Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 22/02/2015

César: le film franco-mauritanien «Timbuktu» triomphe avec 7 prix

César: le film franco-mauritanien «Timbuktu» triomphe avec 7 prixLe film franco-mauritanien «Timbuktu» d’Abderrahmane Sissako, chronique de la vie quotidienne dans le nord du Mali sous la coupe des jihadistes, a triomphé vendredi à la 40e cérémonie des César, au cours d’une soirée qui a voulu célébrer la liberté d’expression.
«Timbuktu» a reçu sept prix, dont les prestigieux trophées du meilleur film et meilleur réalisateur.

«La France est un pays magnifique, parce qu’elle est capable de se dresser contre l’horreur, contre la violence, l’obscurantisme», a dit Abderrahmane Sissako, en référence aux immenses manifestations dans le pays qui ont suivi les attentats des 7, 8 et 9 janvier à Paris.

«Il n’y a pas de choc des civilisations, ça n’existe pas. Il y a une rencontre des civilisations», a ajouté celui qui est devenu le premier cinéaste d’Afrique noire à recevoir le César du meilleur réalisateur.

Le cinéaste a aussi tenu à remercier la France, «pays extraordinaire, ouvert aux autres» et son pays, la Mauritanie, qui «a accepté de protéger son équipe».

«Il faut croire que l’Humanité est capable d’un sursaut» face à l’horreur, a-t-il encore dit devant la presse. «Le cinéma joue son rôle dans ce sursaut là et c’est merveilleux».

Le Premier ministre français Manuel Valls a salué sur son compte Twitter le «sacre mérité» du film, soulignant qu’il fallait «résister à la barbarie».

«Timbuktu», éclairage sur l’extrémisme qui trouve une résonance particulière dans l’actualité, est également en course pour l’Oscar du meilleur film étranger décerné dimanche.

Célébrant la tolérance face à l’obscurantisme, le film inspiré de faits réels: le nord du Mali est bien tombé en 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, qui en ont été chassés en grande partie par l’opération militaire «Serval», à l’initiative de la France.

Nommé à huit reprises, «Timbuktu» –qui a aussi reçu les César du scénario, du montage, du son, de la photo et de la musique–, était le grand favori de la soirée face à «Saint Laurent» de Bertrand Bonello, sur la vie du couturier français, qui est reparti presque bredouille.

Film le plus souvent cité, avec dix citations, il n’a remporté que le César des meilleurs costumes, éclipsé par le raz-de-marée Sissako.

Dès le début de la cérémonie au théâtre du Châtelet à Paris, son président Dany Boon avait donné le ton, en soulignant que «en ces temps troublés, nous nous devons de montrer l’exemple et de faire preuve d’ouverture d’esprit, de tolérance, de respect, de générosité et d’amour».

«Le monde a bien besoin en ce moment qu’on lui raconte des histoires, de belles histoires pour que le monde continue de croire en son humanité», a-t-il ajouté.

– Adèle Haenel et Pierre Niney –

Face à cette déferlante «Timbuktu», les autres films se sont partagé les prix restants.

«Mommy», cinquième long métrage du prodige québécois Xavier Dolan, 25 ans, a emporté le César du meilleur film étranger. Le film émouvant, drôle et haut en couleur raconte l’histoire de Diane, mère exubérante qui hérite de la garde de son fils, un adolescent bipolaire, impulsif et violent, après son expulsion d’un centre spécialisé.

Ce drame familial avait fait chavirer le dernier festival de Cannes, où il avait obtenu le prix du jury, ex aequo avec «Adieu au langage» de Jean-Luc Godard.

Par ailleurs, Pierre Niney, qui prête sa grâce fragile à Yves Saint Laurent dans le film «Yves Saint Laurent» de Jalil Lespert, autre biopic sur le couturier français, a reçu le César du meilleur acteur, l’emportant sur son concurrent Gaspard Ulliel dans le film de Bertrand Bonello.

Adèle Haenel, 26 ans, a décroché le César de la meilleure actrice pour son rôle de jeune femme rebelle et impulsive se préparant à l’apocalypse dans le film «Les Combattants» de Thomas Cailley.

