Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 07/12/2017

FLAMNET-RETRO : Mauritanie-Perspective : Problématique de L’unité nationale | Contribution de Samba THIAM- Inspecteur de l´Enseignement et Président des Forces Progressistes du Changement(FPC)

altEn raison du contexte national actuel, flamnet se propose de rediffuser sur sa rubrique ‘’RETROSPECTIVE’’, la contribution à l’unité nationale du président Samba Thiam. C’était dans le cadre d’une invitation à un diner débat organisé par Mauritanie- perspectives  autour du thème « Unité nationale »  Mr  Samba Thiam, Inspecteur d’Enseignement et Président des Forces Progressistes du Changement (FPC),  avait produit cette contribution.

Bonne lecture !

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Je voudrais, avant d’entrer dans le vif du sujet, saluer l’initiative, en même temps, rendre hommage aux initiateurs du projet, de par leur posture d’intellectuel, dont le rôle « n´est pas de plaire ou de séduire mais de porter la plume sur la plaie, de dire  ce qui est ». Un rôle, par-dessus tout, « de vigile, d’alerte au danger, à la manière des Oies du Capitol ». 

Au regard des menaces de péril en la demeure l’initiative est bien venue, opportune plus que jamais, et reflète, par ailleurs, la  sagesse et un patriotisme certain. Je ne puis également ne pas souligner son caractère mémorable et historique. En effet, pour la première fois, dans l’histoire de notre pays,  on choisit  de parler du problème de « l’unité nationale », rien que de l’unité nationale. Directement, frontalement, posée comme  thème  central, sans amalgame…  

La seule petite réserve que je me permets d’émettre ici est relative à la démarche choisie, qui consiste à agencer des thèmes, cloisonnés, que l’on  nous propose de traiter. Or, à mon humble avis, aborder ainsi ces thèmes, de manière isolée, sans qu’ils ne découlent de l’analyse préalable de la problématique générale (l’unité nationale), risquerait de nous mener vers de  fausses pistes, car on les  traiterait à vide, en leur apportant des réponses essentiellement techniques, sans lien  apparent avec la problématique centrale qui, elle, est éminemment politique. Pour me résumer, j’aurais  plutôt suggéré  de définir et cerner  d’abord « la problématique de l’unité nationale », de laquelle découlera  le traitement des thèmes choisis, parce que  les problèmes et disfonctionnements existant, ici et là, dans tel ou tel secteur particulier, résultent, en fait, de cette problématique –cause première –  d’essence politique. Si l’Enseignement est actuellement en dérive et que la justice ne fonctionne pas, ou que la discipline et l’équité  se soient envolées dans l’Armée,  c’est bien à cause des idéologies … 

A  la  réserve plus haut, j’ajouterai une recommandation, nécessaire me semble-t-il, à savoir les dispositions psychologiques à attendre de  chacun des intervenants pour réussir ce débat : esprit d’ouverture et d’écoute, franchise et réelle volonté de chercher et trouver des solutions… 

 Entrons maintenant dans le vif du sujet. 

 Les questions qui surgissent sont du type  quelle  problématique ? Comment se caractérise-t-elle ? Quelles en sont les causes ? Quelle(s) solution(s) s’il en existe ?  

Il  y a un réel «  problème d’unité nationale » ou de cohabitation, incontestablement; L’unité actuelle (bancale, osons le dire) semble menacée de voler en éclats. Pourquoi ? 

L’unité est en danger, en raison principalement, me semble-t-il,  de la rupture du fragile équilibre entre les composantes nationales, au sortir de la colonisation;  Hier nos communautés nationales se partageaient les charges, aujourd’hui une seule composante nationale, un groupe ethnique s’arroge tous les droits, contrôle, voire monopolise, pour l’essentiel, tous les rouages de l’Etat, tous les secteurs de la vie publique, à cause ou  par la complicité de l’Etat. La réalité des pouvoirs  politique, économique, diplomatique, militaire, culturel, social, médiatique, reste aux mains d’une seule composante nationale, excluant quasiment Négro-africains et Haratines ; Cette discrimination -ou racisme d’Etat- ouvertement menée,  suscite, en réaction,  un fort sentiment d’injustice, des frustrations, de l’exaspération , et  par-dessus tout  un sentiment d’inutilité chez les victimes, à leur pays ; or ,  « personne, pas même un saint, ne peut vivre sans le  sentiment de sa valeur individuelle » nous dit  J.H. Griffin . La grande Justice, d’essence politique, que l’Etat est censé garantir et distribuer à tous, a fait place, aux inégalités nombreuses, aux injustices  flagrantes, érigées en Système de gouvernement. 

 Pour illustrer mon propos  Je  citerai  quelques exemples marquants, caractéristiques  de  cette discrimination : 

 Dans  les forces armées et de sécurité le corps de commandement est composé essentiellement d’Arabo-berbères, Négro-africains et Haratines, constituant le gros de la troupe, se retrouvent au bas de la pyramide;  Comme par provocation, la langue arabe vient d’être instituée dernièrement comme langue de cette institution, excluant, de facto, les Négro-africains déjà épurés de la grande muette depuis les évènements de 1986-1990. 

         _ Si nous  considérons le gratin  scolaire, c’est-à-dire nos « grandes Ecoles », comme  l’école des mines, l’école de médecine, l’école polytechnique, l’école de la magistrature et de la haute administration, le Prytanée militaire, l’école des officiers, nous constatons que toutes ces écoles  recrutent à  99 %  dans la composante arabo-berbère. Il faut souligner que la base même de l’exclusion raciale ou du groupe Négro-africain ce sont  les réformes scolaires engagées en séries, qui visent à  imposer et à instrumentaliser la langue arabe, à des fins de discrimination, d’assimilation et de domination. A côté  du  français, langue étrangère face à laquelle  tous les enfants ont des chances égales, on a imposé non seulement la langue arabe, mais on l’a imposé en la fragmentant, en matières éclatées – cinq (5) – affectées  du coefficient deux ou trois (2 ou 3),  pénalisant ainsi exclusivement les élèves négro africains. L’échec massif des élèves et étudiants négro-africains aux examens et concours est imputable, en grande partie,  à  cet état de fait.
 Il est bon de comprendre, comme le rappelait quelqu’un, que l’unité nationale ne se fait pas, forcément autour d’une langue; l’unité se fait lorsqu’on parle le même langage, plutôt que la même langue…
 

                _  Au niveau des médias  il n’y a pas mieux;  pas un seul n’a été cédé à un négro-africain; pis, après  21h-22h  toutes les chaines privées et publiques émettent en langue arabe ou hassanya jusqu’au matin;  une portion congrue est accordée aux langues nationales africaines, et encore  dans des périodes de plus mauvaise écoute ! 

