Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 17/07/2019

FLAMNET-RETRO : Problématique du Système Educatif National : Contribution | Par Samba Thiam

Voilà bien des années que l’Ecole mauritanienne est malade, secouée par des crises récurrentes. Au lieu de procéder à un diagnostique approfondi, sans complaisance du corps malade, l’on s’est contenté, à chaque fois, d’une auscultation superficielle pour lui administrer un traitement symptomatique. Six réformes successives qui ont toutes échoué ! Notre Ecole est malade, notre système éducatif en crise depuis 56 ans, tout le monde en convient ! Plus que des raisons de surface ( effectif pléthorique, manuels scolaires insuffisants ou désuets, mobilier brinquebalant, locaux vétustes et inéquipés ) nous nous attarderons plutôt sur les raisons de fond. *Quel est le mal ? Des élèves, des étudiants, des Enseignants sans niveau aucun, des élites francisantes ou arabisantes en extinction progressive, un produit inadapté…Un observateur, averti, ramassait la situation par cette formule : “En voulant rendre notre Enseignement authentique nous avons sacrifié l’essentiel: aucune considération pour la qualité, aucune pour la perspective d’emploi, aucune pour le développement”. * Quelle est la cause du mal ou quelles en sont les raisons ? – Raison d’ordre psychologique, affectant le corps enseignant : L’Enseignant a perdu son statut d’antan, par contagion du milieu social dans lequel il baigne, où les valeurs universelles de référence habituelle, telle l’honnêteté, le respect du travail –du travail bien fait-, la moralité, l’admiration pour le détenteur du Savoir, ont cédé la place à la course effrénée pour l’argent ; l’enrichissement à tout prix, tout de suite, a pris le pas sur la conscience professionnelle, d’où cette flopée d’Enseignants-boutiquiers ! Le terme “garraaye”, devenu fortement connoté, négativement, suscite un demi-sourire pincé chez l’autre, au point qu’il devient gênant de se présenter comme tel…On est désormais Instituteur ou professeur à défaut de mieux, mais certainement pas par vocation .On est là, pour un temps provisoire, transitoire, en attendant de trouver mieux , de “monter” sa boutique, ou de partir pour des cieux plus cléments. Cette dévalorisation du métier d’enseignant s’explique (ou s’accompagne) aussi par la dépréciation du Savoir et/ou de la Culture, censé être un des attributs majeurs de l’Enseignant. Aller à l’école, accumuler des diplômes, lire, simplement, est perçu aujourd’hui dans la société mauritanienne au mieux, comme une perte de temps, au pire comme une absurdité ; avoir de l’argent c’est mieux ! Pour corriger cet état des choses il faudra rendre à l’Enseignant sa dignité et son auréole d’antan par la revalorisation du métier, et restituer au Savoir l’admiration qui lui était attachée. *Notre Ecole souffre, par ailleurs, d’une crise d’orientation. Au lieu d’une orientation technique et pragmatique on a opté pour l’élitisme. A la place d’une Ecole qui produit des plombiers, des électriciens, des frigoristes, des maçons, des mécaniciens, des menuisiers, des agriculteurs modernes, on a préféré celle qui fabrique des littéraires, des philosophes, c’est –à-dire des fonctionnaires aux mains propres, des “cols blancs”… Il faut changer cet état de chose, en orientant les 60 % des cohortes vers la formation professionnelle et technique des cols bleus, et les 40% vers la formation de l’élite… *Autre cause non moins importante, l’administration et la gestion chaotique du corps Enseignant, où l’on constate l’absence de rigueur dans la sélection et le recrutement des maîtres d’école, l’absence de contrôle sérieux et de suivi qui fait le lit du laxisme et de l’affairisme, l’absence d’émulation, de sanction et de récompense systématiques, l’absence d’ordre en un mot, qui ne se trouve pas, hélas, que dans l’Enseignement ! *Mais de toutes les causes à l’origine des crises de notre système éducatif, la plus fondamentale – entre toutes – d’ordre idéologique – demeure l’Arabisation à outrance, genèse véritable des problèmes ! Dès les années 50 les réformes débutèrent, en série, toutes à caractère linguistique ! Toutes les réformes opérées des années 50 aux années 80 portèrent sur la langue …l’objectif déclaré, hier et aujourd’hui, était et demeure de rendre notre enseignement “national” , “authentique”…l’élite arabo-berbère ne pouvait accepter, disait-on, que son identité culturelle –dont la langue est un élément essentiel- fusse occultée au profit d’une langue et culture étrangère, de surcroît héritée du colonisateur…C’était l’argument de surface, classique… Si, en soi , cette aspiration semble juste et légitime, elle cesse cependant de l’être dès lors que cette même élite imposa, paradoxalement, sa langue et sa culture à des non arabes. N’était-ce pas reproduire à l’identique le comportement du colon ? En réalité cette revendication, nationaliste en apparence, était un écran de fumée, une supercherie visant d’abord et surtout à renverser le rapport de force, hérité du legs colonial, entre arabo-berbères et Négro-africains. Sous le couvert de “l’indépendance culturelle”, on cherchait, en réalité, à créer un autre “équilibre” … L’argument “authenticité ou repersonnalisation” ayant servi -pour masquer les choses- est fallacieux. Nous avions tous résisté au colon, nous nous sommes tous opposés à sa langue, à l’entrée. Elle nous a été imposée à tous … Dès lors qu’il s’est agi de réhabiliter langues et cultures pourquoi le fit-on de manière sélective ? Pourquoi n’avoir pas réhabilité et promu également les langues et culture négro-africaines ? Repersonnalisation contre repersonnalisation, Identité contre Identité, pourquoi une réhabilitation pour les uns et pas pour les autres, étant entendu que chacun reste fier de ses racines et de sa culture, et si tant est, comme le soutient Mohamed M. Abdalhaye, “chaque individu est porteur d’une dignité inaliénable” ? Non, la motivation n’était pas que toute culturelle… Je me permets ici une petite digression ; La thèse selon laquelle les Négro-africains seraient plus attachés à la langue française est spécieuse et de mauvaise foi. Ils ne sont, ni plus ni moins, attachés à cette langue que l’élite arabo-berbère francisante, qui joue et gagne sur les deux tableaux ! En effet, n’est-ce pas cette même élite qui envoyait en cachette ses enfants dans la filière bilingue des années 80, et continue de le faire à l’Ecole Française, à nos jours ? Non, encore une fois, la motivation n’était pas que toute culturelle…l’Arabe ne devait servir, hier comme aujourd’hui, de moyen de promotion et d’épanouissement pour tous, comme proclamé, mais de gangue protectrice, de garantie pour la préservation et la perpétuation du Système, dicté par des peurs enfouies et des complexes Aryens… Dans “crise mauritano-sénégalaise : la rupture d’une alliance inter- ethnique” de Marion Fresia, M. Ould Bédredine confessait ceci : “les Negro- africains représentaient 80% des cadres de l’Etat mauritanien naissant. Alors les maures ont voulu rétablir les rapports de force en leur faveur en utilisant deux instruments : la langue et l’Ecole”. C’est on ne peut plus clair ! La langue arabe a été, bel et bien, instrumentalisée à cette fin, et uniquement à cette fin. Un rééquilibrage des rapports de force, normal et légitime certes, mais qui versa hélas, dans l’excès, aboutissant, aujourd’hui à la liquidation totale de la communauté non arabe… Notre système éducatif est donc à genoux. Des générations d’écoliers issus des milieux défavorisés ont été sacrifiées sous l’autel du slogan de la “repersonnalisation” factice et démagogique. Pour changer les choses il nous faut, si nous sommes sincères, procéder à une véritable réforme structurelle qui conduise à une Ecole moderne, efficiente, avec comme préalable le renoncement à toute idée, à tout projet assimilationniste et hégémonique, sous-jacent. *Il nous faudra , après cela, articuler certains facteurs : -Adaptation de l’output aux besoins nationaux et du marché en général ( adéquation formation /emploi ) -Association des communautés villageoises à la prise en charge partagée de l’Ecole, -Instauration d’une continuité entre formation initiale et