Daily Archives: 12/04/2018
Nominations du président et des membres du Haut Conseil de la Fatwa et des Recours gracieux
La présidence de la République communique :
Par décret en date de ce jour, sont nommés président et membres du Haut Conseil de la Fatwa et des Recours gracieux :
President: Ahmed El Hssan Ould Cheikh Mohamedou Hamed ;
Membres:
– Mohamed Abdellahi Ould Abdellah;
– Mohamed Lemine Ould Daddah;
– Ragel Ould Ethmane;
– Mohmaed Lemine Ould El Hacen;
– Emmine Ould Ebbaty;
– Bouna Oumar Ly;
– Ahmed Lethik Ould Mohamed Laghdaf;
– Mohamed Mahmoud Ould Ghali.
Ami
Nouvelles d’ailleurs : Chauvinisme
Mauvais temps pour la langue française. Un temps de chien. C’est le truc à la mode dans les milieux « patriotico-nationalistes-chauvins ». Entre l’écriture toute personnelle de notre roman national, la chasse au squelette d’anciens résistants, l’apologie de la langue arabe, la politique, les sous de la politique, les sous des amis de la politique locale, une langue se meurt.
Attaquée de toutes parts, laminée, moquée, insultée. Ignorée. On lui fait porter tout le poids de nos péchés, de nos incompétences depuis des décennies, de nos manquements, de nos ignorances.
Coupable facile, pour un pays qui s’est construit en faisant l’économie d’une vraie réflexion sur le « Qui sommes-nous? Comment un ensemble épars se construit-il Nation ? » Pour élever un sentiment nationaliste, quoi de mieux qu’un coupable idéal ?
En oubliant les conséquences désastreuses d’une ancienne poussée d’urticaire nationaliste, lors de la 1èreguerre du Golfe : mise au ban des nations, isolement, fragilité étatique… Sans oublier l’autre poussée ultra-chauvine, celle qui a mené aux abominations des années de sang.
D’oubli en oubli, voilà qu’il est bon ton, aujourd’hui, d’être chauvin. Et d’être, même, chauvin inventif… J’ai lu, ici et là, des pamphlets déclarant que nous sommes, rien que ça, la « dernière nation arabe », « l’Oumma », « les derniers arabes »…
Rien que ça. Je comprends que cela puisse galvaniser le pauvre type au ventre creux, paumé, quelque part, entre deux élections et deux distributions de « dons à vote ».
Je comprends aussi que ces envolées lyriques fassent frissonner certains poètes profitant de l’occasion pour pondre de la Qasida figée, bien rimée, bien dégoulinante de louanges au Prince. Je comprends aussi qu’il faut un discours martial, à la hauteur des mannes financières venues de lointains pays arabes.
J’ai cru, à un moment, que la rhétorique toute guerrière qui sous-tend tous ces beaux discours allait faire, de nous, les gardiens du Paradis. Nos chauvins n’ont pas osé. Pas encore. Même s’ils ont relié notre arabité, notre langue arabe, au fait religieux, puisque c’est la langue du Coran.
Le raccourci fut facile, l’arabe est, donc, la langue du Paradis. Pour le moment, personne n’a nommé quelle langue parle-t-on en enfer. Ce serait osé et gonflé… même pour de vertueux xénophobes. Mais rien ne m’étonne, chez nous. Rien. Surtout pas mon manque d’étonnement.
Bref, la mode est d’insulter la France et les Français. Sus à Coppolani ! Sus aux Nazaras ! Haro sur le coq gaulois ! Nous voilà devenus Nation de résistance – la propagande officielle parle bien de résistance « nationale » – Nation pavée de cimetières et d’os de martyrs, Nation levée, en masse, contre l’envahisseur français.
Pendant des siècles, chaque tribu se glorifiait d’être descendante de notre Prophète béni (SAWS). C’était le minimum syndical, si elle voulait : et être noble, et posséder des esclaves, et lever le menton plus haut que celui de la tribu voisine. Cette proximité avec une généalogie glorieuse et sacrée consacrait l’endogamie, l’orgueil et les castes.
