Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Mauritanie, le coup d’état permanent

Régis Marzin, journaliste et chercheur indépendant, revient sur la mascarade électorale qui a eu lieu, le 22 juin dernier, lors de l’élection présidentielle en Mauritanie où l’on a vu Mohamed Ould Abdel Aziz, président depuis 2008, transmettre le pouvoir au général Gahzouani, son plus fidèle compagnon

Dans la soirée du dimanche 23 juin 2019, la Commission nationale électorale indépendante (Céni) annonce ses résultats provisoires de la présidentielle mauritanienne du samedi 22 juin : le candidat d’Ould Abdel Aziz, le général de 62 ans Mohamed Cheikh El-Ghazouani obtiendrait 52,01% des suffrages, le militant anti-esclavagiste Biram Ould Dah Ould Abeid 18,58%, l’ex-Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar 17,87% et le journaliste Baba Hamidou Kane 8,71%. La participation annoncée est de 62,66%. Les quatre candidats de l’opposition s’étaient engagés avant le scrutin à aller ensemble au second tour du 6 juillet. Aussitôt, ces quatre candidats dénoncent un « nouveau coup d’État » des « éternels putschistes ». Dans une conférence de presse, ils exigent la publication « bureau par bureau » des résultats. Les candidats dénoncent aussi les « multiples irrégularités » qui « ôtent toute crédibilité » à l’élection.

Le 26 juin dans le journal La Croix, Fatimata Mbaye, présidente de l’association mauritanienne des droits de l’homme, résume la situation à l’essentiel  après l’annonce de la Ceni : « L’ensemble de l’opposition aurait alors fait bloc autour d’un candidat unique, qui l’aurait forcément emporté, Ghazouani n’est vraiment pas populaire. » En dictature africaine, l’inversion de résultat à la compilation des résultats et à l’annonce officielle sans publication des procès-verbaux est un mode bien connu de détournement de processus électoral. Dans certains cas, les inversions se font en éliminant un second tour où l’opposition a des chances de gagner grâce à une alliance. En Mauritanie, l’hypothèse d’une sorte d’inversion de résultat par suppression du second tour est dès le dimanche 23 juin très probable. Le modèle existe, puisqu’en 2016, Idriss Déby a modifié les résultats du premier tour au siège de son parti alors que la victoire de Saleh Kebzabo au second tour était très probable.

Si une telle inversion est faite, elle arrive après la mise en œuvre de plusieurs autres techniques de détournement de processus électoral en amont du scrutin, qui ont préalablement augmenté les scores du candidat du pouvoir, entre autres, par exemple, un grave déséquilibre des budgets. La Ceni mauritanienne est aussi sous le contrôle du gouvernement, et, la liberté de la presse est régulièrement attaquée. Surtout, aucune observation sérieuse n’a été autorisée, l’Union européenne n’a pas pu faire venir une mission d’observation et n’a été autorisée, un mois avant l’élection, qu’à envoyer deux mystérieux experts. Pour le jour du vote,  Fatimata Mbaye parle aussi de « beaucoup trop d’irrégularités et d’achats de voix ».

En l’absence de publication de tous les procès-verbaux des bureaux, ce que l’opposition dénonce comme un « coup d’État » correspond à un passage du score de Mohamed Cheikh El-Ghazouani de moins de 50% à plus de 50%. Dans cette hypothèse, l’histoire des élections dans les dictatures africaines a montré que les scores des opposants qui suivent peuvent être également modifiés, globalement rabaissés et que, dans certains cas, l’ordre des suivants est inversé. Dans tous les cas, la méthode consiste à faire croire qu’en cas de second tour l’inverseur aurait probablement gagné même face à une alliance de l’opposition. Dans ce cas, les deux objectifs à atteindre pour le pouvoir sont d’empêcher une protestation internationale et, en période de répression maximale, de démobiliser la population, ce qui est d’autant plus facile à faire que l’absence d’alliance contre la dictature avant le premier tour peut avoir laissé des traces.