formation continue, en paliers -Adoption de certaines mesures d’accompagnement : (régulation du mouvement des Enseignants du public vers le privé à réorganiser et responsabiliser ; lutte ferme contre le désordre général qui prévaut – à supposer qu’on puisse le faire dans une Administration générale où le désordre et l’absence quasi systématique de suivi sont érigés en norme – , respect de la hiérarchie, de l’ancienneté, restauration de la promotion et du contrôle rigoureux des Enseignants, régulation des détachements abusifs et anarchiques, sanction sévère des absences fantaisistes, rationalisation des moyens etc ). -Vigilance sur le corps de contrôle ( contrôle, fiche de suivi , formation du personnel , identification des Enseignants fictifs … ) -Mais surtout, procéder au rétablissement des bases de justice à l’école en supprimant l’iniquité actuellement en cours entre enfants dans l’acquisition du Savoir ; les Psycho-pédagogues s’accordent unanimement pour dire qu’un enfant qui commence par une langue étrangère accuse six (6) années de retard de scolarité. Les Ecoliers négro-africains faisant face à deux langues étrangères, au sens pédagogique terme, subissent donc un double handicap qui équivaut, logiquement, à 12 années de retard. Il faut corriger ça ! *-Il nous faut, par ailleurs, clarifier le statut et le rôle attendu de chaque langue dans notre Ecole, à court, moyen et long terme. Pour ma part, je suis pour une Ecole qui parle plusieurs langues, comme la nation mauritanienne – pour un Etat multi-nations fédérateur des langues et cultures- . Les langues maternelles, toutes les langues maternelles, comme facteur d’apaisement des frustrations et tensions, et aussi comme facteur de développement ; le Français ou/et l’Anglais – comme porteur de pensée scientifique –( à un certain niveau), le chinois… Mohamed ould Abdalhaye disait que “la langue maternelle constitue pour tout un chacun l’outil irremplaçable de toute production scientifique effective et le socle de tout esprit créatif”. -Je suis de ceux qui proposent que chaque enfant commence sa scolarité dans sa langue maternelle, pour aborder dans un 2eme temps une langue nationale seconde, qui serait enseignée comme langue de communication tout court ; L’arabe pour les Ecoliers Negro-africains, le wolof ou le pulaar, ou le soninke, le bambara pour l’arabo- berbère. Cette seconde langue serait affectée d’un coefficient faible de manière à ne pas gêner ou compromettre la progression de l’enfant. L’instruction civique, morale ou religieuse, l’histoire, seraient enseignées en langues nationales. La philosophie, apte à former la pensée critique, serait enseignée en Français ; Il ne serait pas sain, ni judicieux au regard de l’évolution actuelle des choses, de faire porter l’enseignement de cette discipline par la langue Arabe –tant que celle -ci “n’est pas réformée”, et parce qu’elle est en ce moment “récupérée par le courant dogmatique et conservateur en Islam qui rejette la pensée critique et privilégie la répétition à l’identique”, selon le linguiste Algérien A Dourari. En effet, ce qui se passe autour de nous et dans le monde actuellement, n’est pas pour rassurer et n’incline pas à la pensée libre, telle que nous la connaissons chez Al Kindi, Averroes, Mohamed Abdou, Mohamed Iqbal… Il y aurait lieu de procéder également à des réaménagements pratiques, en supprimant certaines anomalies aberrantes qui ne répondent à aucune logique objective : qu’est-ce que, par exemple, l’instruction civique, morale et religieuse en arabe (coeff 4 ) vient chercher, objectivement, en classe terminale série D ou C, si ce n’est pour pénaliser les uns et constituer un bonus pour les autres ? Si la baisse de niveau est un phénomène général, elle est davantage plus accusée chez nous, à cause de nos pesanteurs propres ; ce phénomène est davantage accentué, ces dernières années, à cause en particulier, de la dernière réforme porteuse de tous les maux et de toutes les anomalies, sur laquelle il nous faut revenir … Sous le couvert d’uniformisation de l’Ecole mauritanienne “qui divise” disait-on ( système à filière -Arabe/bilingue -) , cette réforme fut conçue et mise en œuvre en 2000. Son objectif déclaré était “d’unir” les Ecoliers en leur faisant suivre une seule et même filière ; plus de filière arabe où se retrouvaient quasiment tous les écoliers arabo- berbères, plus de filière bilingue, fréquentée exclusivement par les enfants négro-africains … Autre attente exprimée à travers cette réforme, la nouvelle Ecole favoriserait la rencontre d’enfants issus de milieu social ou ethnique différent, qui déboucherait sur l’esprit de solidarité, de camaraderie retrouvée, de gestation de la citoyenneté ou du sentiment d’appartenance commune à un même pays, comme par le passé … Derrière ces ambitions nobles, mais combien trompeuses, se cachaient, en réalité, des considérations et préoccupations bassement partisanes et claniques. Le souci n’était pas de s’attaquer aux dysfonctionnements du Système en général, mais essentiellement, de trouver une solution, à l’impasse de la filière arabe : Il fallait sauver les Ecoliers, naufragés, de la filière arabe, sans issue ! Filière qui consacrait un échec massif des enfants, sans réels débouchés ni perspectives de réinsertion dans le tissu économique. En effet, chez nous la langue française – à la vie dure- était loin d’être morte et ailleurs l’anglais et le Français étaient de rigueur. Pour un étudiant formé donc uniquement en arabe, l’horizon interne et externe était assez rétréci, le champ des possibilités fortement restreint… Cet échec de la filière arabe – le seul à l’origine de la réforme scolaire actuelle-, s’est illustré, on s’en souvient, par le renvoi dans les années 2000 d’un bon nombre de Professeurs de Sciences et de Mathématique, arabophones, reversés dans la diplomatie, ou affectés à d’autres tâches et fonctions administratives. Soit donc le corps arabophone, soit le médium était mis en cause dans l’enseignement des sciences, soit dit en passant … La solution choisie fut donc de revenir à l’enseignement de certaines matières de base en Français (sciences et Mathématique ), qui était, jusque- là, réservé à la filière bilingue où se retrouvaient les écoliers négro- africains. D’un coté on levait un écueil – retour du français -, de l’autre on en créait, délibérément, par l’imposition de la langue arabe aux écoliers non arabes, avec de surcroît une langue éclatée en matières multiples affectées de coefficients accrus, accentuant ainsi leur handicap et leur échec massif, à travers une série littéraire totalement arabisée ! L’histoire, la géographie, la philosophie, la langue, l’instruction civique, l’instruction morale religieuse sont dispensées en arabe ! Appliquée brutalement, cette réforme allait pousser des milliers d’enfants négro-africains, pris de court et désorientés, à abandonner massivement l’Ecole. On a donc réformé, mais en veillant à préserver soigneusement la nature discriminatoire du système qui opérait comme un filtre…Faisant déjà face à deux langues étrangères, -double handicap à surmonter- voilà qu’on multipliait de nouveau les obstacles sur leur chemin, ce qui, nécessairement, affecte négativement, fortement et durablement leur réussite scolaire. Voilà pourquoi , à titre d’exemple, au baccalauréat 2016, niveau national, série C, sur 100 admis on compte deux (2) Négro –africains ! A Kaédi sur 1061 candidats au bac toutes séries confondues il y a 37 admis négro -africains …Djeol compte zéro admis ! Voilà pourquoi dans les examens et concours d’accès à l’emploi les enfants et jeunes négro-africains sont recalés. De 2000 à 2016 les résultats sont tous les ans plus catastrophiques que jamais. L’Equité a déserté notre Ecole dès notre accession à l’indépendance … Enseigner nos langues négro- africaines -gage de l’équité et de l’égalité des chances à l’Ecole et en société – n’a jamais, réellement, effleuré l’esprit des réformateurs. Ce fut –et ça le demeure – le cadet des soucis de nos gouvernants ; Il ne le fallait surtout pas, car ce serait “ouvrir la boite à Pandore, affaiblir la suprématie consacrée de la langue arabe, remettre en cause l’arabité de la Mauritanie”, compromettre