Daily Archives: 13/08/2016
Mariem mint Derwich · Mauritanie
L’Entre paroles …
Dans ce « DIA » (entre) et LOGOS (paroles), dans cet « entre paroles » échange et partage qu’est le dialogue, que devient la parole devenue non parole, la parole inachevée, la parole qui ne dit pas, la parole devenue monologue, mur, frontières ?
Entre le besoin, la nécessité impérieuse inhérente à l’humain de la communication, du dialogue avec l’autre, et les contraintes diverses, les chemins qui biaisent l’échange, où se perd le dialogue ?
Comment ce dernier passe-t-il du statut de dialogue à celui de non dialogue ou de faux dialogue ?
Je ne parle pas du faux dialogue au théâtre par exemple, figure de style où le narrateur prend à témoin un auditoire dans un « dialogue » devenu monologue.
Je ne parle pas, non plus, du monologue de l’écrivain, centré sur une perception de lui propre à un moment précis. Ce faux dialogue devient dialogue dès lors qu’il est reçu par les regards des lecteurs. Donc faux dialogue redevenu dialogue par la magie du regard autre, spectateur et acteur…
Ces dialogues-là, restent des dialogues.
D’abord comment définir le « faux dialogue » ? Il n’est pas aisé de mettre des contours à un « entre paroles » qui ne serait plus « l’entre » de quoi que ce soit, et qui serait devenu, par la force des choses, un semblant de dialogue.
Un dialogue est-il faux, peut-il être faux ? Un dialogue se doit-il d’être faux puisqu’il serait le pendant d’un dialogue supposé vrai ? Miroir, contre miroir…
Un dialogue qui ne serait plus sens d’ouverture, d’émission, de réception, de partage, qui ne serait plus une vérité émise à un moment, reçue par un interlocuteur, une réponse elle-même vérité, qui ne serait plus signe d’empathie à l’autre, de sympathie à l’autre, de respect à l’autre, qui ne serait plus qu’une coquille vide, est-il un faux dialogue ?
Je suis femme, musulmane, arabe, berbère, africaine, européenne… Cela fait de moi le réceptacle de tant de dialogues autres que dans ce « Moi-l’autre-l’écartelé » de Rodney Saint Eloi, ce Moi qui est tant de choses et rien à la fois, ce Moi intersection de paroles différentes, je ne fais qu’osciller entre dialogue, dialoguisation, faux dialogue et « vrai » dialogue, si tant est que celui-ci ait un sens pour mes racines métisses.
Ce premier « faux dialogue » de la parole métissée, de l’appartenance métissée. Qui dialogue en moi ? Qui dialogue avec qui ? Être la somme, l’aboutissement de dialogues antérieurs à moi me rend sourde aux dialogues.
Je suis enfermée, première pierre de ce faux dialogue, dans une langue, celle que j’appelle la « langue de moi, à moi », la langue Moi et la langue de l’autre.
Cette langue maternelle qui est mienne s’oppose donc à la langue paternelle, aussi mienne, mais aussi autre.
Il est des pays et des cultures où cette revendication d’un dialogue aux autres et à soi en cette langue maternelle est d’une facilité déconcertante. Chez moi ce n’est pas le cas.
Je suis d’un pays se revendiquant arabe et dont l’arabe est la langue officielle. Ma langue maternelle, le français, ce français dans lequel je pense, est considérée comme langue des colons, langue de l’acculturation. Ma mère est donc tuée en sa langue. Je suis donc tuée en elle. Je suis donc l’autre.
Il fut un temps où le dialogue passait entre ces deux langues, chacune représentant une symbolique, le français pour une élite formée sur les bancs de l’école française, l’arabe pour une autre élite. Les passerelles existaient et qui dit passerelles dit dialogue. Ce n’était pas encore le temps des identités exacerbées, des identités recherchées.
Dans mon pays cohabitent plusieurs ethnies, plusieurs langues. Cela pourrait faire penser que les gens dialoguent entre eux, chacun porteur de son histoire et de sa mémoire. Il n’en est rien. L’imposition de l’arabe, l’arabisation forcenée a rompu le fragile équilibre entre composantes nationales. Là où l’arabe était étudié, appris par les populations noires de mon pays, il a presque disparu chez ces mêmes populations, emporté par une résistance à l’arabe comme identité imposée. Nous nous parlons mais nous ne dialoguons plus. Voici un exemple de faux dialogue par excellence : je te parle mais est-ce que je te parle ?
Quand la langue se fait fermeture, repli identitaire, elle ne permet plus le partage et l’échange. Elle n’est plus que monologue nourri à l’aune des rancœurs et des incompréhensions. Une langue, un langage devenu fantasme n’est plus dialogue avec l’Autre. Elle est d’abord monologue. Cela nous mine. Cela nous pèse. Dès lors que l’on charge une langue d’un affect politique, le dialogue meurt car, en déclarant l’arabe comme seule langue valable et admise, le politique n’est plus que dans le miroir et le rejet. Comment dialoguer quand la langue de l’autre signifie d’abord force, pouvoir, obligation ? La langue arabe est notre langue mais elle n’est pas comprise par une partie de la population.
S’il n’y a pas traduction, donc dialogue premier, cela tourne parfois au ridicule car certains, s’exprimant en langues dites nationales, ne sont pas compris par leurs interlocuteurs et vice-versa.
Situation ubuesque, dangereuse que ce faux dialogue, ce dialogue de sourds entre habitants d’un même pays…
Résultat de ce faux dialogue, un non dialogue identitaire à fleur de peau. Et un pays qui s’enfonce dans les crises d’urticaires identitaires.
Cela n’est pas propre à nous. Mais cela est nous. Et nous sommes, de fait, cet « autre, écartelé ».
Quand la force remplace l’ouverture, le langage devient sens creux…
Une autre forme de ce que j’appelle le faux dialogue : le fameux dialogue dit interculturel, pensé par l’Europe, mis en forme par l’Europe, l’ancienne puissance colonisatrice.
Et qui dit dialogue interculturel, dans la pensée européenne, s’est peu à peu transformé en dialogue inter religieux, la religion, l’Islam, étant chose fascinante et en même temps « barbare ». Les événements dramatiques que nous connaissons depuis des années ont réduit le dialogue interculturel à un dialogue sur la religion de l’autre.
Du dialogue au monologue, la peur immobilisant la langue…
Avez-vous remarqué le glissement de sémantique depuis des années : nous sommes passés de l’interculturel et de la nécessité de se parler pour se comprendre et, au moins, s’apprendre, à « dialogue des civilisations ». Comme si une civilisation était une religion, réduite à sa part d’intemporalité.
Quand la presse européenne ou les politiques ou le citoyen lambda parle de dialogue des civilisations, il parle d’abord de religion et de dialogue inter-religieux…
L’Europe nous fantasme, nous musulmans. Elle n’a pas tort mais le fantasme reste ce qu’il est : un non dialogue. Pour anesthésier la peur de l’autre, la main tendue vers l’autre, c’est-à-dire nous, musulmans, est d’abord un discours à sens unique : je ne te comprends pas, donc je ne peux te parler mon langage. Je ne te comprends pas, donc tu es incompréhensible. Je ne te comprends pas, donc tu es « terra incognita ». Je ne te comprends pas et je ne comprends pas ta religion, tes peuples, tes manières de voir le monde, donc je réaménage ton espace à la hauteur de mes besoins géostratégiques. Je ne te comprends pas, donc je te remodèle.
Faux dialogue, faux dialogue, qui exacerbe les haines…
Ce faux dialogue entre une Europe repliée sur elle-même, en crise identitaire, en rejets, en peurs et nous, en implosion, en recherche d’une identité présupposée perdue, en redécoupages régionaux et politiques avec, en filigrane et transcendant les barrières, le fantasme perverti d’un retour au califat des Abbassides (l’imaginaire sanglant de DAESCH), ce faux dialogue reste muraille.
Pourtant, je reste persuadée que si l’Europe des Lumières, l’Europe qui a tant fasciné, qui nous a tant fasciné, se meurt, disparaît dans une logique de repli, ses idées et son apport au monde c’est à nous, Africains, Arabes de la réinventer, du moins d’en réinventer les concepts qui ont fait sa grandeur.