Maintenant c’est la course à la datte : tribu descendant de notre Prophète (SAWS) ET résistante ET arabe. Pas Africaine, Arabe. De l’Arabie. Ligne directe entre la péninsule arabique, nos patelins et nos dunes. Du coup, à imaginer une ligne directe entre la terre et le Ciel, pour remercier de tant de pureté… le raccourci est facile.
Mais retournons à nos langues. Bêtise sans fond qu’opposer une langue à une autre. Le multilinguisme est une chance, pas un fardeau. La langue arabe est une langue magnifique, complexe, riche de siècles et de siècles d’histoire et de rencontres avec d’autres langues.
Elle n’est pas restée figée, momifiée par des « puristes ». Elle s’est grandie au contact des autres langues. Elle en a fait du chemin, cette belle langue, depuis sa naissance nabatéenne (houla ! J’ai dit un gros mot, là : nabatéenne). Langue sémite devenue langue internationale.
Langue qui fut de culture, de progrès, de philosophie, d’inventions, de poésie. Langue qui rayonna. Langue en laquelle fut révélé le Coran. Langue psalmodiée, aujourd’hui, dans le monde entier, par tous les musulmans, même les non-arabophones, lors des prières.
Oui, elle en a fait du chemin, cette langue née quelque part vers la Palestine… Elle fait partie de notre mémoire et de notre Histoire. Elle est en nous.
Mais dire cela ne signifie pas xénophobie envers une autre ou d’autres langues. Le français n’appartient plus à la France depuis longtemps.
Depuis que cette dernière, au 19èmesiècle, s’est lancée dans le plus grand mouvement expansionniste de toute l’Histoire, la colonisation. Ce français, cette langue, appartient désormais au monde. Elle est riche aussi d’une diversité aux autres.
La langue n’a que faire de la politique. Elle vit. Elle permet. Elle dessine le monde. Elle prend le sens qu’on veut bien lui donner. Elle est adaptable à l’infini de nos richesses. En parlant une autre langue, en plus de la sienne, on adapte la pensée. Et nous nous ouvrons au questionnement. N’est-ce pas, cher et regretté Habib Ould Mahfoud ?
Que serons-nous si nous ne balbutions qu’une langue figée, dépositaires autoproclamés d’une pseudo-pureté ? Juste des poupées sans culture, sans ambition ? Des gardiens de musée ? Notre pays est riche de diverses langues. Le français en est une historique. Qu’on le veuille ou non. Qu’on crie au loup ou non.
Les Algériens ne disent-ils pas, fièrement eux : « Le français est notre butin de guerre » ? S’inventer un passé, écrire une histoire falsifiée, insulter les francisants n’ont jamais établi une Nation, tout au plus un mouvement d’extrême-droite réducteur.
Un mouvement. Pas une pensée. Or une Nation mérite une pensée, une intelligence, une culture plurielle. Elle exige plus que des rodomontades guerrières à vertus linguistiques et xénophobes.
Nous sommes tellement complexés, vis à vis de notre Histoire, que nous ne sommes capables que de poser deux bandes rouges sur un drapeau, composer un hymne en arabe littéraire et refuser de considérer le hassaniya, par exemple, en langue nationale… ce qu’il est, au demeurant.
Les puristes, les chauvins me diront que le hassaniya, c’est l’arabe. Je conseille, à nos zélotes purs et sans taches, d’aller faire un tour dans les adwabas, par exemple, et de revenir me dire si les gens, devant notre pauvre TVM uni-couleur, quasi unilingue, comprennent un traître mot des débats entre « gens biens », en arabe littéraire.
Non, ils comprennent le hassaniya. Et je ne parle pas de nos concitoyens non-beydhanes… Eux se tournent, du coup, vers des télés de pays voisins. Pathétique, n’est-ce pas ?
Ah oui, j’oubliais : dans la guerre menée au français, les noirs de ce pays (quand je dis noirs, je ne parle pas des haratines) sont assimilés à la collaboration et accusés de ne soutenir que le français. Xénophobes, dites-vous ? Oui.
Et plein de fantasmes mensongers. Mais, ça, nous y sommes habitués… Notre pays ne se construit que sur un racisme diffus et tout un chacun devient le raciste de l’autre. Voilà comment, de crispations en crispations, nous détricotons notre avenir.