le “rééquilibrage” du rapport de force, en voie de parachèvement … Tel est l’esprit qui nous gouverne toujours ! Cette actuelle réforme, sabordant au passage l’Institut –performant – des langues nationales, n’a pas moins divisé et l’Ecole et la société mauritanienne. Par ses conséquences directes, des Profs de fac francophones, négro- africains, sont entrain d’être poussés vers la sortie, en voie de chômage technique…Les Profs de Droit, et d’histoire sont actuellement touchés, demain ce sera au tour des Profs de lettres. On devine la suite logique du processus sur l’Université… (et lorsque je parle de l’autre Elite- qui a choisi , pour l’essentiel, de se coucher, je note des grincements de dents !!! En conclusion, l’uniformisation du Système scolaire actuel, à travers cette réforme dernière, s’est faite au détriment des enfants négro africains, au détriment de l’Unité nationale. En lieu et place de la réconciliation, elle a reconduit et accentué la fracture entre Ecoliers et entre communautés, par ses inégalités. Peut –il, du reste, y avoir réconciliation, restauration de l’esprit de camaraderie sur le socle de l’injustice ? La baisse de niveau est, il est vrai, à l’échelle régionale, africaine et mondiale, mais elle est particulièrement aiguë chez nous à cause de la série de réformes à caractère idéologique et partisan… “Notre pays dont l’unité s’est forgée dans l’épreuve entend sauvegarder cette unité comme son patrimoine le plus précieux. La diversité est une source d’enrichissement, elle ne doit jamais devenir une source de division. Unité dans la diversité, sans doute, unité dans une stricte égalité, des droits de chacun, sans discrimination d’aucune sorte. C’est ce que nous commande une vision de la réalité, une analyse sans complaisance des faits”. Ce sont là des propos que tenait M. ould Daddah, mais quel usage en fit-il ? Nous pouvons réussir si nous abordons notre problématique dans un esprit exempt de tout calcul, de tout esprit partisan ou hégémoniste. Nous réussirons à condition d’être mus par le seul désir de construire, une fois pour toute, un système éducatif performant, fonctionnel, efficient , qui servirait l’égalité des chances , offrirait les mêmes opportunités et assurerait au peuple , dans toute sa diversité, développement, bien-être, et harmonie. Samba Thiam Inspecteur de L’Enseignement Fondamental 4 septembre 2014FLAMNET- RÉTRO: Problématique du Système Educatif National : Contribution | Par Samba Thiam Voilà bien des années que l’Ecole mauritanienne est malade, secouée par des crises récurrentes. Au lieu de procéder à un diagnostique approfondi, sans complaisance du corps malade, l’on s’est contenté, à chaque fois, d’une auscultation superficielle pour lui administrer un traitement symptomatique. Six réformes successives qui ont toutes échoué ! Notre Ecole est malade, notre système éducatif en crise depuis 56 ans, tout le monde en convient ! Plus que des raisons de surface ( effectif pléthorique, manuels scolaires insuffisants ou désuets, mobilier brinquebalant, locaux vétustes et inéquipés ) nous nous attarderons plutôt sur les raisons de fond. *Quel est le mal ? Des élèves, des étudiants, des Enseignants sans niveau aucun, des élites francisantes ou arabisantes en extinction progressive, un produit inadapté…Un observateur, averti, ramassait la situation par cette formule : “En voulant rendre notre Enseignement authentique nous avons sacrifié l’essentiel: aucune considération pour la qualité, aucune pour la perspective d’emploi, aucune pour le développement”. * Quelle est la cause du mal ou quelles en sont les raisons ? – Raison d’ordre psychologique, affectant le corps enseignant : L’Enseignant a perdu son statut d’antan, par contagion du milieu social dans lequel il baigne, où les valeurs universelles de référence habituelle, telle l’honnêteté, le respect du travail –du travail bien fait-, la moralité, l’admiration pour le détenteur du Savoir, ont cédé la place à la course effrénée pour l’argent ; l’enrichissement à tout prix, tout de suite, a pris le pas sur la conscience professionnelle, d’où cette flopée d’Enseignants-boutiquiers ! Le terme “garraaye”, devenu fortement connoté, négativement, suscite un demi-sourire pincé chez l’autre, au point qu’il devient gênant de se présenter comme tel…On est désormais Instituteur ou professeur à défaut de mieux, mais certainement pas par vocation .On est là, pour un temps provisoire, transitoire, en attendant de trouver mieux , de “monter” sa boutique, ou de partir pour des cieux plus cléments. Cette dévalorisation du métier d’enseignant s’explique (ou s’accompagne) aussi par la dépréciation du Savoir et/ou de la Culture, censé être un des attributs majeurs de l’Enseignant. Aller à l’école, accumuler des diplômes, lire, simplement, est perçu aujourd’hui dans la société mauritanienne au mieux, comme une perte de temps, au pire comme une absurdité ; avoir de l’argent c’est mieux ! Pour corriger cet état des choses il faudra rendre à l’Enseignant sa dignité et son auréole d’antan par la revalorisation du métier, et restituer au Savoir l’admiration qui lui était attachée. *Notre Ecole souffre, par ailleurs, d’une crise d’orientation. Au lieu d’une orientation technique et pragmatique on a opté pour l’élitisme. A la place d’une Ecole qui produit des plombiers, des électriciens, des frigoristes, des maçons, des mécaniciens, des menuisiers, des agriculteurs modernes, on a préféré celle qui fabrique des littéraires, des philosophes, c’est –à-dire des fonctionnaires aux mains propres, des “cols blancs”… Il faut changer cet état de chose, en orientant les 60 % des cohortes vers la formation professionnelle et technique des cols bleus, et les 40% vers la formation de l’élite… *Autre cause non moins importante, l’administration et la gestion chaotique du corps Enseignant, où l’on constate l’absence de rigueur dans la sélection et le recrutement des maîtres d’école, l’absence de contrôle sérieux et de suivi qui fait le lit du laxisme et de l’affairisme, l’absence d’émulation, de sanction et de récompense systématiques, l’absence d’ordre en un mot, qui ne se trouve pas, hélas, que dans l’Enseignement ! *Mais de toutes les causes à l’origine des crises de notre système éducatif, la plus fondamentale – entre toutes – d’ordre idéologique – demeure l’Arabisation à outrance, genèse véritable des problèmes ! Dès les années 50 les réformes débutèrent, en série, toutes à caractère linguistique ! Toutes les réformes opérées des années 50 aux années 80 portèrent sur la langue …l’objectif déclaré, hier et aujourd’hui, était et demeure de rendre notre enseignement “national” , “authentique”…l’élite arabo-berbère ne pouvait accepter, disait-on, que son identité culturelle –dont la langue est un élément essentiel- fusse occultée au profit d’une langue et culture étrangère, de surcroît héritée du colonisateur…C’était l’argument de surface, classique… Si, en soi , cette aspiration semble juste et légitime, elle cesse cependant de l’être dès lors que cette même élite imposa, paradoxalement, sa langue et sa culture à des non arabes. N’était-ce pas reproduire à l’identique le comportement du colon ? En réalité cette revendication, nationaliste en apparence, était un écran de fumée, une supercherie visant d’abord et surtout à renverser le rapport de force, hérité du legs colonial, entre arabo-berbères et Négro-africains. Sous le couvert de “l’indépendance culturelle”, on cherchait, en réalité, à créer un autre “équilibre” … L’argument “authenticité ou repersonnalisation” ayant servi -pour masquer les choses- est fallacieux. Nous avions tous résisté au colon, nous nous sommes tous opposés à sa langue, à l’entrée. Elle nous a été imposée à tous … Dès lors qu’il s’est agi de réhabiliter langues et cultures pourquoi le fit-on de manière sélective ? Pourquoi n’avoir pas réhabilité et promu également les langues et culture négro-africaines ? Repersonnalisation contre repersonnalisation, Identité contre Identité, pourquoi une réhabilitation pour les uns et pas pour les autres, étant entendu que chacun reste fier de ses racines et de sa culture, et si tant est, comme le soutient Mohamed M. Abdalhaye, “chaque individu