Daily Archives: 15/12/2017
Mauritanie : Samba Thiam initie des mesures concrètes pour la réconciliation nationale
La tentative du gouvernement de régler le passif humanitaire par des indemnisations des veuves et orphelins des 28 soldats noirs assassinés en 91 à Inal suscite des réactions au sein de la classe politique mauritanienne. Parmi les les plus pertinentes figurent celles du chef historique des FPCex-Flam qui prône des mesures pour une réconciliation nationale durable.
Pour Samba Thiam la cause profonde de la difficile cohabitation est politique et réside dans la rupture de l’équilibre des différentes communautés. L’ancien prisonnier politique de Ould Taya pointe ainsi la politique d’exclusion depuis l’indépendance jusqu’à nos jours de plus de la moitié des mauritaniens dans les affaires de l’Etat.Et à juste titre c’est une grave erreur pour le régime de Ould Aziz de croire que solder le passif humanitaire suffirait à réconcilier tous les mauritaniens insiste le président des FPC qui conclut dans une déclaration à la presse nationale cette semaine à Nouakchott que la réconciliation nationale passe par l’apaisement et la refondation du pays.
Le président des FPC passe à l’offensive cette semaine à Nouakchott dans une déclaration à la presse nationale sur la question nationale.L’occasion pour Samba Thiam de recadrer les intentions politiques du régime de Ould Aziz qui tente de résoudre le passif humanitaire par des indemnisations des veuves et orphelins des 28 soldats noirs assassinés en 91 à Inal. Cette réouverture du dossier par le ministre de la défense cette semaine après l’échec du 28 novembre à Kaédi est considérée par les observateurs comme une fuite en avant pour retarder les poursuites contre tous les criminels officiers de l’armée.
En réaction à cette politique négationniste le leader négro-mauritanien refuse la fatalité et l’impunité et ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur la difficile cohabitation piétinée par les différents locataires du palais de Nouakchott depuis 1960. Ancien prisonnier politique de Ould Taya il est le mieux placé pour jeter un regard sur le blocage du passif humanitaire. L’arrivée au pouvoir de Ould Aziz en 2009 n’a rien changé mais au contraire l’exclusion systématique des noirs dans les affaires de l’Etat s’est empirée avec le durcissement du régime par la répression policière des militants anti-esclavagistes de militants de mouvements citoyens voire des leaders de l’opposition .Par nature cette question nationale est très sensible.Sa solution est dictée par l’impératif de justice et d’équité.Pour Samba Thiam la cause profonde du passif humanitaire est politique et réside dans la rupture de l’équilibre du mieux vivre ensemble.Le président des FPC avertit que c’est une grave erreur pour Ould Aziz de croire que solder le passif humanitaire suffirait à réconcilier tous les mauritaniens.
Dans la perspective de bonnes résolutions le charismatique opposant prône une commission « Vérité et Réconciliation » sur toutes les violations commmises par les régimes de 86 à 91 contre la communauté noire.Cette instance nationale devra être indépendante avec une mission principale de procéder à des enquêtes et d’entendre les victimes et les présumés criminels.Cet apaisement passe par un devoir de vérité, de justice de réparation et de mémoire pour une véritable cohésion sociale.Pour Samba Thiam il s’agira également de refonder le pays pour une nouvelle identité mauritanienne arabo-africaine avec en toile de fond une charte fondamentale pour le respect de toutes les communautés.C’est un long processus.D’autres pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda etc…l’ont réussi.Il a fallu plus d’un siècle pour certains et plus de 50 ans pour d’autres.
Bakala Kane
(Reçu à Kassataya le 14 décembre 2017)
Kassataya
La parole libérée des anciens esclaves (2)
Après des années de souffrance sillonnées d’humiliations et de privations, les anciens esclaves savourent, désormais, la liberté et recommencent une nouvelle vie, grâce à l’action conjuguée des abolitionnistes. Un nouveau combat pointe à l’horizon.
Après avoir recouvré leur dignité, ils doivent apprendre à vivre, à se prendre en charge, en se dotant d’une nouvelle demeure, à se munir de papiers d’état civil. Le plus difficile commence, sans doute, pour des gens qui, une fois consommés les premiers secours d’urgence, devront passer à d’autres paliers. Tout apprendre et survivre dans un nouvel univers.
