Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Monthly Archives: July 2019

L’offensive militaire russe au Mali

Mondafrique – Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, et son homologue malien, le général Ibrahim Dahirou Dembelé, ont signé, le 26 juin 2019 à Moscou, un accord de coopération militaire et de sécurité.

Avec en toile de fond, les difficultés grandissantes des forces françaises au Mali en mat!ère de maintien de l’ordre. L’accord de coopération militaire entre Moscou et Bamako a été signé lors du Salon international militaire Army 2019 où se pressent désormais de nombreux galonnés africains.

Les ministres de la défense venus d’Afrique sont soucieux de diversifier leurs approvisionnements en armement et leur protection sécuritaire. En 2018, le ministre burkinabé de la Défense en avait fait de même.

Le rejet grandissant de la France

On se rappelle que dans les années 60 et 70, avec la Guinée de Sekou Touré, le Mali de Modibo Keita fut l’un des pions de l’ex URSS sur l’échiquier de la guerre froide, en Afrique de l’Ouest. Sans aller aussi loin qu’en Guinée, l’ ex URSS intensifia sa coopération militaire, culturelle et minière avec le régime panafricaniste et anti occidental de Bamako. La présence russe fut omniprésente et diversifiée. Il est aujourd’hui facile à la Nouvelle Russie, de rappeler cet « âge d’or » de la coopération russo-malienne et de pointer du doigt le néo colonialisme et les errements de la coopération franco-malienne.

Au Mali, aujourd’hui les massacres se succèdent aux massacres, tantôt du côté des Peuls, tantôt du côté des Touaregs ou des Dogons, tandis que la lutte contre les djihadistes s’annonce longue et incertaine. Au Sahel et surtout au Mali, l’action de la France, avec notamment l’Opération Barkhane, est l’objet de critiques acerbes, voire désormais de manifestations hostiles, d’autant que le soutien affiché au président Ibrahima Boubacar Keita et à son régime très corrompu discrédite la France du président Macron et de son ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.

Les revers français, une aubaine pour la Russie

En Centrafrique et au Mali, Jean-Yves Le Drian, a eu un rôle majeur dans la tentative de sauvetage militaire de ces deux pays puis dans le fiasco de ces interventions qui ont eu peu d’impacts sur la crise nationale de ces deux pays, au contexte pourtant si différent. Comme en Centrafrique, le président Poutine a saisi cette opportunité exceptionnelle pour s’introduire durablement dans ce qui était jadis le » pré carré français.

Jean-Yves Le Drian fut le ministre de la Défense du président Hollande durant les cinq années du quinquennat ( 2012-2017). On se souvient de l’émotion du président Hollande, le 3 février 2013 à Bamako, lorsqu’il déclarait que c’était le plus beau jour de sa vie politique. Jean-Yves Le Drian était à ses côtés et pouvait apprécier la liesse du peuple malien vis-à-vis de la France et de son président. L’Opération Serval devait sauver le Mali.

En juillet 2019, Jean-Yves Le Drian ministre des Affaires étrangères d’Emmanuel Macron doit mesurer le changement d’attitude du peuple malien. Si évidemment l’Opération Sangaris avait des objectifs purement centrafricains, comme l’Opération Serval était circonscrite au Mali, l’Opération Barkhane s’inscrit dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. Pourtant, les constats ne sont pas loin d’être les mêmes : « on va dans le mur ».

Des experts militaires français, devenus consultants, émettent de sérieux doutes sur l’efficacité de notre action au Sahel et notamment au Mali. Le général Bruno Clément-Bollée, ancien patron de l’Opération Licorne en Côte d’Ivoire, a été récemment sans langue de bois sur la situation au Sahel et l’Opération Barkhane. Le 6 juin 2019, au micro de Radio France Internationale, n’ a-t-il pas déclaré que » nous allions droit dans le mur » au Sahel, que c’était une « descente aux enfers » et que que la situation ressemblait » à celle de Centrafrique où des seigneurs de la guerre locaux se sont arrogés des fiefs sur lesquels ils règnent en maîtres « . Après le départ sans gloire de Sangaris en Centrafrique, on peut s’interroger sur le devenir de Barkhane au Sahel et notamment au Mali.

Le Mali, une nouvelle cible de la Russie ?

En moins de deux ans, la Russie a réussi à s’implanter durablement en Centrafrique, en présence de 12 000 Casques bleus de la Minusca et d’ une base militaire française à l’aéroport de Bangui. L’Accord de Khartoum entre les autorités de Bangui et les groupes rebelles a été préparé par les négociateurs et conseillers russes. Le groupe Wagner, présidé par le célèbre oligarque Evgueni Prigojine, est désormais présent dans le mercenariat , le renseignement, le contrôle des médias et évidemment l’exploitation des mines d’or et de diamant. Les campagnes anti-françaises se sont multipliées dans les milieux politiques et médiatiques centrafricains. L’accord de coopération militaire russo-centrafricain de septembre 2017 a légitimé cette nouvelle donne. En sera-t-il de même au Mali ?

L’accord militaire russo-malien du 26 juin 2019 va-t-il permettre au groupe Wagner de s’implanter au Mali comme il l’a fait en Centrafrique ? Les richesses minérales notamment aurifères du pays, la forte demande en armement de toutes parts, les trafics en tous genres et les campagnes anti françaises dans l’air du temps à Bamako constituent des attraits qui ne devraient pas être négligés du côté du Kremlin.

By Aza Boukhris

Mauritanie, halte à la terreur.