Internet est coupé le dimanche après-midi. Reporters sans frontières indique le lendemain : « les autorités mauritaniennes ont privé la population d’accès à l’internet mobile dans l’ensemble du pays… la coupure est intervenue le dimanche en milieu d’après-midi, peu de temps après la tenue d’une manifestation de l’opposition contre des fraudes électorales présumées. » Dès lors, les réseaux Mauritel, Chinguitel et Mattel sont durablement impactés.

L’armée est déployée le dimanche, selon RFI : « certains quartiers contestataires sont toujours (le lundi) quadrillés par l’armée et la police antiémeute, par exemple dans la périphérie de Nouakchott, à Tayared, Dar Naïm, Toujounine, Arafat et Riyad. Idem pour El-Mina et La Sebkha, où des unités du bataillon de la sécurité présidentielle sont positionnées au carrefour des grandes avenues du ministère du Pétrole et de l’hôpital Sabah. » Le journal La Croix précise : « L’armée et la garde nationale (rattachée au ministère de l’intérieur), largement déployées dans le pays, ont procédé à des arrestations massives, y compris d’étrangers maliens, guinéens et sénégalais… ‘C’est un état de siège qui ne dit pas son nom’, a dénoncé Biram Dah Abeid… toute manifestation a été interdite par le gouvernement. ».

Le lundi 24, le représentant du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas ‘félicite les Mauritaniens « pour la tenue paisible de l’élection présidentielle » et invite « à résoudre tout litige éventuel » par la voie judiciaire’. Mohamed Ibn Chambas est aussi connu par son soutien à Faure Gnassingbé au Togo au moment des élections en 2005 et 2015.

Le lundi 24, en fin de journée, le porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) se montre prudent sur les résultats : « L’Union européenne salue le taux de participation élevé à ce scrutin qui s’est tenu dans une atmosphère pacifique et des conditions généralement satisfaisantes. Toujours dans l’attente des résultats définitifs, l’Union européenne est préoccupée par les déclarations de certains candidats et appelle chacun au calme et à la retenue et à recourir aux voies légales pour les éventuelles contestations. »

Le lendemain, mardi 25, avant 18h30, alors que monte la contestation de l’opposition, alors que l’enjeu principal est celui de la publication des résultats détaillés, le porte-parole du Ministère des affaires étrangères français déclare : « La France salue le bon déroulement de l’élection présidentielle intervenue… Elle se réjouit de la forte participation du peuple mauritanien à ce moment démocratique historique. Elle félicite M. Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed El Ghazouani, candidat élu selon les résultats annoncés par la Commission électorale nationale indépendante. La France … se tient prête à travailler étroitement avec les nouvelles autorités… »

Depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, aucun message aussi fort et rapide de soutien à une dictature à l’occasion d’une élection n’avait été formulé. Depuis soixante-dix ans, de nombreux dirigeants français pratiquent « le compromis à l’africaine » mais le soutien aux dictateurs prend depuis 2007 des voix plus discrètes. Cette fois, Jean-Yves Le Drian montre qu’il ne craint plus aucune critique sur les élections en dictature en Afrique. Le ministre mitterrandien, le dernier gardien d’une Françafrique finissante mais résistante, l’ancien ministre de la défense qui n’a pas vraiment réussi à changer de rôle, semble considérer que, dans ces pays-là, une inversion de résultat, ce n’est pas trop important, d’autant plus que la priorité française reste militaire au Sahel.

A partir du mardi 25, Ould Abdel Aziz et Mohamed Cheikh El-Ghazouani savent qu’ils bénéficient d’un soutien total de Jean-Yves Le Drian à Paris et peuvent aussi compter sur la passivité de l’Onu et de l’Ua, sachant que la Cedeao a, elle, encore perdu beaucoup de sa crédibilité au niveau électoral lors du processus électoral des législatives togolaises de 2019. L’Union européenne, assez isolée, est, elle, très influencée par la position française.