Beaucoup d’espoirs et de projets, mesurés. Nous leur donnons l’opportunité de narrer leur passé douloureux et de leur vie présente d’hommes et de femmes libres, de faire part de leurs rêves et des perspectives qui s’offrent à eux. Les opportunités sont sans doute grandes mais pour des gens qui n’ont jamais bénéficié de la moindre formation professionnelle, ça ne sera pas des parties de plaisir.
Il s’agit donc de faire part, à l’opinion, via des témoignages poignants et émouvants mais sans animosité aucune, de faits ayant marqué tant de nos compatriotes,. Quand les langues se délient, c’est la parole libérée des anciens esclaves qui s’élève.
M’barka Mint M’barek
Je m’appelle Mbarka Mint M’barek, fille de Kheidama. Bergère, toute ma vie d’esclave. Quand je reviens, le soir, je trais le bétail, fais la cuisine, sers à manger, nettoie la tente. Je suis blâmée, réprimandée et insultée, par mes maîtres, quand les choses ne sont pas bien faites, quand j’en oublie, tarde à les accomplir ou quand je réponds à la femme de mon maître.
Je ne sais pas quand je suis venue avec la famille, je sais seulement que j’ai pris conscience avec eux. De mon enfance au moment où je suis partie de chez mes maîtres, ni le rythme de travail ni mon traitement n’ont jamais changé.
Je ne mange jamais avec eux. Mon maître me retrouve souvent en brousse, me harcèle et abuse de moi. De mes quatre enfants, Mbareck Salem, Laghdaf, Mboirika et Aicheta, trois sont de mon maître et de ses frères [mais ceux-ci ne reconnaissent aucun de ceux-là, ndlr]. Je suis habillée à chaque fête, soit trois fois par an.
On ne m’a jamais permis de rencontrer d’autres personnes, d’aller dans les cérémonies. Il n’y a plus aucune relation maintenant. Au début, mon maître est venu nous donner de l’argent et cherchait à ce que nous retournions. Mais Kheidama, ma maman, a refusé. […] La relation avec SOS est fraternelle. On leur souhaite de bonnes choses.
Elle nous aide et nous accompagne […]. Mes maîtres étaient Ehel Bourada Bouh ould Bonane, Yenjé ould Bonane, Marieme mint Sweide, l’épouse de Sidi Mohamed, Mariema mint Bouna, Aicha mint ElHacen, épouse de Bouh, Nouha mint Moktar, épouse de Itawal Oumrou, Moija Mint Sweidi, épouse de Yenjé, Fatimetou et Fatma Yahya.
Je veux avoir ma maison. Je souhaite que mes enfants soient éduqués. Moi-même, je veux apprendre. Je suis libre, c’est vrai. La fille de ma tante est encore en esclavage, je pense porter plainte pour qu’elle soit libérée de toutes les souffrances qu’elle subit.
J’ai adhéré à l’association [SOS Esclaves, ndlr] parce que je veux connaître la vie, apprendre, m’assumer, etc. J’ai porté plainte contre tous mes anciens maîtres. Je cherche mes droits et ceux de mes enfants. Si l’on me proposait de l’argent, pour rien au monde je n’accepterai. Je ne peux pas oublier les souffrances que nous avons vécues, ma sœur et moi, loin de notre mère.
Vatma Mint Zaida
« J’étais assise jusqu’à ce que mon frère, Idoumou [antenne locale de SOS esclaves, ndlr], Maouloum et la gendarmerie viennent me trouver en brousse [dans la localité d’Outeyd Talhaya, aux environs de Nbeiket Lehwach, ndlr]. J’étais en haillons, presque nue, à m’occuper du bétail.
Je remercie Allah de ce jour, Nous sommes passés par le campement où nous avons récupéré mes enfants. J’en ai quatre. Un de mes fils est resté avec ma mère. Bergère, je pile aussi, lave, cuisine ; quand je me lève le matin, je m’occupe du bétail et, la nuit, quand je reviens de la brousse, je m’occupe de tous les travaux de la maison.
Il n’existe pas de mots sales et autres injures que je n’ai pas entendus. Mais je n’ai jamais été bastonnée, physiquement. Je suis très mal habillée. On me donne un voile par an. Je mange toujours seule et suis toujours tellement fatiguée que je n’ai pas envie de manger.