Ce premier long métrage d’un cinéaste de 34 ans, oeuvre la plus représentée derrière «Saint Laurent» avec neuf nominations, a aussi obtenu le César du meilleur premier film et celui du meilleur espoir masculin pour son interprète Kévin Azaïs.

La comédie «La Famille Bélier» d’Eric Lartigau, très appréciée du public, a quant à elle été récompensée par le César du meilleur espoir féminin pour la comédienne et chanteuse Louane Emera, 18 ans, découverte dans le télé-crochet The Voice.

L’actrice américaine Kristen Stewart, 24 ans, est devenue vendredi la première Américaine à remporter un César, pour son second rôle dans «Sils Maria» d’Olivier Assayas.

L’acteur Reda Kateb a quant à lui reçu le César du meilleur second rôle masculin pour son interprétation d’un médecin dans «Hippocrate» de Thomas Lilti.

AFP      

Malcolm X et Martin Luther King, deux méthodes pour un même combat

Photo : Le 26 mars 1964, Malcolm X et Martin Luther King Jr. se rencontrent en marge des débats au Sénat américain sur la loi pour les droits civiques.
 
Si pour l’establishment blanc des Etats-Unis, Malcolm X et Martin Luther King étaient aussi différents que « l’huile et l’eau », ils furent des dirigeants respectés de la communauté noire. S’ils se sont affrontés politiquement et ont prôné des formes de lutte différentes, leur objectif était le même : la libération de l’homme noir. Selon leurs proches, les deux hommes s’étaient rapprochés dans les dernières années de leurs vies, même s’ils ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois.
 
Les Etats-Unis commémorent ce samedi la cinquantenaire de la disparition de Malcolm X, assassiné le 21 février 1965. Cette mort brutale avait été vécue à l’époque comme un grand choc dans les quartiers noirs des principales villes américaines où des dizaines de milliers de personnes pleurèrent la disparition de leur « prince noir resplendissant » (Our Shining Black Prince). A quelque 40 mois d’intervalle, le 4 avril 1968, disparaissait à Memphis, le révérend baptiste Martin Luther King, abattu par un suprématiste blanc. Le président Lyndon Johnson le qualifia de « martyr de la nation » et des parlementaires assistèrent à ses obsèques.
 
En l’espace de trois ans, les Etats-Unis perdirent deux de leurs plus grandes figures vouées corps et âme à la libération noire au XXe siècle. Pour la petite histoire, l’autopsie du pasteur noir révéla que son cœur, épuisé par treize années de lutte, ressemblait à celui d’un homme de 60 ans. Il en avait 39, tout comme le champion du « pouvoir noir » au moment de son assassinat !
 
Différences
 
Si ces deux dirigeants noirs appartenaient bien à la même génération, ils se sont affrontés politiquement et ont déployé des stratégies très différentes pour atteindre leur objectif d’améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes de leur communauté.
 
S’inspirant des enseignements de Gandhi, Martin Luther King milita pour l’obtention des droits civiques pour les Noirs à travers des actions non violentes et des négociations avec le gouvernement fédéral. Quant à Malcolm X, il était, lui, aux antipodes de la pensée de la non violence et qualifiait ironiquement le mouvement des droits civiques de « la seule révolution qui préconise qu’on doit aimer son ennemi ». Adepte de la confrérie Nation of Islam (NOI) qui se revendiquait de l’islam et prônait le nationalisme noir, celui-ci galvanisait les masses noires des ghettos du Nord en leur parlant de la fierté de leur couleur, de leur culture et de leurs héritages noirs et africains. Il réclamait la séparation des Blancs et des Noirs, allant même jusqu’à forger une alliance avec le Ku Klux Klan pour la mise en place effective de cette séparation. Une idée qu’il regrettera par la suite.
 
Selon Malcolm X, la société blanche étant irrémédiablement raciste, la voie suivie par King ne pouvait être qu’une impasse. Cela ne l’a pas empêché d’ailleurs d’inviter le pasteur noir d’Alabama à ses meetings afin de pouvoir débattre publiquement de leurs différences. Des invitations qui sont restées sans réponse.
 