Depuis quelques jours notre camarade Kaaw Toure est l’objet d’une campagne ignominieuse d’accusations infondées doublée de menaces à peine voilées. Des sbires de L’Azizanie se lâchent sans scrupules dans les réseaux sociaux pour l’accuser de touts les pêchés d’Israel.
Selon ces courtisans du nouveau roitelet, Kaaw serait derrière les manifestations post électorales sauvagement réprimées par la soldatesque du régime.
En vérité ces sorties intempestives trahissent un régime en desarois. En effect, après avoir pris en otage le président Samba Thiam pendant une semaine en attendant de produire des justificatifs moins burlesques, voilà que l’autocratie de NKTT s’attaque à un autre membre des FPC en l’occurrence leur porte parole.
Il n’échappe à personne qu’il s’agit là de manœuvres  malvaillantes d’un régime ébranlé par sa cuisante défaite électorale.
Nul n’ignore que la sanglante répression de ces manifestations entrent dans le cadre de la campagne d’intimidation et de terreur mis en brale par le régime bien avant les élections par le déploiement d’arsenal de guerre à la veille du scrutin.
La violence appelle la violence, dit on. Les jeunes descendus massivement dans la rue, n’ont fait qu’exercer un des droits fondamentaux de la démocratie; celui de manifester. Incapable de décrypter le message, le gouvernement n’a trouvé mieux que de recourir à ses vieilles méthodes.
En réalité, à travers Kaaw c’est toute la CVE en particulier les FPC qui sont visés. En effet, la brusque prise de conscience de l’électorat negro-africain est perçue comme une menace réelle à l’ordre jusqu’a la en vigueur en Mauritanie. 
Cette campagne de calomnie, d’emprisonnement et d’expulsions de soit disant étranger rappelle malheureusement un épisode sombre de notre histoire …
C’est le même scénario déroulé par Taya et son régime à la veille de la campagne genocidaire des années 89-92 envers la population negro-mauritanienne.
Faut il rappeller aux futures autorité que la stabilité et la viabilité du pays résident dans   le traitement égale de toutes les composantes du pays, gage d’une cohabitation harmonieuse.

En tout etat de cause, les FPC ne céderont pas devant le chantage et l’intimidation et useront de touts les droits garanties par la loi pour exercer leurs activités de sensibilisation et de mobilisation de touts les mauritaniens épris de paix et justice pour l’avennement d’un véritable État de droit en Mauritanie.
 
La lutte continue
Abou Hamidou Sy
FPC/ Amérique du Nord  

Mauritanie, le coup d’état permanent

Régis Marzin, journaliste et chercheur indépendant, revient sur la mascarade électorale qui a eu lieu, le 22 juin dernier, lors de l’élection présidentielle en Mauritanie où l’on a vu Mohamed Ould Abdel Aziz, président depuis 2008, transmettre le pouvoir au général Gahzouani, son plus fidèle compagnon

Dans la soirée du dimanche 23 juin 2019, la Commission nationale électorale indépendante (Céni) annonce ses résultats provisoires de la présidentielle mauritanienne du samedi 22 juin : le candidat d’Ould Abdel Aziz, le général de 62 ans Mohamed Cheikh El-Ghazouani obtiendrait 52,01% des suffrages, le militant anti-esclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid 18,58%, l’ex-Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar 17,87% et le journaliste Baba Hamidou Kane 8,71%. La participation annoncée est de 62,66%. Les quatre candidats de l’opposition s’étaient engagés avant le scrutin à aller ensemble au second tour du 6 juillet. Aussitôt, ces quatre candidats dénoncent un « nouveau coup d’État » des « éternels putschistes ». Dans une conférence de presse, ils exigent la publication « bureau par bureau » des résultats. Les candidats dénoncent aussi les « multiples irrégularités » qui « ôtent toute crédibilité » à l’élection.

Le 26 juin dans le journal La Croix, Fatimata Mbaye, présidente de l’association mauritanienne des droits de l’homme, résume la situation à l’essentiel  après l’annonce de la Ceni : « L’ensemble de l’opposition aurait alors fait bloc autour d’un candidat unique, qui l’aurait forcément emporté, Ghazouani n’est vraiment pas populaire. » En dictature africaine, l’inversion de résultat à la compilation des résultats et à l’annonce officielle sans publication des procès-verbaux est un mode bien connu de détournement de processus électoral. Dans certains cas, les inversions se font en éliminant un second tour où l’opposition a des chances de gagner grâce à une alliance. En Mauritanie, l’hypothèse d’une sorte d’inversion de résultat par suppression du second tour est dès le dimanche 23 juin très probable. Le modèle existe, puisqu’en 2016, Idriss Déby a modifié les résultats du premier tour au siège de son parti alors que la victoire de Saleh Kebzabo au second tour était très probable.

Si une telle inversion est faite, elle arrive après la mise en œuvre de plusieurs autres techniques de détournement de processus électoral en amont du scrutin, qui ont préalablement augmenté les scores du candidat du pouvoir, entre autres, par exemple, un grave déséquilibre des budgets. La Ceni mauritanienne est aussi sous le contrôle du gouvernement, et, la liberté de la presse est régulièrement attaquée. Surtout, aucune observation sérieuse n’a été autorisée, l’Union européenne n’a pas pu faire venir une mission d’observation et n’a été autorisée, un mois avant l’élection, qu’à envoyer deux mystérieux experts. Pour le jour du vote,  Fatimata Mbaye parle aussi de « beaucoup trop d’irrégularités et d’achats de voix ».

En l’absence de publication de tous les procès-verbaux des bureaux, ce que l’opposition dénonce comme un « coup d’État » correspond à un passage du score de Mohamed Cheikh El-Ghazouani de moins de 50% à plus de 50%. Dans cette hypothèse, l’histoire des élections dans les dictatures africaines a montré que les scores des opposants qui suivent peuvent être également modifiés, globalement rabaissés et que, dans certains cas, l’ordre des suivants est inversé. Dans tous les cas, la méthode consiste à faire croire qu’en cas de second tour l’inverseur aurait probablement gagné même face à une alliance de l’opposition. Dans ce cas, les deux objectifs à atteindre pour le pouvoir sont d’empêcher une protestation internationale et, en période de répression maximale, de démobiliser la population, ce qui est d’autant plus facile à faire que l’absence d’alliance contre la dictature avant le premier tour peut avoir laissé des traces.