J’habite un abri constitué de trois bâtons couverts de haillons. Les esclaves qui sont là-bas vivent tous comme je l’ai décrit. Ces maîtres n’ont pas peur de Dieu ni des hommes. Ils sont capables de tout.
Moi, j’ai refusé qu’on me frappe mais il y en a d’autres qui le sont. J’ai vu ma propre mère frappée. Je n’ai plus vu mes maîtres, depuis mon départ. Leur fils, Yahafdhou, nous apporte de l’argent et des habits pour les enfants. Bien que son père soit en prison. La conciliation, c’est le fait de mon frère. S’il ne tenait qu’à moi, je n’aurais pas accepté l’accord.
C’est grâce à l’association que nous sommes sortis, moi et mon frère, de l’esclavage. Je remercie Allah. Je suis des cours d’alphabétisation. Je pile pour des gens et j’effectue tout travail qui me rapporte quelque chose. Ici, j’ai appris à faire le couscous.
Mes maîtres sont des Oulad Daoud : Ikhallihina ould Haimao, maître Daoud, son fils Abdallah Ould Khalihina, El Beidh ould Maimad, frère du maître, Tahma Mint Haimad, Mohamed Haimad et Eide ould Haimad. Le fils du maître, Abdallahi, me fatigue beaucoup. Il nous met la pression, nous injurie.
Il n’ya pas de repos. J’aurais souhaité qu’il soit emprisonné. C’est lui qui a pris mon fils et l’a chargé de s’occuper du bétail. Il est plus méchant que son père.
Dans la vie de liberté, je veux faire du commerce, avoir un chez moi et des occupations rentables. Ma mère est vieille, je m’occupe d’elle, tandis que les enfants vont à la mahadra. Ils n’ont pas encore de papiers d’état-civil. Je n’en ai pas moi-même. […] Mon maître a été libéré, après une année de prison, j’aurais souhaité qu’il y reste jusqu’à ce qu’il nous donne nos droits à réparation.
Ce qu’il a donné est insignifiant : trois millions cinq cent mille ouguiyas, pour quarante années d’esclavage. C’est moi qui ai souffert, je n’ai aucune compassion pour eux. Je n’étais pas d’accord avec mon frère. Je n’ai jamais été d’accord avec la conciliation ».
Essalme
«J’ai fui avec mon fils il y a cinq ou six ans. Ma sœur a refusé de venir avec nous. Ses enfants sont là [à Bassiknou, ndlr]. Les maîtres n’ont pas été arrêtés. Ils se cachent. Ilsne m’ont jamais rien enseigné. Je ne dis que la vérité. Je n’ai qu’un terrain vague pour habitation.
Je ne suis pas recensée. J’ai bien essayé mais ils m’ont dit que pour me faire recenser, il faut présenter mes parents qui ne sont plus vivants. Mon problème, c’est surtout de retrouver mes enfants. Je ne connais pas mon âge. J’ai pris conscience avec ces gens. Mon père était avec d’autres. Nous étions partagées entre plusieurs familles. Je ne sais pas prier. Je ne connais que garder les animaux.
Idoumou Ould Abeïd, point focal SOS Esclaves à Bassiknou
« C’est pacifiquement que je combats l’esclavage, depuis le jour où je m’y suis décidé[…]Parfois, des maîtres notoires se présentent à des marchés forains. On les dénonce à la gendarmerie. Parfois, ils sont arrêtés et envoyés à Néma. Mais il n’y a jamais de sanction, à part une ou deux.
Il y a eu une affaire qui s’est conclue par une conciliation. Mais, finalement, l’argent qu’il devait être versé ne l’a jamais été. Les dossiers d’esclavage, au Parquet, sont au nombre de 113 […] mais le laxisme est partout de mise, à tous les niveaux.
Les esclaves souffrent, dans l’ignorance la plus totale, et ne peuvent même pas s’acquitter de leurs obligations religieuses. Des fois, les anciennes victimes reçoivent de l’aide. Mais, le plus souvent, ils sont oubliés, lors des opérations de distribution. Ils sont privés de tout, par les notables et les élus qui sont, tous, des féodaux et des esclavagistes.
Vatma Mint Hamady
A l’origine de ma libération, c’est mon frère Hamou. Je me peux pas pardonner les bastonnades des enfants, le travail forcé et brutal, sous la pluie, sous le froid, sous le vent. Dieu sait qu’on me fait entendre de mauvaises paroles, quand je suis les animaux, quand je fais la cuisine, quand je vais puiser de l’eau.
