ismail Ould Cheikh Ahmed,  le Mauritanien le plus haut placé dans le système des Nations Unies.

Au chevet de l’environnement mondial

Ibrahima est à présent bien positionné pour poursuivre le travail qu’il fait depuis maintenant trente ans au service de l’environnement et du bien-être des populations. Il est incontournable sur les questions complexes comme celle des objectifs de développement durable au sujet desquels les négociations sont en cours. Il est également impliqué dans la lutte contre la pauvreté, les changements climatiques, le développement humain, le droit à l’eau potable, à l’air pur, à une production saine, à une bonne santé…

Mais, l’enfant du terroir qu’est resté Ibrahima ne s’intéresse pas moins à la situation de son pays d’origine. De son point de vue, la Mauritanie n’est pas confrontée à un problème de disponibilités de ressources mais plutôt à leur bonne mise en valeur. « Même les dunes y sont une richesse ». Il suffit pour s’en convaincre de regarder du côté du Cap-Vert, grand importateur de sable. Il déplore qu’un pays qui dispose de ressources comme le soleil et le vent puisse être déficitaire en énergie. Il ajoute que « Le Sahara est la zone de concentration maximale en matière d’énergie. Je regrette que les aliments pourrissent entre Kaédi et Nouakchott à cause du soleil alors qu’on pourrait utiliser cette énergie justement pour la conservation ».Ibrahima Thiaw appelle donc de ses vœux une bonne politique énergétique qui soit à même d’exploiter ce potentiel.

Mais Ibrahima Thiaw va aussi à contre-courant de la réflexion dominante en matière de politique agricole. Il se dit favorable au développement de l’agriculture mais rappelle que « ce n’est pas la vocation de la Mauritanie. Le pays doit davantage privilégier la filière pastorale. Vouloir courir derrière la souveraineté alimentaire et l’autosuffisance en céréales est une chimère. Le riz asiatique coutera toujours moins cher que celui produit chez nous ». Faut-il donc courir le risque de dépendre de la production étrangère et des importations pour nourrir les Mauritaniens ? Ibrahima ne rejette pas cette option même s’il ajoute que les petits producteurs doivent être encouragés.

Il ne croit pas aux vertus de l’agro industrie. Selon lui, « les agro businessmen ne font que spéculer. Ils vont investir des sommes énormes dans des pays pauvres, surexploiter et fragiliser leurs sols avant de s’en aller ailleurs. L’Arabie Saoudite et d’autres pays riches ont essayé mais ça n’a pas marché, comment vont-ils réussir ailleurs ce qu’ils n’ont pu chez eux ? » s’interroge-t-il ?  Il poursuit : « par contre il y a beaucoup de viande. Il faut améliorer la production animale, améliorer la zootechnie, réduire les importations de viandes de poulet, exporter de la viande. La Mauritanie est un pays d’élevage. Elle doit par exemple produire des fourrages et non du riz ». Avec ses trente ans d’expérience dans l’environnement, il conclut « qu’on ne peut pas forcer la nature, on travaille avec la nature ! La Mauritanie se situe dans une zone aride à vocation pastorale. Elle doit mettre en avant cet avantage comparatif. Si on respecte cette vocation on peut produire, vendre et se servir des ressources générées pour acheter le complément ailleurs ».

Au moment où la famine tenaille en Mauritanie, ces réflexions prennent un relief particulier. Trente ans après avoir été mis sur les chemins des rapports de l’homme avec son environnement, Ibrahima Thiaw garde intactes ses préoccupations. Encore une marche à gravir et il sera au faîte de la hiérarchie de l’environnement mondial. La diplomatie mauritanienne a maintenant à travers lui une belle carte à jouer.

En attendant, Ibrahima Thiaw continue de rendre visite à sa Mauritanie natale, en repensant sans doute à ce père mort en exil forcé, et sans qui le destin aurait été tout autre.

 

Abdoulaye Diagana et Ibrahima Athie pour kassataya.COM

 

 

FLAMNET-CULTURE: « Les relations entre le Fuuta Tooro et l’émirat du Brakna (Moyenne vallée du Sénégal). Un terreau du colonialisme français. 1850-1903 ».Par Ibrahima Abou Sall- Historien-chercheur

altJam weeti, jam nyalli, jam hiiri, jam waali

 

 
Je vous envoie ces faits puisés dans l’Histoire.
 Une réalité de l’Histoire qui contribuera à la construction collective d’une solution inévitable pour résoudre définitivement dans l’avenir ce grave  problème à facette triangulaire économique, social et politique.
 