est porteur d’une dignité inaliénable” ? Non, la motivation n’était pas que toute culturelle… Je me permets ici une petite digression ; La thèse selon laquelle les Négro-africains seraient plus attachés à la langue française est spécieuse et de mauvaise foi. Ils ne sont, ni plus ni moins, attachés à cette langue que l’élite arabo-berbère francisante, qui joue et gagne sur les deux tableaux ! En effet, n’est-ce pas cette même élite qui envoyait en cachette ses enfants dans la filière bilingue des années 80, et continue de le faire à l’Ecole Française, à nos jours ? Non, encore une fois, la motivation n’était pas que toute culturelle…l’Arabe ne devait servir, hier comme aujourd’hui, de moyen de promotion et d’épanouissement pour tous, comme proclamé, mais de gangue protectrice, de garantie pour la préservation et la perpétuation du Système, dicté par des peurs enfouies et des complexes Aryens… Dans “crise mauritano-sénégalaise : la rupture d’une alliance inter- ethnique” de Marion Fresia, M. Ould Bédredine confessait ceci : “les Negro- africains représentaient 80% des cadres de l’Etat mauritanien naissant. Alors les maures ont voulu rétablir les rapports de force en leur faveur en utilisant deux instruments : la langue et l’Ecole”. C’est on ne peut plus clair ! La langue arabe a été, bel et bien, instrumentalisée à cette fin, et uniquement à cette fin. Un rééquilibrage des rapports de force, normal et légitime certes, mais qui versa hélas, dans l’excès, aboutissant, aujourd’hui à la liquidation totale de la communauté non arabe… Notre système éducatif est donc à genoux. Des générations d’écoliers issus des milieux défavorisés ont été sacrifiées sous l’autel du slogan de la “repersonnalisation” factice et démagogique. Pour changer les choses il nous faut, si nous sommes sincères, procéder à une véritable réforme structurelle qui conduise à une Ecole moderne, efficiente, avec comme préalable le renoncement à toute idée, à tout projet assimilationniste et hégémonique, sous-jacent. *Il nous faudra , après cela, articuler certains facteurs : -Adaptation de l’output aux besoins nationaux et du marché en général ( adéquation formation /emploi ) -Association des communautés villageoises à la prise en charge partagée de l’Ecole, -Instauration d’une continuité entre formation initiale et formation continue, en paliers -Adoption de certaines mesures d’accompagnement : (régulation du mouvement des Enseignants du public vers le privé à réorganiser et responsabiliser ; lutte ferme contre le désordre général qui prévaut – à supposer qu’on puisse le faire dans une Administration générale où le désordre et l’absence quasi systématique de suivi sont érigés en norme – , respect de la hiérarchie, de l’ancienneté, restauration de la promotion et du contrôle rigoureux des Enseignants, régulation des détachements abusifs et anarchiques, sanction sévère des absences fantaisistes, rationalisation des moyens etc ). -Vigilance sur le corps de contrôle ( contrôle, fiche de suivi , formation du personnel , identification des Enseignants fictifs … ) -Mais surtout, procéder au rétablissement des bases de justice à l’école en supprimant l’iniquité actuellement en cours entre enfants dans l’acquisition du Savoir ; les Psycho-pédagogues s’accordent unanimement pour dire qu’un enfant qui commence par une langue étrangère accuse six (6) années de retard de scolarité. Les Ecoliers négro-africains faisant face à deux langues étrangères, au sens pédagogique terme, subissent donc un double handicap qui équivaut, logiquement, à 12 années de retard. Il faut corriger ça ! *-Il nous faut, par ailleurs, clarifier le statut et le rôle attendu de chaque langue dans notre Ecole, à court, moyen et long terme. Pour ma part, je suis pour une Ecole qui parle plusieurs langues, comme la nation mauritanienne – pour un Etat multi-nations fédérateur des langues et cultures- . Les langues maternelles, toutes les langues maternelles, comme facteur d’apaisement des frustrations et tensions, et aussi comme facteur de développement ; le Français ou/et l’Anglais – comme porteur de pensée scientifique –( à un certain niveau), le chinois… Mohamed ould Abdalhaye disait que “la langue maternelle constitue pour tout un chacun l’outil irremplaçable de toute production scientifique effective et le socle de tout esprit créatif”. -Je suis de ceux qui proposent que chaque enfant commence sa scolarité dans sa langue maternelle, pour aborder dans un 2eme temps une langue nationale seconde, qui serait enseignée comme langue de communication tout court ; L’arabe pour les Ecoliers Negro-africains, le wolof ou le pulaar, ou le soninke, le bambara pour l’arabo- berbère. Cette seconde langue serait affectée d’un coefficient faible de manière à ne pas gêner ou compromettre la progression de l’enfant. L’instruction civique, morale ou religieuse, l’histoire, seraient enseignées en langues nationales. La philosophie, apte à former la pensée critique, serait enseignée en Français ; Il ne serait pas sain, ni judicieux au regard de l’évolution actuelle des choses, de faire porter l’enseignement de cette discipline par la langue Arabe –tant que celle -ci “n’est pas réformée”, et parce qu’elle est en ce moment “récupérée par le courant dogmatique et conservateur en Islam qui rejette la pensée critique et privilégie la répétition à l’identique”, selon le linguiste Algérien A Dourari. En effet, ce qui se passe autour de nous et dans le monde actuellement, n’est pas pour rassurer et n’incline pas à la pensée libre, telle que nous la connaissons chez Al Kindi, Averroes, Mohamed Abdou, Mohamed Iqbal… Il y aurait lieu de procéder également à des réaménagements pratiques, en supprimant certaines anomalies aberrantes qui ne répondent à aucune logique objective : qu’est-ce que, par exemple, l’instruction civique, morale et religieuse en arabe (coeff 4 ) vient chercher, objectivement, en classe terminale série D ou C, si ce n’est pour pénaliser les uns et constituer un bonus pour les autres ? Si la baisse de niveau est un phénomène général, elle est davantage plus accusée chez nous, à cause de nos pesanteurs propres ; ce phénomène est davantage accentué, ces dernières années, à cause en particulier, de la dernière réforme porteuse de tous les maux et de toutes les anomalies, sur laquelle il nous faut revenir … Sous le couvert d’uniformisation de l’Ecole mauritanienne “qui divise” disait-on ( système à filière -Arabe/bilingue -) , cette réforme fut conçue et mise en œuvre en 2000. Son objectif déclaré était “d’unir” les Ecoliers en leur faisant suivre une seule et même filière ; plus de filière arabe où se retrouvaient quasiment tous les écoliers arabo- berbères, plus de filière bilingue, fréquentée exclusivement par les enfants négro-africains … Autre attente exprimée à travers cette réforme, la nouvelle Ecole favoriserait la rencontre d’enfants issus de milieu social ou ethnique différent, qui déboucherait sur l’esprit de solidarité, de camaraderie retrouvée, de gestation de la citoyenneté ou du sentiment d’appartenance commune à un même pays, comme par le passé … Derrière ces ambitions nobles, mais combien trompeuses, se cachaient, en réalité, des considérations et préoccupations bassement partisanes et claniques. Le souci n’était pas de s’attaquer aux dysfonctionnements du Système en général, mais essentiellement, de trouver une solution, à l’impasse de la filière arabe : Il fallait sauver les Ecoliers, naufragés, de la filière arabe, sans issue ! Filière qui consacrait un échec massif des enfants, sans réels débouchés ni perspectives de réinsertion dans le tissu économique. En effet, chez nous la langue française – à la vie dure- était loin d’être morte et ailleurs l’anglais et le Français étaient de rigueur. Pour un étudiant formé donc uniquement en arabe, l’horizon interne et externe était assez rétréci, le champ des possibilités fortement restreint… Cet échec de la filière arabe – le seul à l’origine de la réforme scolaire actuelle-, s’est illustré, on s’en souvient, par le renvoi dans les années 2000 d’un bon nombre de Professeurs de Sciences et de Mathématique, arabophones, reversés dans la diplomatie, ou affectés à d’autres tâches et