Internet est coupé le dimanche après-midi. Reporters sans frontières indique le lendemain : « les autorités mauritaniennes ont privé la population d’accès à l’internet mobile dans l’ensemble du pays… la coupure est intervenue le dimanche en milieu d’après-midi, peu de temps après la tenue d’une manifestation de l’opposition contre des fraudes électorales présumées. » Dès lors, les réseaux Mauritel, Chinguitel et Mattel sont durablement impactés.

L’armée est déployée le dimanche, selon RFI : « certains quartiers contestataires sont toujours (le lundi) quadrillés par l’armée et la police antiémeute, par exemple dans la périphérie de Nouakchott, à Tayared, Dar Naïm, Toujounine, Arafat et Riyad. Idem pour El-Mina et La Sebkha, où des unités du bataillon de la sécurité présidentielle sont positionnées au carrefour des grandes avenues du ministère du Pétrole et de l’hôpital Sabah. » Le journal La Croix précise : « L’armée et la garde nationale (rattachée au ministère de l’intérieur), largement déployées dans le pays, ont procédé à des arrestations massives, y compris d’étrangers maliens, guinéens et sénégalais… ‘C’est un état de siège qui ne dit pas son nom’, a dénoncé Biram Dah Abeid… toute manifestation a été interdite par le gouvernement. ».

Le lundi 24, le représentant du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas ‘félicite les Mauritaniens « pour la tenue paisible de l’élection présidentielle » et invite « à résoudre tout litige éventuel » par la voie judiciaire’. Mohamed Ibn Chambas est aussi connu par son soutien à Faure Gnassingbé au Togo au moment des élections en 2005 et 2015.

Le lundi 24, en fin de journée, le porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) se montre prudent sur les résultats : « L’Union européenne salue le taux de participation élevé à ce scrutin qui s’est tenu dans une atmosphère pacifique et des conditions généralement satisfaisantes. Toujours dans l’attente des résultats définitifs, l’Union européenne est préoccupée par les déclarations de certains candidats et appelle chacun au calme et à la retenue et à recourir aux voies légales pour les éventuelles contestations. »

Le lendemain, mardi 25, avant 18h30, alors que monte la contestation de l’opposition, alors que l’enjeu principal est celui de la publication des résultats détaillés, le porte-parole du Ministère des affaires étrangères français déclare : « La France salue le bon déroulement de l’élection présidentielle intervenue… Elle se réjouit de la forte participation du peuple mauritanien à ce moment démocratique historique. Elle félicite M. Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed El Ghazouani, candidat élu selon les résultats annoncés par la Commission électorale nationale indépendante. La France … se tient prête à travailler étroitement avec les nouvelles autorités… »

Depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, aucun message aussi fort et rapide de soutien à une dictature à l’occasion d’une élection n’avait été formulé. Depuis soixante-dix ans, de nombreux dirigeants français pratiquent « le compromis à l’africaine » mais le soutien aux dictateurs prend depuis 2007 des voix plus discrètes. Cette fois, Jean-Yves Le Drian montre qu’il ne craint plus aucune critique sur les élections en dictature en Afrique. Le ministre mitterrandien, le dernier gardien d’une Françafrique finissante mais résistante, l’ancien ministre de la défense qui n’a pas vraiment réussi à changer de rôle, semble considérer que, dans ces pays-là, une inversion de résultat, ce n’est pas trop important, d’autant plus que la priorité française reste militaire au Sahel.

A partir du mardi 25, Ould Abdel Aziz et Mohamed Cheikh El-Ghazouani savent qu’ils bénéficient d’un soutien total de Jean-Yves Le Drian à Paris et peuvent aussi compter sur la passivité de l’Onu et de l’Ua, sachant que la Cedeao a, elle, encore perdu beaucoup de sa crédibilité au niveau électoral lors du processus électoral des législatives togolaises de 2019. L’Union européenne, assez isolée, est, elle, très influencée par la position française.

La répression empêche alors les partis d’organiser des manifestations. La police ferme les sièges de campagne des quatre candidats entre lundi et mardi. Cette mesure impacte le travail de l’opposition sur les vérifications de la compilation des procès-verbaux.

En fin de semaine, des media français commencent à décrire une sorte de ‘scénario du retour à la normal’, dans un style de journalisme diplomatique. Le scénario du retour à la normale a été d’une certaine manière préparé en amont du scrutin par Ould Abdel Aziz. Plus globalement, il se présente comme un scénario du retour à la normal après le coup d’Etat militaire du 6 août 2008, malgré, entre temps, les processus électoraux détournés en amont lors des présidentielles de 2009 et 2014 et des législatives de 2013 et 2018. En 2018, il a été remarqué qu’une partie de la population votait pour Ould Abdel Aziz et l’Union Pour la République (UPR) dans un pourcentage plus élevé que ce qui s’observe dans de nombreuses dictatures qui se maintiennent avec seulement 5 à 20% de l’électorat. Des media brodent aussi sur des possibles divergences entre le sortant et le dauphin comme si ce n’était pas le même régime. Surtout, le respect de la limitation du nombre de mandats a été mis en avant pendant une période de focalisation internationale sur la RDC, où, là aussi, un président acceptait de respecter cette même limite et où, ensuite, la communauté internationale autour de l’Onu a renoncé à soutenir la démocratie à la suite de l’inversion du résultat de la présidentielle. Particulièrement en Mauritanie, dès 2018, la limitation du nombre de mandats en dictature tend à donner l’illusion d’une démocratie, qui pourtant n’existe pas. Au final, le scénario adopté est dans la normalité dictatoriale et le standard des détournements de processus électoraux selon la nature du régime, ce qui met indirectement l’accent sur le fonctionnement des acteurs extérieurs qui, une fois de plus, ne favorisent pas la démocratisation.