 Pour clore ces illustrations, examinons  la représentativité des communautés nationales au parlement :  

                 _Le parlement mauritanien compte 203 parlementaires (sénateurs et députés confondus); parmi les 203 parlementaires il y’a 150 Arabo-berbères soit  (73 %), contre 20 Haratines et 33 Négro-africains, alors que les deux dernières composantes constituent près de  80 % de la population totale ! Second cas, non moins flagrant de discrimination, entre autres : le Guidimakha – région Sud-compte 20.7000 âmes et la région de l’Adrar  62.000 âmes ; cette dernière est représentée au parlement  par 5  députes et 4 sénateurs alors que le Guidimakha, 3 fois plus peuplé, ne compte que 6 députés et 2 sénateurs.  Où est donc l’équité ?
Je vous fais l’économie des secteurs de la justice, de l’Economie, (banques et entreprises privées et publiques) où certaines composantes sont quasiment absentes; un  enrôlement au dessein obscur, exécuté par des commissions mono-ethniques censées recenser une population pluriethnique; enrôlement qui divise le couple, la mère et l’enfant, octroyant  à l’un le statut de mauritanien, à  l’autre celui d’apatride !
 

Le journaliste Dahane ould Taleb Ethmane, dans une recherche  intitulée « partage régional des hautes fonctions de l’Etat », menée en 1990 (Mauritanie-Nouvelles), affirmait que « l’Etat mauritanien apparait comme un compromis entre les grandes tribus ».  Le chercheur Olivier Leservoisier, dans  « Question foncière en Mauritanie » ressortit des  travaux de Dahane  la part de « pouvoir » attribuée aux Négro-africains dans l’Etat : « pouvoir politique 12%, pouvoir économique 6%, pouvoir administratif 21%, pouvoir diplomatique 12%, pouvoir militaire 15% ». 

Que reste-t-il de ces chiffres  au regard de la réalité  de 2014 ? Rien … 

Au vu de ces  illustrations de discriminations et d’inégalités criantes, nous pouvons affirmer que nos difficultés actuelles de coexistence pacifique  résultent essentiellement de l’absence de justice;  non pas  la justice au sens restreint du terme, mais  la grande justice, d’essence politique comme le dirait Yehdih Bredeleil; celle assurée par l’Etat dans tous ses démembrements. Cette Justice symbolisée par  l’équité, l’égalité des chances, l’égalité des droits effectifs, l’égalité devant la loi  garantie par l’Etat, impartial, sur lequel le faible et la victime peuvent s’appuyer;  l’Etat  – le nôtre – est malheureusement devenu, hélas, l’instrument au service d’un seul groupe ethnique, au service  des  membres puissants de ce groupe ethnique. Le vivre- ensemble doit avoir pour socle et condition le respect de la diversité (culturelle, ethnique, religieuse etc), sinon il ne se justifie pas.  

Souvent, on nous oppose l’argument du nombre (majorité) pour justifier l’ordre inique actuel, comme si la « minorité », pour avoir se droits, devait dépendre de la générosité de la majorité !  

L’une des  sources principales des problèmes d’unité que nous rencontrons  est à chercher dans le  soubassement idéologique de nos dirigeants qui ont  manqué de vision, s’obstinant à  vouloir faire de ce pays un pays arabe, exclusivement, « au mépris de la réalité  factuelle de sa diversité »; s’y ajoute le flou ayant entouré l’usage, sans clairvoyance, des  concepts  d’unité, de nation, d’Etat-nation, à revisiter  … Que voulaient nos pères fondateurs ? Que voulons-nous ? 

Voulons –nous  Unir ou  unifier  nos nations ? Cherchons-nous à construire l’unité ou à faire de l’unitarisme ? 

 En optant pour l’unitarisme  à la place de  l’Unité, l’on  gommait, de facto, toute identité qui n’était pas arabe, afin d’accoucher, au forceps, une « nation » arabe, au mépris de toute identité non arabe. Nos pères fondateurs et leurs successeurs se sont fourvoyés dans l’option du  concept  d’Etat-nation – qui n’existe  toujours pas  – à la place de l’Etat multi-nations, plus adapté à la réalité africaine, fédérateur de la pluralité des  nations, des langues et cultures. Le concept d’Etat-nation est inadapté à la réalité africaine plurinationale, à logique différentielle et segmentaire, selon M  Tshiyembe, l’Etat-nation, rappelle par ailleurs Cheikh  Anta Diop dans « Civilisations ou barbarie »,  suppose au préalable des nations  rendues homogènes par la violence … Ce qui  n’est pas notre cas ! 

En vérité, si notre unité est actuellement mise à mal, c’est parce qu´en réalité, elle a toujours été une unité  de façade, bancale, et qu’elle ressemblait davantage à « l‘unité du cavalier et de sa monture » !  L’explication de notre crise actuelle d’unité  pourrait se résumer  simplement par cette formule triviale : hier  la monture acceptait de subir ce qu’elle refusait, aujourd’hui elle se cabrait  et refusait de se faire monter. C’est aussi simple que ça ! 

 Quelles solutions ? 

 Avant d’exposer mes  propres vues sur les solutions possibles, je voudrais revenir sur  celles évoquées,  ici et là, vis-à-vis desquelles je nourris  des réserves, de fortes réserves… 

 D’abord  « la solution par l’Islam »… 

 Si  l’Islam, comme le prétendent certains, était  un facteur à 100%  unificateur, on n’aurait pas assisté à la naissance de  tous ces schismes  dès sa prime enfance, tout de suite après la disparition du Prophète Mohamed (paix sur lui). 

  J’observe, par ailleurs, que « l’Islam  mauritanien », au regard de ses expressions et  prises de position, de ses silences… est un Islam particulier, à deux vitesses, voire hypocrite … Enfin, à supposer que l’Islam soit  la bonne solution à nos problèmes, où sont les musulmans  pour l’appliquer ? 

Enfin, je récuse cette solution au regard des expériences historiques de l’Inde, du Pakistant, du Bengladesh, de l’Irak et du Soudan qui ont prouvé que le facteur déterminant de la bonne coexistence était, non pas le facteur réligieux, mais le facteur ethnique. 

 Examinons maintenant « la solution par la Démocratie » que soutiennent d’autres courants   

 J’affirme, d’emblée, qu’elle n’emporte pas non plus mon adhésion … 

 En effet, il nous souvient que  la Démocratie de  l’Apartheid n’avait pas éliminé la discrimination raciale et  les bantoustans en Afrique du Sud ;  tout comme la Démocratie made United States –première démocratie du monde – s’était accommodé  de la ségrégation raciale, et  demeure  encore familière du racisme  au quotidien !  Que dire enfin  de notre « démocratie  mauritanienne » qui s’est toujours fort bien accommodé de l’esclavage et du racisme, du déni d’humanité et de citoyenneté ? On voit bien que sous une égalité de principe peuvent se camoufler discrimination ethnique et esclavage ! 