Mais, moi aussi, je n’ai jamais mâché mes mots avec eux. J’allaite et lave leurs enfants, nettoie, cuisine… Malade, je ne peux pas me coucher. Quand le bétail se perd, je suis battue. Quand je tarde à descendre les pans des tentes, je suis insultée, on me frappe avec un bâton enflammé tiré du foyer [elle montre une cicatrice au genou gauche, ndlr].
J’ai été injuriée par des propos que je ne peux pas répéter. J’ai été battue, brûlée mais jamais abusée sexuellement. […] Je n’ai plus aucune relation avec mon ancien maître. Je souhaite qu’ils soient punis de bien plus qu’un an de prison. Cette peine ne suffit pas.
L’association [SOS Esclaves, ndlr] me rend beaucoup de services. Elle me donne de l’argent, nous aide, moi et mes enfants, et m’accompagnent dans les démarches, pour l’obtention de mes droits. […] Mes maîtres sont Sidi Mohamed Bouna Hamena Ould Bouna [en prison, ndlr], Fatma Mint Sidi Brahim, Jar Ould Sidi Mohamed Bouna, Ould Sidi Ould Bouna et d’autres enfants. Je veux acheter un terrain, construire une maison, avoir un troupeau de vaches et de chèvres, une charrette et des ânes.
J’ai une grande fille mariée, Tahra, un fils qui fait le journalier, des petites et un autre garçon qui vont à l’école. Je souhaite qu’ils y réussissent et que nous obtenions enfin un état-civil. […] Le procès eu lieu et sa décision est l’emprisonnement. Mais, s’il y a une possibilité de faire appel, je suis d’accord : j’attends une juste réparation ».
Saada Mint Mabrouk
« Je me rappelle l’action d’un comité venu dans notre localité (Mzeirig), près de Bassiknou. Les Maures ont pris peur et m’ont donné deux ânes et six chèvres. [C’était une mission de SOS-Esclaves et de gendarmes, accompagnée de son frère, ndlr]. C’est à ce moment-là que tout s’est déclenché.
On m’a envoyée en brousse, et mon maître aussi. Ma vie d’esclave, c’est les mauvais traitements, les bastonnades, pour moi et mes enfants. J’en ai cinq : trois filles et deux garçons.
La plus petite, Chaya, a sept ans ; Vatma, environ neuf ; Lalla Vatma, onze ; Barke est plus âgé de deux ans que Lalla Vatma; et puis mon aîné, Khweibir. Je ne suis pas sûre mais je pense que les garçons sont à Bassiknou, en train de travailler dans le charbon.
Très jeune, je suis les animaux, cuisine, pile le mil, puise l’eau, trait les vaches, les chamelles, les chèvres et les conduis, avec les moutons, de l’aube jusque très tard dans la nuit.
Je n’avais de relation avec aucun membre de ma famille. On me disait que ma mère était morte. Aujourd’hui, je vis avec elle. Elle est bien vivante. J’ai été mariée, durant une courte période, et j’ai divorcé. Je ne sais pas où est le père de mes enfants. Je n’ai pas été objet de violences sexuelles.
Très petite, j’ai commencé à apprendre le Coran, portant ma tablette avec moi, derrière les animaux, mais ça n’a pas duré plus d’une semaine. Mes maîtres ont vite arrêté cet enseignement. Mais j’ai appris à prier. Je passe la journée en brousse et prie là-bas.
Mes maîtres n’étaient pas gentils. Habillée une fois par an, je me débrouillais pour vêtir mes enfants. Nous mangions seulement le soir. Il n’y a pas de ration spécifique pour nous. De ce que je prépare, pour les maîtres, j’en prends une partie, pour moi. Depuis mon départ de chez eux, je ne les ai jamais vus. Je n’en entends même plus parler. L’association nous donne de l’argent.
Cela me permet de vendre et d’acheter. Elle me fournit de temps en temps des vivres [riz, blé, huile, ndlr], cela nous permet de faire face. Je parle de l’association bienfaitrice qui aide les esclaves [SOS-Esclaves, ndlr].