fonctions administratives. Soit donc le corps arabophone, soit le médium était mis en cause dans l’enseignement des sciences, soit dit en passant … La solution choisie fut donc de revenir à l’enseignement de certaines matières de base en Français (sciences et Mathématique ), qui était, jusque- là, réservé à la filière bilingue où se retrouvaient les écoliers négro- africains. D’un coté on levait un écueil – retour du français -, de l’autre on en créait, délibérément, par l’imposition de la langue arabe aux écoliers non arabes, avec de surcroît une langue éclatée en matières multiples affectées de coefficients accrus, accentuant ainsi leur handicap et leur échec massif, à travers une série littéraire totalement arabisée ! L’histoire, la géographie, la philosophie, la langue, l’instruction civique, l’instruction morale religieuse sont dispensées en arabe ! Appliquée brutalement, cette réforme allait pousser des milliers d’enfants négro-africains, pris de court et désorientés, à abandonner massivement l’Ecole. On a donc réformé, mais en veillant à préserver soigneusement la nature discriminatoire du système qui opérait comme un filtre…Faisant déjà face à deux langues étrangères, -double handicap à surmonter- voilà qu’on multipliait de nouveau les obstacles sur leur chemin, ce qui, nécessairement, affecte négativement, fortement et durablement leur réussite scolaire. Voilà pourquoi , à titre d’exemple, au baccalauréat 2016, niveau national, série C, sur 100 admis on compte deux (2) Négro –africains ! A Kaédi sur 1061 candidats au bac toutes séries confondues il y a 37 admis négro -africains …Djeol compte zéro admis ! Voilà pourquoi dans les examens et concours d’accès à l’emploi les enfants et jeunes négro-africains sont recalés. De 2000 à 2016 les résultats sont tous les ans plus catastrophiques que jamais. L’Equité a déserté notre Ecole dès notre accession à l’indépendance … Enseigner nos langues négro- africaines -gage de l’équité et de l’égalité des chances à l’Ecole et en société – n’a jamais, réellement, effleuré l’esprit des réformateurs. Ce fut –et ça le demeure – le cadet des soucis de nos gouvernants ; Il ne le fallait surtout pas, car ce serait “ouvrir la boite à Pandore, affaiblir la suprématie consacrée de la langue arabe, remettre en cause l’arabité de la Mauritanie”, compromettre le “rééquilibrage” du rapport de force, en voie de parachèvement … Tel est l’esprit qui nous gouverne toujours ! Cette actuelle réforme, sabordant au passage l’Institut –performant – des langues nationales, n’a pas moins divisé et l’Ecole et la société mauritanienne. Par ses conséquences directes, des Profs de fac francophones, négro- africains, sont entrain d’être poussés vers la sortie, en voie de chômage technique…Les Profs de Droit, et d’histoire sont actuellement touchés, demain ce sera au tour des Profs de lettres. On devine la suite logique du processus sur l’Université… (et lorsque je parle de l’autre Elite- qui a choisi , pour l’essentiel, de se coucher, je note des grincements de dents !!! En conclusion, l’uniformisation du Système scolaire actuel, à travers cette réforme dernière, s’est faite au détriment des enfants négro africains, au détriment de l’Unité nationale. En lieu et place de la réconciliation, elle a reconduit et accentué la fracture entre Ecoliers et entre communautés, par ses inégalités. Peut –il, du reste, y avoir réconciliation, restauration de l’esprit de camaraderie sur le socle de l’injustice ? La baisse de niveau est, il est vrai, à l’échelle régionale, africaine et mondiale, mais elle est particulièrement aiguë chez nous à cause de la série de réformes à caractère idéologique et partisan… “Notre pays dont l’unité s’est forgée dans l’épreuve entend sauvegarder cette unité comme son patrimoine le plus précieux. La diversité est une source d’enrichissement, elle ne doit jamais devenir une source de division. Unité dans la diversité, sans doute, unité dans une stricte égalité, des droits de chacun, sans discrimination d’aucune sorte. C’est ce que nous commande une vision de la réalité, une analyse sans complaisance des faits”. Ce sont là des propos que tenait M. ould Daddah, mais quel usage en fit-il ? Nous pouvons réussir si nous abordons notre problématique dans un esprit exempt de tout calcul, de tout esprit partisan ou hégémoniste. Nous réussirons à condition d’être mus par le seul désir de construire, une fois pour toute, un système éducatif performant, fonctionnel, efficient , qui servirait l’égalité des chances , offrirait les mêmes opportunités et assurerait au peuple , dans toute sa diversité, développement, bien-être, et harmonie.

Samba Thiam

Inspecteur de L’Enseignement Fondamental (en retraite )

4 septembre 2014

Qui était la taupe ?

 Je suis libre. Libre après 8 jours d’enlèvement. 8 jours durant lesquels seul l’accès aux toilettes était le droit auquel j’avais… droit ; le seul droit de sortir dans le couloir y menant. Pour le reste, je suis enfermé et coupé du monde… Mon horloge était le muezzin. J’ai été enlevé le mercredi 26 juin 2019 alors que je me trouvais dans ma maison, aux environs de 18 heures, devant toute ma famille, y compris les enfants. Enlevé par plus d’une dizaine de policiers en civil. Ces derniers avaient fait irruption chez moi, comme dans un film, en bloquant toutes les issues. Mon épouse, qui leur a ouvert la porte de la maison, s’est vu arracher son téléphone alors qu’elle était en pleine conversation avec les services de l’ambassade des USA concernant sa carte d’invitation pour commémorer la fête du 04 juillet. Trois individus ont, Qui était la taupe ? Je suis libre. Libre après 8 jours d’enlèvement. 8 jours durant lesquels seul l’accès aux toilettes était le droit auquel j’avais… droit ; le seul droit de sortir dans le couloir y menant. Pour le reste, je suis enfermé et coupé du monde… Mon horloge était le muezzin. J’ai été enlevé le mercredi 26 juin 2019 alors que je me trouvais dans ma maison, aux environs de 18 heures, devant toute ma famille, y compris les enfants. Enlevé par plus d’une dizaine de policiers en civil. Ces derniers avaient fait irruption chez moi, comme dans un film, en bloquant toutes les issues. Mon épouse, qui leur a ouvert la porte de la maison, s’est vu arracher son téléphone alors qu’elle était en pleine conversation avec les services de l’ambassade des USA concernant sa carte d’invitation pour commémorer la fête du 04 juillet. Trois individus ont, subitement, investi la chambre où j’étais entrain de travailler sur mon ordinateur. Ils m’ont demandé si j’étais Camara. Après quoi, ils se présentèrent comme étant de la police et qu’ils avaient besoin de moi. Ils saisirent alors mon téléphone et mon ordinateur. Avec leurs accoutrements, j’ai pensé à une farce de mauvais goût ou à des malfrats venus nous déplumer. Mais au vu de leur nombre et leurs armes légèrement dissimilées, j’avais compris. J’avais compris que mes visiteurs n’étaient pas des gens ordinaires. Des policiers spéciaux. Et un peu plus tard je compris aussi qu’il s’agissait des hommes de la D.E.S. Ils se sont invités dans toutes les chambres, fouillant partout : les tiroirs, les porte-documents, les sacs… dans une atmosphère indescriptible à laquelle participait mon épouse qui, visiblement, ne pardonnait pas la façon dont ils lui avaient arraché son téléphone. Malgré tout, ces hommes, avec leurs chaussures, ne s’empêchaient point de marcher, comme bon leur semblait, sur ses tapis. Dans un hassaniya sans accent, ces policiers ont entendu et bien écoué la fille de Mbout (Madame) qui ne voulait, apparemment pas, rater l’occasion d’apprendre à nos visiteurs la meilleure façon de se comporter, quand bien même on venait pour arrêter le plus grand terroriste du monde. Les policiers, sourds et muets, avaient continué leur boulot en évitant de répondre à Mme… Après avoir pris leur temps pour fouiller tous les coins et recoins de la maison, les hommes de la D.E.S. avaient pris congé de Salimata, ses enfants et ses remontrances, en emportant avec eux leur prise du jour, le chef de maison (moi). Ils m’amenèrent avec eux vers une destination inconnue. Après plus d’une vingtaine de minutes dans les rues de Nouakchott-Sud, nous