Le dimanche 30, les quatre candidats de l’opposition, tiennent une conférence de presse relatée par RFI, où ils donnent plus d’informations : « Sur près de 3 800 PV, on a identifié 211 bureaux de vote où les cas de fraude sont patents, estime El Hadhrami Ould Abdessalam, directeur national de campagne de Sidi Mohamed Ould Boubacar. Ça dépasse l’entendement, ça dépasse toute logique. On nous donne le nombre de bulletins trouvés dans l’urne, il est de 138, le nombre de votants 138. Mohamed Ould Ghazouani a 302 voix. Alors les 211 cas, on les a répertoriés ici en détail. Toute personne qui a un référé peut vérifier ça. On a évalué à partir de nos calculs, sur la base de 54 000 voix normalement qui n’appartiennent pas à monsieur Ghazouani à 6%. Alors 6%, vous enlevez de ça 52% et vous allez vous retrouver à 46%. Ça, ce sont des éléments probants ». Biram Ould Dah Ould Abeid précise : « Après vérification par nos techniciens électoraux qui ont travaillé sur 455 bureaux de vote (sur un total de 3.861, NDLR) où il a réalisé 100% et plus, le candidat Ghazouani ne pouvait pas avoir plus de 41% », a affirmé M. Ould Abeid lors d’une conférence de presse dimanche soir avec les trois autres candidats de l’opposition… Tous ces bureaux sont situés dans des zones reculées, logés chez des dignitaires du régime contrairement à la loi, loin de toute possibilité de contrôle, totalisant plus de 9.800 voix, soit 10% du vote global », a-t-il ajouté estimant que M. Ghazouani ne pouvait obtenir « dans le meilleur des cas que 48,5 % » ».

Le lundi 1er juillet, le Conseil constitutionnel valide les résultats de la Ceni sans qu’il soit question de la publication des procès-verbaux des bureaux de vote.

Aussitôt, le porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) « salue l’élection de M. Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed El Ghazouani » et ose « La première transition constitutionnelle entre deux Présidents élus marque une étape importante pour le pays », alors qu’Ould Abdel Aziz vient de réussir à mettre son ministre de la défense à sa place. En plagiant le communiqué français six jours plus tôt, le SEAE conclût : « L’Union européenne est prête à renforcer encore davantage le partenariat déjà dense qui la lie avec la Mauritanie. » Sur twitter, le directeur Afrique du SEAE Koen Vervaeke diffuse le texte en mettant en exergue : « La première transition constitutionnelle entre deux Présidents élus marque une étape importante pour le pays ». L’Ue va au-delà de la position française en inventant une « transition constitutionnelle » imaginaire et en insistant sur des « Présidents élus » alors que, comme dans toutes dictature, les chefs de l’Etat ne sont pas élus ‘démocratiquement’ et que le régime mauritanien est issu d’un coup d’Etat militaire en 2008. L’Ue entre dans la propagande du pouvoir mauritanien et, à cet instant critique, les dirigeants français se cachent derrière l’Ue. L’Ue demande cyniquement aux victimes électorales de rejoindre le camp des démocrates congolais, gabonais, tchadiens, djiboutiens, vaincus officiellement puis abandonnés à leur sort.

En pleine négociation post-Cotonou, après la récente polémique avec Human Right Watch sur le Rwanda impliquant le commissaire au développement Neven Mimica, après le discours très collaborationniste de Federica Mogherini à Djibouti le 22 mai, le SEAE dérive encore plus vers la facilitation du détournement de processus électoraux et les compromissions avec les dictatures. Dans ce contexte, la position française apparaît actuellement la plus proche de celles des dictateurs francophones très organisés dans le lobbying pour faire reculer Bruxelles sur les questions de démocratie en Afrique.

En conférence de presse, à propos de l’avis du Conseil constitutionnel, les candidats opposés à la dictature déclarent par la voix de Biram Dah Abeid : « Il a entériné la décision de la Céni que nous avons décriée avec des arguments très clairs et probants. Nous pensons que cette crise politique s’approfondit. »

*

Cinq catégories de processus électoraux peuvent être répertoriées en dictature : les plus nombreux, des processus électoraux détournés en amont, avec ou sans boycott de l’opposition réelle, des processus électoraux avec principalement des fraudes massives le jour du vote, des processus électoraux avec inversion d’un résultat réel à la compilation des procès-verbaux et/ou à la publication des résultats officiels, et de rares processus électoraux corrects qui forment l’exception à la règle des élections en dictature stable selon laquelle il n’y a pas d’élection démocratique avec possibilité d’alternance en dictature.

L’inversion de résultat est une spécialité des ex-colonies françaises, les seuls cas extérieurs étant ceux du Zimbabwe et de la RDC. Les cas se sont multipliés en 2016. Concrètement, il n’y a jamais de publication correcte et complète des procès-verbaux bureau de vote par bureau de vote pour pouvoir vérifier la compilation des résultats. Les inversions de résultats à la compilation des procès-verbaux et à la publication des résultats officiels se font généralement grâce à des fraudes préalables qui provoquent un mélange des méthodes de détournement à trois niveaux, dans l’organisation en amont, le jour du vote, et finalement dans la modification des résultats au moment de la compilation des procès-verbaux.

En dictature, pour inverser, le score du candidat du pouvoir est en général fortement gonflé, de 10, 20, 30, 40, et jusqu’à 50% pour, en cas de 2 tours, être déplacé de moins de 50% à plus de 50%. Si l’on se réfère aux premiers chiffres donnés par l’opposition mauritanienne d’un gonflement de 41%, 46% ou 48,5% à 52%, il s’agit d’un cas où l’estimation du gonflement est particulièrement basse, ce qui n’empêche pas qu’un second tour pouvait encore aboutir à une victoire de l’alliance de l’opposition. Dans certains cas, le résultat est totalement inventé et ne se réfère pas à des procès-verbaux, dans d’autres, une grande quantité de procès-verbaux ont été modifiés. En Mauritanie, selon l’opposition, seule une partie des résultats a été falsifiée pendant la compilation, ce qui correspond à un gonflement autour des 50% plus faible qu’ailleurs.