Notre chance, pourtant, c’est l’acceptation de nos identités plurielles, façonnées depuis des siècles, faites de métissages, de partages. C’est l’acceptation de nous, sans complexes envers l’ancienne puissance coloniale.
C’est, aussi, revivifier la langue arabe, la rendre, à nouveau, langue de savoirs. C’est traduire. C’est inventer. C’est oser. Imaginez un peu la force que nous serions, si nous parlions, en plus de nos langues maternelles, l’arabe, le français et l’anglais ?
Le monde nous appartiendrait. Mais nous ne voulons pas que le monde nous soit ouvert. Nous, nous nous contentons d’agitations stériles, de débats dépassés et archaïques, de discours chauvins. Nous nous tournons autour du nombril. Nous sommes ignorants des autres et cela nous convient… Malheureusement.
Alors, moi, je dis merci aux langues que je connais. Elles m’ont permis le monde et l’autre, l’autre dans toute sa complexité, sa diversité, son humanité. Et je parle ma langue maternelle, en plus d’autres langues, notamment le français.
Et j’en suis fière. Cette langue et la femme merveilleuse qui me l’a transmise m’ont construite aussi, m’ont offert le monde et tous les concepts. Ha ! Comme je suis fière de l’arabe quand je prie ! Comme je suis fière du halpulaar, du soninké, du wolof, du bambara…
Comme je suis fière du bantou, du lingala et du haoussa, etc. Fière de toutes ces langues qui font le Monde. Comme je suis fière d’être de ce pays, Mauritanie, nom offert, par Coppolani, à ces étendues.
Je n’ai pas une langue ennemie. Le respect de l’autre passe, d’abord, par le respect de soi-même. Et aujourd’hui, chez nous, nous ne respectons même pas la mémoire ni ce que nous sommes. Nous ne sommes que complexés.
Nos « élites » insultent la langue française et la France mais courent se faire soigner dans l’Hexagone, à la moindre angine, mettent leurs enfants au Lycée Français… Hé oui, le chauvinisme a des limites : celles de l’hypocrisie. C’est nous, ça : devenus fades, si fades, si momifiés…Quand l’inculture et l’ignorance tiennent lieu de pensée…Salut.
Mariem Mint Derwich
le calame
Disparition de docteur Bocar Alpha Ba : la page des grands bâtisseurs de la Mauritanie se ferme
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Docteur Bocar Alpha Ba s’en est allé ce mercredi 11 avril 2018 à Paris.
La Mauritanie perd avec sa disparition le dernier fondateur majeur et l’un de ses bâtisseurs historiques. Nous l’avions rencontré en novembre et décembre 2014 notamment dans le cadre de la préparation de l’article ci – dessus.
Nos pensées vont à l’endroit de son épouse Fatimata Simone Ba, sa famille, ses amis et à tous ceux qui l’ont côtoyé. Qu’Allah lui réserve le meilleur dans son paradis éternel et l’entoure de son infinie miséricorde. Amine.
« Majdî âqirane wa majdî awwalane char’oune…
Wa ch-chamsou ba’ada d-douha ka ch-chamsi fi t-talafi »
C’est ainsi, par le refrain d’un poème spécialement composé en son honneur par un ami maure, que le patriarche ponctuait nos différents entretiens à Paris (les 22, 27 novembre et 13 décembre 2014).
Tiraillé entre son père qui souhaitait lui assurer une éducation purement islamique et ses oncles anciens chefs de cantons, Mamadou Ahmadou et Bocar Ahmadou Ba qui voulaient lui donner en plus une scolarité à l’école française, le jeune Bocar Alpha Ba, né vers 1928 à Kaédi alterna la fréquentation des deux écoles. Il réussit, tout à la fois, une scolarité occidentale brillante, ainsi que des études coraniques remarquables puisqu’il parcourut deux fois le texte sacré à l’âge de dix ans.