On a longtemps expliqué le fossé qui séparait les deux hommes par leur histoire personnelle. Fils tous les deux de pasteurs baptistes engagés dans le mouvement noir, ils ont grandi dans des environnements familiaux et sociaux très différents. « Bourgeois d’Atlanta », pour emprunter la formule lapidaire de Pap Ndiaye, spécialiste français du monde noir américain, King était un sudiste, imprégné des valeurs chrétiennes et de celles de la classe moyenne aisée.
 
Docteur en théologie, ordonné lui-même pasteur, il prêchait dans l’église d’Atlanta où son père, et avant lui son grand-père, avaient officié. Influencé par la pensée de Gandhi qu’il avait découvert pendant ses études, il fonda en 1957 la Southern Christian Leadership Conference (SCLC) dont l’objectif était de coordonner les mouvements de protestation dans le Sud en prenant appui sur le tissu associatif des Eglises noires. Ainsi ce sont les chrétiens noirs du Sud qui constituaient le véritable auditoire des prêches et des homélies du révérend King. Les protestations non violentes, les sit-in, les boycotts, la résistance pacifique préconisée par ce dernier étaient adaptés à l’environnement très conservateur des petites villes du Sud rural où la ségrégation avait force de loi.
 
A l’inverse, Malcolm X s’adressait à la population noire des ghettos urbains dont il était le produit. Son père était lynché par le Ku Klux Klan quand celui-ci avait à peine 5 ans. Séparé de sa mère qui a fini sa vie dans un asile psychiatrique, Malcolm connut un cheminement complexe. Son destin l’a conduit de la délinquance au radicalisme politique, en passant par la prison où il apprit en autodidacte, se convertit à l’islam, avant de rejoindre à sa sortie de prison la confrérie de Nation of Islam (NOI). Porte-parole de ce mouvement et brillant tribun, il appelait les Noirs à s’organiser eux-mêmes en recourant le cas échéant à la violence (autodéfense).
 
« La rage pleine d’émotion qu’il exprime, écrit Manning Marable, auteur d’une récente biographie du leader noir intitulé Malcolm X : une vie de réinventions (Ed. Syllepse), est une réaction au racisme dans son contexte urbain : écoles ségréguées, habitat médiocre, mortalité infantile élevée, drogue et crimes. A partir des années 1960, l’immense majorité des Afro-Américains vit dans de grandes métropoles, et leurs conditions de vie sont plus proches de ce dont Malcolm parle que de ce que King représente. De ce fait, Malcolm réussit à trouver une large audience parmi les Noirs urbains, arrivés à la conclusion que la résistance passive s’avère insuffisante pour démanteler le racisme institutionnel. »
 
Rapprochement
 
Pour Pap Ndiaye, la radicalité de ce prédicateur des ghettos noirs résidait aussi dans la tentative de ce dernier d’inscrire le mouvement de libération du Noir américain dans une perspective plus internationaliste. « Il parlait du monde africain, de la Caraïbe, de l’Asie. Contrairement à Martin Luther King dont l’ambition finale était d’arracher à Washington, des lois favorables aux Africains-Américains, la réflexion de Malcolm X se situait, explique l’historien français, à l’échelle de la planète. Il plaidait pour une négociation transcontinentale susceptible de déboucher sur la transformation de la condition de tous les opprimés. »
 
Cette inflexion cosmopolite de la pensée de Malcolm X était le résultat des voyages que celui-ci effectua au cours des derniers mois de sa vie (1964-65), au Proche-Orient, en Afrique et en Europe. Ses rencontres avec des leaders et des intellectuels du monde arabe et africain l’ont conduit à prendre ses distances par rapport au sectarisme de la NOI et de créer ses propres organisations, notamment l’Organization of Afro-American Unity (OAAU) conçue comme la branche américaine du mouvement panafricaniste.
 