Il existe des cas potentiels d’inversion non prouvés par des observations objectives qui reste à étudier mais au moins treize cas d’inversions de résultat de présidentielles depuis début 1990 sont suffisamment documentés : l’élection de Paul Biya au Cameroun en 1992 (un tour), d’Omar Bongo au Gabon en 1993 (2 tour : sans doute éliminé au premier tour, Omar Bongo est affiché à 51,18% au 1er tour[1]), d’Ibrahim Baré Maïnassara au Niger en 1996 (2 tour : sans doute éliminé au premier tour, IBM est affiché à 52,2% au 1er tour[2]), de Gnassingbé Eyadéma au Togo en 1998 et 2003 (un tour), de Robert Mugabe au Zimbabwe en 2008 (2nd tour imposé dans de mauvaise conditions et boycotté), d’Ismail Omar Guelleh à Djibouti en 1999 et 2016 (2 tours : en 1999, inversion au premier tour proche de 70-30 inversé en 26-74, en 2016, suppression du second tour), d’Ali Bongo au Gabon en 2009 et 2016 (un tour), de Denis Sassou Nguesso au Congo Brazzaville en 2016 (sans doute éliminé au premier tour, Denis Sassou Nguesso est affiché à 60,39% au 1er tour), d’Idriss Déby au Tchad en 2016 (suppression du 2nd tour), de Félix Tshisekedi parrainé par Joseph Kabila en RDC fin 2018 (un tour). Le cas mauritanien de 2019 constitue une quatorzième occurrence d’inversion de résultat.

Sept cas d’inversions sur treize concernent des élections à deux tours. Les inversions dans un scrutin à deux tours sont de plus en plus fréquentes depuis 2016. Robert Mugabe en 2008 a poussé son opposition à boycotté le second tour. Ismail Omar Guelleh en 1999, a privé le candidat unique de l’opposition de sa victoire au premier tour. Dans trois cas, ceux d’Omar Bongo en 1993, d’Ibrahim Baré Maïnassara en 1996 et de Denis Sassou Nguesso en 2016, le président sortant n’était a priori pas qualifié au second tour qui aurait dû avoir lieu sans lui. Une dernière sous-catégorie, parmi les inversions lors de scrutins à deux tours, est constituée des cas où aucun candidat n’atteint 50%, où le candidat du pouvoir est, selon les résultats réels, qualifié, et, où le faux résultat officiel place le candidat du pouvoir à plus de 50%, ce qui supprime le second tour et la possibilité d’une alliance de l’opposition mobilisée pour sortir de la dictature. Depuis 1990, seuls deux cas d’inversion avec suppression du second tour où le candidat du pouvoir devait réellement être au second tour ont été constatés : Idriss Déby pour le scrutin du 10 avril 2016 s’est attribué 59,92% et Ismail Omar Guelleh pour le scrutin du 8 avril 2016, 87,07%.

Dans ces derniers cas, dans la suppression du second tour, le pouvoir sortant a peur de perdre au second tour et si, au contraire, il pense gagner, il souhaite dominer totalement l’espace politique et écraser l’opposition pour la désorganiser. Il s’observe différents niveaux de probabilité de victoire d’une alliance de l’opposition. A Djibouti, en 2016, le dictateur a fortement désorganisé l’opposition en amont en faisant tirer sur des leaders ou en emprisonnant des leaders, et l’opposition était en amont en grande partie favorable au boycott et n’était donc plus assurée de gagner, malgré le très faible électorat du dictateur, à cause de l’abstention. Par contre, en 2016 au Tchad, Saleh Kebzabo pouvait assez facilement s’imposer au second tour. La probabilité de victoire de l’opposition en Mauritanie en 2019 semble être à un niveau intermédiaire. Les candidats d’opposition sont relativement soudés et en cas de second tour le scrutin restait ouvert. Que ce soit dans une inversion ou dans une possibilité d’inversion finale, la suppression du second tour classe le processus électoral comme non démocratique, ce qui n’est pas une surprise car le régime dictatorial mauritanien issu d’un coup d’état n’a encore jamais franchi l’étape d’un passage à la démocratie, un passage qui serait incontestable.

*

La qualité des processus électoraux s’analyse également en fonction de la nature du régime politique et de son évolution. Les alternances en dictature sont rares. Les cas d’alternance présidentielles en dictature correspondent en général aux dictatures de partis politiques avec limitation du nombre de mandats. Le pays le plus ancien sur ce modèle est la Tanzanie. Le nombre de pays africains en dictatures de partis politiques est actuellement en augmentation. Le respect de la limitation du nombre de mandats en RDC en 2016 et la validation de l’inversion du résultat en particulier par le secrétaire général de l’Onu dans ce pays est aujourd’hui source de confusion. La porte est ouverte à une propagande de régime dictatoriaux qui voudraient faire passer le respect de la limitation du nombre de mandats pour une sorte de transition vers la démocratie. L’avis du SEAE du 1er juillet qui parle hypocritement de « transition constitutionnelle » au lieu de souligner que les résultats détaillés n’ont pas été publiés de manière consensuelle incontestable, illustre l’influence de cette nouvelle propagande. Tous les diplomates qui cherchent à préserver des conditions d’influence, pourront souligner une alternance de personne physique, alors que, dans le cas mauritanien, un régime issu d’un coup militaire et qui est soutenu par une partie a priori minoritaire de la population, a juste trouvé une manière de se maintenir en simulant la démocratie.