ANS : Archives nationales du Sénégal (Dakar).
On peut trouver les copies en version numérique au Centre d’Accueil et de Recherche des Archives nationales (CARAN/Paris), en versions papier et numérique aux Archives nationales d’Outre Mer (ANOM à Aix-en-Provence/ France)
 
Hare koko jokki haa poolgu (le combat continue jusqu’à la victoire finale).
 

Ibiraahiima Abuu SAL   2014, seeɗto, 20 dewo biir/ dimanche, 20 avril 2014.

 

 

B/ L’intervention française dans les conflits entre Halayɓe et Awlad Seyyid 1880-1887

Au cours du nduŋngu (saison des pluies) de l’année 1879, les terres de la rive droite avaient été plus largement inondées, contrairement à l’année 1875. En conséquence, les Halayɓe se consacrèrent beaucoup plus à leurs lougans situés sur cette rive. L’émir des Brakna, Sîdi Eli Wul Ahmeddu 1er, décida, lui aussi, d’augmenter le tribut que ces cultivateurs devaient payer chaque année[1]. Les Halayve refusèrent, et « (…) Sidi Ely les chassa de son territoire et prit tout ce qui avait quelque valeur »[2]. Il se saisit de nombreux cultivateurs qu’il vendit ; mais « (…) les Toucouleurs et Abdoul Boubacar (…) aidèrent au rachat (…) » des hommes libres.

Les Halayɓe eurent l’occasion de se venger en organisant de nombreux rezzu contre les Awlâd Seyyid. Ces derniers obligèrent leur émir à user de représailles contre tous les villages compris entre Daara- Halayɓe et Ɓokki « De ces pillages réciproques, il résulte que les Aleïbés ont plus pillé que les Maures et que ces derniers sont honteux d’être dépassés dans ce genre d’affaire où ils excellent»[3]. Face à la gravité de cette situation qui était en sa défaveur, Sîdi Eli se plaignit auprès de Brière de l’Isle à qui il demanda si les Halayɓe étaient réellement ses sujets, car dans la négative, il allait leur envoyer « (…) une armée, qui brûlera leurs villages et qui les exterminera jusqu’au dernier (…) »[4]. En 1880, l’émir des Brakna était également en mauvais termes avec Laam Tooro Mammadu MBowba Sal qui l’avait accusé d’encourager ses sujets, et particulièrement les Twâbîr, à plonger sa province dans une totale désolation. L’émir était très aux faits des conflits permanents qui opposaient les habitants du Tooro à leur souverain. Il les encourageait, en effet, à se débarrasser de lui, pour mettre à sa place son cousin Sidiiki Sal.

La situation commença à s’aggraver en octobre, lorsque l’émir fit piller et brûler Dubbuqnge[5] (rive droite) et Demet (rive gauche), après avoir massacré les habitants de ces deux villages. Toujours dans le territoire des Halayɓe, les villages de Sinyncu Daŋɗe    Ceenel, NDormbos,  Dubbuŋnge et Demet, Ɓokki dans le Laaw furent constamment menacés. Pour justifier toutes ces attaques, Sîdi Eli II avait accusé ses voisins d’avoir commis de « (…) nombreux pillages sur ses états (…) » et leur avait reproché « (…) leur habitude d’offrir asile à ses ennemis –Oulad Ahmed-(…) ». « (…) J’ai souffert tout avec patience, jusqu’à ce que Lam Toro m’ait conseillé de les piller à mon tour, si lui ne pouvait les empêcher de me faire du tort (…) »[6].

Hammee NGaysiri Sal n’avait pas hésité, dès son arrivée à la direction du Tooro, à faire appel discrètement à Sîdi Eli Wul Ahmeddu 1er pour l’aider contre la tendance des Tooraŋnkooɓe qui refusait de reconnaître son autorité ; d’autant que ni lui ni les autorités françaises ne voulaient de la présence des Halayɓe sur la rive droite. Cette politique française avait encouragé encore l’émir à revendiquer « sa rive », en considérant que ce qu’il faisait était « (…) loin d’être une violence et un pillage (…) »[7]. Une délégation de notables Halayɓe se rendit auprès de celui-ci pour négocier la paix. L’émir leur posa des conditions sans lesquelles il n’autoriserait pas les habitants à venir cultiver leurs propres terres sur la rive droite : Toute famille lui donnerait une pièce de guinée (parmentier) et un quart de mil ; tout homme libre lui donnerait vingt pièces de guinées (dix en filature et dix en parmentier), et un bon fusil. Il exigea en outre quarante pièces de guinées pour indemniser un de ses princes dont la captive avait été enlevée par des Halayve, et la restitution de trois captifs appartenant à des seeremɓe (marabouts). Les Halayɓe rejetèrent l’ensemble de ces exigences, car ils ne reconnaissaient nullement l’autorité de cet émir sur leurs territoires de la rive droite du Maayo Mawngo