Comme nous nous sommes appropriés cette langue française, qu’elle n’appartient plus à la France ni aux français, mais à nous qui l’avons reçue en héritage colonial, nous devons nous réapproprier ses idées, sa grandeur perdue.
Non pas en vivant en France ou en Europe, mais en vivant dans nos pays en recherche d’eux-mêmes.
Nous devons proposer à l’Europe notre Siècle des Lumières et offrir ceci à l’Europe vieillissante qui n’invente plus rien sur le plan des idées et des idéaux.
Lourde tâche : nous recréer, nous créer, et recréer cette Europe qui ne nous connaît pas et qui nous gère à distance selon des fantasmes. S’ils ne peuvent dialoguer, dialoguons, nous. Forçons-les à entendre et à revenir à l’échange. En faisant glisser les idéaux du Nord au Sud, puis du Sud au Nord, nous retrouverons peut être le chemin d’un vrai dialogue des cultures.
Le dialogue viendra de notre capacité à recréer et à réoffrir.
Il y a aussi le faux dialogue politique, très à la mode dans mon pays mais aussi généralement en Afrique, ce faux dialogue qui est notre arbre à palabres.
Régulièrement on nous ressort les « assises du dialogue national ». Cela en dit long sur notre non dialogue et notre incapacité à nous entendre. Je ne parle pas même pas d’échanger… Il faut donc dialoguer entre opposition et pouvoir. Dialogue biaisé car le pouvoir est, de facto, à la table de ce dialogue. Il a donc tout à gagner. Il est tenant et aboutissant de ce dialogue National.
L’opposition suit ou plonge. Donc dialogue, tout sauf national, et faux dialogue par excellence.
D’un faux dialogue entre communautés à un faux dialogue politique qui est présenté comme la panacée à nos crises politiques et de gouvernance, nous avons perdu le langage autre que celui des besoins primaires : j’ai faim, j’ai soif, etc. C’est le grand enfermement, l’ubuesque dialoguant….
L’ubuesque faux dialoguant.
Il nous faut nous rendre à nouveau maîtres du langage, de la parole offerte, de la parole reçue.
Il faut repenser une circulation des dialogues pour éviter le non dialogue, en construisant un objet dialogal, un méta discours…
Comme le disait Braque, «rechercher le commun qui n’est pas le semblable »…
L’expérience négro-mauritanienne de la lutte non violente pour l’égalité et la justice
Introduction
L’histoire des sociétés humaines, depuis l’aube des temps, a été jalonnée par de flagrantes contradictions opposant des peuples et des communautés, différenciées par leurs apparences physiques, leurs langues, leurs cultures, leurs religions ou leurs appartenances régionales.
Ces contradictions peuvent s’exprimer dans un seul et même Etat ou mettre aux prises deux Etats indépendants.
Mais ce qui m’intéresse dans la présente analyse est moins l’identification des protagonistes que le choix de la méthode de résolution du conflit.
En effet, face à une situation de crise (sociale, économique ou politique), deux attitudes se dégagent du comportement humain : persuader l’autre par le dialogue et les pourparlers ou le convaincre par la contrainte physique et psychologique qui suppose l’exercice indéniable de la violence. Bien souvent, c’est le refus du dialogue ou l’échec des pourparlers qui induit le recours à la coercition physique…
Dans toutes les contrées du monde, des clans, des tribus, des ethnies, des races et des peuples se sont battus, combattus au point de vouloir parfois s’éteindre les uns les autres. Les raisons invoquées pour justifier de telles animosités sont nombreuses ; les plus connues reposent sur de prétendues supériorités raciales, religieuses, linguistiques, historique ou régionales. Une conception négativiste selon laquelle la différence de l’autre est synonyme de son infériorité. Alors l’esprit extrémiste, irrespectueux et hautain entreprend de développer une attitude méprisante et oppressive à l’égard de l’autre jugé inférieur.
Pour réussir à vaincre, voire dominer l’ennemi, sous tous les cieux et à presque toutes les époques, les hommes rivalisèrent davantage d’ardeur et d’intelligence qu’ils n’en déployèrent pour vaincre la famine, la maladie et l’adversité d’une nature pourtant très hostile. L’humain fut plus dangereux pour son semblable que ne le furent tous les autres prédateurs que son séjour sur la terre lui imposa comme voisins. Les derniers événements en date qui illustrent parfaitement la capacité de l’homme à détruire son semblable sont, entre autres, les première et deuxième guerres mondiales et le génocide tutsi du Rwanda.
Seulement, cette histoire tragique de l’humanité, traduit une constante : plus les humains usent de violence pour imposer leurs volontés, plus ils sèment, par ces actes, les germes d’une violence encore plus grande contre eux-mêmes. Le fait est que chaque action violente contre l’autre le prédispose à ce sentiment de vengeance qui n’est véritablement assouvi que lorsque le vaincu du premier affrontement arrive à exercer sur son tombeur une violence encore plus massive et sanglante.
De sorte qu’il s’instaure un cercle vicieux, une spirale de violence qui monte crescendo avec comme seul écho l’hymne lugubre de l’extinction de notre humanité.
Pour dérailler le train de ce destin funeste, rompre avec le cercle fermé de la violence destructrice, certains hommes ont trouvé d’autres moyens de faire évoluer leurs sociétés pour plus de justice sociale, plus d’équité politique et de respect de la différence culturelle, religieuse et linguistique. Dissuadés par la mer de douleur engendrée par l’engrenage de la violence, ces hommes de paix s’efforcent de trouver d’autres issues salutaires à l’humanité. C’est ainsi que nait le combat non violent.
Dans l’histoire contemporaine, les figures qui ont marqué le monde sont sans doute l’Indien Mahatma Gandhi, le Négro-américain Martin Luther King et le Tibétain Dalaï Lama. L’efficacité de leurs combats respectifs a fini par leur conférer une aura qui a fait rayonner leur méthode de lutte non violente dans les cinq continents. Parmi ces zones d’influence, la Mauritanie figure en bonne place. Aussi dans les lignes qui suivent, je souhaite entretenir le lecteur de l’expérience mauritanienne de la lute non violence en soulignant ses particularités essentiellement motivées par le contexte de ce pays atypique.
I. La philosophie de la non violence
Plus qu’une simple méthode de lutte ou une approche pragmatique, la lutte non violente est d’abord une philosophie. Adopter la lutte non violence c’est avant tout s’abstenir d’infliger le mal à l’autre, au moment où son agression contre vous et l’immense douleur qu’elle suscite vous incitent à la vengeance. C’est s’engager dans une posture psychologique et physique dans laquelle le militant non violent encaisse stoïquement les coups en se persuadant que toute réaction hostile de sa part lui est, tout à la fois, indigne et contreproductive.
Indigne parce qu’elle le rabaisse au niveau d’ « inhumanité » de son adversaire du moment ; contreproductive parce que, bien souvent, au lieu d’arrêter le mal, elle le multiplie et l’intensifie. Nul ne peut réussir dans un combat non violent s’il n’a, au préalable, accompli cette profonde réflexion, cette introspection sur soi qui lui permet d’atteindre la sérénité et la résolution de ne jamais succomber aux sirènes de la vengeance. Autant dire que le véritable militant non violent est celui qui a d’abord remporté plusieurs victoires sur lui-même.
Une victoire contre la haine de l’ennemi dont l’action lui inocule une humiliation tenace. Une victoire contre ses nerfs qui en transmettant à son corps et à son esprit les sensations de douleurs, nouent en lui des réflexes violents, inhérents à sa propre survie. Une victoire contre cet égoïsme humain qui nous fait préférer notre bien-être propre à celui du frère d’infortune. Une victoire enfin contre l’orgueil qui, au détour d’une bataille remportée ou d’une offense personnelle, obstrue notre lucidité et nous détourne de notre chemin, du moins fait vaciller vos objectifs, en tout cas nous distrait de l’essentiel. Une fois que ce travail, dans les profondeurs de sa personnalité, est accompli, le militant de l’action non violente est prémuni contre les écueils multiformes qui se dresseraient à chaque étape de l’évolution de son combat.