Une fois de plus, en dictature francophone, la validation par une Cour constitutionnelle n’apporte aucune garantie sur la valeur du résultat, et pourtant, la procédure est considérée comme sérieuse à l’extérieur. Cela montre aussi que la propagande sur la construction d’institutions démocratiques dans un cadre dictatorial est bien vivante, et se propage dans un style de discours ouvertement mensonger et sans doute assez culturellement francophone.

Malgré la continuité, avec ce scrutin, le régimes mauritanien évolue. Il ne se dirige pas exactement vers une dictature de parti politique avec limite de 2 mandats sur le modèle tanzanien, car l’empreinte militaire reste forte. Il semble plus évoluer vers le modèle algérien du FLN, vers une dictature politico-militaire ou le parti au pouvoir reste secondaire par rapport à l’armée. Mohamed Cheikh El-Ghazouani est un général. L’utilisation du respect de la limite de deux mandats crée un mixte entre le modèle algérien et le modèle tanzanien. Joseph Kabila a voulu lui aussi placer son ministre de la défense au pouvoir en respectant la limitation de mandats, mais puisqu’il a échoué, c’est finalement Ould Abdel Aziz et Mohamed Cheikh El-Ghazouani qui peuvent se vanter d’avoir réussi à faire fonctionner le plan.

A priori, les résultats détaillés bureau par bureau ne seront jamais totalement montrés et correctement vérifiés. Les discours diplomatiques extérieurs participent à isoler les candidats victimes de l’inversion. Le traitement international méprisant semble aussi influencé par le paroxysme des multiples inversions évidentes en RDC début 2019, à la présidentielle, aux législatives et aux provinciales. En Mauritanie, s’observent les premières conséquences importantes de ce désastre congolais, dans le recul du soutien international à la démocratisation de l’Afrique. En outre, alors que la négociation pour un futur accord entre l’UE et les pays ACP est en cours, les dirigeants français semblent continuer de transférer leurs méthodes de défense diplomatique des dictatures africaines francophones vers l’exécutif européen. Quelques mois après le désastre électoral congolais, l’inversion de résultat en Mauritanie fait aussi disparaître l’espoir de voir se maintenir le soutien européen au processus de démocratisation africain bloqué depuis 2005 et en forte régression depuis 2016.

[1] FX Verschave, Noir silence, avril 2000, p198

[2] FX Verschave, Noir silence, avril 2000, p492-500

Régis Martin Contact Mail, Twitter : @Regis_Marzin,

Crise post-électorale Mauritanie : Samba Thiam leader incontesté de l’opposition anti-système

Crise post-électorale Mauritanie : Samba Thiam leader incontesté de l’opposition anti-systèmeCrise post-électorale Mauritanie : Samba Thiam leader incontesté de l’opposition anti-système Par Yaya Cherif Kane- Journaliste- Rouen- France

 

Depuis sa libération cette fin de semaine à Nouakchott le président des FPC Samba Thiam reçoit chez lui l’hommage de toute la classe politique toutes tendances confondues, de personnalités indépendantes et syndicalistes et de la société civile et des organisations non gouvernementales nationales des droits de l’homme. C’est une gifle aux autorités de Nouakchott qui ont voulu s’en prendre au leader afro-mauritanien. C’est méconnaître le rôle historique du combattant de la liberté qui a dirigé le premier mouvement de libération africaine de Mauritanie qu’il a transformé en FPC en rentrant au bercail après 27 ans d’exil aux Etats-Unis. C’est l’un des auteurs du Manifeste du négro-mauritanien opprimé en 86. Un pamphlet sur le racisme d’Etat et les discriminations des noirs en Mauritanie qui l’a conduit en prison sous le régime de Ould Taya. Dans ce mouroir de Oualata il était avec un de ses compagnons Ibrahima Mokhtar Sarr aujourd’hui président de l’AJD-MR avec qui il s’est rapproché et formé la solide coalition du VE qui vient d’obtenir de bons résultats aux présidentielles du 22 juin dernier. Une prestation qui a permis aux différents partis afro-mauritaniens de gagner largement la vallée avec le candidat abolitionniste Ould Abeid prouvant si besoin est que ses propositions sur l’autonomie du Sud ne sont pas des idées fantaisistes mais d’une figure de l’opposition qui veut combattre un système instauré depuis l’aube des indépendances. Pas étonnant que sa libération soit bien accueillie dans tous les milieux politiques et au sein des personnalités indépendantes, syndicales et de la société civile. Le leader incontesté des FPC fait ainsi l’unanimité et apparaît aujourd’hui comme un chef de parti incontournable sur la scène nationale. En le libérant après une semaine derrière les barreaux le pouvoir évite une crise post-électorale beaucoup plus grave parce que le patriote Samba Thiam entend aller jusqu’au bout de ce long chemin vers la liberté.

CONFESSION POLITIQUE : UNE INTELLIGENTSIA QUI A PERDU SES REPERES

Les rôles de I-LE PASSE QUI PRÉPARAIT L’AVENIR
Avant le coup d’état de 1978, ceux qui faisaient la politique dans ce pays avaient des motivations uniquement patriotiques sous tendues par des idéaux de justice sociale, de meilleure conduite des institutions de l’Etat, de recherche d’une politique étrangère souveraine, d’optimalisation des retombées de notre potentiel économique. Aucune pensée relative à la carrière personnelle, aux règlements de compte entre personnes ne venait assombrir cet idéal. L’engagement était total, le choc frontal mais les codes d’éthique étaient respectés par tous les protagonistes mêmes ceux qui, à l’époque, étaient taxés de gauchisme.

Le paysage politique d’opposition comptait à l’époque : Le mouvement national des ressortissants de la Vallée, les baathistes, les nassériens et le MND originel qui avait des liens avec l’opposition traditionnelle au régime. Celle-ci était composée d’hommes de toutes les ethnies et régions du pays et ses animateurs étaient plus âgés que notre génération. L’opposition et le pouvoir avaient chacun des programmes écrits très élaborés qu’ils proposaient aux citoyens.