entrons dans le quartier de Toujounine, direction la populeuse Moughataa de Dar naim où nous nous arrêtons. En face, il y avait un camp devant lequel étaient postés des hommes en uniforme ; je précise que je n’ai jamais vu ce camp par le passé. Toujours est-il que j’étais l’hôte des hommes de la brigade anti-terroriste. Il est à souligner que mes visiteurs avaient emporté de chez moi 8 portables, 3 ordinateurs et des documents. Je me rappelle que durant notre périple vers ce camp, quelqu’un, au téléphone, demandait mon identité et ma profession et, tard la nuit encore, au téléphone toujours je suis invité à répondre à des questions portant cette fois-ci, en plus de mon identité, sur l’adresse du site web de mon journal. Au camp, deux individus m’attendaient : le chef et son adjoint. Ils seront mes principaux geôliers durant les 8 jours qui suivront. On me présenta ma chambre (Cellule), ma désormais demeure dans ce camp de l’anti-terrorisme. Une chambre de forme trapézoïdale avec une fenêtre qui s’ouvre sur la cour principale. Ainsi, après l’explication des principales règles qui commandent mon séjour dans cette chambre, qui restera fermée sur moi 24/24, j’ai réalisé que j’étais un prisonnier. Des questions sans réponses et des préoccupations avaient commencé à s’entrechoquer dans ma tête. De toutes les questions et préoccupations, celle de ma famille me revenait continuellement. Comment les miens vont-ils vivre cette épreuve inédite ? Surtout les enfants ? Alors, je me souciais plus du sort de ma famille que de mon propre sort… Pendant tout mon séjour, la porte ne s’ouvrait que pour la toilette ou les heures de prière pour les ablutions. 8 jours pour être interrogé… une seule fois… le 3ème jour. Ce jour là, je me suis dis, enfin, je vais savoir pourquoi je suis là enfermé comme un terroriste. Malheureusement, durant cette séance d’interrogatoire, je devais aider mon accusateur ou l’enquêteur en charge de mon dossier à trouver les charges contre moi, s’aidant en cela de mes conversations téléphoniques (« qu’ils » avaient enregistrées), du dimanche 23 juin jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement, le mercredi 26 juin 2019. Bigre ! Je devais aider mon accusateur à trouver des preuves m’accusant d’avoir participé activement à un évènement auquel je n’avais pas… participé ! Une situation kafkaïenne… Situation vraiment inédite pour un séquestré qui, en plus des questions de la police, se questionne lui-même. Et les questions se bousculaient dans ma tête : comment la police peut-elle tomber si bas en me privant ma liberté, et ce sans motif valable, et sans but évident ? Quelle est la main invisible qui se cache derrière cette volonté manifeste de vouloir nuire aux citoyens innocents ? Et surtout quand on sait que mon téléphone était sur écoute jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement. J’étais stupéfait et sidéré. Alors c’est vrai…. Je suis écouté. Cette évidence, je la déduis d’une phrase lors d’un échange avec l’un de mes interlocuteurs entre dimanche et lundi… en plus d’autres détails qui, inchallah, feront l’objet d’un livre que je vais consacrer à cette épreuve. Alors moi qui cherchais la taupe et s’étonnais du comment la police a pu trouver chez moi avec précision, la taupe n’était autre que mon téléphone soigneusement rangé dans ma poche. C’est désormais une évidence : la police mauritanienne me surveillait à distance à travers mon téléphone. Depuis quand et pourquoi ? Aucune importance. Car bien que je fusse écouté, je suis relâché 8 jours après, faute de preuves pour étayer les suspicions. Y en avait-il vraiment ? Essaye-t-on de me faire peur ? Et, par ricochet, lancer un signal aux citoyens que la police sait tout de nous et tout ce que nous faisons avec, parfois, la complicité des opérateurs téléphoniques. Comme disait ce ministre d’une époque pas très lointaine : « Nous savons tout ce que vous faites dans vos maisons ». Inquiétant, vraiment ! Ainsi, de ce récit très incomplet, je tire quelques enseignements : La police nous écoute. Elle peut arrêter qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut et même où elle veut. Et elle peut libérer ceux qu’elle arrête sans explication… J’avais été enlevé chez moi un mercredi et on m’a ramené chez moi le mercredi suivant après m’avoir dit que les suspicions qui pesaient sur moi étaient levées et qu’on devait s’excuser et oublier le passé… Quelle légèreté ! Les souffrances que j’ai subies dans cette épreuve, le combat que j’ai toujours mené, je les dédie à la Mauritanie de mon rêve. Une Mauritanie juste et égalitaire. Une Mauritanie débarrassée de ses tares et des sangsues sans foi ni loi. De ce pays perdu après des élections présidentielles peu propres, le citoyen se voit en sursis, le citoyen est dépourvu de vie privée. L’inviolabilité de la vie privée qui est une norme islamique est piétinée dans cette terre d’Islam. Des élections… tout ça pour ça, serait-on tenté de s’écrier. L’armée dans les rues de certaines villes depuis samedi (le jour du scrutin). Un arsenal militaire digne des grandes offensives des Marines US. Un candidat qui se déclare vainqueur avant même la proclamation des résultats par la CENI et la France qui félicite l’autoproclamé gagnant avant l’officialisation desdits résultats. Question : qui veut du mal à la Mauritanie, et pourquoi ? On cogite sur notre sort et le sort de cette Mauritanie malmenée et qui pleure, une Mauritanie qui, de jour en jour, est en train de toucher le fond, une Mauritanie qui vit dans l’ignominie. La déchéance. L’insouciance avec une arrogance éloquente de l’ignorant qui ne sait pas qu’il est ignorant. Et surtout qui ignore qu’on sait qu’il est ignorant. Triste Mauritanie réellement prise en otage. Que comprendre de l’après élection ? Sinon que, hagards et KO debout, les Mauritaniens pensent que la situation est sujet à inquiétude car après l’échec du coup du troisième mandat, on a failli tomber dans le scénario à la Kabila… d’autres questions à inconnues peuvent nous surprendre. Est-ce à dire que Mohamed Abdel Aziz n’en a pas encore fini avec la Mauritanie ? Allah Seul Sait et c’est vers Lui que nous nous tournons pour demander qu’Il protège la Mauritanie, qu’Il nous sauve des velléités de ceux pour qui le pouvoir est le début et la fin de tout, oubliant que, comme le disait si bien John Emerich Edward Dalberg-Acton, « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Camara Seydi Moussa La Nouvelle ExpressionQui était la taupe ? Je suis libre. Libre après 8 jours d’enlèvement. 8 jours durant lesquels seul l’accès aux toilettes était le droit auquel j’avais… droit ; le seul droit de sortir dans le couloir y menant. Pour le reste, je suis enfermé et coupé du monde… Mon horloge était le muezzin. J’ai été enlevé le mercredi 26 juin 2019 alors que je me trouvais dans ma maison, aux environs de 18 heures, devant toute ma famille, y compris les enfants. Enlevé par plus d’une dizaine de policiers en civil. Ces derniers avaient fait irruption chez moi, comme dans un film, en bloquant toutes les issues. Mon épouse, qui leur a ouvert la porte de la maison, s’est vu arracher son téléphone alors qu’elle était en pleine conversation avec les services de l’ambassade des USA concernant sa carte d’invitation pour commémorer la fête du 04 juillet. Trois individus ont, subitement, investi la chambre où j’étais entrain de travailler sur mon ordinateur. Ils m’ont demandé si j’étais Camara. Après quoi, ils se présentèrent comme étant de la police et qu’ils avaient besoin de moi. Ils saisirent alors mon téléphone et mon ordinateur. Avec leurs accoutrements, j’ai pensé à une farce de mauvais goût ou à des malfrats venus nous déplumer. Mais au vu de leur nombre et leurs armes légèrement dissimilées, j’avais compris. J’avais compris que mes visiteurs n’étaient pas des gens ordinaires. Des policiers spéciaux. Et un peu plus tard je compris aussi qu’il s’agissait des hommes de la D.E.S. Ils se sont invités dans toutes les chambres, fouillant partout : les tiroirs, les porte-documents, les sacs… dans une atmosphère indescriptible à laquelle participait mon épouse qui, visiblement, ne pardonnait pas la façon dont ils lui avaient arraché son