Je veux, à l’avenir, vendre, acheter. Je fais du couscous que je vends, je vends des biscuits, bonbons, allumettes et briquets. La vie que je mène, actuellement, est meilleure qu’avant. Je vis avec ma mère prétendue morte. Ce que j’endurais, avec mes maîtres, ce n’est pas une vie. J’étais entre le ciel et la terre, à courir du matin au soir. Maintenant c’est différent, je suis libre, je suis bien.
Les chèvres et les ânes que les maîtres m’ont donnés, je les avais laissés à mes tantes. J’ai demandé qu’on me les envoie à Néma, mais la personne à qui on les a donnés, les a vendus et en a utilisé l’argent. Mes maîtres sont de la tribu de Oulad Daoud, des Ehel Bourada: Sidi Mohamed ould Ethmane et son épouse Minétou Mint Mohamed. Leurs enfants sont Ahmed, Khatri, Vatma, Lalla Vatma, Cheia, Lalla, Marièm et Meriem.
J’ai déposé une plainte en justice. Je réclame mes droits. Je veux qu’on me ramène ma fille Vatma qui est restée avec Ahmed Ould Ehl Ethmane, frère de mon maître. Je suis satisfaite de ma situation actuelle. Avec ma mère, j’ai pu avoir un état-civil mais mes enfants n’ont pas encore de papier.
Kheinatha, grand-mère de Lalla Aicha Mint Mohamed
« Lalla Aicha est restée une journée avec la maîtresse, Lalla Aicha mint El Galla ould Abdel Wahab, à Kusmara. La maman de Lalla Aicha était esclave des Ehel Abdoul Wahab, une tribu des Oulad Daoud ». A l’origine, une bagarre, entre la famille et ses esclaves. La grand-mère a téléphoné à son fils. Elle raconte : « Nous avons marché jusqu’à Kassala et mon fils est venu nous récupérer pour nous amener à Bassiknou. Ma fille Setra et moi sommes arrivés à Bassiknou où nous avons retrouvé une autre de mes filles Dadde.
C’est là qu’elle avait mis au monde Lalla Aicha. La maîtresse est venue prendre son homonyme, après le décès de Dadde. Ce sont les voisins harratines qui ont dénoncé le départ de la fillette chez la maîtresse. SOS esclaves et la gendarmerie sont allés les ramasser, elle et la maîtresse, et les ont déposés au Parquet de Néma.
Je me rappelle bien. Nous étions parties en voiture avec Lalla Aicha. Elle m’avait dit de venir avec elle à Kusmara. Mais je n’y ai fait qu’une journée. Les gendarmes sont venus me reprendre avec ma petite-fille. Les gendarmes ont demandé à Lalla Aicha, la maîtresse, de venir avec eux et ils nous ont déposées à la brigade. Depuis l’épisode de Néma et du tribunal, nous avons appris qu’elle est retournée deux fois à Néma ».
Vatma intervient : « J’ai des frères et sœurs : Cheikh Issa, Agnida et Daddah ; qui habitent avec moi et ma grand-mère. Nous ne sommes pas recensés. Je vais à l’école. Je veux, à l’avenir, devenir employée dans une maison parce que je veux gagner de l’argent ». La grand-mère reprend : « Nous ne voulons que la paix. Par Dieu, qu’elle nous laisse en paix,q u’elle nous laisse en paix ! »
Moima mint Abderrahmane (environ 80 ans, malade et presque sénile)
Je suis Moima Mint Abderrahmane, j’étais à Azamat (vers Bassiknou), esclave de Hel Bouna ould Archaq. Mon maître se nomme Archaq Ould Bouna et son épouse, Nanna Mint Sidi Mohamed Bouna. Le frère de mon maître, Sidi Mohamed Ould Bouna, est mariée à Vatma Mint Sidi Brahim. Avec mes maîtres, je travaillais comme bergère, je cuisinais les repas et faisais tous les autres travaux de la maison. C’est moi qui ai porté tous leurs enfants, je les ai allaités et pris soin d’eux.
Lorsque je suis devenue faible et vieille, les maîtres ne me parlaient plus. Ils m’ont laissé de côté. J’ai appelé mon fils, il est venu me ramener à Néma dans sa maison. Mes maîtres me traitaient comme une esclave mais sans violence, ma maîtresse venait même piler avec moi, quelquefois. Ce sont de bonnes personnes. Mais la vraie vie, c’est seulement ici, avec mon fils. Pour rien au monde, je ne retournerai là-bas. La vie, chez les maîtres, et la vie ici, avec mon fils, sont incomparables.
