Daily Archives: 30/10/2015
Autour d’un thé
L’autre soir, aux environs de vingt heures, je buvais un verre, de thé bien sûr, avec des amis, quelque part à Charm el-Cheikh. Pas en Egypte. Ici, à Nouakchott. Mais il y a tout à Nouakchott. Le monde entier. Avec ses villes et ses quartiers : Dubaï, Baghdad, Gaza, Jéricho, Las Vegas. Y a tout ici. Charm el-Cheik de Nouakchott, c’est là-bas, vers les pauvres. Du côté de Veloudja et M’sid Ennour. Une poche laissée en rade par les « spécialistes » de l’Agence du développement urbain. Des semblants de maisons, des hangars, de vastes clôtures inachevées, des amas de briques, des « tentettes » et « hangarettes » d’infortune qui trompent la désolation et la privation. Chiens errants, chats égarés, charognes décomposées ou en voie de l’être, odeurs pestilentielles, voilà l’essentiel de notre Charm el-Cheik national. Un peu comme ce qui se passe chez nous. Pompeusement. Le Stade olympique de Nouakchott. L’unique. Dans toute la Mauritanie. Vous savez quoi ? C’est tout simplement pas sérieux. L’aéroport international de Nouakchott. Plus les aérodromes de quelques villes de l’intérieur. Plus les espaces aménagés occasionnellement, pour faire atterrir un hélico et un président. Un président qui vole. C’est pas tous les jours qu’on voit ça. Il faut des ailes pour voler. Beaucoup de légèreté. Trop de manœuvres pour ne pas cracher ; pas dans la soupe ; dans le désert. Surtout pour ne pas être un œil blanc. Introuvable. Ni sur les marchés. Ni dans les boutiques de pièces détachées. Heureusement qu’il y aura bientôt « Le » vrai grand aéroport de Nouakchott et ses deux millions de passagers par an. Comme ça, les langues de l’opposition seront « coupées ». De milliers, on passe à millions. Jamais faire ni dans la dentelle ni dans la mesure. Quelques milliers à l’est de Nouakchott. Quelques millions à l’ouest. C’est une question de proximité marine ou océanique. Plus on est près de l’océan, plus les passagers affluent. Sinon, comment ? Comme cela. C’est ça. C’est tout. A prendre ou à laisser. A comprendre ou à ne pas comprendre. L’Université de Nouakchott ou les universités de Nouakchott ? Y en a plein les rues : universités islamiques, universités arabiques, universités coraniques, universités internationales, universités régionales… Les oulémas, Bilad Chinguitt, les illustres aïeux, les astres sauveteurs qui ont éclairé le monde, de Oualata à Khourou Nar, en passant par la Langue de Barbarie, Kébemer et autre Tivaouane et Touba. Chez Nou’zautres, on fait habituellement tout comme. En tout. Rien n’est plus « grand » que cela. Comme le disent les hommes d’une célèbre Nou’zautres tribu, l’étranger aurait pu passer inaperçu, si ce n’était le « trop d’affaires » des femmes et des enfants. Exactement comme les écoles, les dispensaires, les hôpitaux, les aéroports, les stades et les autres infrastructures pouvaient bien ne pas trop attirer l’attention n’eût été le « trop d’affaires » de certains qui, « mot deux mots », veulent comparer la Mauritanie au Sénégal, au Maroc, au Mali, à la France, aux Etas Unis… La Mauritanie, c’est la Mauritanie. Y a pas deux. C’est pas parce que il y a trois oppositions et plusieurs majorités qu’il faille y avoir deux Mauritanie. Impossible. Il y a qu’une Mauritanie. Il y a qu’un chef. Une seule troupe. Artistique ou militaire, c’est comme vous voulez. Il y a qu’un gouvernement. Un Panurge. Il y a ses moutons. Y a une présidence. Y a une première dame. Ce qui suppose qu’il y ait une dernière. Mais on n’est pas dans la logique. Il n’y a qu’une première dame, rassure-toi. Comme il n’y a qu’un premier homme. Rassure « lui ». Il n’y a qu’un BASEP. Juste à la porte de la Présidence. Pour garder les bureaux publics. Pas le Président, hein, que les choses soient claires ! Surtout pas de confusion. Genre cinq cents soldats mauritaniens envoyés pour combattre les Houthis au Yémen, contre quatre milliards qui ne devraient pas aller au Trésor public. Mais dans une certaine poche. Géante poche. Véritable puits sans fond, Gargantua national. Au secours !