La répression empêche alors les partis d’organiser des manifestations. La police ferme les sièges de campagne des quatre candidats entre lundi et mardi. Cette mesure impacte le travail de l’opposition sur les vérifications de la compilation des procès-verbaux.

En fin de semaine, des media français commencent à décrire une sorte de ‘scénario du retour à la normal’, dans un style de journalisme diplomatique. Le scénario du retour à la normale a été d’une certaine manière préparé en amont du scrutin par Ould Abdel Aziz. Plus globalement, il se présente comme un scénario du retour à la normal après le coup d’Etat militaire du 6 août 2008, malgré, entre temps, les processus électoraux détournés en amont lors des présidentielles de 2009 et 2014 et des législatives de 2013 et 2018. En 2018, il a été remarqué qu’une partie de la population votait pour Ould Abdel Aziz et l’Union Pour la République (UPR) dans un pourcentage plus élevé que ce qui s’observe dans de nombreuses dictatures qui se maintiennent avec seulement 5 à 20% de l’électorat. Des media brodent aussi sur des possibles divergences entre le sortant et le dauphin comme si ce n’était pas le même régime. Surtout, le respect de la limitation du nombre de mandats a été mis en avant pendant une période de focalisation internationale sur la RDC, où, là aussi, un président acceptait de respecter cette même limite et où, ensuite, la communauté internationale autour de l’Onu a renoncé à soutenir la démocratie à la suite de l’inversion du résultat de la présidentielle. Particulièrement en Mauritanie, dès 2018, la limitation du nombre de mandats en dictature tend à donner l’illusion d’une démocratie, qui pourtant n’existe pas. Au final, le scénario adopté est dans la normalité dictatoriale et le standard des détournements de processus électoraux selon la nature du régime, ce qui met indirectement l’accent sur le fonctionnement des acteurs extérieurs qui, une fois de plus, ne favorisent pas la démocratisation.

Le dimanche 30, les quatre candidats de l’opposition, tiennent une conférence de presse relatée par RFI, où ils donnent plus d’informations : « Sur près de 3 800 PV, on a identifié 211 bureaux de vote où les cas de fraude sont patents, estime El Hadhrami Ould Abdessalam, directeur national de campagne de Sidi Mohamed Ould Boubacar. Ça dépasse l’entendement, ça dépasse toute logique. On nous donne le nombre de bulletins trouvés dans l’urne, il est de 138, le nombre de votants 138. Mohamed Ould Ghazouani a 302 voix. Alors les 211 cas, on les a répertoriés ici en détail. Toute personne qui a un référé peut vérifier ça. On a évalué à partir de nos calculs, sur la base de 54 000 voix normalement qui n’appartiennent pas à monsieur Ghazouani à 6%. Alors 6%, vous enlevez de ça 52% et vous allez vous retrouver à 46%. Ça, ce sont des éléments probants ». Biram Ould Dah Ould Abeid précise : « Après vérification par nos techniciens électoraux qui ont travaillé sur 455 bureaux de vote (sur un total de 3.861, NDLR) où il a réalisé 100% et plus, le candidat Ghazouani ne pouvait pas avoir plus de 41% », a affirmé M. Ould Abeid lors d’une conférence de presse dimanche soir avec les trois autres candidats de l’opposition… Tous ces bureaux sont situés dans des zones reculées, logés chez des dignitaires du régime contrairement à la loi, loin de toute possibilité de contrôle, totalisant plus de 9.800 voix, soit 10% du vote global », a-t-il ajouté estimant que M. Ghazouani ne pouvait obtenir « dans le meilleur des cas que 48,5 % » ».

Le lundi 1er juillet, le Conseil constitutionnel valide les résultats de la Ceni sans qu’il soit question de la publication des procès-verbaux des bureaux de vote.