Je n’ai pas porté plainte. Au moment de partir avec mon fils, mes maîtres m’ont donné de l’argent. Je ne me rappelle plus combien. Mes relations avec la famille de mon maître sont bonnes, le fils de mon maître est venu ici me voir. Mes relations avec l’association sont bonnes aussi. Je les remercie de tout ce qu’ils font pour moi. Ils me font beaucoup de bien.
J’ai laissé, derrière moi, chez les maîtres, ma sœur Moumna et ses enfants, Sidi Mohamed, Dadda, Mabrouka, Hayna, Tahra. [Toutes ces personnes sont encore en esclavage chez Archa]. Je n’ai pas de papier d’état civil. Je n’ai qu’un fils [Sidi ould Mahmoud]. Moi, j’ai toujours vécu en brousse. Si quelqu’un vient pour me ramener chez Sidi Mohamed, je ne vais pas accepter mais je peux lui rendre visite.
Propos recueillis par THIAM Mamadou
le calame
Au service du programme : « Liberté, droit et justice
pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie »
promu par le Département d’Etat des Etats-Unis
À Paris, le G5 Sahel trouve les moyens de ses ambitions
Dirigeants européens et africains se sont retrouvés mercredi à la Celle Saint-Cloud pour accélérer la mise en œuvre de la force régionale du G5 Sahel face aux djihadistes qui gagnent du terrain dans cette zone.
La réunion internationale sur la Force commune du G5 Sahel a porté ses fruits. La coalition militaire de ces pays (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie) a reçu les moyens de ses ambitions, but affiché du mini-sommet réuni mercredi par Emmanuel Macron à la Celle Saint-Cloud, près de Paris. Le lancement effectif de cette force, baptisée FC-5GS par les militaires, achoppait encore sur le manque de fonds. Le budget, estimé à quelque 250 millions d’euros, n’était pas complet. Mercredi, le président français a confirmé un apport de 100 millions de dollars de l’Arabie Saoudite et de 30 millions des Émirats arabes unis qui permettent de boucler les besoins. Les pays concernés et la «Coalition Sahel», composée notamment de l’UE et des États-Unis apporteront le reste, Bruxelles poussant probablement son aide de 50 à 80 millions d’euros.
La future force, qui dispose déjà d’un quartier général à Sévaré, dans le centre du Mali, et de deux PC à Niamey et en Mauritanie, devrait être opérationnelle dans quelques mois. L’objectif était de remporter des «victoires au premier semestre 2018, a insisté Emmanuel Macron. Il nous faut gagner la guerre contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne. Or elle bat son plein. Il y a des attaques chaque jour, il y a des États qui sont aujourd’hui menacés (…) Nous devons intensifier l’effort.» Présente à la réunion, la chancelière allemande Angela Merkel a indiqué que «les pays du G5 Sahel» étaient «prêts à mener le combat». «Nous ne pouvons pas attendre.»
Une coordination indispensable
Une façon de dire que pour le G5, le temps presse et le plus dur commence sans doute. Les armées sahéliennes, qui recevront une aide tactique sur le plan aérien et du renseignement de Barkhane et des États-Unis, doivent se coordonner. Une première opération, conduite fin octobre dans la zone des trois frontières, entre Niger, Mali et Burkina a été «encourageante».
Mais, comme le souligne le centre de réflexions International Crisis group (ICG), bien des questions se posent encore. La première est la place que tiendra cette force de 5000 hommes dans un paysage où 4500 soldats de l’armée française, environ 10 000 casques bleus et les militaires locaux sont déjà déployés. Le G5 devrait, selon plusieurs sources, concentrer ses efforts sur le centre le Mali, où une rébellion à dominante peule, dirigée par Amadoune Koufa, gagne du terrain depuis près de deux ans. Ce combat ne pourra cependant être gagné sans qu’une ligne politique ne soit clairement définie. Or, c’est sur ce point que la lutte contre le djihadisme au Mali est la plus mal en point. Les accords d’Alger, signés en 2015, restent largement théoriques. Les négociations piétinent depuis des mois et rien ne laisse espérer une amélioration rapide. L’élection présidentielle doit en effet se tenir cet été au Mali, une période peu propice aux concessions.
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