Parallèlement, Malcolm X a tendu la main aux leaders du mouvement pour les droits civiques, dont atteste sa visite au quartier général du mouvement à Alabama, quelque trois semaines avant son assassinat. Comme King se trouvait alors en prison suite aux protestations de Selma (1964-65), il s’est adressé à son épouse Coretta Scott King pour lui dire qu’il ne cherchait pas à « miner l’œuvre » de son mari. « Mon objectif est, a-t-il affirmé, d’être à la gauche du Dr. King, de défier le racisme institutionnel afin que ceux qui sont au pouvoir soient obligés de négocier avec lui. C’est mon rôle. » Selon les historiens, King avait à son tour « gauchi » son discours dans les dernières années de sa vie, se rapprochant ainsi un peu du radicalisme malcolmien.
 
Rien ne témoigne mieux de ce rapprochement que les photos de leur seule et unique rencontre, en marge des débats au Sénat américain sur la loi de 1964 pour les droits civiques. Ces photos rappellent, comme l’a déclaré à CNN James Cone, auteur de Martin & Malcolm & America (1992), « les deux hommes représentent le yin et le yang de l’Amérique noire ». Evoquant la complexité des relations que ces deux adversaires entretenaient, Cone s’est souvenu d’un bon mot du pasteur King : « Quand j’écoute Malcolm parler, moi aussi, je suis en colère ! »
 
rfi

50 ans après – Malcolm X: au-delà des masques et des légendes

«L’avenir appartient à ceux qui le préparent dès aujourd’hui». Cinquante ans après sa mort, les paroles de Malcolm X résonnent encore dans l’imaginaire des Africains-Américians.
 
Assassiné le 21 février 1965, Malcolm X a connu plusieurs vies. Cinquante ans après sa mort, ce révolutionnaire africain-américain continue de vivre à travers les clips, les films et les livres. Une récente biographie apporte des éclairages nouveaux sur le parcours du leader charismatique du nationalisme noir.
 
Dimanche, 21 février 1965. Il y a cinquante ans tombait sous les balles de ses adversaires Malcolm X, l’une des principales icônes de la lutte africaine-américaine pour la dignité et contre la suprématie blanche. Orateur charismatique, l’homme venait de prendre la parole dans une salle de spectacle de Harlem, à New York (Etats-Unis), quand, à la faveur d’un brouhaha provoqué pour faire diversion, trois hommes ouvrent le feu sur lui. Malcolm s’effondre, mortellement touché. Les trois tueurs, dont deux réussirent à échapper avant d’être finalement appréhendés par la police, étaient tous membres de la secte Nation of Islam (NOI).
 
Malcolm X savait que sa vie était en danger depuis que les tensions avaient éclaté entre lui et la NOI dont il avait fait longtemps partie : rivalités personnelles, divergences religieuses et idéologiques avec les dirigeants, notoriété de plus en plus grande pour Malcolm X… Avant de commencer son discours, ce dernier avait pourtant persuadé son service de sécurité de ne pas faire preuve de zèle car il craignait qu’un dispositif de contrôle trop contraignant ne chasse son auditoire. Il avait même renvoyé de la tribune les orateurs vedettes qui l’avaient précédé, comme s’il voulait aller seul vers son destin. Selon ses biographes, Malcolm X avait déclaré à ses proches, seulement quelques jours avant sa mort, que « dans sa famille, les hommes ne mouraient pas de mort naturelle ». Et ce qui devait arriver arriva.
 
Accoutumance à la violence
 
Est-ce parce qu’il avait été trop accoutumé à la violence que Malcolm X n’avait pas pris au sérieux les menaces de mort qui planaient sur lui ? Né en 1925 à Omaha (Nebraska) dans une famille très engagée dans le mouvement de libération des Noirs, Malcolm avait vu pendant son enfance sa maison brûler suite à une attaque punitive des hommes du Ku Klux Klan. En 1931, son père Earl Little, pasteur baptiste et disciple de Marcus Garvey qui militait pour le retour des Noirs d’Amérique en Afrique, était assassiné par des proches de l’organisation suprémaciste blanche. Le père Little mourut dans des conditions épouvantables (il fut poussé sous un tramway et son corps fut coupé en deux).
 