I.1.L’exemple de Martin Luther King
Oui, c’est fort de ces victoires sur soi que Martin Luther King pût montrer cette digne attitude qui en a surpris plus d’un, en ce jour de l’an 1956 dans l’Etat de Montgomery, aux États-Unis d’Amérique. En effet, pour lutter contre la discrimination dans les bus qui imposait aux Noirs de laisser leurs places aux passagers blancs ou à se confiner à l’arrière des voitures, le Pasteur King avait initié un boycotte, par les Noirs, de ce moyen de transport ; grève qui a duré 382 jours. Pour l’anéantir, le raciste et légendaire Ku-Klux-Klan (KKK) avait entrepris de le réprimer. Aussi, alors que son épouse et son enfant venaient d’échapper miraculeusement à l’explosion d’une bombe placée chez lui par ses ennemis, et que ses partisans accouraient de partout, armes à la main, décidés à le venger, il s’adressa à eux en ces termes :
« Je veux que vous rentriez chez vous et que vous déposiez les armes. Nous ne pouvons pas résoudre ce problème en nous vengeant de la violence par la violence. Nous devons aimer nos frères blancs quoi qu’ils nous fassent. Il nous faut répondre à la haine par l’amour » .
Par ces phrases, le complot ourdi par les extrémistes blancs de l’Etat de Montgomery venait d’être subtilement déjoué par le leader de la non violence. En attentant à sa vie ou celle de sa famille, le KKK espérait en réalité susciter une confrontation armée de laquelle il ne pouvait découler que des centaines de morts avec à la clef une victoire immédiate des oppresseurs mieux armés. Les Noirs pourraient toujours se venger comme le faisait l’autre grande figure de la lutte pour l’émancipation, Malcom Little devenu Malcom X. Mais au final les deux communautés traverseront d’inouïes souffrances et une cohabitation rendue, tout à la fois, impossible et irrémédiable.
I.2.L’exemple de Mahatma Gandhi
On sait que si Martin Luther King enracine sa méthode de lutte pacifique dans sa foi chrétienne, il s’est aussi beaucoup inspiré de Gandhi qu’il a admiré toute sa vie. Cet illustre avocat indien a été le véritable initiateur de la lutte non-violente qu’il a expérimenté avec un succès remarquable tant en Afrique du sud que dans sa patrie indienne. Sur les deux terrains, il s’agissait de lutter contre le colonialisme britannique qui imposait aux indigènes indiens un traitement inhumain et dégradant. La loi de Rowlatt (mars 1919), par exemple, autorisait l’emprisonnement d’un Indien sans jugement et sans aucune limite dans le temps. Des lois similaires laissaient, à la merci, le travailleur indien face aux employeurs des grandes corporations anglaises.
Mahatma Gandhi, à la tête d’un mouvement de protestation appela à la « non coopération non violente » pour obliger l’administration anglaise à agir pour concéder aux indigènes plus de droits. Il est arrêté, accusé d’incitation aux troubles publics et de rébellion. A l’occasion de son procès tenu le 23 mars 1922, il déclare, après avoir longuement expliqué comment les abus de l’administration coloniale l’ont poussé à désobéir à la loi,
« Je fais tout mon possible pour montrer à mes compatriotes que la non-coopération violente ne fait qu’accentuer le mal, et que, étant donné que le mal ne se maintient que par la violence, le refus de soutenir le mal exige de s’abstenir de toute violence. La non violence implique de se soumettre volontairement à la peine encourue pour ne pas avoir coopéré avec le mal ».
Je voudrais mettre ici en relief ce qui est rarement souligné à propos de Gandhi : à l’instar de Martin Luther King dont les méthodes de lutte non violentes s’enracinent dans la foi chrétienne du pardon à toute épreuve, la non-coopération non violente de Gandhi s’abreuve aux sources de la civilisation hindouiste. Celle-ci recommande dans une de ses dimensions (Smitri) la constitution progressive d’une personnalité dont la plénitude permet d’atteindre la quiétude de l’être. Quiétude sans laquelle le militant de l’action non violente ne saura résister à la poussée violente.
II. Les luttes non violentes mauritaniennes
II.1.Sous le premier régime civil
Les luttes politiques non violentes en Mauritanie sont très récentes à l’instar du pays lui-même qui n’a obtenu son indépendance qu’en 1960. Les problèmes sociopolitiques qui ont fini par engendrer l’impérieuse nécessité d’enclencher d’âpres luttes, trouvent leur genèse dans le congrès tenu à Aleg le 28 novembre 1958. Cet événement historique signe en réalité le véritable acte constitutif de la Mauritanie. Il réunissait toute l’élite politique de la Mauritanie de l’époque, notamment dans ses deux principaux groupes de souches anthropologiques : les Négro-africains de la rive droite du fleuve Sénégal (sud) et les Arabo-berbères habitants principalement le nord et l’est du pays.
Les Haratines (esclaves et anciens esclavages), qui comptaient très peu de cadres, n’y étaient quasiment pas représentés ; une des preuves, s’il en était besoin, que l’exclusion, est une tare congénitale à l’Etat mauritanien. En plus, jusqu’à une époque encore récente, ils étaient définis et se définissaient encore comme une partie intégrante de la communauté arabo-berbère. Selon de nombreux historiens, très tôt dans ce congrès, s’est posé avec acuité le problème de la cohabitation entre les grandes composantes sociales mauritaniennes.
Ainsi, selon le colonel à la retraite Oumar Ould Beibacar , les Noirs de culture africaine souhaitaient appeler le pays en gestation « République africaine de Mauritanie » alors que les Arabo-berbères voulaient le nommer la « République arabe de Mauritanie ». Dans un esprit de compromis, le président de l’assemblée Sidi-El Moktar Ndiaye, un métis très intègre, proposa le nom de République islamique de Mauritanie qui fut adopté à l’unanimité.
Malheureusement l’équilibre entre les composantes nationales va être très tôt rompu par la politique outrancière du premier président de la Mauritanie, Moktar ould Daddah. D’abord en mai 1961 un amendement constitutionnel fera passer la Mauritanie du régime parlementaire moniste – pourtant, de loin plus adapté à sa configuration démographique et géographique – à un régime outrancièrement présidentiel. Le père de la nation voulait avoir en main toutes les cartes pour réformer l’Etat et le rendre plus conforme à ses desseins de despote.
Aussi cinq ans après (1965) une autre réforme constitutionnelle instaure le Parti du Peuple Mauritanien seul parti autorisé et l’officialisation de la seule langue arabe sur les quatre que compte le pays. Ce dernier acte visait à remplacer une majorité de Négro-africains dans la fonction publique mauritanienne par les Arabo-berbères. Dès lors, Moktar ould Daddah ne se comportait plus comme le président d’une république, mais comme un obscur chef tribal qui use de tous les subterfuges pour favoriser sa communauté sur les autres composantes nationales.
L’élite intellectuelle noire de la Mauritanie, qui n’était pas dupe des manèges du Président Moktar, sonna la mobilisation à la résistance contre l’orientation pan arabiste et visiblement raciste que prenait la Mauritanie. De sorte qu’en 1966, le Mouvement des Elèves et Etudiants Noirs (MEEN), soutenus par le corps enseignant négro-africain, déclenche un mouvement de grève qui va s’étendre à beaucoup d’autres travailleurs. Quelques jours plus tard, ils reçoivent le soutien de 19 cadres noirs qui signent ensemble un manifeste dit des « 19 » dans lequel ils dénonçaient, sans ambages, la constitution d’un racisme d’Etat qui frappe de manière discriminatoire les populations négro-mauritaniennes. Au lieu d’appréhender le malaise avec lucidité, par exemple en convoquant des assises nationales sur tous ces sujets, le président Moktar Ould Daddah choisit l’escalade en réprimant le mouvement de contestation. C’est ainsi que les 19 cadres furent arrêtés et limogés.
En 1979 une circulaire du ministère de l’éducation nationale augmentant considérablement le coefficient de l’arabe sur le français est perçue par la majorité des cadres négro-africains de Mauritanie comme une ultime tentative de chantage : ils étaient d’une certaine manière sommés de s’assimiler à l’arabité, sinon ils se retrouvaient exclus du canal d’ascension sociale que constitue l’école. Pour une deuxième fois consécutive les élèves et étudiants des communautés noires de cultures africaines, entrent en mouvement de grève qui, malgré quelques débordements, reste globalement pacifique. Ils obtiennent la garantie que leurs langues (poular, soninké et wolof) seront promues et introduites dans le système éducatif après un enseignement pilote (expérimentation) qui devait durer au plus 10 ans.