Le gouverneur par intérim, Deville, chargea alors le capitaine Rémy, le directeur des Affaires politiques, de rétablir l’accord entre les Halayve et les Awlâd Seyyid[8]. « J’ai fait venir à Podor les principaux notables Aléïbés », écrivit-il au gouverneur ; « (…) ils m’ont affirmé qu’ils désiraient s’arranger avec Sidi Ely. Ils veulent que les prisonniers leur soient rendus mais ils comprennent difficilement qu’ils doivent de leur côté rendre également une partie des biens qu’ils ont pillés. Cette question des prisonniers leur fera accepter toutes les conditions »[9]. Mais la mission Rémy échoua. Les deux parties continuèrent d’ignorer les mises en garde répétées du gouverneur et du laam Tooro. L’émir avait recommandé « (…) à tous ses Maures qui n’ont aucune affaire avec personne qu’aux Aléibé ; ne faut pas qu’ils aillent aux villages du Toro »[10] . Ce qui n’empêchera pas des membres de la tribu Arâlîn d’attaquer le village de Lobbudu Duwe, dans le Dimat, le dimanche 24 décembre 1882. Le vendredi 29, une autre bande d’Arâlîn enleva un troupeau de moutons à Daara Halayɓe après avoir tué quatre personnes et blessé six autres. « (…) j’ai écrit à Sidi Ely (…) », informa Rémy au gouverneur Canard « Je lui ai dit qu’il violait les traités, qu’il ne pouvait accepter la responsabilité de pareils actes de pillages et qu’il devait hâter son retour vers Podor pour réparer les torts commis. Je lui ai dit que vous serez très mécontent et que le seul moyen d’arranger ces affaires était d’en parler avec vous. Je l’engageais fortement à venir à St-Louis »[11].

A la suite de cette succession de pillages, des mesures de protection furent prises en janvier 1882 par le capitaine Rémy. Il recommanda aux chefs de villages de ne pas accueillir des Bîdhân en armes sur leurs territoires, de ne pas les laisser piller sans se défendre. Les chefs de villages conviendraient entre eux des signaux pour se porter secours ; ils signaleraient au commandant de Podoor tout mouvement suspect de la part des Bîdhân et de leurs Abîd. Pour permettre aux Aynaaɓe de faire paître leurs troupeaux sans crainte d’être attaqués, les chefs veilleraient à ce que ceux-ci soient en nombre suffisant et armés, et à ce qu’un campement général soit établi pour la nuit. Des gardes seraient placés sur des points éloignés et surveilleraient les routes empruntées habituellement par les Bîdhân[12].

Toutes ces mesures de protection ne mirent pas le pays à l’abri de l’« embrassement ». L’interprète Abdullaay Kan proposa alors à ce « (…) qu’on arrange entre eux ou qu’on les laisse se débrouillaient »[13]. La violence des rapports entre Halayɓe et Awlâd Seyyid atteignit son point culminant le dimanche 29 janvier 1882, lorsque les premiers tombèrent sur le camp de l’émir qui était installé au nord de Dubbuŋnge. Sîdi Eli II avait recommandé à ses sujets d’empêcher les habitants de Demet, la capitale politique du territoire des Halayɓe, d’aller prendre de l’eau au fleuve. Ses guerriers tiraient sur toute personne qui se présentait. Parmi les victimes, des femmes qui venaient puiser de l’eau (ƴoogol), faire du linge (guppol) sur les berges. Face à cette situation, elles décidèrent de faire une grève de ménage : plus de préparation de repas en accusant leurs hommes de couardise en face de ces Safalɓe jusqu’à ne pas sécuriser le territoire des Halayɓe  Pendant ce temps, d’autres bandes s’attaquaient aux autres villages du territoire des Halayɓe.