A la violence physique suivit la violence psychique. Le jeune Malcolm fut traumatisé de voir sa mère perdre son équilibre mental, après la disparition brutale du père. Louise Norton, nerveuse et bouleversée, dut être placée dans une asile psychiatrique, alors que ses enfants furent dispersés au hasard des placements sociaux. Recueillis par une famille de Blancs du Michigan, Malcolm, lui, put s’inscrire à l’école. Il se révéla brillant élève, mais perdit rapidement l’intérêt pour les études lorsqu’il se rendit compte qu’en tant que jeune Noir désargenté, il n’avait aucune perspective de mobilité sociale.
 
Obligé de subvenir à ses besoins, l’adolescent partit alors rejoindre l’une de ses sœurs à Boston, avant de débarquer à New York. Il vécut d’expédients : vols, trafics en tous genres, proxénétisme… En 1946, il fut arrêté pour vol et condamné à dix ans de prison. Or, paradoxalement, c’est derrière les barreaux que le jeune homme acquit sa solide culture.
 
La plongée dans les livres de la bibliothèque de la prison, qui portaient autant sur l’histoire africaine-américaine que sur l’antiquité occidentale, la philosophie et la rhétorique, éveilla chez Malcolm « le désir profond, latent, de vivre intellectuellement ». C’est aussi en prison qu’il entendit pour la première fois le nom d’Elijah Muhammad, le « Guide » de la NOI, et découvrit ses idées sur la séparation des races et l’affirmation du « pouvoir noir ».
 
Dès sa libération sur parole en 1952, Malcolm rejoignit la NOI. Il changea de nom, remplaçant le patronyme « Little » hérité de l’époque de l’esclavage par la lettre X, symbole de l’inconnu en mathématiques. Au service de la NOI, il propageait le message de la confrérie appelant au séparatisme noir. Son charisme, sa dialectique caustique et son sens de la provocation et de la rhétorique contribuèrent au succès grandissant du mouvement dont le nombre d’adhérents sextupla en l’espace de dix ans. Mais la popularité grandissante de Malcolm fit de l’ombre au chef suprême de la NOI qui décida de l’écarter.
 
La rupture entre Elijah Muhammed et Malcolm fut consommée en 1964 quand ce dernier quitta la NOI pour fonder la Muslim Mosque Incorporated (MMI) et, surtout, l’Organization of Afro-American Unity (OAAU), une branche américaine du mouvement panafricaniste. Cette organisation fut le point culminant du développement internationaliste de la pensée de Malcolm X, qui effectua dans les années 1960 de nombreux voyages au Proche-Orient et en Afrique où il rencontra des penseurs et hommes politiques, dont le Ghanéen Nkrumah, père du panafricanisme.
 
Cette métamorphose coïncida avec la montée des menaces autour du militant noir. Depuis sa rupture avec la confrérie d’Elijah Muhammad où il ne comptait pas que des amis, Malcolm avait fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat. Une semaine avant l’attentat qui lui coûta la vie, sa femme et ses filles avaient failli mourir dans un incendie criminel qui avait ravagé sa maison. On connaît la suite.
 
Réinventions
 
Paradoxalement, la disparition de Malcolm X ne marque pas la fin de l’intérêt qu’il avait su susciter de son vivant. La vie turbulente et transgressive de cette figure incontournable du mouvement noir outre-Atlantique et sa disparition dans des conditions non moins turbulentes à l’âge de 39 ans ont d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre et ont contribué à l’icônisation du personnage dont le prestige n’a cessé de croître depuis sa mort il y a cinquante ans.
 