II.2.Sous le régime militaire
Pour réaliser cette expérimentation (didactisation), un Institut des Langues Nationales (ILN) fut créé. Seulement dix ans plus tard, en 1989, non seulement il n’y aura aucune introduction du poular du soninké et du wolof dans l’enseignement général, mais les Négro-africains, locuteurs de ces langues, vont être massivement déportés au Sénégal ou contraints de fuir vers le Mali sous la menace d’une armée devenue ethniciste et raciste. Le pouvoir civil de Moktar ould Daddah avait été renversé le 10 juillet 1978 par l’armée, fatiguée de guerroyer contre le front Polisario sur la frontière avec l’Algérie et le Maroc (cf Brahim ould Bakar Sneiba dans La Mauritanie entre les chars et les urnes (1978-2008).
Entre 1978 et 1984 (six ans) la Mauritanie a connu au moins quatre chefs d’Etat, tous colonels. Le dernier de cette période fut Mouawiya ould Sidi Ahmed TAYA qui, comme on le verra dans les lignes qui suivent, s’illustrera par son caractère fortement raciste et dictateur. C’est notamment sous son règne que la Mauritanie faillit entrer en guerre contre le Sénégal (son voisin sud) et que les déportations et purges ethniques contre les Négro-africains de Mauritanie furent perpétrées.
En effet, profitant d’un conflit frontalier survenu entre la Mauritanie et le Sénégal – entre cultivateur sénégalais et éleveurs mauritaniens – des nationalistes arabes étroits œuvrant dans le régime dictatorial et raciste de Mouawiya ould Sidi Ahmed TAYA décident d’en découdre avec leurs compatriotes négro-africains qui les ont empêchés jusque là, avec plus ou moins de succès, de réaliser leur rêve de construire une nation mauritanienne totalement arabe.
Ainsi, après avoir renvoyé chez eux, des milliers de Sénégalais, ils entreprirent de déporter également les Mauritaniens noirs de culture africaine prétextant qu’ils étaient sénégalais. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), plus de 120 000 mauritaniens furent déportés au Sénégal alors que plus de 55 000 parmi eux sont contraints de fuir, sous la menace de mort ou d’expropriation de leurs biens, pour se réfugier au Mali. Et lorsque le Sénégal décida de fermer ses frontières pour ne plus recevoir d’autres déportés, le régime de Ould TAYA, instrumentalisant des unités de l’armée, transformées en milices, s’adonna à des exactions de masse dans les villages et villes de la vallée du fleuve Sénégal, bastion des populations négro-africaines. Celles-ci échappèrent de justesse à un génocide programmé.
Ces exécutions extrajudiciaires se poursuivront d’ailleurs jusqu’à la moitié des années 1990, tant parmi les civils que dans les rangs des forces armées et de sécurité. C’est ainsi que le 28 novembre 1990, pour commémorer l’anniversaire de l’accession de la Mauritanie à la souveraineté internationale, des soldats arabo-berbères arrêtèrent et pendirent 28 de leurs frères d’armes négro-mauritaniens dans un camp militaire à Inal , un village au nord-est du pays. En 1991, ce sont plus de 500 soldats négro-mauritaniens qui vont être assassinés dans plusieurs camps du régime raciste de Mouawiya ould TAYA, sous le fallacieux prétexte qu’ils complotaient contre lui ; comme si des sous-officiers et autres soldats de rang, qui en plus pour la plus part, étaient en fonction à des centaines de kilomètres de la capitale, pouvaient organiser un coup d’Etat.
Le sommet de la Baule et l’encouragement « musclé » des Etats africains par François Mitterrand à évoluer vers des régimes démocratiques, obligera le dictateur Ould Taya à troquer son uniforme de colonel contre une veste si ce n’est un boubou. Tout en faisant voter une nouvelle constitution, organisant des élections présidentielles, législatives et municipales, Ould Taya réussit à s’inféoder toutes les institutions de la nouvelle république pour demeurer le maître absolu du jeu politique. Et puisqu’il avait, depuis 1986 avec la publication par les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) de leur « manifeste du Négro-mauritanien opprimé », ce chef d’Etat acariâtre avait déclaré la guerre aux Négro-mauritaniens, le valvaire de ceux-ci ne fit que se poursuivre et s’intensifier.
La communauté hratine, racialement noire, linguistiquement arabo-berbère et culturellement métisse, subissait une oppression encore plus terrible que celle qui frappait ses autres frères noirs. Car si les Négro-africains de Mauritanie s’estimaient discriminés, au plan linguistique, culturel, économique et social, les Hratines, eux, étaient victimes d’un déni d’humanité ! Alors qu’ils représentent plus de 40% de la population mauritanienne, ils sont encore à une proportion significative, réduits à l’esclavage le plus abjecte et le plus primaire surtout dans les zones rurales et périurbaines.
Alors que l’esclavage est aboli dans les lois depuis 1981 par décret, des milliers de femmes et d’homme de cette communauté travaillent sans salaire, font l’objet d’héritage de père en fils et traités comme des criminels de guerre lorsqu’il leur arrive de vouloir se révolter ou fuir. Les femmes pouvaient être « possédées » par leurs maitres sans que ceux-ci aient besoin de souligner la liaison par quelque acte de reconnaissance que ce soit.
Dès lors, l’Etat mauritanien dominé par l’aristocratie arabo-berbère devait faire face à une double opposition communautaire : celle des Négro-africains (Peuls, Soninkés, Wolofs) et celle des Hratines (Esclaves et anciens esclaves). En plus de la couleur noire de leur peau, ces communautés partagent, à des proportions différentes une situation d’oppression multiforme.
Les Négro-africains de Mauritanie regroupés dans de nombreux partis et mouvement politiques (Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) , Parti pour l’Egalité et la Justice (PLEJ), Alliance pour la Justice et la Démocratie (AJD), Alliance pour une Mauritanie Nouvelle (AMN), Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR), Initiative Mauritanienne pour l’Egalité et la Justice (IMEJ), Conscience Citoyenne (CC), Kawtal ngam Jellitaare et plus récemment encore MAPROM…) réclament que leurs langues et cultures soient traitées au même niveau que la langue et culture arabes, une représentativité plus juste dans les différentes instances de l’Etat, bref ils veulent l’égalité ! Il faut dire que depuis 1986, toutes les organisations négro-africaines ont toujours dénoncé dans leurs discours l’esclavage qui frappe les Hratines.
Les Hratines militant dans des organisations de lutte contre l’esclavage se battent pour la fin de cette pratique odieuse d’un autre temps. Mais sachant qu’en réussissant l’abolition de l’esclavage ils retombent nécessairement sous le coup du racisme d’Etat qui frappe leurs frères négro-africains, et compte tenu, par ailleurs du fait qu’ils ont un adversaire commun (non pas la communauté arabo-berbère, mais le système de privilèges qui maintient un racisme d’Etat), les élites progressistes, négro-africaines et hratines structurées, opèrent une jonction, une alliance stratégique destinée à supprimer l’hégémonie des classes dominantes. Cette nouvelle dynamique est d’autant plus intéressante qu’elle émerge à la lisière d’un renouvellement générationnel. Car il faut bien le souligner, les nouveaux leaders ne s’appellent plus Samba Thiam (FLAM) , Ibrahima Sarr (AJD/MR) , Ba Mamadou Alassane (PLEJ) , Messaoud ould Boulkheir (AC, puis APP) ou Boubacar ould Messaoud (SOS-Esclaves), mais Mamadou Kalidou Ba – votre serviteur – (IMEJ) , Alassane DIA (CC) , Biram Dah Abeid (IRA) , ou Guelongal BA .
II.3. Une brève alternance démocratique
J’ai montré dans les lignes précédentes comment depuis 1966 les Négro-mauritaniens ont entrepris de dénoncer leur situation de citoyen de seconde zone par des actions de grèves et de publications de manifestes. Il est évident que, malgré certains débordements, leurs actions s’inscrivaient dans une approche non violente. De même, toutes les actions menées par SOS-Esclaves sous la direction de Boubacar ould Messaoud et Messaoud ould Boulkheir (tous deux hratines) pour libérer des esclaves dans les « adwaba » et autres zones rurales, étaient exemptes de violence.