Après ses études primaires à Kaédi, il passe avec succès le certificat d’études primaires à Matam, centre unique de concours pour les élèves du cours moyen secondaire de Kaédi et de Matam pour ensuite entrer à l’école primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis pour trois ans. Après Blanchot, il rejoint, à l’issue d’un concours, l’école William Ponty de Dakar pour trois nouvelles années. Cette illustre école panafricaine formait les futurs cadres de l’Afrique Occidentale Française (AOF) suivant trois filières : administration, enseignement et médecine-pharmacie. Bocar Alpha Ba opta pour le cursus médical, au bout de quatre années d’études, il fût reçu comme médecin africain. Mis à la disposition de la direction de la Santé de l’AOF, Pierre Mesmer, nouveau Gouverneur de la Mauritanie, l’affecta à Boutilimit. Il y resta de 1952 à 1956. C’est à Boutilimit qu’il fit la connaissance de Moktar Ould Daddah, venu y passer ses vacances. Atteint d’une pneumonie/pleurésie, le jeune docteur Bocar Alpha Ba prît en charge l’étudiant et l’entourant des plus grands soins.
En 1956, profitant de ses congés en France, docteur Bocar Alpha Ba prépara la première partie du Baccalauréat Général pour poursuivre ses études supérieures. Informée, l’Administration coloniale mit aussitôt fin à ses congés et l’affecta à Saint-Louis comme médecin africain des fonctionnaires. Pour autant, docteur Bocar Alpha Ba ne renonça pas à son projet d’études supérieures. En 1957, il obtient le bac philo à Saint-Louis, abandonne son poste et regagne Bordeaux, en octobre 1958, pour parachever ses études de médecine. Ce parcours insolite, déstructuré en apparence, était judicieux à l’époque.
Simone Bazir, son épouse, future Fatimata Ba, après son baccalauréat général obtenu en Guadeloupe en 1952, arriva à Bordeaux pour préparer une licence de Sciences naturelles. Bordeaux était, avec Montpellier, les villes qui accueillaient prioritairement les étudiants africains et antillais. Simone et Bocar Alpha suivirent quelques cours ensemble : physique-chimie-biologie. C’est un ami commun qui fit les présentations, le docteur Hamath Ba.
Bocar Alpha a baigné dans l’ambiance des écoles fédérales : Blanchot, Ponty, là où beaucoup de futurs dirigeants africains nouèrent des relations durables. C’est également là, la source de leurs revendications fédéraliste et panafricaine. Mais prudent, docteur Ba « n’a jamais accepté de mettre qu’un doigt en politique ». Il fut membre de l’Union Générale des Originaires de Fleuve (UGOF) et de l’Association des Jeunes du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). C’est donc imprégné des idées de cette association, sur fond de révolte politique de la jeunesse qu’il ira au congrès d’Aleg en 1958.
Les fédéralistes choisiront d’aller à l’indépendance avec Moktar Ould Daddah, car ils tenaient à l’indépendance du pays, indépendance menacée par les visées marocaines, observe-t-il. Toutefois, il se doutait qu’une partie des Maures avaient une idée derrière la tête : tenir leurs concitoyens Noirs éloignés de la réalité du pouvoir. C’est pour cette raison que les Noirs demandèrent, en vain, au Congrès d’Aleg, qui se tint du 2 au 5 mai 1958 puis en 1962 avec l’Union Générale des Originaires de la Mauritanie du Sud (UGOMS), en 1966 à travers le Manifeste des 19, des garanties constitutionnelles permettant de sauvegarder la diversité de la Mauritanie.
En 1961, Moktar Ould Daddah invita le docteur Bocar Alpha Ba et Mme Simone Fatimata Ba à aider la Mauritanie qui manquait alors de cadres. Ils acceptèrent l’invitation et regagnèrent le pays. Moktar Ould Daddah proposa au docteur Ba le poste de Ministre de la Santé alors même qu’il était en cours de rédaction de sa thèse de médecine sur « les gonadotrophines chorioniques dans les menaces d’avortement et les avortements dits habituels ». Tandis que Mme Ba rejoignit le jeune Lycée National, qui existait depuis deux ans à peine, pour enseigner le français/latin et les sciences naturelles. Elle y resta trois années.
Docteur Bocar Alpha Ba occupa le poste deux années, avant d’être nommé Ministre des Finances et des Affaires économiques jusqu’en 1965. Si on peut retenir comme œuvre majeure du docteur Bocar Alpha Ba à la tête du ministère de la Santé, la pose de la première pierre de l’Hôpital National et l’extension du réseau des dispensaires en province, maillon essentiel du système de santé de notre pays, c’est paradoxalement par son action diplomatique informelle que le ministre s’est le plus illustré. En effet, mettant à profit ses missions à l’étranger, usant de ses réseaux et de ses relations personnelles, le docteur Bocar Alpha Ba s’évertua à convaincre les pays membres du groupe de Casablanca (qui rassemblait l’Egypte, le Mali, la Guinée, l’Algérie, le Ghana, la Libye et le chef de file le Maroc) à reconnaitre l’indépendance de notre pays.
