Daily Archives: 30/12/2015
LARMOIEMENTS D’UNE PLUME : Toutou la forgeronne
Photo pour illustration Elle appartenait à la caste de la forge, et répondait au nom deToutou, mais tout le monde, même les enfants l’appelaient Toueitou essellala (suceuse de sang). Un diminutif doublé d’un péjoratif à l’intonation méprisante. Il faut dire qu’il ne l’irritait que rarement et seulement quand il venait de la bouche d’un polisson. Mais les rares fois où il l’indignait, il se trouvait toujours comme par hasard parmi les adultes présents un volontaire pour prendre la défense du petit affreux, et remettre la pauvre offensée à sa place. Il suffisait que la diarrhée sévisse chez les nourrissons, ou qu’une grande personne souffre d’une migraine, ou encore que la mort fasse son œuvre pour que tous les regards se dirigent vers son misérable et fantomatique logis qui témoignait de la pauvreté extrême des siens. On se déchargeait sur elles de tous les maux, et on lui prêtait des pouvoirs maléfiques qu’elle niait détenir. Sa taille était petite et fragile, et son corps ravagé par la malnutrition était ridé et squelettique. Et pour couronner le tout elle paraissait trois fois plus que son âge réel. Je crois que c’étaient ses petits yeux larmoyants toujours striés de sang et sa bouche édentée qui lui valurent son fâcheux surnom. Malgré tout cela elle avait des mains de magicienne, et fabriquait presque sans contrepartie tout ce qui rendait viable la vie du campement. Elle aimait beaucoup ma grand-mère, et cette dernière qui le lui rendait bien, recourait souvent à ses services. Et parce qu’elle appréciait à leur juste valeur l’habileté de ses mains et les facultés créatrices de son cerveau, et qu’elle la payait en conséquence, une solide amitié s’était tissée au fil des ans entre ces deux femmes qui au départ tout séparait, et pas seulement la classe sociale, mais aussi la classe d’âge. Contrairement au reste du campement, chez-nous Toutou se sentait toujours en sécurité. Et parce que tout le monde l’appelait par son nom, et mangeait avec elle dans le même plat, elle recouvrait un tant soit peu de sa dignité, et chose étrange, elle faisait montre d’une espièglerie d’esprit, et d’un art inégalables de tourner en dérision – en cachette bien sûr – ceux qui la marginalisaient dans le campement, et Dieu sait qu’ils étaient légion. A force de l’écouter reproduire ses modèles, et rire de ses mimiques je réussissais au grand dam de ma grand-mère à imiter sans m’en rendre compte son style à la fois mordant et démystificateur. Mais mon aïeule qui ne voyait pas d’un bon œil mes dons d’imitateur, avait décidé après avoir recouru à toute sorte de persuasion pour me voir changer de disque que dorénavant on ne m’appellerait plus dans la famille que par le diminutif de Toutou, ce qui n’était pas pour me déplaire. Mais pour faire croire à Mamie que c’était là la sanction appropriée, je ne cessais de lui pomper l’air avec mes cris, et mes larmes affectés. A quelques temps de là, j’assistais une conversation animée entre un petit groupe d’ados assis en ronde à la belle étoile. Elle portait sur leurs plus récents bides affectifs, que chacun d’entre eux s’ingéniait avec art à transformer à sa manière en un succès absolu. Mais le temps qui n’était pas de la partie passait indifférent à leurs boniments. Et quand sous la pression de la fatigue, et du sommeil, ils décidèrent en fin de se séparer, les voix implorantes des veilleurs nocturnes se faisaient entendre un peu partout dans le campement. Comme tous mes petits copains j’avais pris le chemin de chez-moi, mais absorbé comme je l’étais par les dernières retouches que je mettais à une histoire digne de Roméo et Juliette, inventée de toutes pièces, et que je destinais aux potes, lesquels je la leur en foutrai comme une merveilles dés la nuit suivante, je n’avais réalisé que je m’étais éloigné de mon chemin, que lorsqu’un bruit fortuit me tirait de mes pensée. Je restais clouer de panique à la vue dans le noir d’une silhouette familière que je n’eus aucune peine à reconnaitre, et qui était bien la dernière personne que j’aurais manifesté le souhait de rencontrer à cette heure-ci. C’était Toutou la forgeronne, elle s’assoyait à l’abri d’un gros tronc d’arbre, et une bouilloire à la main elle commençait ses ablutions. Malgré l’effroi, je réalisais que je n’étais pas dans son champ de vision, et que je pouvais l’observais à loisir. Ses ablutions finies elle se déshabilla et passa le reste de la bouilloire sur le corps, tout en le frottant de sa main libre. Ce manège terminé elle s’habilla, et avant de rentrer dans la prière elle leva les mains au ciel puis d’une voix cassée par l’émotion prononçait cette supplique que j’entendis cette nuit-là pour la première fois de ma vie : (Je prends Allah en témoin que je ne suis pour rien dans ce qu’ils disent, et je te demande Ô Seigneur de me rendre encore meilleure que ce qu’ils pensent.) Un bien-être s’installa tout à coup en moi, et je me rendis compte que je n’avais plus peur. Je repris ma marche et passai d’un pas assuré tout près de sa tente, et ce que je vis m’avais laissé cette nuit-là sans voix. Son mari que je croyais être un « Dracula » était en prière et récitait le Coran d’une voix mélodieuse. Le lendemain quand je racontais à ma grand-mère mon excursion nocturne, je restais interloqué d’ébahissement lorsque je l’entendis répondre qu’elle savait déjà.
Ely-Salem Ould Abd-Daim