Toutefois, en dépit de quelque victoires remportées d’une part par les Hratines dans leur volonté de libérer les leurs réduits à l’esclavage par des maîtres arabo-berbères et d’autre part, par les autres Négro-mauritaniens (Peuls Soninké, Wolofs) dans leur combat pour l’égalité linguistique, culturelle, économique et politique, la lutte des populations noires (Hratines et Négro-africains) pour l’égalité et la justice semblait en perte de vitesse. Deux événements vont engendrer une situation politiques qui incitera à la relance de ces combats : le coup d’Etat contre Mouawiya ould Sid’Ahmed TAYA réalisé par le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) en août 2005 et celui du Haut Conseil d’Etat qui a destitué le seul président civil dont la transparence de l’élection était reconnue par tous les acteurs politiques en août 2009.
A la fin de la période transitoire de deux ans faisant suite au premier putsch, Sidi ould Cheikh Abdallahi – arabo-berbère comme tous ceux qui ont présidé jusqu’aujourd’hui aux destinées de la Mauritanie – fut élu Président de la république au deuxième tour d’une élection ayant fait l’unanimité de la classe politique. Contre toute attente, il prend la résolution d’entamer le traitement juste du problème de la cohabitation intercommunautaire.
Après un discours à la nation où il dénonce les exactions commises contre ses compatriotes négro-africains dans les années 1980 et 1990, il rend publique sa décision de rapatrier en Mauritanie les citoyens mauritaniens se trouvant au Sénégal et au Mali dans la dignité. Joignant l’acte à la parole, il signe des accords tripartites avec d’une part le HCR et l’Etat du Sénégal et d’autre part avec le HCR et le gouvernement malien.
Dans le courant de l’année 2008, après avoir organisé les journées nationales de concertation, les premiers Mauritaniens noirs qui furent déportés au Sénégal depuis 1989 sont accueillis officiellement, dans la joie et l’allégresse, à la berge de Rosso, une ville à la frontalière entre les deux pays. Parallèlement à ce processus, il fait voter à l’assemblée nationale une nouvelle loi criminalisant l’esclavage suivie d’une forte campagne de sa vulgarisation menée par les membres de son gouvernement. C’est malheureusement cette dynamique de réconciliation nationale qui va être brutalement interrompue par le Nième putsch mauritanien qui mettra à sa tête une nouvelle junte dirigée par Mohamed ould Abdel Aziz.
Au lieu de poursuivre dans le sens de la consolidation de l’ébauche d’une unité nationale fragile, le nouveau groupe de putschistes déploie une politique incohérente, voire paradoxale : poursuite puis interruption brutale du retour des déportés alors que tous les inscrits sur les listes du HCR ne sont pas encore rentrés, refus d’appliquer la loi criminalisant l’esclavage malgré la présentation de cas avérés devant les tribunaux, et enfin répression de plusieurs manifestations réclamant le retour à la démocratie.
Lorsque finalement, sous la double pression combinée de la rue et de la communauté internationale le chef des putschistes Mohamed ould Abdel Aziz consent à troquer son uniforme de général contre une tenue civile, à travers une mascarade d’élection (2009), son gouvernement entame une opération d’enrôlement des populations destinée à doter la Mauritanie d’un état civil biométrique.
Si dans un contexte mondial marqué par la montée du terrorisme international, la sécurisation de l’état civil est nécessaire, cette opération est très vite détournée de son objectif et instrumentalisée à des fins d’exclusion des populations noires du pays soupçonnées d’être originaires du Sénégal ou du Mali alors qu’au même moment, aucun doute ne pèse sur les Arabo-berbères pourtant anthropologiquement indissociables des Sahraouis, Algériens ou Marocains. C’est ainsi que sur dix Négro-mauritaniens qui franchissaient les seuils des centres d’enrôlement, seuls deux ou trois en ressortaient avec le fameux extrait des actes sécurisés. Du côté des Hratines, la situation est non moins reluisante. Les esclaves maintenus dans l’obscurantisme total n’ont pas d’état civil et les anciens esclaves sont tout aussi confrontés aux problèmes d’enrôlement que leurs autres frères noirs.
III. Le harcèlement pacifique ou la lutte non violente mauritanienne
J’appelle harcèlement pacifique une attitude de lutte qui s’impose comme une alternative entre l’action violente et l’immobilisme engendré par le dévoiement des institutions de l’Etat par des lobbys réactionnaires qui plombent la société et l’empêchent d’évoluer alors même qu’une crise aiguë la menace d’implosion. Cet oxymore (harcèlement pacifique) allie le refus du conformisme à celui de la violence et offre ainsi à la victime une possibilité d’exiger que ses droits élémentaires soient respectés par l’autorité sans pour autant succomber à la haine et à la vengeance.
Le « harceleur pacifique » est donc ce combattant patriote qui est doublement conscient, d’une part de la nécessité absolu de pousser sa société, son pays, à entamer tout de suite des réformes sociales et politiques pour endiguer toute confrontation intercommunautaire et, d’autre part de la nécessité de préserver l’Etat et ses institutions dont l’écroulement induit fatalement l’anomie et ses désastreuses conséquences dont les premières, et sans soute les plus redoutables, sont le développement du terrorisme islamiste et la mise sous tutelle internationale. Le harcèlement pacifique est donc une méthode de lutte non violente qui s’exclut nécessairement des extrêmes et se positionne comme une médiation naturelle entre l’exigence de donner à la victime ses droits et une perception lucide des équilibres macro politiques.
III.1.L’action d’IRA sous la présidence de Biram Dah Abeid
De jeunes haratines, excédés par l’hypocrisie des différents régimes qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie – excepté celui hélas trop bref de Sidi ould Cheikh Abdallahi – qui votent des lois anti-esclavagistes, juste pour mystifier la communauté internationale, sans jamais songer à les appliquer, décident de créer une Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA). Alors que des associations parfois fantaisistes sont reconnues tous les jours par le ministère de l’intérieur, celle-ci est purement et simplement interdite sans aucune explication.
Au lieu d’obtempérer au refus de l’autorité, ils se mettent au travail. A leur tête se trouve Biram Dah Abeid qui, par son courage et son abnégation, s’imposera comme le leader incontestable de cette organisation plusieurs fois couronnée de prix prestigieux dont le dernier, à ce jour, est celui de James Lawson remis à ses deux premiers leaders par le Secrétaire d’Etat américains aux affaire étrangères John Kerry le 30/06/2016.
Sans tomber dans l’extrémisme violent, Biram Dah Abeid entreprend au plan discursif de déconstruire les fondements idéologiques, notamment religieux de l’esclavage traditionnel pratiqué dans le milieu arabo-berbère mauritanien. L’autodafé des ouvrages de Khalil, un jurisconsulte dont l’interprétation erronée de certains versets du Saint Coran encourageait indubitablement la pratique des formes rétrogrades de l’esclavage, est, à plus d’un titre, un acte symbolique majeur dans la dimension idéologique du combat d’IRA. Cette action mitigée avait donné lieu à des manifestations des milieux islamio-conservateurs arabo-berbères réclamant des autorités un châtiment exemplaire contre celui qui a osé « profaner » khalil et des contre-manifestations par les défenseurs de l’accusé qui exigeaient sa libération immédiate et justifiaient ainsi l’incinération de textes qui ne doivent point servir de référence à la morale islamique.
Par ailleurs, dans son action militante, il trouve que la pionnière association SOS-Esclaves est trop mole dans ses dénonciations et ses actions pour faire bouger les lignes d’un pouvoir solidement tenu par une certaine aristocratie arabo-berbère conservatrice. Tout en reconnaissant le rôle précurseur de Boubacar ould Messaoud dans la lutte contre l’esclavage, il entend aller plus loin et forcer le gouvernement mauritanien à agir efficacement contre ce fléau. Aussi malgré ses multiples séjours en prison (dont le dernier a duré une année et demi, de 2015 à 2016), le leader abolitionniste, entouré par un noyau de fidèles et de sympathisants, poursuit son combat avec une abnégation qui force le respect.