C’est ainsi par exemple au détour d’une visite en Tanzanie en 1962 où il a rencontré un ambassadeur égyptien, que docteur Bocar Alpha Ba lui recommande de faire savoir au Raïs, Gamal Abdel Nasser, son vif souhait de le rencontrer. En effet, il trouvait anormal que l’Egypte ne reconnaisse pas la Mauritanie. Embarrassé peut-être, séduit certainement par cette démarche peu orthodoxe, et presque empreinte de naïveté, le diplomate égyptien, de retour au Caire, transmit, non sans une certaine appréhension, cette surprenante requête. Celui-ci contre toute attente adressa une invitation officielle au docteur Bocar Alpha Ba à se rendre en Egypte. Le président Moktar Ould Daddah, suite à l’invitation officielle reçue, lui laissa l’honneur d’effectuer cette visite. En réalité, le président Moktar Ould Daddah l’aurait difficilement fait… car la Mauritanie n’était pas officiellement reconnue par l’Egypte. Mais il y mettra la forme. Le docteur Ba sera accompagné d’une délégation de haut rang. Et comme pour lui donner un cachet officiel, il décida d’adjoindre à cette délégation l’ambassadeur de Mauritanie à Tunis, capitale du seul pays arabe ayant à cette date reconnu l’indépendance et la souveraineté de la Mauritanie.
Au cours de l’entretien que lui accorda Gamal Abdel Nasser, docteur Bocar Alpha Ba pose d’emblée le problème des Mauritaniens venus poursuivre leurs études en Egypte. Comme pour donner un sens supplémentaire à sa démarche de reconnaissance de notre pays, il demande et obtient que ceux-ci puissent bénéficier de bourses sans être, au préalable, obligés de présenter un passeport marocain.
A l’issue de l’audience, non seulement le Raïs s’engage sans tarder à reconnaitre la Mauritanie, mais assure au Ministre de la Santé que l’Egypte est à la disposition de la Mauritanie, prête à l’accompagner pour toutes futures requêtes. Les deux hommes se lièrent d’amitié, une amitié forte faite d’estime et d’admiration réciproque.
Au cours de cette même année 1962, en visite au Mali, docteur Bocar Alpha Ba réitérera cette habile démarche qui lui a permis de réussir en Egypte. A l’issue des discussions de l’Organisation de Coopération et de Coordination pour la lutte contre les Grandes Endémies (OCCGE) dont les travaux se tenaient dans la capitale malienne, il demande à rencontrer le président Modibo Keïta, par l’intermédiaire de son aide de camp, Tidiane Baïdy Ly. Modibo Keita accepta et le reçut dans la foulée. A son hôte malien, il posa la simple question suivante : comment veux-tu que mon frère, ton ministre des Affaires étrangères qui répond au même patronyme que moi soit Malien et (que je sois) moi Marocain ? Ils en rigolèrent presque. Modibo Keïta, certainement frappé par le discours du Ministre mauritanien, appela immédiatement son Ministre des Affaires étrangères, Mamadou Ba, pour qu’il se rapproche de l’Union soviétique et qu’ainsi, elle ne s’oppose pas à la reconnaissance officielle de la Mauritanie.
Il entreprit au cours de la même année, la même démarche en direction du Président guinéen Ahmed Sékou Touré, avec à la clé le même succès.
Dès lors, pouvait-on imaginer cet homme quitter le gouvernement si rapidement ? Si pour le docteur Bocar Alpha Ba la politique n’est pas une fin en soi, lui le médecin, la réalité est que Moktar Ould Daddah devenait selon ses propres termes « prétentieux à partir de 1965 ». « Il avait, ajoute-t-il, un jeu personnel qui ne rencontrait pas ma conviction. […]. Je devenais un peu trop gênant et trop voyant pour lui. Partout où il (Moktar Ould Daddah) se rendait en visite, on lui demandait où se trouvait le Ministre Bocar Alpha Ba ». C’est ainsi donc qu’un jour de janvier 1965, « je lui présentai ma démission et me mis immédiatement à la disposition du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales ».