Aussitôt, le porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) « salue l’élection de M. Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed El Ghazouani » et ose « La première transition constitutionnelle entre deux Présidents élus marque une étape importante pour le pays », alors qu’Ould Abdel Aziz vient de réussir à mettre son ministre de la défense à sa place. En plagiant le communiqué français six jours plus tôt, le SEAE conclût : « L’Union européenne est prête à renforcer encore davantage le partenariat déjà dense qui la lie avec la Mauritanie. » Sur twitter, le directeur Afrique du SEAE Koen Vervaeke diffuse le texte en mettant en exergue : « La première transition constitutionnelle entre deux Présidents élus marque une étape importante pour le pays ». L’Ue va au-delà de la position française en inventant une « transition constitutionnelle » imaginaire et en insistant sur des « Présidents élus » alors que, comme dans toutes dictature, les chefs de l’Etat ne sont pas élus ‘démocratiquement’ et que le régime mauritanien est issu d’un coup d’Etat militaire en 2008. L’Ue entre dans la propagande du pouvoir mauritanien et, à cet instant critique, les dirigeants français se cachent derrière l’Ue. L’Ue demande cyniquement aux victimes électorales de rejoindre le camp des démocrates congolais, gabonais, tchadiens, djiboutiens, vaincus officiellement puis abandonnés à leur sort.

En pleine négociation post-Cotonou, après la récente polémique avec Human Right Watch sur le Rwanda impliquant le commissaire au développement Neven Mimica, après le discours très collaborationniste de Federica Mogherini à Djibouti le 22 mai, le SEAE dérive encore plus vers la facilitation du détournement de processus électoraux et les compromissions avec les dictatures. Dans ce contexte, la position française apparaît actuellement la plus proche de celles des dictateurs francophones très organisés dans le lobbying pour faire reculer Bruxelles sur les questions de démocratie en Afrique.

En conférence de presse, à propos de l’avis du Conseil constitutionnel, les candidats opposés à la dictature déclarent par la voix de Biram Dah Abeid : « Il a entériné la décision de la Céni que nous avons décriée avec des arguments très clairs et probants. Nous pensons que cette crise politique s’approfondit. »

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Cinq catégories de processus électoraux peuvent être répertoriées en dictature : les plus nombreux, des processus électoraux détournés en amont, avec ou sans boycott de l’opposition réelle, des processus électoraux avec principalement des fraudes massives le jour du vote, des processus électoraux avec inversion d’un résultat réel à la compilation des procès-verbaux et/ou à la publication des résultats officiels, et de rares processus électoraux corrects qui forment l’exception à la règle des élections en dictature stable selon laquelle il n’y a pas d’élection démocratique avec possibilité d’alternance en dictature.

L’inversion de résultat est une spécialité des ex-colonies françaises, les seuls cas extérieurs étant ceux du Zimbabwe et de la RDC. Les cas se sont multipliés en 2016. Concrètement, il n’y a jamais de publication correcte et complète des procès-verbaux bureau de vote par bureau de vote pour pouvoir vérifier la compilation des résultats. Les inversions de résultats à la compilation des procès-verbaux et à la publication des résultats officiels se font généralement grâce à des fraudes préalables qui provoquent un mélange des méthodes de détournement à trois niveaux, dans l’organisation en amont, le jour du vote, et finalement dans la modification des résultats au moment de la compilation des procès-verbaux.

En dictature, pour inverser, le score du candidat du pouvoir est en général fortement gonflé, de 10, 20, 30, 40, et jusqu’à 50% pour, en cas de 2 tours, être déplacé de moins de 50% à plus de 50%. Si l’on se réfère aux premiers chiffres donnés par l’opposition mauritanienne d’un gonflement de 41%, 46% ou 48,5% à 52%, il s’agit d’un cas où l’estimation du gonflement est particulièrement basse, ce qui n’empêche pas qu’un second tour pouvait encore aboutir à une victoire de l’alliance de l’opposition. Dans certains cas, le résultat est totalement inventé et ne se réfère pas à des procès-verbaux, dans d’autres, une grande quantité de procès-verbaux ont été modifiés. En Mauritanie, selon l’opposition, seule une partie des résultats a été falsifiée pendant la compilation, ce qui correspond à un gonflement autour des 50% plus faible qu’ailleurs.