 C’est dans un dernier sursaut de désespoir que les Halayɓe décidèrent de réagir en s’attaquant au camp de l’émir Sîdi Eli Wul Ahmeddu II. Pour préparer cette action, le Conseil des Anciens des Halayɓe (Batu mawɓe Halayɓe) avait pris, en toute discrétion, une décision capitale qui eut des conséquences importantes dans les relations entre les Halayɓe et les Awlâd Seyyid. De jeunes combattants volontaires furent envoyés à Saint-Louis où ils séjournèrent pendant près d’une année sous le prétexte d’y travailler. En réalité, l’objectif précis était de trouver des armes à feu pour préparer une attaque contre les tribus ennemies du Brakna, particulièrement leurs ennemis classiques, les Awlâd Seyyid. Les fusils obtenus furent envoyés discrètement en stockage à Demet[14]. Les Awlâd Seyyid y perdirent quarante guerriers. Ahmeddu fut blessé tandis que son fils était fait prisonnier. « Quatre mille moutons, deux cents ânes, vingt chameaux, vingt bœufs, un cheval (…) » furent enlevés par les troupes des Halayve qui poursuivirent l’émir et ses troupes jusqu’aux environs de Gural[15].

Laam Tooro Sidiiki Sal[16] fut incapable de rétablir la paix entre Halayɓe et Awlâd Seyyid. En réalité, il n’était pas étranger à cette exaspération des relations conflictuelles entre les populations de cette province rebelle contre le laam Tooro et les Awlâd Seyyid. En effet, se voyant incapable de réprimer ses «sujets» «insoumis», il avait donné secrètement à Sîdi Eli Wul Ahmeddu 1er l’autorisation de piller les villages des Halayɓe qui contestaient son autorité politique sur leur territoire. L’appel que Sîdi Eli II lança à l’émir des Trarza pour l’aider à se venger de ses ennemis suscita malgré tout des inquiétudes chez les Français. D’autant que des chefs du Tooro opposés au laam Tooro, et quelques autres du Laaw (Kasga, Ɓokki et Waalalde) avaient envoyé des troupes de soutien à leurs compatriotes Halayve. Le gouverneur Canard se rendit personnellement à Podoor en février 1882 «(…) pour y régler diverses affaires avec le Toro et les Maures Bracknas ». il recommanda vertement à Ibra Almaami Wan de ne pas se mêler des affaires qui ne le concernaient pas, et d’empêcher ses «sujets» de lui causer des ennuis qui ne manqueraient pas de lui arriver en ne suivant pas ses conseils »[17]. Malgré les mises en garde des Français auprès des Brakna, l’héritier présomptif de l’émirat, Ahmeddu Wul Sîdi Eli Wul Ahmeddu 1er et le représentant des intérêts de l’émir à Podoor, Hammee NJaak  poussèrent celui-ci à la vengeance. Cela devenait d’autant plus nécessaire pour Sîdi Eli II que la victoire de ses ennemis avait grisé ces derniers qui continuèrent de menacer ses sujets. Dans le courant du mois de juin 1882, des bandes armées de Halayve ciblèrent leurs attaques contre des caravanes du Brakna qui venaient échanger leur sel au luumo[18] de Haayre Laaw[19]. En juillet 1883, le Directeur des Affaires politiques, Victor Ballot, qui traversait le territoire des Halayve, « (…) contraignait Siddik à punir les pillards Aleibés (…) », tandis que le gouverneur Bourdiaux prévenait Sîdi Eli II que les moindres pillages commis par ses sujets seraient remboursés sur sa propre indemnité ; mais de telles menaces n’intimidèrent guère l’émir dont les sujets recommencèrent à piller eux-aussi des villages de Halayve dès la fin du nduqngu de l’année 1883. En février 1884, l’alarme fut donnée par le commandant du cercle de Podoor, Pagès, après un pillage qui s’était soldé par un vol de soixante-dix-sept bœufs et de l’assassinat de deux Aynaaɓe. Le gouverneur Bourdiaux envoya Victor Ballot en mission dans le Daande Maayo (vallée du fleuve) pour exiger de l’émir la réparation de tous ces pillages commis par ses sujets. Pour la circonstance, il n’excluait pas une intervention militaire, « (…) pour ôter aux pillards toute envie de récidiver (…) » (Ganier, 1968). Ni les différentes missions effectuées par les directeurs successifs des Affaires politiques ni les menaces d’une intervention militaire ne réussirent à mettre fin à ces pillages et aux relations conflictuelles entre les Halayɓe et les Awlâd Seyyid. La résolution de ces crises ne dépendait pas uniquement des négociations françaises, mais aussi de la volonté et de la motivation des populations d’établir une paix durable entre elles. Or, l’élément déterminant dans ces relations résidait dans le problème de l’occupation de la partie septentrionale (rive droite) du territoire des Halayɓe. Devant ce que ces derniers considéraient comme un droit acquis parce qu’ayant occupé et valorisé les premiers les terres de la rive droite bien avant l’invasion armée des Beni Hassân, les Awlâd Seyyid brandirent toujours le droit requis par la force armée pour justifier l’occupation des terres de la rive droite. Une constante qui n’était pas seulement spécifique aux relations entre ces deux groupes de populations. C’était là tout le fondement des sempiternelles relations conflictuelles entre les Fulɓe, les Wolof, les Sooninko, les Xaasoŋnke vivant sur les territoires du bassin du Maayo Mawngo d’une part, les populations arabo-Sanhadja d’autre part qui avaient envahi les territoires septentrionaux  de la vallée du Maayo Mawngo. D’où ce fameux adage en Pulaar que nous rappelons toujours parce que installé dans l’inconscient socioculturel des Fulɓe du Fuuta Tooro, et qui dit : « Worgo hoɗaa ko nde Rewo roŋnka »[20] ou la fameuse réponse donnée par l’Almaami Abdul Kaadiri Kan (1774-1805) à une délégation de Jaawɓe de Gural (près de Hoore Weendu, actuel lac d’Aleg) venue se plaindre des exactions dont ils faisaient l’objet de la part des Arabes Awlâd Abdallah dont les ancêtres Beni Hassan avaient échoué dans la région au XVIème  siècle : « hol hammee hol Hoore Weendu »[21]. Une problématique grave qui s’était installée dans la pérennité dans le bassin inférieur du Maayo Mawngo en raison de ses enjeux économiques (agriculture, élevage, pêche, traite des esclaves, voie de communication et pénétration de la côte Atlantique à l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest).