L’ancien président fait allusion, dans ses Mémoires, à cette démission avec beaucoup de légèreté et de condescendance, la présentant plutôt comme une sanction paradoxale; alors que docteur Bocar Alpha Ba, écrit-il, « mû sans doute par des soucis louables en eux–mêmes, et qui étaient ceux de tout ministre des Finances à la recherche de l’équilibre de son budget, s’était permis, sans demander mon autorisation, sinon mon avis, de sonder les autorités françaises compétentes pour leur demander de combler notre déficit (de 1 590 millions de francs C.F.A) » (Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contres vents et marées, éditions Karthala, 2003, page 334). La démission intervint à midi. A 14 heures, le désormais ex-ministre prenait ses fonctions au dispensaire du Ksar où l’avait affecté le Ministre de la Santé et des Affaires Sociales. Aussitôt, survint un jeune accidenté polytraumatisé. Le Docteur fait son travail, correctement, tire l’enfant d’affaire et s’attire l’admiration de ses collaborateurs et de la famille du patient. Le Docteur Ba restera en place jusqu’à la mise en service de l’hôpital national dont il deviendra le premier directeur.
Les premières années de fonctionnement de cet hôpital aux normes de soins, de restauration et de propreté européennes, seront marquées par la rigueur qu’il a toujours su imprimer à son personnel. Il ne restera qu’une année à la direction de l’hôpital, relevé au motif qu’il y tenait des réunions politiques. Un comble pour celui qui trouvait que la politique n’est pas pour lui. Il est affecté à Aïoun. Il refuse, mais ne se voit pas proposer un autre poste. Débute alors ce qui pouvait être pour beaucoup d’autres, une traversée du désert. Mais l’homme est entreprenant et a beaucoup de cordes à son arc. Il achète un camion, ironiquement floqué à son nom « Docteur Ba Bocar Alpha – Transporteur », pour faire du transport de marchandises. Plus tard, en 1968, il fonda un cabinet médical où il resta deux ans avant de construire une clinique, la première de notre pays, en 1970. Une nouvelle fois, la politique et des accusations fallacieuses le rattrapèrent. La clinique ferma en 1974 suite à un décret ministériel interdisant l’exercice libéral de la médecine (ou pour exercice illégal de la profession libérale de médecine), arguant que « dans un pays démocratique et révolutionnaire, on ne peut pas faire de la médecine et gagner de l’argent ». Une loi pour fermer la seule clinique existante de la Mauritanie !
En 1978, il fit l’acquisition de la Société Nationale des Etablissements Lacombe (SNEL). Une société qu’il fera fonctionner jusqu’en 1992 avec un autre ancien ministre Mamadou Samboly Ba.
Combatif, docteur Bocar Alpha Ba n’a jamais voulu répondre aux sirènes de l’étranger en dépit de nombreuses opportunités offertes. C’est un Mauritanien, parfaitement intégré, et à l’aise aussi bien en milieu Maure, durant son service à Boutilimit, qu’en milieu Noir (Poular, Soninké, Wolof). L’homme est un condensé multiculturel car habitué des brassages ethniques de notre pays. Il revendique farouchement tout à la fois la parenté et l’amitié multiforme de sa famille, de sa mère en particulier, avec celle de Tidiane Al Hadji de Gattaga. Il parle (presque) parfaitement Hassaniya, Soninké et Wolof, en plus du Poular maternel. En 1962, il honorera, de sa présence les cérémonies marquant la réconciliation entre les Tindra et les Oulad Bousba à Akjoujt, en présence notamment de la grande cantatrice Nasrallah, puis à Keur Macène.