 
« La date du 21 février 1965 reste profondément gravée dans la mémoire de nombre d’Afro-Américains comme le sont, pour d’autres, les assassinats de John F. Kennedy ou de Martin Luther King Jr. », écrit Manning Marable dans une énième biographie de Malcolm X, sous-titrée Une vie de réinventions. Couronné par le prestigieux prix Pulitzer (2012), cet opus biographique ne s’inscrit pas tout à fait dans le torrent de publications admiratives ou critiques que le personnage de Malcolm X a inspiré. Paru au printemps 2011, l’opus de plus de 750 pages en traduction française (quelque 600 pages en version originale) a pour ambition de déconstruire la légende pour révéler l’homme Malcolm X, avec toutes ses contradictions et ses faiblesses. « Mon objectif premier dans ce livre était, proclame son auteur, de m’élever au-dessus de la légende pour mieux raconter les événements tels qu’ils se sont déroulés dans la vie de Malcolm. »
 
Décédé trois jours avant la sortie de son livre aux Etats-Unis, Manning Marable était un universitaire réputé, spécialiste de l’histoire des Noirs américains. Il avait fondé le département des études africaines-américaines à l’université de Columbia qu’il a dirigé jusqu’à sa mort. Son récit de la vie et la mort de Malcolm X est le résultat de 20 années de recherches au cours desquelles il a consulté une foultitude de documents (des journaux intimes, des correspondances et 6 000 pages des dossiers secrets du FBI) et a interrogé les proches de son sujet.
 
Dans la postface de son livre, Marable rapporte que le point de départ de ce travail de longue haleine a été sa découverte à la fin des années 1960 de la célèbre  Autobiographie de Malcolm X (Grasset), considérée par le magazine Times comme étant l’un des cent livres de non-fiction les plus influents du XXe siècle. Son contenu avait été raconté oralement par Malcolm X à Alex Haley (l’auteur de Racines) qui l’a publié dans la foulée de l’assassinat du leader noir en 1965. Cette publication posthume faisait dire à Marable que le volume autobiographique était davantage l’œuvre de Haley que celle de Malcolm. Il soupçonnait le co-auteur, connu pour être proche des républicains, d’avoir gommé le radicalisme des propos de Malcolm. Marable a souligné aussi les incohérences dans le récit dicté par ce dernier, les exagérations et les oublis volontaires ou inconscients.
 
Ceux-ci concernent notamment les activités de délinquance dans lesquelles Malcolm se dit d’avoir plongé dans sa prime jeunesse. Cet aspect aurait été exagéré pour donner, pensait Marable, une ampleur mystique au repêchage de l’enfant prodige par la secte Nation of Islam. Dans son livre, Marable revient aussi sur la bisexualité de Malcolm X que ses admirateurs passent sous silence, préférant voir en lui le symbole d’une négritude virile, agressive, voire misogyne. Selon les témoignages recueillis par le biographe, le héros de la Black Power aurait dans sa jeunesse servi « d’escort gay » à de riches hommes d’affaires blancs et aurait même entretenu au moins une relation homosexuelle suivie et non tarifée.
 
Enfin, les révélations de Manning Marable portent aussi sur les vraies raisons de la rupture de Malcolm avec Elijah Muhammad, le dirigeant de la NOI. Elles auraient été provoquées par la jalousie sexuelle et pas seulement par leurs divergences d’ordre politique. Mais contrairement à la justice de l’époque, qui a tenu la NOI comme la seule responsable du meurtre de leur « brebis égarée », Marable n’hésite pas à pointer du doigt le FBI et la police new-yorkaise qu’il accuse d’avoir fermé les yeux aux menaces qui pesaient sur la vie de Malcolm X et d’avoir participé au moins passivement à son exécution.
 
La grande originalité du professeur Marable est peut-être d’avoir su révéler un Malcolm X assailli de doutes sur sa théologie, sa politique, sa vie intime, ce qui va à l’encontre de l’image d’un homme droit dans ses bottes, radical et enfermé dans ses certitudes, que la postérité garde de lui. Ce fut surtout une personnalité multiple qui, à travers la série de noms qu’il s’est attribués tout au long de sa courte existence (Malcolm X, Malcolm Little, Homeboy, Jack Carlton, Detroit Red, Big Red, Satan, Malachi Shabbaz, Malik Shabbaz, Elt-Hajj Malik El-Shabazz), semble vouloir attirer l’attention sur la difficulté pour un Américain noir d’être libre encore aujourd’hui, 150 ans après la fin de l’esclavage !
 
rfi