 Ajoutons que la  citoyenneté – socle de la démocratie – contrairement à la vision libérale, ne peut être disjointe de l’ethnicité nous rappelle M Tshiyembe ;  «  La vison  communautariste insiste sur l’impossibilité d’une telle  séparation ». Bref une  citoyenneté, ethno-culturellement neutre, qui impulse et guide, seule, l’individu quand il interagit sur l’espace public, est une citoyenneté   abstraite, une fiction, une utopie  …encore plus  dans le contexte africain. «  La mobilisation citoyenne est bien souvent imparablement culturelle et ethnique »  soutient Souleymane Bechir Diagne. Peut-être, se demandait-il, faut –il penser l’ethnicité comme forme de citoyenneté … 

 Non, la solution par la démocratie ou par l’Islam n’était pas la mienne ; Elle me semblait trompeuse, fallacieuse …Mais si elle devrait malgré tout s’appliquer à défaut de mieux , il faudrait alors qu’elle aie pour  socle des règles pré-établies fondant les modalités de l’unité,  à la manière de la Suisse, de la Belgique, de la Bosnie, du Liban, ou de la Birmanie . 

 Ces réserves étant faites, quelles solutions ?  

* La Solution par les lignes principielles, base essentielle de toute solution juste, viable et durable …  

Si nous devions rebâtir notre unité, construire la bonne unité – la vraie –  celle-ci devra  reposer sur des bases justes, sur les lignes principielles que voici : Egalité, égale dignité, respect mutuel, respect des différences,  partage  équilibré du pouvoir,  justice sociale.  

 Peu importe les solutions spécifiques des uns et des autres, pourvu que ces lignes en constituent le socle.  

 De ces lignes principielles découlera, par voie de conséquence,  une  modification radicale de notre vision de l’unité en cours, une nouvelle redéfinition de l’identité du pays, une  rupture totale d’avec  nos  pratiques actuelles…  

 Voilà pourquoi, pour être en phase avec cette démarche de rupture, nous proposons l’autonomie.  

 Une fois la problématique de l’unité  passée au crible, on s’acheminera  alors vers la  réconciliation nationale  dont le processus se déclinera en trois étapes : 

                                                 – Apaisement du climat social  (par un train de mesures positives d’apaisement, allant dans le sens du règlement global du passif humanitaire et des  effets collatéraux de l’enrôlement, doublé d’un appel fort en direction des organisations anti-esclavagistes à rassurer)  

                                                 – Débat national devant déboucher sur des solutions consensuelles portant sur les grands axes de  réformes  constitutionnelle ( charte de la cohabitation, séparation des pouvoirs,  partage équilibré du pouvoir, droits et devoirs de l’opposition, gouvernement consensuel ou, au contraire , contrôle des actions du gouvernement de la majorité par l’opposition, etc), institutionnelle  (direction collégiale à présidence rotative , observatoire national des libertés et de la cohabitation , etc ) suivront alors, et alors seulement     

         – Les Etats généraux  … (de l’Armée, de l’Education, de la Justice, de l’Administration) 

 Les problèmes sont inhérents aux sociétés et aux  groupes humains. Nous avons les nôtres …  

Nous devons donc replacer notre problématique de coexistence, en dépit de son intensité et de son acuité , dans le cadre de la lutte naturelle entre groupes humains, inscrite  dans l’ordre naturel  et normal des choses, régie par des lois naturelles ( lois de sociologie)… 

 Bien que nos gouvernants aient, par leurs politiques nocives, une large part de responsabilité dans ce qui nous arrive, il n’empêche que des lois  naturelles nous gouvernent, à l’emprise desquelles on n’échappe pas … ; il en est ainsi, selon Ceikh Anta Diop, de la loi–disons  de proximité – qui pose que « lorsque des groupes ethniques partagent le même espace, ils ont tendance, chacun, non pas à assujettir mais à assimiler l’autre » ; une autre  loi stipule que « Lorsque le pourcentage de la minorité augmente la lutte des classes a tendance à se transformer en lutte des races » . Comprendre ces phénomènes  aide à replacer notre problématique dans la  juste mesure des choses. Il existe d’autres lois, telle la loi  de la distance, la loi du phénotype etc,  qui expliquent, à leur tour, la nature des rapports entre groupes humains … 

 Mais il y’a les lois de la nature, et il  y’a la volonté des hommes …  

 Avec une volonté forte, clairement affirmée,  de la  vision, l’on vient à bout de l’emprise des lois, l’on réussit à déplacer des montagnes, à résoudre, en un mot, toute problématique, fut-elle complexe et délicate. Il suffit de  vouloir, car nous dit l’adage, rien, absolument rien ne peut arrêter une volonté sans réserve.  

 Le bon sens nous souffle à l’oreille que l’exclusion est socialement explosive, politiquement corrosive, économiquement mauvaise, alors ressaisissons-nous; faisons comme les Birmans, en nous demandant comment, chacun pour sa part, pourrait contribuer à la grandeur de la Mauritanie.  

 Il nous faut nous ressaisir  …   

La lutte continue !  

 Samba Thiam  

 Inspecteur de l’Enseignement Fondamental   

 Président des Forces Progressistes du Changement (FPC)   

Décembre 2014.

 

 

 

Madame Houlèye Sall, présidente du collectif des veuves des militaires négro-mauritaniens exécutés dans les années 89 – 90 : ‘’Comment peut-on imaginer, un seul instant, que je puisse signer un accord qui …

alt… garantit l’immunité et l’impunité des criminels qui ont assassiné mon fils ?’’

Au  lendemain de la libération des veuves  et orphelins, arrêtés, à Kaédi, pour avoir tenté de manifester,  à  l’occasion  du 57èmeanniversaire de l’Indépendance, Le  Calame  a rendu visite à  la  présidente  du collectif des  veuves, madame Houlèye Sall, à son domicile du 5ème arrondissement (Sebkha), près de Robinet Sarakhollé.  Une  vieille dame  très remontée et amère. Elle prenait son petit déjeuner, sous l’œil attentif de son petit-fils. Houlèye Sall est la maman du lieutenant Sall Abdoulaye, mort  à Inal, en 1990 et dont le képi continue à trôner au dessus du lit de sa mère.

Dans une discussion à bâtons rompus, « Mère Houlèye », pour les intimes,  livre son sentiment sur la libération des veuves et orphelins arrêtés, le 28 Novembre à Kaédi, réaffirme la détermination des unes et des autres à se battre, pour que lumière soit faite, sur les  tueries  de leurs enfants, de leurs maris ou de leurs pères, par des « criminels » dont certains continuent à se pavaner dans de luxueuses voitures, occupant des postes de choix. Mère Houlèye revient sur la signature d’un accord, à la Présidence en 2009, et sur les pécules distribués aux veuves et ayants droit des victimes, accuse le président de COVIRE, Sy Abou et son groupe, de l’avoir « roulée dans la farine, pour assouvir leur objectif.  Tant que la justice n’est pas rendue, il n’y aura pas de pardon, et, sans ce pardon, il n’y aura pas de paix, les enfants qui ont grandi aujourd’hui  se battront  pour venger  leur papa », martèle cette dame de plus de 60 ans révolus.