Sneiba
Source : Le Calame
Yahya O El Waghf à Biladi: “…Il n’existe plus d’institutions et notre administration a tout simplement volé en éclat”
Biladi: Il parait que la majorité présidentielle vient de prendre contact avec le FNDU pour demander la relance u dialogue. Quelle appréciation faites-vous de cette nouvelle démarche ?
Y. A. El Waghf : Je ne peux que m’en féliciter, si réellement cette démarche est en rupture par rapport aux démarches précédentes. Si la majorité répond à la plateforme du FNDU, ce dernier va sans doute évaluer cette réponse et le dialogue préliminaire pourrait reprendre si cette réponse est positive.
Biladi : Comment expliquez- vous l’enthousiasme qu’affiche le pouvoir pour le dialogue et son refus de répondre au FNDU ?
Y. A. El Waghf : J’ai toujours eu de la difficulté à comprendre l’attitude du pouvoir, particulièrement en ce qui concerne cette question du dialogue. Il a toujours défendu l’idée selon laquelle le pays vit une situation normale et que la crise politique dont parle l’opposition n’existe que dans l’esprit de certains égarés.
Depuis quelques mois, il a brusquement changé son discours pour ne parler que des vertus du dialogue et sa nécessité pour la paix et la stabilité du pays, tout en refusant d’expliquer à ses partenaires et à l’opinion publique ce qu’il attend de ce dialogue.
Au lieu de chercher à discuter avec le FNDU, il cherche à le diviser, en faisant toutes les pressions possibles et imaginables sur toutes ses composantes et sur tous ses éléments individuellement. C’est une démarche contradictoire. L’objectif du dialogue est le consensus.
Hors les journées que la majorité a organisées et les pressions qui les ont précédées ont consacré la division. Le FNDU est en droit de douter des véritables intentions du pouvoir. C’est le FNDU qui a intérêt à ce qu’un dialogue sérieux et sincère soit organisé le plus rapidement possible et çà était toujours sa position de principe.
Si le pouvoir est sincère et s’il souhaite réellement un dialogue dont l’objectif est la construction d’un consensus national, il doit commencer à apaiser la situation politique, en libérant les prisonniers politiques, en cessant d’instrumentaliser l’Etat au profit d‘un camp et contre un autre, en commençant à corriger les injustices commises contre certains citoyens par les pouvoirs précédents ou celui en place, en respectant les lois et règlements de la République, etc.
A ce jour, aucun indice positif n’est encore perceptible au niveau de la gestion du pays pour pouvoir espérer un dénouement rapide de la crise politique.
Biladi : Des rumeurs persistantes parlent d’une participation de la Mauritanie à la guerre au Yémen au côté de l’Arabie Saoudite, quelle est la position du FNDU par rapport à la participation de notre pays dans cette guerre ?
Y. A. El Waghf : Le FNDU n’a pas encore exprimé une position officielle par rapport à cette question. On ne dispose encore que de rumeurs. L’Arabie Saoudite est un pays frère qui a toujours apporté son soutien au développement économique et social de notre pays et à sa sécurité et sa stabilité.
Nous ne pouvons qu’être solidaires avec lui si sa souveraineté ou son intégrité est menacée. Pour ce qui concerne la situation au Yémen, la Mauritanie, de mon point de vue, doit apporter tout son soutien politique et diplomatique à la coalition arabe tout en œuvrant pour une solution pacifique qui préserve l’unité et l’intégrité du Yémen.
Quant à l’envoie des troupes, je pense personnellement que la Mauritanie fait face à des risques terroristes multiples et qu’il nous sera difficile de se passer d’une partie de nos forces militaires dans un tel contexte.
Biladi : Mais nous avons besoin d’argent et l’Arabie Saoudite pourra conditionner son soutien financier par notre participation à cette guerre…
Y. A. El Waghf : Je pense que cette propension à tout vendre est dangereuse pour notre pays et sa crédibilité. Les saoudiens nous ont toujours apporté leur soutien sans contrepartie politique et le fait de leur demander dans le contexte actuel un appui financier est immoral. Ils viennent de nous accorder un appui budgétaire et un soutien à la balance des payements, il y a moins de cinq mois.
Biladi : Au niveau du FNDU, vous avez toujours critiqué la politique économique du gouvernement alors que ce dernier prétend que dans toute l’histoire du pays, on n’a jamais connu autant de prospérité, avec des budgets record, des taux de croissance qui ont dépassé les 7%, des fondamentaux économiques saints, un rythme d’édification d’infrastructures sans précédent, etc. On peut être opposant tout en restant objectif par rapport à des résultats qui sont visibles et incontestables.