De son côté, Madame Simone Fatimata Ba est nommée en 1965 directrice du collège (CC des jeunes filles), devenu Lycée des Jeunes Filles la même année. La jeune guadeloupéenne, cinquième d’une fratrie de dix enfants est dans son élément : elle entreprend un chantier ambitieux : organiser et moderniser l’établissement. Le Lycée des Jeunes Filles de Nouakchott, avec son internat moderne, devenait alors un cadre attrayant et propice pour les jeunes élèves dans un pays où la scolarisation féminine est encore très faible. Le Parti du Peuple Mauritanien (PPM), du moins la section des femmes qu’elle avait intégrée une année plus tôt y voit une aubaine. Cette section demande que les filles du lycée deviennent de fait des filles du parti. Madame Ba s’y oppose fermement, estimant que la politique doit s’arrêter à la porte de l’établissement. Elle quitte le parti pour se consacrer exclusivement à son métier d’enseignante.
Nommée en même temps directrice du Lycée des Jeunes Filles, présidente du jury du Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC), elle constate une disparité dans les notes attribuées aux élèves en fonction de leur appartenance ethnique. Cette disparité l’inquiète et elle demande au directeur de l’enseignement de l’époque de revoir les évaluations pour plus d’objectivité, d’impartialité et d’exactitude. Le lendemain, à l’heure prévue, les résultats furent proclamés. Certains correcteurs d’arabe n’ont pas caché leur étonnement, mais ont accepté la réalité des résultats impartiaux. Madame Ba sera mutée en 1968 au Lycée National. Elle enseignera les sciences naturelles aux élèves de terminale scientifique jusqu’en 1975, avant de devenir inspectrice de l’enseignement secondaire pour les sciences naturelles.
En octobre 1976, elle fut nommée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) en qualité de directrice des études, puis directrice adjointe l’année suivante avant d’être directrice de l’établissement grâce notamment à Moktar Ould Bah, directeur sortant et Mame Diack Seck, ministre de tutelle. De 1976 à 1986, elle préside le jury du baccalauréat, série scientifique. Elle va façonner l’établissement au fil des ans, notamment grâce à un partenariat technique et scientifique de niveau international qui s’est traduit par la mise en place :
– du second cycle de l’enseignement dédié à la formation des enseignants de lycée ; jusque là l’école ne formait que des professeurs de collèges, même s’il arrivait que l’on retrouve ces derniers comme enseignants dans des lycées : on passe donc du Certificat Au Professorat du Premier Cycle (CAPPC) au Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Secondaire (CAPES).
– de stage en immersion pour les étudiants en Anglais. Ce stage intervenait en troisième année et avait lieu en Grande-Bretagne et aux USA
– de la formation des inspecteurs du primaire
– d’un système d’équivalence de diplômes avec des universités étrangères. Elle introduit pour ce faire le système de mémoire de fin d’études à partir de 1980 pour les étudiants en quatrième année, afin de leur donner une expérience de recherche qui pourrait être utile à ceux qui seraient appelés à poursuivre un troisième cycle d’autant qu’elle avait réussi à établir une coopération dans ce domaine avec les universités françaises de Rouen et de Nice Sophia Antipolis.
Véritable institution dans le système éducatif mauritanien, Madame Simone Fatimata Ba fut régulièrement consultée par le ministère de tutelle sur les grandes mutations et orientations concernant l’Education Nationale : de 1969 avec l’introduction de l’instruction civique, à 1986 avec la création de l’Institut Supérieur Scientifique (ISS). Elle accepte la collaboration, pas la complaisance. C’est ainsi qu’elle émettra une réserve quant à la pertinence de l’instruction civique dans le système éducatif dès lors qu’elle ne mettait pas l’accent sur la relation de l’enfant à la Nation et qu’elle ne reposait pas sur une connaissance profonde des réalités sociologiques de l’ensemble des composantes nationales. Cela lui vaudra de ne plus être invitée dans les commissions de l’Education Nationale à partir de 1969.
Le système éducatif, observe-t-elle, était équilibré jusqu’en 1969, en termes de contenu des enseignements, mais souffrait du manque de professeurs. A partir de cette année, notamment avec le renforcement de l’arabe qui a eu pour effets de dédoubler les effectifs et donc les classes, le recrutement hâtif d’enseignants en langue arabe, issus des Mahadras va considérablement déstructurer le système éducatif. Ces enseignants, venus d’un système traditionnel, ne disposaient pas des outils pédagogiques nécessaires pour l’enseignement à l’école publique.