Houlèye Sall ne pardonne pas à ceux qui l’ont conduite  au palais présidentiel,  la veille de la prière de Kaédi, pour lui faire  signer,  vers 4 heures du matin, un soit disant accord, pardonnant ceux qui ont  tué son  fils. Pour Houlèye, le président de COVIRE, son groupe et le général Dia portent une lourde responsabilité dans cette affaire et ils en répondront « devant Dieu  et les hommes.  Comment peut-on imaginer, un seul instant, que j’ai  paraphé cet accord, pour absoudre ceux qui ont commis des crimes de sang contre  nos êtres les plus chers ? », s’est-elle insurgée.

Le Calame : Quel est votre sentiment, après avoir appris la libération des veuves  et orphelins arrêtés le 28 Novembre dernier à Kaédi ?

Houlèye Sall : Un sentiment de soulagement, pour ces personnes qui vont retrouver leur famille respective ; mais, aussi, un sentiment de révolte, face à  cette énième  injustice à notre égard. Ces femmes et enfants n’ont fait que manifester pacifiquement, pour  que lumière soit faite sur la mort de leurs pères  et maris qui accomplissaient, avec honneur et fierté, leur mission de défense de la Patrie, des hommes assassinés, à la fleur de l’âge, abandonnant femmes et enfants. Il n’y a rien d’illégal dans la manifestation de ces veuves et orphelins. Pour réclamer justice  et punition, contre les auteurs des crimes de sang que rien ne saurait justifier, sauf la haine et le racisme, ils ont été arrêtés, violentés et jetés en prison. C’est révoltant, non ? Ces femmes et leurs enfants  se battent, depuis  près de trente ans déjà,  pour crier leur colère, réclamer justice, pouvoir faire le deuil de maris et pères. Au lieu de leur prêter attention, on les charge, lors de leurs manifestations pacifiques. On nous a battus, on nous a arrosés de gaz lacrymogènes mais cela n’entame, en rien, notre détermination à  obtenir justice. Ce ne sont pas les petits pécules distribués, à la sauvette, par des  gens malhonnêtes du COVIRE et leur acolyte, le général Dia, qui cloront ce dossier, c’est nous faire injure que nous demander de renoncer à un droit.

Je signale que nous venions d’organiser un sit-in, suite à l’arrestation  de nos collègues, devant le ministère de la Justice au cours duquel nos enfants et leurs mamans se sont battus, contre les forces de l’ordre. D’ailleurs, une des veuves, épouse de N’Dongo Saidou, a été sauvagement molestée et blessée, elle a été conduite, la nuit, à l’hôpital, pour des soins. Voilà ce que le gouvernement nous oppose depuis des années.

Je tiens, ici, à rappeler que nous ne baisserons jamais les bras. Tant que justice ne sera pas rendue, il n’y aura pas de pardon et, sans le pardon, il n’y aura pas de paix ; nos enfants ont grandi, ils vengeront cette injustice.

Le gouvernement a décidé de clore le dossier dit « passif humanitaire » mais vous continuez à réclamer justice.  N’aviez-vous pas signé un accord, la veille de la prière de Kaédi, le 25 Mars 2009, avec le président Aziz, pour  apurer cette affaire ?

-Je ne peux pas pardonner à ces gens qui m’ont induit en erreur, pour se faire bonne conscience, auprès du président Aziz, en trompant  les veuves, orphelins et rescapés. Ces gens ont sali ma personne et celle de mon fils, le lieutenant Sall Abdoulaye, paix à son âme ! Comment peut-on imaginer, un seul instant que je puisse signer un accord qui  garantit l’immunité  et l’impunité  des criminels qui ont assassiné mon fils ? Je ne le ferai jamais.

Voilà ce qui s’est passé. Depuis sa fondation, le collectif des veuves s’est assigné, comme objectif, de faire la lumière sur ce qui s’est passé dans les casernes militaires et autres et qui s’est soldé par la liquidation physique de militaires négro-mauritaniens, dans les années 89 et 90. Nous réclamons la vérité et la justice. Au cours d’une rencontre au siège de COVIRE, le  président de ce collectif, Sy Abou, me tira en aparté, pour me dire que nous allions partir pour un rendez-vous important, quelque part. Le crépuscule approchait quand il me fit monter  dans sa voiture. Après un long détour, on arriva à un endroit  que je reconnus  tout de suite : le Sénat, et, alors que je le lui faisais observer, il me répondit que nous allions à la Présidence. Après une longue attente, dans une salle du Palais, on me conduisit dans une autre où attendaient le général Dia Adama et un gendarme de couleur noire, pour me faire signer un papier. Je fis remarquer que je ne savais signer que par une croix, le gendarme assis à ma gauche  me montra où apposer la signature. Raky Bary, une veuve, signa après moi. Les douze autres rescapés en firent de même.

Nous sommes sortis du Palais vers 3 heures du matin, il faisait grand froid et je ne suis revenue chez moi que vers la prière du matin. Mais avant de nous séparer, on me dit qu’on devrait aller à Kaédi. J’ai fait savoir que je ne pouvais pas, j’avais mal aux jambes, le président Sy Abou m’a répondu qu’il n’y avait pas de souci  puisqu’on allait me transporter dans une voiture de  luxe. Mais ce que je réaffirme surtout, ici, c’est qu’on m’a fait signer un document dont je ne connaissais pas la teneur, je ne sais ni  lire ni écrire ; même un numéro de téléphone, c’est mon petit-fils qui me le compose.  On m’a trompée, une fois encore, et l’on ne m’a même pas remis copie du document.  Dès lors que peut valoir celui-ci ? Peut-on qualifier ça d’accord ? Il s’agit d’une duperie de Sy Abou et de ses acolytes, je ne leur pardonnerai pas devant Dieu. Ils vivront dans la honte, ici et là.  A Kaédi, ce qui devait arriver arriva.

-Et les réparations qui ont été données aux veuves, orphelins, rescapés et autres ayants droit ?