Y. A. El Waghf : Vous avez raison de dire qu’on peut s’opposer à un pouvoir et reconnaitre les aspects positifs de ses politiques. J’ai toujours, personnellement, essayé de respecter cette règle, particulièrement pour ce qui concerne la question économique.
Il n’est pas de notre devoir de vanter les mérites des politiques d’un pouvoir auquel on s’oppose, mais nous avons l’obligation de respecter l’opinion en ne lui disant que ce dont on est convaincu.
Si on revient à votre question, le discours de l’opposition sur les politiques économiques est resté inaudible pendant plusieurs années, en raison d’une bulle minière que le gouvernement a instrumentalisé à son profit, en faisant croire à l’opinion publique que l’inflation des chiffres des exportations, des recettes budgétaires, des investissements public et privé, de l’investissement direct étranger (IDE), etc., sont le résultat de sa politique économique.
Chacun sait qu’il n’en est rien. Les prix des minerais sont déterminés par le marché international. Les prix du fer, par exemple, ont pratiquement été multipliés par trois au cours de la période 2008-2013. Les recettes d’exportation du secteur minier ont été multipliées par deux au cours de cette période (3 milliards de dollars en 2013 contre 1,5 milliard en 2008).
Les recettes budgétaires et les investissements publics ont également doublé au cours de la même période (l’investissement public est passé de 50 milliards d’ouguiyas en 2008 à 110 milliards en 2013 et les recettes de 200 à 400 milliards d’ouguiyas).
L’investissement direct étranger, quant à lui, est passé de 81 milliards d’ouguiyas en 2008 (négatif en 2009 de 800 millions d’ouguiyas) à 338 milliards d’ouguiyas en 2013 (410 milliards d’ouguiyas en 2012). Le gouvernement n’a pratiquement aucune responsabilité et aucun mérite par rapport à cette situation. Le seul mérite qu’il peut revendiquer est de gérer correctement cette manne, ce qui n’a pas été malheureusement le cas.
Biladi : Qu’est-ce que le gouvernement aurait du donc faire ?
Y. A. El Waghf : Une bonne politique du gouvernement aurait dû être l’augmentation de la production minière pour profiter au maximum de cette bulle. Une bonne politique du gouvernement aurait dû être une utilisation efficace de ces ressources pour obtenir le plus grand niveau possible de croissance économique et pour pouvoir réduire de façon significative le chômage et la pauvreté au niveau du pays.
Une bonne politique du gouvernement aurait dû être une gestion prudente de ces ressources, prenant en compte les aléas liés aux variations des prix et leur impact sur les équilibres macroéconomiques à moyen et long terme.
Malheureusement, la production minière n’a pas augmenté (les projets Guelb II, les projets de Xstrata/Glencore, le projet Tazadit) sont, soit toujours en cours (Guelb II) ou abandonnés (les autres)), le niveau de la croissance économique et son corollaire de réduction de chômage et de pauvreté sont largement en deçà des ressources générées par cette bulle minière au cours des six dernières années et la gestion a été tout sauf prudente.
Biladi : Vous oubliez que le niveau de la croissance économique, ces dernières années, a dépassé les 7%, que le chômage a été ramené de 30 à 10% et que la pauvreté a reculé de 11 points entre 2008 et 2014.
Y. A. El Waghf : Parlons d’abord de la croissance. L’évaluation de toute politique économique consiste à comparer les résultats obtenus, en matière de taux de croissance, par exemple, aux moyens mis en œuvre dans le cadre de cette politique.
Nous avons déjà vu que les niveaux des exportations, des recettes budgétaires et des investissements publics ont été, en moyenne, au cours de la période 2009-2014, deux fois plus importants que ceux de 2008. Nous avons vu que les IDE ont été multipliés par quatre et nous pouvons vérifier que l’investissement global (privé et public) est passé de 251 milliards d’ouguiyas en 2008 à 688 milliards d’ouguiyas en 2014.
En moyenne, au cours de cette période, le niveau d’investissement global est de l’ordre de 45% du PIB. Cette situation exceptionnelle, ces moyens exceptionnels devraient donner des résultats exceptionnels. Avec un taux d’investissement de plus de 40% du PIB, sur une période de cinq à six ans, on doit s’attendre à des taux de croissance à deux chiffres.