Il existe des cas potentiels d’inversion non prouvés par des observations objectives qui reste à étudier mais au moins treize cas d’inversions de résultat de présidentielles depuis début 1990 sont suffisamment documentés : l’élection de Paul Biya au Cameroun en 1992 (un tour), d’Omar Bongo au Gabon en 1993 (2 tour : sans doute éliminé au premier tour, Omar Bongo est affiché à 51,18% au 1er tour[1]), d’Ibrahim Baré Maïnassara au Niger en 1996 (2 tour : sans doute éliminé au premier tour, IBM est affiché à 52,2% au 1er tour[2]), de Gnassingbé Eyadéma au Togo en 1998 et 2003 (un tour), de Robert Mugabe au Zimbabwe en 2008 (2nd tour imposé dans de mauvaise conditions et boycotté), d’Ismail Omar Guelleh à Djibouti en 1999 et 2016 (2 tours : en 1999, inversion au premier tour proche de 70-30 inversé en 26-74, en 2016, suppression du second tour), d’Ali Bongo au Gabon en 2009 et 2016 (un tour), de Denis Sassou Nguesso au Congo Brazzaville en 2016 (sans doute éliminé au premier tour, Denis Sassou Nguesso est affiché à 60,39% au 1er tour), d’Idriss Déby au Tchad en 2016 (suppression du 2nd tour), de Félix Tshisekedi parrainé par Joseph Kabila en RDC fin 2018 (un tour). Le cas mauritanien de 2019 constitue une quatorzième occurrence d’inversion de résultat.

Sept cas d’inversions sur treize concernent des élections à deux tours. Les inversions dans un scrutin à deux tours sont de plus en plus fréquentes depuis 2016. Robert Mugabe en 2008 a poussé son opposition à boycotté le second tour. Ismail Omar Guelleh en 1999, a privé le candidat unique de l’opposition de sa victoire au premier tour. Dans trois cas, ceux d’Omar Bongo en 1993, d’Ibrahim Baré Maïnassara en 1996 et de Denis Sassou Nguesso en 2016, le président sortant n’était a priori pas qualifié au second tour qui aurait dû avoir lieu sans lui. Une dernière sous-catégorie, parmi les inversions lors de scrutins à deux tours, est constituée des cas où aucun candidat n’atteint 50%, où le candidat du pouvoir est, selon les résultats réels, qualifié, et, où le faux résultat officiel place le candidat du pouvoir à plus de 50%, ce qui supprime le second tour et la possibilité d’une alliance de l’opposition mobilisée pour sortir de la dictature. Depuis 1990, seuls deux cas d’inversion avec suppression du second tour où le candidat du pouvoir devait réellement être au second tour ont été constatés : Idriss Déby pour le scrutin du 10 avril 2016 s’est attribué 59,92% et Ismail Omar Guelleh pour le scrutin du 8 avril 2016, 87,07%.

Dans ces derniers cas, dans la suppression du second tour, le pouvoir sortant a peur de perdre au second tour et si, au contraire, il pense gagner, il souhaite dominer totalement l’espace politique et écraser l’opposition pour la désorganiser. Il s’observe différents niveaux de probabilité de victoire d’une alliance de l’opposition. A Djibouti, en 2016, le dictateur a fortement désorganisé l’opposition en amont en faisant tirer sur des leaders ou en emprisonnant des leaders, et l’opposition était en amont en grande partie favorable au boycott et n’était donc plus assurée de gagner, malgré le très faible électorat du dictateur, à cause de l’abstention. Par contre, en 2016 au Tchad, Saleh Kebzabo pouvait assez facilement s’imposer au second tour. La probabilité de victoire de l’opposition en Mauritanie en 2019 semble être à un niveau intermédiaire. Les candidats d’opposition sont relativement soudés et en cas de second tour le scrutin restait ouvert. Que ce soit dans une inversion ou dans une possibilité d’inversion finale, la suppression du second tour classe le processus électoral comme non démocratique, ce qui n’est pas une surprise car le régime dictatorial mauritanien issu d’un coup d’état n’a encore jamais franchi l’étape d’un passage à la démocratie, un passage qui serait incontestable.