– Au cours d’une  autre rencontre avec le Président  – quatorze hommes et deux autres femmes,   l’orpheline Hawa Dia et Ramata Sarayel – dont  l’attente  aura duré de 8 à 14 heures, j’ai  dit, au  président Aziz qui nous raccompagnait, sur le perron de la Présidence, que  « les veuves   souffrent  parce que ceux qui leur assuraient le quotidien  ont  été  tués ; elles sont devenues des domestiques, des mendiantes et autres. Parce que, depuis que dure notre calvaire, aucun gouvernement n’a pensé à nous, s’il pouvait faire un geste à notre endroit,  afin de nous aider à éduquer nos enfants ». Mes propos furent traduits par Sidibé Abou, au Président qui  promit  de faire un geste, selon ses moyens,  en indiquant qu’il me prenait pour sa maman,  avant d’ajouter, au passage, que les veuves étaient libres de saisir la justice, contre les auteurs  des tueries. Il a même ajouté : « quelqu’un vous apportera  ce geste ». Il a d’ailleurs respecté cet engagement, puisque qu’on nous a apporté l’argent,  jusque dans ma chambre, ici, à la maison. J’ai aussitôt informé les veuves, orphelines et rescapés.

Durant quatre mois, j’ai reçu et hébergé des veuves et ayants droit qui venaient récupérer leurs pécules. Abou Sy  et son groupe ont profité de cette situation pour voler les misérables dames et autres. Je peux vous citer le cas du soldat  Dia Saidou Yero dont la sœur qui a marché et manifesté avec nous n’a reçu ni réparation ni terrain. Le colonel Dia est venu chez moi, pour nous dire que la répartition était ainsi faite : 15 millions pour les officiers mariés et ayant des enfants, 10 millions pour ceux qui n’en avaient pas, 8 millions pour les sous-officiers et  5,5  millions, pour les caporaux  et soldats ; mais, au cours d’une au cours d’une troisième réunion avec  Sy Abou, son  groupe  et Thiam de Maafoondu, on nous fit entendre que les montants étaient revus à la baisse : 2 millions pour les officiers mariés et 800 mille  pour  les soldats…Ce sont des voleurs, ils ont procédé à la distribution de l’argent. Cette discussion  marque ma rupture avec ce groupe de COVIRE. Sy Abou commença alors à débaucher des  veuves du collectif ; pis, il vint me voir, à la maison, pour m’intimider, en disant que plus aucune veuve ne resterait  avec moi, ce à quoi j’ai répondu : « C’est ce que tu fais à la maman de ton frère d’armes, le lieutenant Sall ? Dieu te le fera payer ». Il a fini par transformer ces veuves en mendiantes, il les utilisait pour  demander de l’argent, auprès des  hauts  responsables de l’Etat.   Mais quand les sources ont tari, les femmes ont commencé à rappliquer, grâce à l’intervention décisive d’Aissata Diaary Sall et de Farmata Salif. Le collectif s’est reconstitué et s’est renforcé.

-Quel message adressez-vous  aux veuves,  aux orphelins et  aux  rescapés ?

-Je leur demande de resserrer leurs rangs et de poursuivre leur noble combat, pour le triomphe de la vérité, pour la justice. C’est un combat de longue haleine, mais, au bout, il y a la victoire. Je sais qu’elles sont déterminées et, devant elles, il y a, aujourd’hui, leurs orphelins qui reprendront le flambeau.  Tant que les auteurs de cette tuerie ne seront pas jugés, il n’y aura pas  de repos pour nous,  de paix pour ces criminels.

– Certains  mauritaniens continuent à douter de la véracité de ces massacres de militaires négro-mauritaniens. Que leur répondez-vous ?

– C’est  très simple : qu’ils aillent s’informer auprès de certains bourreaux  dont les noms sont connus de tous, il y a un rapport  et des notes des garnisons militaires. En tant que journaliste, vous avez dû lire la liste des présumés tortionnaires, elle est très longue. Ceux qui continuent de douter  de la gravité des actes posés  peuvent  interroger Ould Boilil qui commandait la garnison d’Inal, Ely Ould Dah, Ould Lekwar, Ould Mahjoub…Certains de ces présumés bourreaux occupent les plus hauts postes de responsabilité. Non sans arrogance. Il n’est donc un secret pour personne que les auteurs des tueries sont connus de tous. Quand la justice décidera d’ouvrir ce dossier, la liste risque d’être très longue. Nous exigeons et attendons  ce jour  avec impatience. Il viendra, incha Allah !

Propos recueillis par Dalay Lam

le calame

Mauritanie : Un génocide qui ne dit pas son nom ! Par Ciré Ba et Boubacar Diagana

Mauritanie : Un génocide qui ne dit pas son nom ! Par Ciré Ba et Boubacar DiaganaDepuis son accession à l’indépendance, le 28 novembre 1960, la Mauritanie a mis en place un système d’exclusion de sa composante noire tendant à l’affirmation d’une identité exclusive arabe et la négation de tout soubassement africain à travers la mise en place d’une série de reformes politiques.

Le pouvoir militaire a procédé, au détour d’un conflit banal à l’origine, entre éleveurs mauritaniens et agriculteurs sénégalais en avril 1989, à des déportations massives de plusieurs dizaines de milliers de noirs mauritaniens vers le Sénégal et le Mali.

Entre 1989 et 1992, sous le régime du Colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya, des milliers de civils et militaires noirs mauritaniens furent tués selon un mode opératoire présentant toutes les caractéristiques d’un génocide au sens retenu par les Nations Unies en 1948, dont une des conventions reconnait comme tel tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux».

Le général président Mohamed Ould Abdel Aziz a lancé depuis 2011 une opération dite d’ «enrôlement des populations» visant officiellement à doter la Mauritanie d’un état civil fiable et sécurisé, comme dans tous les pays. Cet enrôlement s’est révélé dans son application être une opération d’exclusion et de bannissement des noirs, suspectés d’être sénégalais ou maliens, ou d’avoir acquis frauduleusement les états civils en leur possession.

Nombre d’entre eux qui se sont vu refuser l’enregistrement, deviennent donc apatrides dans leur (propre) pays, d’autres l’ont été au prix d’humiliations de toutes sortes. Même de hautes personnalités civiles et militaires, ayant servi le pays pendant des décennies, se sont dans un premier temps fait exclure de l’enrôlement. Dans le même temps, échappent à ces exactions, des étrangers, originaires de pays arabes, installés parfois depuis peu en Mauritanie. Parmi eux, des Libanais, des Maghrébins, et … des Touareg maliens ou nigériens. Aujourd’hui, cette opération se poursuit dans une relative opacité après de violentes manifestations encadrées par un mouvement de défense des droits civiques dénommé « Touche Pas à Ma Nationalité » et une partie de l’opposition.

La deuxième phase de cet enrôlement réservée aux étrangers vivant en Mauritanie a commencé, brutalement imposée par les autorités depuis mai 2012, sans en avoir précisé les modalités, par la traque de ressortissants d’Afrique noire donc majoritairement des sénégalais et des maliens. Des expulsions (comme en 1989) ont suivi vers le Sénégal, puis des tractations avec certains pays ont donné un répit à ces étrangers auxquels l’Etat mauritanien impose de se munir de carte de séjour dans un délai très court.