L’émir signa néanmoins un traité de paix avec les Halayɓe, en mars 1884. Chacune des deux parties remit « (…) un enfant notable pour gage de l’union qui doit exister entre elles »[22]. Pour marquer leur hostilité au pouvoir du laam Tooro, les Halayɓe refusèrent de payer cette année-là la dîme à Sidiiki Sal. Comme s’ils cherchaient à heurter l’orgueil de celui-ci, ils firent « (…) présent à Sidy Ely de 2000 pièces de guinée »[23].

La conclusion de ce traité amena de nouvelles complications dans les relations entre les Brakna occidentaux et les habitants du Tooro. Ces difficultés se traduisirent par la rupture entre l’émir et ses sujets H’râtîn Awlâd Tânâk qui avaient rallié les Halayɓe en janvier 1886.  Cette communauté tribale pillait toute la zone comprise entre Haayre Laaw et Podoor. Les Haayraŋnkooɓe (Habitants de Haayre Laaw) furent particulièrement touchés par ces pillages, et reprochèrent avec sévérité aux Halayɓe d’abriter cette tribu pillarde qui leur enlevait enfants, bestiaux et récoltes. Sîdi Eli II, vieilli et affaibli du point de vue militaire par le départ de cette tribu qui représentait une partie essentielle de sa force armée, était incapable de rétablir son autorité politique et militaire. Incapable de réprimer tous ces pillages commis par les Twâbîr, les Awlâd Tânâk et les Awlâd Ahmed, il se contenta de prévenir chaque fois le poste de Podoor des mouvements de ces tribus pillardes afin que les Français prennent leurs dispositions de sécurité. Cette faiblesse militaire et politique de Sîdi Eli II fut exploitée avec opportunisme par les Halayve qui reprirent leurs hostilités contre les Awlâd Seyyid en pillant leurs caravanes de commerce et leurs campements. Leurs troupes allaient jusqu’à provoquer « (…) Ahmedou, l’héritier présomptif du trône des Brachnas »[24]. Le commandant du poste de Podoor, A. L. d’Albeca jugea « (…) qu’une démonstration militaire, une promenade de cavaliers, aurait pour effet de calmer les esprits »[25]. Le règlement du conflit entre Halayɓe et Awlâd Seyyid, et entre Halayve et Haayraqnkoove devait faciliter, selon lui, le commerce des petites escales du cercle de Podoor, et surtout le commerce du mil avec le Fuuta Tooro. La «pacification» définitive de tout le Fuznaaŋnge Tooro et une répression plus efficace contre les pillards permirent de rétablir néanmoins un calme relatif. Cela était d’autant plus important pour les Français que l’occupation du dernier foyer de résistance dans le Fuuta Tooro était imminente.