Le pouvoir le faisait par la voix officielle de son parti et sa presse. L’opposition avait ses cellules, sa presse clandestine, ses relais à l’intérieur du pays et ses manifestations. Aucune des parties n’avait de rancune individualisée vis-à-vis de l’autre. Les liens sociaux et les amitiés personnelles étaient maintenus malgré la diversité des opinions. Chacune des parties respectait l’autre.
Pour consolider l’unité du pays et convaincu que certaines propositions de l’opposition étaient pertinentes, Le Président Moktar, paix à son âme, décida, malgré les réticences d’une partie de son camp, la révision des accords avec la France en 1972, la création de la monnaie en 1973 et, finalement, la nationalisation de la Miferma et de la Somima en 1974.

Il mauritanisa 70 % du capital de la BIMA, première banque du pays détenue par un actionnariat étranger. C’était en 1975.
Il est évident que dès la révision des accords en 1972, la création de la monnaie et surtout la nationalisation de la Miferma et de la Somima, l’opposition, qui s’opposait par idéal, commença à reconnaître les bienfaits de telles réformes pour le pays. Le dialogue s’engagea entre les deux parties avec respect et détermination, sans marchandages d’aucune sorte. Certes, quelques cadres de l’opposition étaient réticents, pas parce qu’ils considéraient que les décisions n’étaient pas pertinentes mais simplement parce qu’ils jugeaient que les prémices d’une future guerre au Sahara annihileraient les effets positifs des réformes entreprises. Personne ne pouvait les blâmer pour ces appréhensions raisonnables mais la guerre n’était pas encore déclenchée et tout le monde espérait une issue heureuse au problème du Sahara.

Les négociations engagées portaient uniquement sur les thèmes politiques. Jamais l’aspect relatif à des places n’a été évoqué ni directement ni indirectement. Après les négociations et sans concertation, le Président coopta un universitaire de l’opposition, surtout pour renforcer le groupe qu’on appelait alors « les techno » qu’il avait déjà au sein de son gouvernement. L’administration publique fut ouverte à toutes les compétences d’où qu’elles viennent. Le 10 juillet 1978, l’intelligentsia du pays était essentiellement composée des cadres du régime déposé et des groupes idéologiques qui avaient une grande expérience de la lutte politique et disposaient de structures organisationnelles rodées.
Si j’ai voulu faire ce rappel historique, c’est surtout pour marquer la profondeur de la rupture mentale entre cette période – où les hommes étaient uniquement mus par des idéaux pour le pays – et celles qui vont suivre – beaucoup moins glorieuses – et qui seront entachées par le reniement des idées généreuses, le délabrement des mœurs politiques et administratives, le repli sur des concepts primaires d’ethnies, de tribus, de régions.

Elle sera marquée par toute une culture nouvelle qui surprendra plus d’un et en premier lieu les classes moyennes et un peuple auxquels nous avons fait miroiter un monde meilleur. Jusqu’aujourd’hui, ils n’ont jamais compris ni la rapidité de notre métamorphose, ni notre nouvelle propension au pillage à ciel ouvert, ni notre participation au dévoiement des structures de l’Etat de leur noble mission de services publics et finalement notre engouement nouveau – et sans limite – pour cet « argent roi » que nous méprisions tant et qui est devenu tout d’un coup la seule finalité dans la vie. Il nous fallait désormais l’avoir et a n’importe quel prix.
Les premiers à avoir murmuré aux oreilles des militaires leurs premières décisions malheureuses ce furent bien nous qui étions les anciens porte-étendards des grands idéaux, les défenseurs de la veuve, du pauvre et de l’opprimé. Puisqu’ils buvaient nos paroles et puisqu’on était leurs « souffleurs attitrés’’ pourquoi n’avons-nous pas essayé de prime abord de leur conseiller la consolidation des acquis légués, la redynamisation de l’administration publique et profiter de la crainte qu’ils inspiraient à l’époque pour instaurer la bonne gouvernance et la démocratie qu’ils s’étaient engagés à promouvoir ?
Je me souviens que le premier conseil que certains ont donné au Premier président militaire, homme intègre, patriote et digne, était un décret qui changea la numérotation des régions pour revenir aux noms à connotation régionale: Hodh, Trarza, Zemmour etc. Après ce décret, ce fut le retour rapide et irrévocable à un passé que nous avons mis des années à combattre avec des succès probants. Sur ce plan, notre politique et celle du régime déposé se rejoignaient.

Depuis cette date, chaque tribu, puis plus tard chaque région, a commencé à réunir tous ses chefs traditionnels et ses cadres qui établissaient leur plateforme revendicative que le plus en vue des notables devrait transmettre au chef de l’Etat, en insistant surtout sur le caractère urgent des nominations demandées.
Peu importait la compétence des postulants pourvu que la région soit bien représentée.

Le poste était souvent spécifié alors qu’il peut être occupé par un cadre qui n’a pas démérité mais dont le « tort » est d’appartenir à une autre région. Voila comment commença la fin de la défense des intérêts des masses déshéritées, de la lutte contre le tribalisme, le régionalisme, le sectarisme et le combat pour le renforcement de l’unité nationale. Cette attitude s’est doublée d’une mise dos à dos des ethnies, des régions et des tribus avec une dose d’ostracisme rarement atteinte dans le pays, presque une chasse « aux sorcières ».

Historiquement, il faut avouer que peu de cadres de la Vallée n’ont participé à cette phase de déstructuration collective de l’Etat. Cela arrivera plus tard.