Malgré la propagande des autorités mauritaniennes qui s’efforcent d’effilocher sa crédibilité internationale en dépeignant IRA comme une organisation violente, la réalité est que ce mouvement et son leader ne sont violents ni de philosophie ni de méthode de lutte. Si son discours peut s’avérer d’une violence sarcastique à l’encontre des « classes dominantes » qu’il accuse d’hypocrisie morale et d’instrumentalisation honteuse de l’Islam pour perpétuer des pratiques immorales, le fait incontestable est que IRA n’a jamais réalisé ou appelé à une quelconque action armée, ni contre l’Etat ou ses représentants, ni contre les esclavagistes.
La nouvelle forme de lutte initiée par Biram Dah Abeid marque sans doute une évolution majeure dans l’appréhension du traitement complexe de la problématique de l’esclavage. Comme je l’ai souligné plus haut, après avoir travaillé plusieurs années à l’ombre de Boubacar ould Messaoud dans le cadre de SOS-Esclaves, la nouvelle génération de jeunes hratines fut obligée de constater que la démarche consistant à retrouver des cas d’esclavage et de les soumettre à la justice, sans suivi, semble s’avérer caduque.
En effet, l’appareil judiciaire mauritanien dominé par cette même classe arabo-berbère islamo-conservatrice qui renferme en son sein de nombreux propriétaires d’esclaves, requalifiait la plupart du temps, les cas d’esclave en d’autres délits mineurs (exploitation de mineurs par exemple lorsqu’il s’agit d’enfants), si elle ne prononçait tout simplement pas un non-lieu. On a même vu des cas où la justice à renvoyé des esclaves sous la domination de leurs maîtres sous le ridicule prétexte que les malheureux appartenaient à la famille de l’accusé !
Ainsi, face à cette complicité des forces de l’ordre (police et gendarmerie nationales), chargée d’arrêter les prévenus, de mener les enquêtes liminaires, et de l’appareil judiciaire qui remettait presque systématiquement en liberté les maîtres incriminés, la nouvelle génération de combattants anti-esclavagistes décida d’adapter sa méthode de lutte pour faire face à cette hypocrisie collective. N’ayant pu entraîner leurs aînés qui s’accommodaient tant bien que mal de la situation, ils se démarquent pour aller créer l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA).
Décidés à ne plus laisser la police et la gendarmerie biaiser les enquêtes, encore moins permettre à des procureurs et autres juges de remettre en liberté des criminels, ils décident désormais d’accompagner les victimes plaignantes dans toutes les étapes de la procédure judiciaire allant du commissariat ou de la brigade de gendarmerie au tribunal. Lorsque le commissaire de police concerné par l’enquête leur refuse le droit d’accompagner la victime (toujours analphabète et impressionnée par la vue de l’uniforme), au lieu de rentrer tranquillement chez eux, ils campent devant le commissariat et appellent leurs militants et sympathisants à un sit-in.
Ni les coups de matraque, ni les grenades lacrymogènes ne leur font déguerpir des lieux. Une fois, alors qu’un esclavagiste avéré venait d’être remis en liberté par un juge, Biram et ses amis déclenchèrent une grève de la faim devant l’assemblée nationale qui dura presque 72 heures, obligeant les autorités à se ressaisir du dossier.
A Kaédi et à Rosso , on a vu des militants d’IRA se coucher devant les véhicules de la police envoyée par les autorités locales pour arrêter leur leader ou l’empêcher de poursuivre sa caravane de sensibilisation anti-esclavagiste. Ils réussissaient ainsi à immobiliser les convois de la police de répression pendant des heures. Cependant très rares sont les cas où un militant rend un coup reçu d’un policier. Lorsqu’on a une idée de la méchanceté légendaire des forces de sécurité mauritaniennes qui ont toujours brillé par leur incompétence et leur propension à la torture et au mensonge, on comprend alors tout l’effort fourni par ces activistes des droits de l’homme.
III.2. De l’Initiative Mauritanienne pour l’Egalité et la Justice (IMEJ) à « Touche Pas à Ma Nationalité » (TPMN)
Parallèlement à la lutte des Hratines pour la ré-humanisation d’une bonne partie d’entre eux soumise à la servitude, les Négro-africains ont poursuivi la leur contre l’exclusion et pour l’égalité de tous. Il s’agit pour eux de dénoncer le développement en Mauritanie d’un racisme d’Etat, quasi absent dans les lois, mais qui dans les faits, étouffe les Négro-mauritaniens dans tous les secteurs de la vie publique.
La résurgence du combat négro-africain contre les différentes manifestations du racisme d’Etat sera suscitée par deux événements majeurs : la perspective d’une énième réforme du système éducatif envisagée par Mohamed ould BAHYA nommé ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement de Mohamed ould Abdel Aziz après son élection aux présidentielles de 2009 et l’enrôlement biométrique qui a commencé en 2012.
En effet, aussitôt nommé à la tête d’un super ministère dit « d’Etat, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique », M. Ould BAHYA déclara vouloir faire les « états généraux de l’éducation nationale » en vue de réformer ce secteur dont les Mauritaniens, à l’unanimité, pensaient – et pensent toujours – qu’il est la principale cause du sous-développement du pays. Le bureau exécutif de l’IMEJ, après analyse de la situation, décide de sensibiliser l’opinion mauritanienne sur la nécessité absolue d’inscrire à l’ordre du jour de ces états généraux la question de l’introduction du poular, du soninké et du wolof dans l’enseignement général aux côtés de l’arabe et du français.
Cette mesure qui, de notre point de vue, devait consacrer l’égalité des langues et cultures mauritaniennes, s’inscrivait également dans la droite ligne de la réforme de 1979. Celle-ci, comme je l’ai rappelé plus haut, prévoyait une expérimentation de dix ans à la fin de laquelle ces langues devaient être introduites dans le système éducatif.
Pour recommander très fortement cet ordre du jour, l’IMEJ décida donc de mobiliser l’opinion mauritanienne en appelant à une grande marche dont l’objectif était de réunir dans une grande place du centre ville de Nouakchott autour de 5000 personnes.
Pour réussir cette sortie citoyenne, nous somme entrés en contact avec plusieurs autres organisations (Conscience Citoyenne, Fédé Thierno Yaya Bass, Kawtal ngam Jellitaare et bien d’autres ONG de promotion des langues et cultures nationales). Une commission de coordination et plusieurs sous-commissions destinées, entre autres, à sensibiliser l’opinion, furent créées. La présidence de la commission de coordination fut confiée à l’IMEJ qui avait initié cette action. Nous désignâmes donc, sur ma proposition, Abdoul Birane WANE, à l’époque vice-président de l’IMEJ.
Alors que la sensibilisation battait son plein pour réunir un maximum de monde pour l’enseignement de toutes les langues mauritaniennes, un autre constat est venu chambouler notre programme : l’enrôlement qui avait commencé quelque semaine plus tôt, se traduisait par une exclusion systématique des Négro-africains qui se présentaient dans les différents centre dédiés à cette opération, à travers toutes les régions de la Mauritanie. Selon notre évaluation, sur une dizaine de Négro-mauritaniens qui se présentaient, dossiers en main, devant les commissions d’enrôlement, seuls 2 à 3 se faisaient enrôler. Les autres étaient rejetés, bien des fois de manière humiliante, au motif qu’ils n’étaient pas des MAURITANIENS !
Ainsi, après avoir été déportés massivement en 1989, échappé de justesse à un génocide programmé, les Négro-mauritaniens étaient encore condamnés à devenir des apatrides sur le sol de leurs ancêtres parce qu’un lobby raciste au pouvoir en avait décidé ainsi. En 1989 un manque notoire de solidarité entre les Négro-africains de Mauritanie (Peuls, Soninkés, Wolofs) avait permis au lobby nassero-baathiste au pouvoir sous le régime de Mouawiya Ould TAYA d’en déporter des milliers et de massacrer des milliers d’autres ; nous ne devrions pas reproduire cette fatale erreur de nos ainés.