La troisième phase réservée aux mauritaniens établis à l’étranger met à nu les intentions et la ferme volonté du régime actuel de retirer la nationalité à la majorité des mauritaniens établis en France et en Europe. Pour parvenir à cette fin, les autorités de Nouakchott qui clament sous tous les cieux leur attachement à la souveraineté nationale, exigent pourtant à leurs citoyens la présentation d’une carte de séjour délivrée par le pays hôte pour mériter de rester mauritaniens.

Une immersion dans l’histoire de création récente de notre pays nous invite pourtant à la tolérance, à la mesure et à l’acceptation de notre diversité pour construire la nation et entretenir des relations apaisées avec nos voisins.

La frontière avec le Sénégal, un enjeu humain d’abord

Le nom de la Mauritanie n’apparait officiellement que le 27 décembre 1899 par décision ministérielle qui délimitait un territoire qui englobe les régions s’étendant de la rive droite du fleuve Sénégal et de la ligne entre Kayes et Tombouctou, jusqu’aux confins du Maroc et de l’Algérie. Cette décision ministérielle et le choix du nom ont été inspirés par Xavier Coppolani.

En 1900, la première limite du Territoire fut fixée à travers un tracé théorique délimitant les zones d’influences franco – espagnoles au Nord. Le 10 avril 1904, par arrêté, tous les territoires situés sur la rive droite du fleuve Sénégal sont rattachés aux protectorats des pays Maures. Le 25 février 1905, un décret précise et fixe la frontière au milieu du fleuve Sénégal puis le 8 décembre 1933, un autre décret repousse la frontière sur la limite du lit majeur du fleuve, c’est-à-dire sur la rive droite englobant le sud de la Mauritanie. En 1975 puis en 1989 surtout, l’internationalisation des eaux du fleuve dans le cadre de l’Organisation de Mise en Valeur du fleuve Sénégal a permis d’éviter le pire entre les deux pays mais jusqu’à quand ?

A chaque crise majeure, chaque partie brandit « son décret », à ce jeu dangereux la Mauritanie donne plus l’impression de vouloir en découdre militairement. Les deux pays ont tout intérêt à trancher ce flou juridique au grand bonheur des populations riveraines. Enfin, le décret du 5 juillet 1944 rattache la région du Hodh, jusqu’alors sous dépendance du Soudan (actuel Mali), à la Mauritanie. Ce rattachement revêt un cachet sécuritaire, l’administration cherchant à neutraliser le mouvement Hamalliste (Cheikh Hamahoullah) dans cette région.

En lieu et place des Émirats (Adrar, Trarza, Brakna, Tagant) et des États du Sud (Guidimakha, Waalo, Fouta Tooro) se substitue et se superpose le futur État de Mauritanie. Jusqu’au 2 juin 1946, le nom de la Mauritanie continuera d’être associé, jumelé avec celui du Sénégal sous l’appellation de « Circonscription Mauritanie – Sénégal » et Saint Louis du Sénégal restera capitale de la Mauritanie jusqu’à la veille de l’indépendance. On comprend dès lors que bon nombre de Mauritaniens soient nés au Sénégal.

Tel est le contexte historique et politique dans lequel a été enfantée la Mauritanie actuelle, regroupant Sooninko, Wolofs, Maures, Bambaras, Haratines et Haal Pulaaren qui vont devoir désormais vivre sur un même territoire unifié et placés sous une même autorité. Il va s’en dire que pour présider aux destinées de notre pays, il vaut mieux connaître ce contexte et tenir compte de toutes les pièces du puzzle. Le prix à payer pour les fils de notre pays, maures comme noirs, sera énorme.

Dès 1946 lors des premières élections législatives dans le cadre de l’Union Française, la question était déjà posée. En 1945, en prévision de ces élections, deux tendances s’étaient dessinées : Chez les maures « le représentant de la Mauritanie ne saurait être un noir » tandis que les notables noirs, inquiets, font appel à une candidature européenne (source : Sous – série : 2G45 : 134, Archives Nationales du Sénégal).

Un territoire, deux administrations et un système éducatif différencié

Paradoxalement, la fracture entre maures et noirs de la vallée du Fleuve était déjà « officialisée » par les arrêtés n°469 et 470 du 20 août 1936 qui organisaient séparément les commandements et administrations : une administration indirecte chez les « indigènes maures », avec des émirs dépendant désormais de l’administration coloniale ; et une administration directe chez les populations sédentaires noires, avec la création de cantons dont les chefs étaient auxiliaires de police judiciaire et percepteurs des impôts.

Ce mode de gestion séparée est renforcé par la mise en place d’un système éducatif différencié. En effet l’administration coloniale, pour asseoir son autorité, affirme son intérêt pour l’école en vue d’une plus grande emprise sur les populations autochtones. Dans sa circulaire du 22 juin 1897, le Gouverneur Général E. Chaude écrit : « l’école est le moyen le plus sûr qu’une nation civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives». « C’est elle (l’école) qui sert le mieux les intérêts de la cause française » ajoutera le Gouverneur Général William Ponty dans une circulaire du 30 août 1910, comme pour confirmer les propos de son prédécesseur.

Simplement, l’implantation de cette école en Mauritanie se fera, et pendant longtemps, dans le Sud : Kaédi en 1898, Boghé en 1912…. alors que les Médersas le seront seulement à partir de 1916 à Boutilimit, puis à Atar en 1936…., en raison notamment de l’hostilité affichée en pays Maures. C’est ce qui explique qu’à l’accession de notre pays à sa souveraineté le 28 novembre 1960, l’essentiel des cadres et des lettrés en langue française sont du Sud.

Du non règlement de la question nationale à la reconnaissance du génocide

Plus de cinquante deux ans de vie commune, d’oppression, d’injustices, de domination, de persistance de l’esclavage, de déportation, de luttes et …. un pays à reconstruire. Pourtant, à la veille de l’accession du pays à la souveraineté internationale des signaux clairs avaient été lancés de part et d’autre.

Mais celui qui présidait aux destinées du pays, croyant en sa bonne étoile, s’est lancé comme si de rien n’était dans la construction « d’un Etat moderne, trait d’union entre l’Afrique Noire et le Maghreb » dans lequel devraient disparaitre tous les particularismes. Cet équilibre affiché sera foulé dès les premières années de l’indépendance à travers une série de politiques préparant l’ancrage de la Mauritanie à l’ensemble maghrébin et arabe. Les clefs de ce nouvel ensemble, fraichement créé, encore fragile, ont été confiées à Mokhtar Ould Daddah. Si celui-ci appelait à construire ensemble la nation mauritanienne, sa conduite des affaires sera très tôt considérée comme partisane :

– Une conduite tendancieuse des affaires de l’Etat visant à donner une image exclusivement arabe du pays à l’étranger. Cette diplomatie a tellement réussi que bon nombre de Noirs Mauritaniens sont régulièrement suspectés de mentir sur leur nationalité ; pour cause « la carte postale Mauritanie » est autre. Il n’est pas rare de voir des compatriotes mondialement connus par leurs talents, par honte ou par facilité, être catalogués originaires du Mali ou du Sénégal.