téléphone. Malgré tout, ces hommes, avec leurs chaussures, ne s’empêchaient point de marcher, comme bon leur semblait, sur ses tapis. Dans un hassaniya sans accent, ces policiers ont entendu et bien écoué la fille de Mbout (Madame) qui ne voulait, apparemment pas, rater l’occasion d’apprendre à nos visiteurs la meilleure façon de se comporter, quand bien même on venait pour arrêter le plus grand terroriste du monde. Les policiers, sourds et muets, avaient continué leur boulot en évitant de répondre à Mme… Après avoir pris leur temps pour fouiller tous les coins et recoins de la maison, les hommes de la D.E.S. avaient pris congé de Salimata, ses enfants et ses remontrances, en emportant avec eux leur prise du jour, le chef de maison (moi). Ils m’amenèrent avec eux vers une destination inconnue. Après plus d’une vingtaine de minutes dans les rues de Nouakchott-Sud, nous entrons dans le quartier de Toujounine, direction la populeuse Moughataa de Dar naim où nous nous arrêtons. En face, il y avait un camp devant lequel étaient postés des hommes en uniforme ; je précise que je n’ai jamais vu ce camp par le passé. Toujours est-il que j’étais l’hôte des hommes de la brigade anti-terroriste. Il est à souligner que mes visiteurs avaient emporté de chez moi 8 portables, 3 ordinateurs et des documents. Je me rappelle que durant notre périple vers ce camp, quelqu’un, au téléphone, demandait mon identité et ma profession et, tard la nuit encore, au téléphone toujours je suis invité à répondre à des questions portant cette fois-ci, en plus de mon identité, sur l’adresse du site web de mon journal. Au camp, deux individus m’attendaient : le chef et son adjoint. Ils seront mes principaux geôliers durant les 8 jours qui suivront. On me présenta ma chambre (Cellule), ma désormais demeure dans ce camp de l’anti-terrorisme. Une chambre de forme trapézoïdale avec une fenêtre qui s’ouvre sur la cour principale. Ainsi, après l’explication des principales règles qui commandent mon séjour dans cette chambre, qui restera fermée sur moi 24/24, j’ai réalisé que j’étais un prisonnier. Des questions sans réponses et des préoccupations avaient commencé à s’entrechoquer dans ma tête. De toutes les questions et préoccupations, celle de ma famille me revenait continuellement. Comment les miens vont-ils vivre cette épreuve inédite ? Surtout les enfants ? Alors, je me souciais plus du sort de ma famille que de mon propre sort… Pendant tout mon séjour, la porte ne s’ouvrait que pour la toilette ou les heures de prière pour les ablutions. 8 jours pour être interrogé… une seule fois… le 3ème jour. Ce jour là, je me suis dis, enfin, je vais savoir pourquoi je suis là enfermé comme un terroriste. Malheureusement, durant cette séance d’interrogatoire, je devais aider mon accusateur ou l’enquêteur en charge de mon dossier à trouver les charges contre moi, s’aidant en cela de mes conversations téléphoniques (« qu’ils » avaient enregistrées), du dimanche 23 juin jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement, le mercredi 26 juin 2019. Bigre ! Je devais aider mon accusateur à trouver des preuves m’accusant d’avoir participé activement à un évènement auquel je n’avais pas… participé ! Une situation kafkaïenne… Situation vraiment inédite pour un séquestré qui, en plus des questions de la police, se questionne lui-même. Et les questions se bousculaient dans ma tête : comment la police peut-elle tomber si bas en me privant ma liberté, et ce sans motif valable, et sans but évident ? Quelle est la main invisible qui se cache derrière cette volonté manifeste de vouloir nuire aux citoyens innocents ? Et surtout quand on sait que mon téléphone était sur écoute jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement. J’étais stupéfait et sidéré. Alors c’est vrai…. Je suis écouté. Cette évidence, je la déduis d’une phrase lors d’un échange avec l’un de mes interlocuteurs entre dimanche et lundi… en plus d’autres détails qui, inchallah, feront l’objet d’un livre que je vais consacrer à cette épreuve. Alors moi qui cherchais la taupe et s’étonnais du comment la police a pu trouver chez moi avec précision, la taupe n’était autre que mon téléphone soigneusement rangé dans ma poche. C’est désormais une évidence : la police mauritanienne me surveillait à distance à travers mon téléphone. Depuis quand et pourquoi ? Aucune importance. Car bien que je fusse écouté, je suis relâché 8 jours après, faute de preuves pour étayer les suspicions. Y en avait-il vraiment ? Essaye-t-on de me faire peur ? Et, par ricochet, lancer un signal aux citoyens que la police sait tout de nous et tout ce que nous faisons avec, parfois, la complicité des opérateurs téléphoniques. Comme disait ce ministre d’une époque pas très lointaine : « Nous savons tout ce que vous faites dans vos maisons ». Inquiétant, vraiment ! Ainsi, de ce récit très incomplet, je tire quelques enseignements : La police nous écoute. Elle peut arrêter qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut et même où elle veut. Et elle peut libérer ceux qu’elle arrête sans explication… J’avais été enlevé chez moi un mercredi et on m’a ramené chez moi le mercredi suivant après m’avoir dit que les suspicions qui pesaient sur moi étaient levées et qu’on devait s’excuser et oublier le passé… Quelle légèreté ! Les souffrances que j’ai subies dans cette épreuve, le combat que j’ai toujours mené, je les dédie à la Mauritanie de mon rêve. Une Mauritanie juste et égalitaire. Une Mauritanie débarrassée de ses tares et des sangsues sans foi ni loi. De ce pays perdu après des élections présidentielles peu propres, le citoyen se voit en sursis, le citoyen est dépourvu de vie privée. L’inviolabilité de la vie privée qui est une norme islamique est piétinée dans cette terre d’Islam. Des élections… tout ça pour ça, serait-on tenté de s’écrier. L’armée dans les rues de certaines villes depuis samedi (le jour du scrutin). Un arsenal militaire digne des grandes offensives des Marines US. Un candidat qui se déclare vainqueur avant même la proclamation des résultats par la CENI et la France qui félicite l’autoproclamé gagnant avant l’officialisation desdits résultats. Question : qui veut du mal à la Mauritanie, et pourquoi ? On cogite sur notre sort et le sort de cette Mauritanie malmenée et qui pleure, une Mauritanie qui, de jour en jour, est en train de toucher le fond, une Mauritanie qui vit dans l’ignominie. La déchéance. L’insouciance avec une arrogance éloquente de l’ignorant qui ne sait pas qu’il est ignorant. Et surtout qui ignore qu’on sait qu’il est ignorant. Triste Mauritanie réellement prise en otage. Que comprendre de l’après élection ? Sinon que, hagards et KO debout, les Mauritaniens pensent que la situation est sujet à inquiétude car après l’échec du coup du troisième mandat, on a failli tomber dans le scénario à la Kabila… d’autres questions à inconnues peuvent nous surprendre. Est-ce à dire que Mohamed Abdel Aziz n’en a pas encore fini avec la Mauritanie ? Allah Seul Sait et c’est vers Lui que nous nous tournons pour demander qu’Il protège la Mauritanie, qu’Il nous sauve des velléités de ceux pour qui le pouvoir est le début et la fin de tout, oubliant que, comme le disait si bien John Emerich Edward Dalberg-Acton, « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Camara Seydi Moussa La Nouvelle Expression, investi la chambre où j’étais entrain de travailler sur mon ordinateur. Ils m’ont demandé si j’étais Camara. Après quoi, ils se présentèrent comme étant de la police et qu’ils avaient besoin de moi. Ils saisirent alors mon téléphone et mon ordinateur. Avec leurs accoutrements, j’ai pensé à une farce de mauvais goût ou à des malfrats venus nous déplumer. Mais au vu de leur nombre et leurs armes légèrement dissimilées, j’avais compris. J’avais compris que mes visiteurs n’étaient pas des gens ordinaires. Des policiers spéciaux. Et un peu plus tard je compris aussi qu’il s’agissait des hommes de la D.E.S. Ils se sont invités dans toutes les chambres, fouillant partout : les tiroirs, les porte-documents, les sacs… dans une atmosphère indescriptible à laquelle participait mon épouse qui, visiblement, ne pardonnait pas la façon dont ils lui avaient