Elle participe à une commission pour l’élaboration du projet de création de l’Université de Nouakchott en 1981, elle donne un avis favorable, compte tenu des filières concernées, Droit et Lettres (Economie et Sciences Humaines n’apparaitront qu’une année plus tard) qui ne justifiaient pas de besoins spécifiques autres que des locaux d’enseignement, et de bibliothèques. Elle y met toutefois un bémol quant à la capacité de l’Université naissante d’accueillir les nouveaux bacheliers de ces filières ; ainsi que la qualification des futurs enseignants. A ce propos d’ailleurs, elle dut se justifier sur le choix qu’elle a fait de proposer la candidature du premier Doyen de la Faculté des Lettres, seul candidat dont elle a pu avoir la thèse de doctorat entre les mains.
Un évènement viendra jeter cette année un froid sur les relations de coopération en matière d’éducation avec un partenaire majeur de l’ENS : la reconnaissance par la Mauritanie de la République Arabe Sahraouie Démocratique. Madame Ba dut user de trésor de diplomatie pour que les relations avec l’Agence Maroco-Mauritanienne de Coopération (AMAMCO) ne pâtissent pas de cette décision politique. En cette période de crispation entre les deux pays, les autorités consulaires mauritaniennes étaient inquiètes de la voir débarquer à Rabat, première étape d’une tournée qui l’a conduisit notamment en France, aux USA. Sereine comme à son habitude, elle rappelle à ses interlocuteurs l’engagement pris par le Roi Hassan II de préserver les relations culturelles quoi qu’il se passe entre les deux pays. Déterminée, elle se rendra à l’Agence de coopération comme prévu et réussit à décrocher la signature de cinq protocoles d’accord, avec une participation financière mauritanienne. De retour à Nouakchott, elle présente les protocoles au Gouverneur de la Banque Centrale, demande et obtient de celui-ci qu’il appose son cachet au document, garantissant ainsi l’acquittement de la contribution financière de la Mauritanie. Elle arrive ainsi à maintenir intacts ces accords au grand étonnement de son Ministre de tutelle.
Madame Ba propose au ministre de l’Education nationale qui l’accepte de créer l’Institut Supérieur Scientifique (ISS). Pour cette création, elle organise deux grands séminaires. Le premier a réuni autour de la directrice et son comité scientifique les hommes d’affaires du pays, notamment ceux impliqués dans l’importation de produits alimentaires afin d’identifier et d’estimer les besoins du pays dans le domaine. Le second portait sur l‘état des lieux de la recherche scientifique en Mauritanie. Tous les instituts de recherche présents dans le pays, ainsi que tous les ministères techniques étaient conviés. L’objectif était de montrer la nécessité de créer un institut de recherches appliquées à même de répondre aux besoins économiques du pays.
L’Institut était parfaitement organisé, les étudiants pouvaient choisir leur filière entre alimentation/nutrition/pêche, géologie, mathématiques et informatiques,…. et pouvaient bénéficier de conditions particulières de stages. Ainsi par exemple, avec la filière alimentation/pêche, l’ISS a envoyé pour la première fois un groupe d’étudiantes sur des bateaux de pêche à Nouadhibou pour l’identification des espèces de poissons. L’expertise de ces jeunes étudiantes mauritaniennes, formées localement, impressionnera favorablement l’équipage coréen, jusque-là seul capable d’identifier les différentes espèces pêchées.
En 1986, la Banque Mondiale accepta le principe de transfert de l’ISS à Rosso. Les enseignants étaient toutefois hostiles à ce projet. Libérée de l’ISS en avril 1990, devenu peu après Faculté des Sciences de Nouakchott, Madame Ba devint conseillère technique du ministre de l’Education nationale. Elle garde d’excellents souvenirs de sa collaboration avec Monsieur Hasni Ould Didi avec lequel elle a travaillé pendant dix ans.
En 1992, en mission en France avec le Secrétaire Général du Ministère de l’Education Nationale, elle apprend qu’elle est affectée à Paris, à Jules Ferry comme professeur de sciences naturelles. Madame Ba reprend alors service comme Professeur de sciences naturelles et y restera en place jusqu’à sa retraite en 1998.
Le moment d’avoir le réflexe et l’élégance de lui organiser des funérailles nationales ou au moins un deuil national est arrivé.
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris, avril 2018