Aussi, à l’occasion d’une réunion du bureau exécutif de l’IMEJ, je m’adressais à mes camarades en ces termes :
« Les rejets massifs des citoyens négro-mauritaniens dans les centres d’enrôlement augurent d’une volonté réelle des dirigeants actuels du pays de perpétrer contre nous un génocide biométrique après la tentative de génocide « physique ». En 1989 nos ainés ont naïvement ou lâchement regardé leurs voisins, amis, frères ou sœurs se faire embarquer dans des camions et déporter au Sénégal, sans réagir, sans oser s’opposer aux forces de police agissant comme des milices. Nous ne pouvons et ne devons réitérer cette monumentale erreur de l’Histoire en acceptant ces exclusions. Nous souhaitons, comme chaque citoyen de ce pays que l’état civil mauritanien soit sécurisé, mais nous ne devons pas accepter l’exclusion d’un seul membre d’une famille mauritanienne sous le prétexte fallacieux qu’il n’a pas réussi à prouver sa « nationalité » en s’exprimant en hassanya, en lisant telle sourate du coran ou en se soumettant à une quelconque humiliante épreuve.
« Nous étions entrain de nous mobiliser pour réclamer que soit discutée la question de l’introduction de nos langues nationales dans notre système éducatif, voilà qu’un malheur encore plus grand nous guette : la négation pure et simple de notre appartenance à la Mauritanie, cette terre sur laquelle nous vivons depuis plusieurs centaines de générations !
Je vous conjure donc de suspendre tout de suite notre mobilisation pour la marche en faveur de l’égalité des langues pour réinvestir notre énergie dans la résistance contre notre exclusion de la Nation mauritanienne, certes diverse, mais unique ! Nous pensions être en droit d’exiger de nos dirigeants qu’ils se positionnent à équidistance vis-à-vis des différentes communautés nationales en reconnaissant, à toutes, le droit de faire l’apprentissage du savoir dans toutes les langues du pays, mais pour ce faire il faut d’abord que notre appartenance à la Mauritanie, qui nous parait pourtant si évidente, soit reconnue par ceux qui nous gouvernent. Je ne pu croire que plus de quarante ans après les indépendances nous en soyons encore à nous battre pour la reconnaissance de notre citoyenneté ».
A l’unanimité mes camarades approuvèrent cette réorientation et il fut décidé de proposer à nos alliés d’envisager des actions de sit-in devant les centres d’enrôlement pour exiger que les négro-mauritaniens soient enrôlés en dehors de tout soupçon et cela conformément à la loi. Mes camarades, membres de la coordination devraient également proposer à nos alliés une date pour le premier sit-in devant se tenir devant le centre du 5ème arrondissement (Sebkha), à partir de 10 heures, parce que c’est là que le Président de la république est allé se faire enregistrer pour « donner l’exemple » !
C’est cette commission de coordination entre les différentes organisations ci-haut nommées qui se mua en « Touche pas à ma nationalité » avec à sa tête Abdoul Birane Wane, alors vice-président de l’IMEJ.
Je me rappelle encore de la matinée de ce premier jour de sit-in qui a eu lieu une matinée du deuxième trimestre 2011. Arrivé sur les lieux à 10 heures moins un quart, les présidents des organisations initiatrices et les membres de la commission de coordination trouvèrent sur place un détachement de la garde nationale dirigée par un lieutenant. Il faut dire que quelques semaines plutôt, nous avions lancé un appel à la mobilisation sur facebook ; de sorte que si les jeunes négro-mauritaniens ont été informés, les autorités aussi l’étaient.
Le jeune lieutenant vint donc vers notre attroupement et nous demanda ce que nous faisions là. Je lui répondis que nous étions venus manifester, par un sit-in, notre colère face au rejet massif et injustifié des nôtres lorsqu’ils se présentent dans les centres pour actualiser leur état civil. L’officier nous demanda si nous avion une autorisation, je lui répondis que nous n’en avions pas et que nous n’en avions pas besoin pour tenir un sit-in pacifique. Il nous rétorqua que sans autorisation, il nous ordonnait de nous disperser.
Abdoul Birane Wane prit alors la parole pour lui dire que « tous les jours, des Mauritaniens de la communauté maure manifestent devant les grilles de la présidence pour des raisons bien moins importantes, cependant vous n’êtes jamais allé leur demander une quelconque autorisation. Alors nous, nous manifesterons ici sans autorisation ! » Sur ce, pour joindre l’acte à la parole, je demandais à ceux qui avaient les banderoles de les dérouler. Face à notre détermination à ne pas bouger d’un iota, le jeune officier trouva plus raisonnable de trouver un terrain d’entente avec nous. Après nous avoir quittés pour se concerter avec ses hommes, il revint pour nous dire que, si nous ne nous attaquions pas aux biens et aux personnes, nous pouvions tenir notre sit-in.
Cette manifestation dura deux heures, comme prévu. A midi, je pris le mégaphone pour remercier les manifestants venus nombreux (plus d’une centaine) et les inviter à poursuivre avec des sit-in hebdomadaires jusqu’à ce que notre droit à la citoyenneté soit reconnu. Ces sit-in se sont poursuivis sur plus d’un mois. Ils furent suspendus au début de ramadan avant de se transformer en de véritables marches réunissant des milliers de Noirs exclus. Le mouvement de protestation fut décentralisé à l’intérieur du pays où les capitales (Rosso, Kaédi, Sélibaby, et certaines communes (Boghé, Maghama, Djowol …) des régions du sud, bastion des négro-mauritaniens sortirent pour exprimer leur ras-le-bol de ce racisme anti-négro-africain qui n’a que trop duré.
A Nouakchott, à Kaédi et dans certaines capitales régionales la plus part des marches furent réprimées à coup de matraques et de lacrymogènes ; c’est cependant à Maghama que l’apogée de la répression a été atteint lorsque la gendarmerie paniqua face à l’ampleur de la foule des manifestants : un des gendarmes tira sur la foule et fit un mort – le jeune Lamine Mangane – et plusieurs blessés graves.
Et pourtant, rien n’y fit ; les manifestations essaimèrent au point que les autorités craignirent le pire (une confrontation civile), des instructions furent données pour mettre fin aux interrogations humiliantes et d’enrôler tous ceux qui avaient le fond d’état civil constitué par la fiche de recensement de 1998, les anciens actes de naissance et de nationalité et la carte d’identité nationale…
Les actions de Touche pas à ma nationalité ont connu un réel succès et permis à des milliers de Négro-mauritaniens d’obtenir leur état civil leur évitant ainsi de devenir des apatrides. Et pourtant, aujourd’hui encore de nombreux autres Noirs de Mauritanie ne sont toujours pas enrôlés à cause des écueils dressés sur leur chemins par des chefs de centres zélés, tacitement encouragés par les responsables administratifs au plus haut niveau.
III.3.La synergie des luttes négro-africaine et hratine
L’approche dualiste des luttes contre le racisme d’Etat et l’esclavage, dans cet article, pourrait amener le lecteur peu au fait de la situation en Mauritanie à croire que les Négro-africains de Mauritanie et les Hratines ont mené leurs combat de manière totalement séparée. En fait, il n’en est rien. En réalité les mouvements progressistes, politiques et civils des deux communautés ont toujours eu conscience que le combat des uns recoupe et engage celui des autres.
Car, s’il est vrai que seule une partie des Hratines est confronté au déni d’humanité que demeure l’esclavage, il n’en demeure pas moins que toutes les communautés noires (Hratines, Peuls, Soninkos, Wolofs) sont frappées par l’exclusion à caractère raciste perpétrée par ceux qui incarnent l’Etat jusqu’à son sommet.
Déjà en 1986, les FLAM – pourtant constituées uniquement de cadres négro-africains – dénonçaient très clairement, dans leur « manifeste du Négro-mauritanien opprimé » l’esclavage auquel étaient soumis une partie des Noirs. De même, le parti Action pour le Changement qui regroupait des nationalistes négro-africains et des cadres hratines énonçait une déclaration de politique générale qui allie parfaitement les revendications négro-africaines (retour des déportés, règlement du passif humanitaire et officialisation des langues poular, soninké et wolof) à celles des Hratines (lutte contre l’esclavage et émancipation).