– l’imposition de la langue l’arabe dans le système éducatif s’avèrera être un subtil moyen de sélection par l’école : en quelques années les résultats des examens de l’entrée en sixième et au baccalauréat, jusque là marqués par un fort taux de réussite d’élèves francophones, majoritairement Noirs, vont s’inverser en faveur des élèves arabophones. Comme langue de travail, le rôle de l’arabe va être déterminant dans la réussite aux examens et concours, notamment d’accès à la fonction publique. En tant qu’unique langue officielle à travers la politique d’« arabisation des ministères qui n’ont pas un caractère technique et qui sont en relation directe avec l’ensemble de la population comme la Justice et l’Intérieur », l’utilisation de l’arabe dans la sphère administrative se révèlera comme un puissant outil de domination et d’exclusion : l’Etat laisse entendre sa volonté de s’adresser à toute la population mauritanienne au moyen de la seule langue arabe.

– la concentration de l’essentiel des pouvoirs économiques, politiques et militaires depuis le coup d’Etat de Juillet 1978 entre les mains d’une partie de la composante maure. Cette armée budgétivore, véritable fonction publique parallèle, qui dirige le pays depuis, a trouvé le moyen de se débarrasser de sa composante noire ou de l’écarter des centres de décisions.

– l’entrée en vigueur brutale à partir de 1983 d’une réforme foncière mal préparée et dont le seul objectif est l’expropriation, eut pour conséquence l’accentuation de la pression sur les terres agricoles de la vallée du Fleuve Sénégal d’investisseurs privés maures, bénéficiant de largesses de bailleurs arabes, et plus récemment d’investisseurs étrangers.

– Plus généralement, les frustrations et les injustices ressenties par les Noirs, nées des traitements différenciés qui leur sont réservés et autrement plus sévères que ceux rendus pour les maures. L’opinion publique noire a souvent du mal à comprendre que les auteurs du dernier coup d’Etat manqué en Mauritanie, (appelé « coup d’Etat de Hannana », en juin 2003, certainement le plus violent du genre), n’aient été condamnés qu’à des peines d’emprisonnement de quelques mois. Moins compréhensible encore la reconversion de deux des présumés auteurs qui se sont présentés à leur libération aux suffrages de nos compatriotes et réussi à se faire élire à la représentation nationale.

Leur mandat court toujours. Alors que quatorze années plus tôt, en 1987, pour une tentative de coup d’Etat qui n’a jamais connu de début d’exécution, le régime d’alors, a, au terme d’une procédure expéditive, jugé, condamné et exécuté trois officiers Noirs. S’en est suivie une purge au sein de la grande muette qui a laissé dans le secret des tombes hâtivement creusées à Inal, Jreida, Akjoujt, Azlat, … des dizaines d’hommes qui s’étaient engagés au service de leur pays.

Les effets cumulés de tous ces facteurs présageaient d’une explosion de conflits. Une partie des maures, embrigadés par les mouvances pan arabistes et ayant le sentiment de plus en plus renforcé, et le disent, d’être chez eux, le seul chez qui leur soit propre (ça rappelle quelque chose), où l’Etat leur garantit tout : sécurité, impunité. La majorité des Noirs vivent cette condition comme un non choix, une condamnation à cohabiter, avec le recensement discriminatoire (enrôlement) en cours, ils ont fini par se dire qu’ils ne sont que tolérés ? Leurs revendications ont toutes été réprimées dans le sang ; sans qu’à aucun moment le régime en place ne prenne le temps de réfléchir sur les motivations réelles de ces crises à répétition, et ne propose des solutions qui aillent dans le sens du maintien de l’unité nationale.

Le calcul politique qui sous-tendait ces mesures, les conditions de leurs applications, la mauvaise gestion des conséquences de ces applications en termes de contestations cristalliseront toutes les frustrations et « pollueront » pour ainsi dire le climat politique de notre pays. La brèche ouverte depuis est devenue un fossé, si grand aujourd’hui qu’il fait courir à notre pays le risque de conflits à répétitions.

L’exclusion peut-elle durer encore ? Combien de temps ?

Les gouvernants, tous régimes confondus – exception faite des parenthèses Ould Haidalla et Sidi Ould Cheikh Abdallah – ont invariablement œuvré au maintien et au renforcement de l’option arabe irréversible de la Mauritanie. Une option que même l’opposition dans son écrasante majorité ne remet pas en cause, en dépit des conflits et les risques d’explosion auxquels elle a exposé notre pays en cinquante et une années de vie commune.

L’exacerbation de cette politique raciste, injuste et d’exclusion donnera naissance aux évènements de 1989 et suivants, avec des massacres massifs des populations noires du Sud. Des actes que l’on peine encore à qualifier avec les mots qui conviennent.

La victoire a beaucoup de pères : Génocides reconnus

Historiquement, ce sont les vainqueurs qui ont imposé leur volonté quand il s’est agi de qualifier les faits. Leur camp ayant eu le soutien des instances internationales, quand il ne les a pas créées, pour traduire les bourreaux : le Tribunal de Nuremberg pour qualifier le traitement réservé aux Juifs lors des deux grandes guerres de crime contre l’Humanité, ceux d’Arusha pour le génocide des Tutsi au Rwanda et de la Haye pour le génocide des Musulmans de Bosnie-Herzégovine. La Cour Pénale Internationale pour Charles Taylor et récemment Laurent Gbagbo pour les crimes commis contre les peuples Sierra Léonais et Ivoirien respectifs.

La défaite est hélas orpheline : Génocide voilé

Ce qui s’est passé en Mauritanie entre 1989 et 1992 présente toutes les caractéristiques d’un génocide au sens retenu par les Nations Unies en 1948 dont une des conventions reconnait comme tel tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Abstraction faite du débat que peut soulever l’usage des concepts renvoyant au nombre de victimes, à l’ethnie, à la race, voire à la religion notamment chez certains scientifiques puristes, cette définition lève toute ambiguïté sur le caractère des massacres commis lors de la période référencée.

Trois facteurs accablants sont à considérer ici, pris séparément ou mis ensemble.

Premier facteur : l’intention (de détruire tout ou partie d’un groupe national). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle y était, on est allé les chercher là ils se trouvaient : villages, lieux de travail (bureaux, écoles et marchés), au sein des forces armées et de sécurité.