arraché son téléphone. Malgré tout, ces hommes, avec leurs chaussures, ne s’empêchaient point de marcher, comme bon leur semblait, sur ses tapis. Dans un hassaniya sans accent, ces policiers ont entendu et bien écoué la fille de Mbout (Madame) qui ne voulait, apparemment pas, rater l’occasion d’apprendre à nos visiteurs la meilleure façon de se comporter, quand bien même on venait pour arrêter le plus grand terroriste du monde. Les policiers, sourds et muets, avaient continué leur boulot en évitant de répondre à Mme… Après avoir pris leur temps pour fouiller tous les coins et recoins de la maison, les hommes de la D.E.S. avaient pris congé de Salimata, ses enfants et ses remontrances, en emportant avec eux leur prise du jour, le chef de maison (moi). Ils m’amenèrent avec eux vers une destination inconnue. Après plus d’une vingtaine de minutes dans les rues de Nouakchott-Sud, nous entrons dans le quartier de Toujounine, direction la populeuse Moughataa de Dar naim où nous nous arrêtons. En face, il y avait un camp devant lequel étaient postés des hommes en uniforme ; je précise que je n’ai jamais vu ce camp par le passé. Toujours est-il que j’étais l’hôte des hommes de la brigade anti-terroriste. Il est à souligner que mes visiteurs avaient emporté de chez moi 8 portables, 3 ordinateurs et des documents. Je me rappelle que durant notre périple vers ce camp, quelqu’un, au téléphone, demandait mon identité et ma profession et, tard la nuit encore, au téléphone toujours je suis invité à répondre à des questions portant cette fois-ci, en plus de mon identité, sur l’adresse du site web de mon journal. Au camp, deux individus m’attendaient : le chef et son adjoint. Ils seront mes principaux geôliers durant les 8 jours qui suivront. On me présenta ma chambre (Cellule), ma désormais demeure dans ce camp de l’anti-terrorisme. Une chambre de forme trapézoïdale avec une fenêtre qui s’ouvre sur la cour principale. Ainsi, après l’explication des principales règles qui commandent mon séjour dans cette chambre, qui restera fermée sur moi 24/24, j’ai réalisé que j’étais un prisonnier. Des questions sans réponses et des préoccupations avaient commencé à s’entrechoquer dans ma tête. De toutes les questions et préoccupations, celle de ma famille me revenait continuellement. Comment les miens vont-ils vivre cette épreuve inédite ? Surtout les enfants ? Alors, je me souciais plus du sort de ma famille que de mon propre sort… Pendant tout mon séjour, la porte ne s’ouvrait que pour la toilette ou les heures de prière pour les ablutions. 8 jours pour être interrogé… une seule fois… le 3ème jour. Ce jour là, je me suis dis, enfin, je vais savoir pourquoi je suis là enfermé comme un terroriste. Malheureusement, durant cette séance d’interrogatoire, je devais aider mon accusateur ou l’enquêteur en charge de mon dossier à trouver les charges contre moi, s’aidant en cela de mes conversations téléphoniques (« qu’ils » avaient enregistrées), du dimanche 23 juin jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement, le mercredi 26 juin 2019. Bigre ! Je devais aider mon accusateur à trouver des preuves m’accusant d’avoir participé activement à un évènement auquel je n’avais pas… participé ! Une situation kafkaïenne… Situation vraiment inédite pour un séquestré qui, en plus des questions de la police, se questionne lui-même. Et les questions se bousculaient dans ma tête : comment la police peut-elle tomber si bas en me privant ma liberté, et ce sans motif valable, et sans but évident ? Quelle est la main invisible qui se cache derrière cette volonté manifeste de vouloir nuire aux citoyens innocents ? Et surtout quand on sait que mon téléphone était sur écoute jusqu’à quelques minutes avant mon enlèvement. J’étais stupéfait et sidéré. Alors c’est vrai…. Je suis écouté. Cette évidence, je la déduis d’une phrase lors d’un échange avec l’un de mes interlocuteurs entre dimanche et lundi… en plus d’autres détails qui, inchallah, feront l’objet d’un livre que je vais consacrer à cette épreuve. Alors moi qui cherchais la taupe et s’étonnais du comment la police a pu trouver chez moi avec précision, la taupe n’était autre que mon téléphone soigneusement rangé dans ma poche. C’est désormais une évidence : la police mauritanienne me surveillait à distance à travers mon téléphone. Depuis quand et pourquoi ? Aucune importance. Car bien que je fusse écouté, je suis relâché 8 jours après, faute de preuves pour étayer les suspicions. Y en avait-il vraiment ? Essaye-t-on de me faire peur ? Et, par ricochet, lancer un signal aux citoyens que la police sait tout de nous et tout ce que nous faisons avec, parfois, la complicité des opérateurs téléphoniques. Comme disait ce ministre d’une époque pas très lointaine : « Nous savons tout ce que vous faites dans vos maisons ». Inquiétant, vraiment ! Ainsi, de ce récit très incomplet, je tire quelques enseignements : La police nous écoute. Elle peut arrêter qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut et même où elle veut. Et elle peut libérer ceux qu’elle arrête sans explication… J’avais été enlevé chez moi un mercredi et on m’a ramené chez moi le mercredi suivant après m’avoir dit que les suspicions qui pesaient sur moi étaient levées et qu’on devait s’excuser et oublier le passé… Quelle légèreté ! Les souffrances que j’ai subies dans cette épreuve, le combat que j’ai toujours mené, je les dédie à la Mauritanie de mon rêve. Une Mauritanie juste et égalitaire. Une Mauritanie débarrassée de ses tares et des sangsues sans foi ni loi. De ce pays perdu après des élections présidentielles peu propres, le citoyen se voit en sursis, le citoyen est dépourvu de vie privée. L’inviolabilité de la vie privée qui est une norme islamique est piétinée dans cette terre d’Islam. Des élections… tout ça pour ça, serait-on tenté de s’écrier. L’armée dans les rues de certaines villes depuis samedi (le jour du scrutin). Un arsenal militaire digne des grandes offensives des Marines US. Un candidat qui se déclare vainqueur avant même la proclamation des résultats par la CENI et la France qui félicite l’autoproclamé gagnant avant l’officialisation desdits résultats. Question : qui veut du mal à la Mauritanie, et pourquoi ? On cogite sur notre sort et le sort de cette Mauritanie malmenée et qui pleure, une Mauritanie qui, de jour en jour, est en train de toucher le fond, une Mauritanie qui vit dans l’ignominie. La déchéance. L’insouciance avec une arrogance éloquente de l’ignorant qui ne sait pas qu’il est ignorant. Et surtout qui ignore qu’on sait qu’il est ignorant. Triste Mauritanie réellement prise en otage. Que comprendre de l’après élection ? Sinon que, hagards et KO debout, les Mauritaniens pensent que la situation est sujet à inquiétude car après l’échec du coup du troisième mandat, on a failli tomber dans le scénario à la Kabila… d’autres questions à inconnues peuvent nous surprendre. Est-ce à dire que Mohamed Abdel Aziz n’en a pas encore fini avec la Mauritanie ? Allah Seul Sait et c’est vers Lui que nous nous tournons pour demander qu’Il protège la Mauritanie, qu’Il nous sauve des velléités de ceux pour qui le pouvoir est le début et la fin de tout, oubliant que, comme le disait si bien John Emerich Edward Dalberg-Acton, « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ».

 

Camara Seydi Moussa La Nouvelle Expression

LES REMERCIEMENTS DU PRESIDENT SAMBA THIAM

Maintenant que mes affaires me sont restituées, je suis en mesure de me reconnecter à nouveau au Net… Pour, d’abord, remercier chaleureusement tous ceux –là, de l’intérieur comme de la Diaspora, ces camarades, la classe politique tous bords confondus , ces hommes et ces femmes honnêtes qui se sont mobilisés pour ma libération. Que tous soient donc, ici, vivement remerciés. Pour ensuite dire que je sors, toutefois, de ces interrogatoires de géôle un peu triste et amer de constater …que le ver-les vers- est dans le fruit. Je terminerai enfin par ces propos de Yehdih (dans son plaidoyer pour la cause touareg – l’Azawad-) : ‘’ Si l’on ne peut vivre ensemble qu’au prix de l’oppression à l’égard d’une composante , c’est une position pas raisonnable et qui, surtout, n’est pas tenable ‘’.

 

Samba Thiam.