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La qualité des processus électoraux s’analyse également en fonction de la nature du régime politique et de son évolution. Les alternances en dictature sont rares. Les cas d’alternance présidentielles en dictature correspondent en général aux dictatures de partis politiques avec limitation du nombre de mandats. Le pays le plus ancien sur ce modèle est la Tanzanie. Le nombre de pays africains en dictatures de partis politiques est actuellement en augmentation. Le respect de la limitation du nombre de mandats en RDC en 2016 et la validation de l’inversion du résultat en particulier par le secrétaire général de l’Onu dans ce pays est aujourd’hui source de confusion. La porte est ouverte à une propagande de régime dictatoriaux qui voudraient faire passer le respect de la limitation du nombre de mandats pour une sorte de transition vers la démocratie. L’avis du SEAE du 1er juillet qui parle hypocritement de « transition constitutionnelle » au lieu de souligner que les résultats détaillés n’ont pas été publiés de manière consensuelle incontestable, illustre l’influence de cette nouvelle propagande. Tous les diplomates qui cherchent à préserver des conditions d’influence, pourront souligner une alternance de personne physique, alors que, dans le cas mauritanien, un régime issu d’un coup militaire et qui est soutenu par une partie a priori minoritaire de la population, a juste trouvé une manière de se maintenir en simulant la démocratie.

Une fois de plus, en dictature francophone, la validation par une Cour constitutionnelle n’apporte aucune garantie sur la valeur du résultat, et pourtant, la procédure est considérée comme sérieuse à l’extérieur. Cela montre aussi que la propagande sur la construction d’institutions démocratiques dans un cadre dictatorial est bien vivante, et se propage dans un style de discours ouvertement mensonger et sans doute assez culturellement francophone.

Malgré la continuité, avec ce scrutin, le régimes mauritanien évolue. Il ne se dirige pas exactement vers une dictature de parti politique avec limite de 2 mandats sur le modèle tanzanien, car l’empreinte militaire reste forte. Il semble plus évoluer vers le modèle algérien du FLN, vers une dictature politico-militaire ou le parti au pouvoir reste secondaire par rapport à l’armée. Mohamed Cheikh El-Ghazouani est un général. L’utilisation du respect de la limite de deux mandats crée un mixte entre le modèle algérien et le modèle tanzanien. Joseph Kabila a voulu lui aussi placer son ministre de la défense au pouvoir en respectant la limitation de mandats, mais puisqu’il a échoué, c’est finalement Ould Abdel Aziz et Mohamed Cheikh El-Ghazouani qui peuvent se vanter d’avoir réussi à faire fonctionner le plan.

A priori, les résultats détaillés bureau par bureau ne seront jamais totalement montrés et correctement vérifiés. Les discours diplomatiques extérieurs participent à isoler les candidats victimes de l’inversion. Le traitement international méprisant semble aussi influencé par le paroxysme des multiples inversions évidentes en RDC début 2019, à la présidentielle, aux législatives et aux provinciales. En Mauritanie, s’observent les premières conséquences importantes de ce désastre congolais, dans le recul du soutien international à la démocratisation de l’Afrique. En outre, alors que la négociation pour un futur accord entre l’UE et les pays ACP est en cours, les dirigeants français semblent continuer de transférer leurs méthodes de défense diplomatique des dictatures africaines francophones vers l’exécutif européen. Quelques mois après le désastre électoral congolais, l’inversion de résultat en Mauritanie fait aussi disparaître l’espoir de voir se maintenir le soutien européen au processus de démocratisation africain bloqué depuis 2005 et en forte régression depuis 2016.

[1] FX Verschave, Noir silence, avril 2000, p198

[2] FX Verschave, Noir silence, avril 2000, p492-500

Régis Martin Contact Mail, Twitter : @Regis_Marzin,

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