Deuxième facteur : le motif apparent pour désigner puis massacrer les cibles, était leur appartenance à une ethnie. A l’exclusion des exécutions au sein de l’armée, les pogroms le long de la vallée ont ciblé les peulhs. La population victime a donc délibérément été sélectionnée (tous ceux qui ont été massacrés avaient la particularité d’être Noirs).

Troisième facteur : ces massacres ont été pensés, planifiés, et exécutés au nom d’une idéologie raciste dont l’objectif était la purification ethnique. Le maître d’œuvre en était le Colonel Ould Taya, conseillé par des idéologues civils se réclamant du Baathisme.

Il en découle que les crimes commis l’ont été sur la base d’une sélection, un tri. Une effroyable opération qui a précédé l’exécution collective des victimes. La sélection confère donc à ces crimes la condition nécessaire de leur qualification en génocide, tandis que le caractère collectif érige le mal en crime d’Etat. Faut-il encore un argument supplémentaire pour convaincre qu’il s’agit bien là d’un génocide. La réponse est assurément NON.

A l’évidence, ce drame est bien issu d’une volonté systématique et planifiée d’extermination. La Mauritanie doit porter un regard apaisé sur son passé d’autant que certaines franges pan arabistes n’hésitent pas à accuser les exilés et déportés Mauritaniens au Sénégal d’avoir participé aux massacres de leurs compatriotes en 1989 dans ce pays, telle la réplique de l’Etat Turc accusant la France de génocide en Algérie en réponse au vote par le Parlement Français, le 22 décembre 2011, de la proposition de loi pénalisant la contestation du génocide Arménien.

Pourquoi alors s’obstine-t-on à utiliser d’autres qualificatifs ?

D’abord parce que les bourreaux sont encore en activité, dans les premiers cercles du pouvoir. Conscients de leur responsabilité certainement directe dans les forfaits commis, ils font tout pour retarder ou empêcher la manifestation de la vérité.

Ensuite, la majorité des partis politiques ont préféré laisser les ONG sous-traiter la question, désertant ainsi cet épineux terrain rendu glissant par sa connexion avec la question nationale. Le débit des autres partis est faible, presqu’inaudible, en raison d’un réseau saturé par des dissensions des associations des victimes.

Enfin les divisions au sein des associations de victimes elles mêmes, liées peut être aux traumatismes subis, sont un pain béni pour les présumés coupables, pourtant répertoriés, qui n’ont eu aucun mal à surfer sur ces divergences pour essayer de passer la solution de cette question par pertes et profits. Victimes et ayants droit s’accommoderont du discours édulcorant les crimes en « passif humanitaire ». En acceptant ainsi de suivre les autorités dans cette démarche, ils espéraient peut-être donner une chance à ces dernières de cheminer vers une véritable réconciliation, impliquant réparations et pardon.

Mohamed Ould Abdel Aziz, qui fut aide de camp du président Ould Taya et commandant du Bataillon de Sécurité de la Présidence de la République (BASEP) de 1987 à 1991 puis commandant du bataillon de commandement et des services à l’Etat Major national d’août 1991 à juillet 1993 selon son cv, aurait été épargné pour accorder une chance supplémentaire à la chance de réconcilier la Mauritanie avec elle-même. Ce fut un coup de poker perdant.

La « prière aux morts » qu’il a orchestrée en grande pompe, n’avait d’autres motivations que mystiques. La campagne qui l’a suivie, autour du pardon participait à une démarche de diversion, visant à faire passer les victimes pour des haineux, des rancuniers qui ne pouvaient pardonner. N’entendions-nous pas les chantres de cette campagne répéter à qui voulait l’entendre que « Allah, dans Son infinie bonté, accordait Son pardon à Ses créatures (fautives) qui le Lui demandaient ».

Ce qu’ils omettaient de dire, c’est qu’Allah n’a jamais fait de mal à personne. Les victimes des exactions n’ont pas de contentieux avec Allah, mais bien avec des créatures comme elles qui se sont adonnées à des abominations, dont elles doivent répondre ici bas, avant de devoir en rendre compte devant notre Créateur et Ses Anges. Ils semblent être frappés d’amnésie, oubliant que certains de ces crimes ont été commis pendant le mois de Ramadan.

Faute d’avoir pu l’empêcher de se produire, nous n’avons pas le droit de laisser les autorités ajouter au crime la bêtise de le minimiser. En effet, les expressions utilisées pour qualifier ces faits de « passif humanitaire », l’ont été, parfois sous la pression des bourreaux et de leurs amis au pouvoir. Comme si ce qui s’est passé n’était pas suffisamment grave pour mériter d’être qualifié autrement.

Le « passif » (et l’ « actif »), usité en comptabilité ou en grammaire, ne peut ni ne doit en aucun cas être employé pour parler de cette abomination. On est en politique. En politique, comme en tout autre domaine, il est préférable d’utiliser les mots qui conviennent pour désigner les maux causés au risque de tomber dans le négationnisme. Les propos tenus récemment par le Général Meguett en constituent un début de commencement.

Souvenons nous qu’Hitler, tirant la leçon de la non application des résolutions du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l’empire Ottoman, qui prévoit la mise en jugement des responsables du génocide arménien, aurait lancé en 1939 « Qui se souvient des massacres des Arméniens » à la veille de massacrer les handicapés, l’extermination des Juifs viendra deux ans plus tard.

Rappelons aussi que le général père de la nation Turque, Moustapha Kemal avait pris soin de faire voter une amnistie générale des dits crimes le 31 mars 1929. En Mauritanie le colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya a fait voter une loi d’Amnistie de ses crimes, adoptée en 1993 par une Assemblée à ses ordres. La tentation de tracer un trait sur les faits était déjà là. Le temps ne doit donc pas avoir de prise sur notre détermination et notre volonté à œuvrer pour la reconnaissance de ces crimes en génocide et la traduction pendant qu’il encore temps de leurs commanditaires devant la Cour Pénale Internationale.

Est-il possible d’éviter à notre pays un futur incertain?

Les Mauritaniens peuvent-ils s’arrêter un instant pour s’accorder sur l’essentiel en vue de construire un destin commun ? Quel modèle pour la Mauritanie : Etat unitaire, Etat fédéral ? Ancrage dans le monde Arabe ou dans l’Afrique noire ? Trait d’union ?

Quoi qu’il en soit, nul ne peut gouverner paisiblement notre pays en méconnaissance totale de son histoire ou au mépris de celle-ci, faite de recompositions, de brassages, de mélanges de sociétés si différentes que tout éloignait au début, mais qu’il faut désormais administrer harmonieusement selon un principe si simple de justice et d’égalité, non pas de principe, mais d’égalité effective. Pour cela l’armée au pouvoir depuis 1978, n’ayant pas vocation à faire de la politique et considérée comme comptable et responsable de ce génocide, n’est pas qualifiée à diriger la Mauritanie.

Ciré Ba et Boubacar Diagana, Paris