Un extrait de mon ouvrage : « Les relations entre le Fuuta Tooro et l’émirat du Brakna (Moyenne vallée du Sénégal). Un terreau du colonialisme français. 1850-1903 ». (Editions l’Harmattan. Paris. Avril 2013. 302 pages. Pp. 209-215. 5ème partie/Chapitre 1er)



[1]  Les indemnités que l’émir payait aux Tooraŋnkooɓe victimes de pillages l’avaient ruiné. Il obtenait difficilement du gouverneur quelques avances de son indemnité annuelle. Il avait décidé de compenser ces pertes en augmentant le njoldi et l’asakal qu’il faisait payer aux Halayɓe afin qu’il les laisse cultiver leurs terres de la rive droite (Halayɓe Rewo)

[2]  ANS. 13G 33/4. Feuille 9. Situation politique du fleuve 1873-1882. Saint Louis, le 10 janvier 1882. Mission du directeur des Affaires politiques dans le Fleuve. Le capitaine Rémy

[3]  ANS. 13G 33/4. Feuille 9. Situation politique du fleuve 1873-1882. Saint Louis, le 10 janvier 1881. Mission du directeur des Affaires politiques dans le Fleuve. Le capitaine.

[4]  ANS. 9G 4. Q. d. 96. 1880. Lettre du 14 janvier 1880.

[5] Dubbuŋnge devenu Dubbaaŋngo.

[6]  ANS. 9G 4. 1881. Q. d. 97. ; Q. d. 98. Le nouveau Laam Tooro se nomme Hammee NGaysiri Sal, élu depuis le mois de juin 1881 à la place de Mammadu Abdul Sal

[7]  ANS 9G 4. Q. d. 97 ; Q. d. 98. Op.cit.

[8]  Rémy effectua cette mission du mardi 27 décembre 1881 au vendredi 6 janvier 1882.

[9]  ANS. 13G 33/4. Feuille 9. Situation politique du fleuve 1873–1881.

[10]  ANS. 13G 130. Pièce 28. Podor, le 25 octobre 1881. Abdoulaye Kane au gouverneur.

[11]  ANS. 13G 33/4. Situation politique du Fleuve. 1873–1881. Feuille 9.

[12] ANS. 13G 33/4. Situation politique du Fleuve. 1873-1881. Feuille 9.

[13]  ANS. 13G 130. Pièce 28. Podor, le 25 octobre 1881.

Nous avons transcrit cette phrase dans son intégralité avec la faute grammaticale, dans le principe du respect d’une citation.

[14] Informations recueillies le vendredi 31 décembre 1976 à Ɓoggee Dow auprès d’Aamadu Demmba Bah (décédé le dimanche 27 janvier 1980 à Ɓoggee Dow). Cette attaque est immortalisée aujourd’hui par la fameuse chanson assez connue au Fuuta Tooro: « Sîdi Eli yoo gorel hooti Eleega » (Oh ! le petit Sîdi Eli a fui ; il est retourné à Aleg.

[15]  Moustapha Kane situe cet événement entre juillet et août 1884 alors qu’il s’est déroulé dans la nuit du samedi 28 au dimanche 29 janvier 1882.

[16]  Elu en janvier 1882, à la suite du décès subit de Hammee NGaysiri Sal.

[17]  ANS. 13G 152. Pièce 23. Le gouverneur à Ibra Almamy, chef du Lao. 15 février 1882.

[18] En Pulaar, un marché ambulant. Au pluriel, luumooji.

[19]  ANS. 13G 146. Pièce 84. B.A.C.P. aéré, mois de juin 1882.

[20] Voir note 14.   

[21] « De quel droit un Ahmed  a-t-il de s’imposer sur les terres de Hoore weendu ? » (Sous-entendu qu’un Arabo-berbère  est totalement étranger sur ces territoires).

[22]  ANS. 13G 146. Pièce 145. Rapport politique. Aéré, le 31 mars 1884. Le chef de poste du directeur de l’intérieur. st-Louis.

[23]  ANS. 13G 146. Pièce 145. Rapport politique. Aéré, le 31 mars 1884. Le chef de poste du directeur de l’intérieur. st-Louis.

[24]  ANS. 13G 146. Pièce 145. Rapport politique. Aéré, le 31 mars 1884. Le Chef de poste au directeur de l’Intérieur. St-Louis.

[25] ANS. 13G 132. N° 382. Pièce 224. Rapport politique- évènements 1886-janvier 1887. Podor, le 1er février 1887.