Mais c’est surtout à travers le Front de Lutte contre l’Esclavage, le Racisme et l’Exclusion (FLERE) que la lutte des communautés noires connaitra une véritable synergie. Séduit pas les écris très progressistes de Biram Dah Abeid, président de IRA, sur la question nationale, j’ai attiré l’attention de mes camarades du bureau de l’IMEJ sur cette nouvelle voie hratine émergente. Dans son discours, le père de la résurgence abolitionniste apportait deux orientations décisives à la lutte hratine :
– son refus de considérer les Hratines comme une partie de la communauté maure ou arabo-berbère (bidhanes) et leur appréhension comme une communauté à part entière : ils ne sont ni bidhanes, ni peuls, soninkés ou wolofs. Ils sont issus du contacte historique entre les souches communautaires bidhanes (arabo-berbère) et négro-africaines (Peuls Soninké, wolofs, bamabaras). Le produit de cette dramatique histoire (esclavage) fait d’eux des Hommes de race noire, de langue arabo-berbère et de culture métisse. Pour avancer, ils doivent assumer leur histoire en se positionnant comme ils sont et non comme les autres voudraient qu’ils soient. C’est en ce point précis que Biram Dah Abeid est allé plus loin que tous ses ainés, au premier rang des quels, Messaoud ould Boulkheir. Presque tous les jeunes leaders hratines de la deuxième et troisième génération optent d’ailleurs, de plus en plus, pour ce positionnement médian.
– Plus que les autres leaders hratines, Biram ajoute à la lutte contre l’esclavage, le combat pour le règlement du passif humanitaire. Le pèlerinage dans la ville d’Inal pour honorer la mémoire des 28 soldats négro-africains assassinés le 28 novembre 1990 a été un moment fort qui a considérablement augmenté le capital de sympathie des milieux progressistes noirs africains. Toutefois, il importe de dire que Biram ne s’exprime pas sur les revendications progressistes négro-africaines : je ne l’ai jamais entendu prôner l’officialisation des langues poular, soninké et wolof, ni leur introduction dans le système éducatif Mauritanie ; ce qui empêche encore de nombreux nationalistes négro-africains de le suivre.
Le FLERE, qui a eu une durée de vie limitée, a permis cependant de montrer que l’alliance des organisations progressistes hratines et négro-africaines de Mauritanie est d’ordre stratégique. Ensemble elles pourront remporter plus vite des victoires à travers des actions totalement non violentes. Par ailleurs, s’il est vrai que le combat des peuples, pour la liberté et l’égalité, finit toujours pas triompher des forces obscurantistes et rétrogrades, il n’en demeure pas moins que la réussite des luttes non violentes passe aussi par un recentrage du discours dénonciateur en vue de rassurer ceux de la communauté arabo-berbère auxquels on fait croire que le changement est synonyme de leur déchéance, voire de leur destruction.
Conclusion
La lutte non violente est une longue marche pour aboutir à la liberté et à l’égalité. Eu égard aux expériences d’autres contrées du monde, le processus enclenché en Mauritanie est encore très jeune. Et pourtant, si à l’intérieur du pays, les victimes de plus en plus impatientes, ont l’impression que les choses ne bougent point, ou pas assez, un aperçu diachronique souligne objectivement que de réelles victoires ont été remportées dans la lutte contre l’esclavage et le racisme d’Etat. Toutefois, un long chemin reste encore à parcourir, d’abord pour écarter le spectre de toute confrontation inter communautaire, ensuite pour refonder l’Etat sur des bases plus égalitaires.
Au terme de cette analyse, je voudrais terminer en soulignant les pistes suggestives suivantes :
-Tant que le dialogue est possible, que toutes les opinions peuvent s’exprimer, que les manifestations dénonciatives ne sont pas réprimées dans le sang, que les dirigeants sont attentifs à l’évolution, parfois très rapide, de l’opinion nationale, alors la lutte non violente est plus que jamais adéquate dans le contexte mauritanien. Elle minimise les pertes et les souffrances humaines tout en permettant de conserver l’existence d’un Etat qui, malgré l’injustice qu’il incarne, sauvegarde un équilibre sans lequel ce sera le règne de l’anomie, de l’anarchie, donc du néant de la vie.
-La lutte contre l’esclavage et le racisme d’Etat ne doivent plus être l’apanage des seules victimes (Haratines, Peuls, Soninkos et Wolof). Ce sont là des problèmes nationaux qui, pour être résolus sans violence, exigent la mobilisation de touts les Mauritaniens. Il faut se féliciter qu’il y’ait de plus en plus d’Arabo-berbères qui, au nom de la justice et de l’égalité des Hommes, embrassent courageusement ces luttes en s’exprimant, à ce titre, en toute honnêteté. Les exemples d’Isselkou ould Abdel Kader (ancien gouverneur), de Gemal ould Yessa et surtout d’Oumar ould Beibacar méritent, entre autres et à juste titre, d’être cités et soulignés.
Enfin, les leaders négro-africains et hratines doivent, malgré la répression menée contre eux (emprisonnements et tortures) par les lobbys racistes au pouvoir, poursuivre leurs discours et actions dans le sens de rassurer l’opinion arabo-berbère ; la convaincre que leur lutte n’est point orientée contre eux, mais contre un système injuste qui leur refuse leurs droits élémentaires.
Ils doivent, contre vents et marrées, garder le lien du dialogue avec cette communauté en l’informant sur leurs projets politiques d’une Mauritanie débarrassée des démons de l’esclavage, de l’exclusion linguistique et culturelle, mais indivisible ; d’une Mauritanie développée et épanouie où tous ses enfants pourront vivre libres et égaux ! Une Mauritanie-arc-en-ciel où le métissage ne sera pas une exception, mais la règle naturelle comme celle qui régit la perpétuation de l’espèce humaine. Je crois que cette Mauritanie est possible et à notre portée.
Il est, par ailleurs souhaitable que le camp des progressistes, dans la communauté arabo-berbère, s’élargisse et s’exprime davantage dans le sens de la reconnaissance de la légitimité du combat négro-mauritanien pour une justice et une égalité dans les faits. En ayant le courage de défendre de telles positions, à l’instar de ceux que j’ai cité plus haut, ils participeront à la dé-communautarisation d’un débat, qui devait être avant tout, national.
Pour éviter un face à face dangereux, il est souhaitable que la lutte contre l’esclavage et le racisme d’Etat ne soit plus l’apanage des seules communautés noires opprimées, mais le centre d’intérêt de tous les Mauritaniens. Ainsi et ainsi seulement, nous pourrons sauver notre patrie des soubresauts d’une instabilité endogène.
Pr. BA Mamadou Kalidou
Nouakchott le 24/07/2016
CRIDEM
L’Afrique, paradis des chalutiers de la pêche illégale
Des experts africains des secteurs de la, pêche maritime ont mis en garde contre l’absence de stratégies nationales et régionales dans la lutte contre la pêche interdite en Afrique, ce qui a favorisé la prolifération de chalutiers pirates dans les eaux africaines.
Le responsable de la pêche halieutique au sein du bureau africain des ressources animales de l’union africaine, Aboubacar Sidibé a révélé que 80% des chalutiers s’adonnant à la pêche illégale trouvent refuge dans les eaux africaines.
On estime à plus d’un milliard de dollars annuellement les retombées de la pêche illégale pratiquée dans les eaux territoriales des pays africains, quand bien même ce chiffre soit en dessous de la réalité.
Les experts africains, réunis dans un séminaire en Egypte, ont mis en garde contre cette surexploitation de la richesse halieutique du continent, ce qui pourrait hypothéquer dangereusement l’avenir des générations futures.
Il existe trois types de pêches illégales.
D’abord celle pratiquée sans autorisation ou licence de pêche, la seconde la pêche non déclarée, c’est-à-dire les navires détenant des licences de pêche mais ne déclarent ni leur leurs activités ni les produits pêchés.
Il y a enfin la troisième catégorie qui ne respecte ni les accords ou initiatives internationales qui appellent à une pêche responsable pour faire face au phénomène de la pêche interdite.
Trois zones régionales sont convenues de la nécessité de travailler ensemble dans le cadre d’un partenariat afin de lutter contre cette pratique.
Les pays africains comptent sur l’appui logistique de partenaires internationaux comme par exemple l’union européenne ou l’union africaine afin de disposer de moyens capables de lutter contre la pêche illégale notamment en mettant en place un système de surveillance par satellites efficace pour tout navire dépassant les 15 mètres.
SAHARA MEDIAS