Chaque groupe idéologique commençait à faire le décompte des officiers qui peuvent avoir pour lui des sympathies anciennes ou nouvelles. Il réunissait tout son monde et choisissait un membre du comité qui serait son mentor. La guerre des anciens groupes idéologiques commença avec ses effets parfois pervers sans que les officiers très peu avertis de la chose politique ne comprennent que leur perte de cohésion n’est pas due à des problèmes inhérents à eux mais qu’ils sont manipulés par des forces extérieures qui veulent, chacune, contrôler une parcelle du pouvoir.

Les limogeages, les radiations commencèrent. Les observateurs avertis comptaient les coups. Tout le temps que dureront les régimes militaires, les anciens groupes idéologiques sont restés leur interface visible ou cachée. Leurs gourous que le lexique politique de l’époque appelait les « notables » siégeaient dans tous les gouvernements. Leur présence était très visible dans toutes les activités à caractère politique. Malgré leur cooptation dans les sphères de décision et leur adaptation au contexte nouveau, avec ses mœurs morales et politiques, ils ont continué à se livrer des guerres intestines où tous les coups sont permis.
Pendant que certains sont condamnés à la prison à vie, radiés ou en résidence surveillée, les autres étaient sans gêne sous les lampions de la République. Seule une partie du groupe nationaliste de la Vallée avait accompli sa rupture définitive avec les régimes successifs et a préféré l’exil.

Une précision s’impose : En relatant ce processus, je ne cherche nullement à absoudre les erreurs des militaires – et Dieu sait qu’elles ont été nombreuses – mais surtout pour dire qu’ils n’en sont pas les seuls responsables. Ils ont toujours bénéficié de nos « conseils avisés ».

Nous étions par rapport à eux des gens rompus à la politique, capables de concevoir des stratégies propres à ce genre de groupes dans tous les pays où ils existent: Nos méthodes sont d’une efficacité redoutable pour noyauter, désinformer ou discréditer un régime, un groupe ou lyncher une personne.

« LE VIOL DES FOULES PAR LA PROPAGANDE » était quelques années avant le bréviaire de tous les groupes idéologiques.
Cette mue dans les mœurs morales et politiques des groupes, leur proximité avec les différents pouvoirs militaires leur ont permis de drainer une grande faune politique qu’ils n’avaient pas avant le coup d’Etat de 1978.

La jonction avec le pouvoir militaire qui n’était pas accessible à tout le monde combinée à un changement de leur lexique politique : alliance tactique avec les forces traditionnelles, moins de recours aux concepts idéologiques et des alliances avec l’étranger au grand jour ont facilité grandement l’élargissement de leur base ainsi que leur poids politique. Heureusement tout le monde n’a pas suivi cette trajectoire mais la déception est restée très grande.

Des hommes qui furent parmi les pères fondateurs de ces mouvements ont préféré quitter carrément la scène politique. Ils continuent à s’intéresser au destin de leur pays tout en évitant le militantisme de quelque nature qu’il soit. Certains ont fait des études sur le tard et ont choisi d’être des serviteurs de l’Etat, d’autres ont eu de grandes carrières au niveau international et quelques-uns, peu nombreux, se sont engagés dans les forces armées. Les plus braves, les plus engagés – et qui furent malheureusement les plus déçus – ont végété dans des postes subalternes mais continuent à incarner  »la dignité personnifiée ». Malgré l’âge, ils continuent de rêver d’un monde meilleur où règnent la justice sociale et l’égalité des chances.

II LE PRÉSENT HANDICAPE PAR LE PASSE

Le passé évoqué aura de grandes conséquences sur les générations qui suivront. L’aura qu’ont eu ces groupes idéologiques à l’époque antérieure est due au fait qu’ils ont mis la barre très haut pour tout ce qui a trait aux aspects moraux qui font le prototype du vrai patriote. On est presque entré dans les mythes du visionnaire et même de l’infaillibilité. Quand les générations futures furent confrontées à ces personnages de légendes, elles tomberont de très haut. En venant dans la vie active, l’occasion leur sera offerte de côtoyer ces noms mythiques dont on leur a rabattu les oreilles dans les lycées et les universités.

Ils comprendront que les idéaux dont se réclamaient les générations précédentes sont en train de battre de l’aile. Personne ne peut mesurer la portée psychologique que peut avoir ce phénomène sur le destin d’un jeune plein de fougue, bardé de diplômes et qui commence sa carrière. C’est le moment de se poser la question essentielle d’une vie : que faire? La question qui le taraudera sera de se dire quel chemin vais-je prendre, quel modèle sera le mien? Le référentiel de valeurs qu’il voulait incarner et le modèle d’homme qu’il voulait être n’existent plus. La digue morale est rompue, il ne se sent plus bridé par des principes. Il se dit, je ne serais pas un Don Quichotte. « Je ferais comme tout le monde ».

Je dirai pour finir que je n’ai pas eu à écrire cet article pour flétrir une personne ou une frange de gens. Depuis que j’écris, j’essaye de dire ce que je pense et non ce que les autres souhaitent entendre. Je ne me connais pas d’ennemis particuliers. Ce n’est pas non plus une auto flagellation dont je n’ai nul besoin car j’assume aussi bien mon passé que mon présent. jusqu’aujourd’hui, je garde avec tous ces groupes, sans exception, des liens amicaux et parfois très affectifs. Ce texte doit être simplement compris comme une réminiscence d’un homme gagné par l’âge et qui exprime ce que peut ressentir un jeune adolescent de 16 ans happé par un idéal généreux sous la houlette d’hommes plus âgés, courageux et patriotes et qui voit cet idéal se rétrécir comme une peau de chagrin et offrir un tableau peu idyllique au fil des années. Ma reconnaissance reste très grande à ceux auxquels reste un zeste de cet idéal.
Nouakchott, Septembre 2012

Brahim Salem Ould Moctar Ould Sambe dit « Ould Bouleiba »

« Les souffleurs »: terme de théâtre qui désigne des personnes qui sont derrière le rideau et quand un acteur cale sur une phrase de son texte, elle lui est soufflée par l’une des personnes cachées

 

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