Or, le taux de croissance moyen sur la période 2009-2014 ne dépasse pas les 4,7%, alors que celui de la période 2002-2007 est de l’ordre de 4,2%, avec des moyens deux à trois fois moins importants.
La comparaison avec les pays au sud du Sahara (hors Afrique du sud) montre que la moyenne des taux de croissance pour cette région est de 5,9%, un taux largement supérieur à notre taux de croissance moyen pour la même période, bien que nous avons, avec le Mozambique, le niveau moyen d’investissement global en pourcentage du PIB le plus élevé (plus de 40%) au niveau de cette région.
Il y a lieu de noter également que malgré ce niveau de ressources exceptionnel, au cours de cette période, nous nous sommes lourdement endetté. En effet, l’encours de la dette est passé de 2,6 milliards de dollars en 2008 à l’ordre de 4 milliards de dollars en 2014 (3,4 milliards de dollars selon le rapport 2014 de la BCM et d’autres sources font état de plus de 4 milliards).
Le service de la dette est passé de 60,6 millions de dollars à 241,7 millions de dollars en 2014. Je pense qu’à partir de ces chiffres, le lecteur peut lui-même juger la performance de la politique économique du gouvernement au cours de ces six dernières années.
La politique économique c’est aussi le climat des affaires. Notre pays est classé parmi les mauvais élèves des indicateurs en matière de développement du secteur privé et de l’investissement.
On peut citer à titre d’exemple, le départ de TULLOW OIL, de XSTRATA/GLENCORE, des promoteurs chinois du projet TAZADIT, de BOUMI, des promoteurs du projet BOFAL et de tant d’autres (si ces entreprises minières avaient commencé leur activité en 2013, comme prévu, notre production minière serait deux à trois fois plus importante que la production actuelle).
Le secteur privé national a été mis à genou par de prétendues entreprises publiques moribondes pour des objectifs qui n’échappent à personne. L’Etat s’est impliqué à des niveaux sans précédent au niveau du secteur productif, sans études préalables et sans autres objectifs que de renforcer un pouvoir néo-patrimonial excessivement centralisé et personnalisé.
Il n’existe aucune frontière entre la sphère publique et la sphère privée. Il n’existe plus d’institutions et notre administration a tout simplement volé en éclat.
Biladi : Et par rapport au chômage et à la pauvreté ?
Y. A. El Waghf : Les données sur l’emploi ont jusqu’ici été fournies par le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) et l’Enquête Permanente sur les Conditions de vie des ménages (EPCV). L’Enquête Nationale de Référence sur l’Emploi et le Secteur Informel (ENRE/SI) réalisée par le gouvernement en 2012 et qui a estimé le taux de chômage à 10,1%, est une première expérience.
Je ne suis pas sûr que ce soit une expérience réussie. La plupart des professionnels contestent la vraisemblance de son produit principal, à savoir, un taux de chômage de 10,1%. Du point de vue statistique, la méthodologie de l’enquête est différente de celle de 2008 qui a donné un taux de plus de 30%.
On ne peut donc pas comparer les deux taux, à moins qu’on recalcule le taux de 2008, sur la base de la nouvelle méthodologie, ce qui n’a pas ou ne peut pas être fait. Quand on lit en profondeur les résultats de cette enquête on peut facilement se rendre compte que le taux de 10,1% n’a aucun sens.
En effet, l’enquête montre que Les actifs occupés par le secteur informel représentent environ 86,5% de la population occupée ayant l’âge légal de travail, que le taux d’emploi précaire est de 53%, que le taux d’auto-emploi est de 45%, que les travailleurs pour compte propre représentent 43%, que le taux de chômage en milieu rural est de 4,4% (peut-t-on dire à nos parents au niveau des villages de l’intérieur que leurs actifs sont occupés à 95,6% ?), etc.
Tous ces chiffres confirment que le taux de 10,1% ne reflète pas la réalité. Du point de vue économique, ce chiffre de 10,1% est également contestable. Les taux de croissance que nous avons vus plus haut ne peuvent pas permettre de créer le niveau d’emploi requis pour occuper les nouveaux arrivants sur marché du travail, à plus forte raison absorber une grande partie du stock des chômeurs lié aux années précédentes.
Ces taux de croissance ne peuvent pas inverser la courbe de chômage. Certains pays africains ont réalisé des taux proches de 10% et n’ont pas réussi à inverser la courbe. Il faut noter également que dans des économies comme la nôtre, le taux de chômage naturel n’est pas très loin de 10%, ce qui veut dire qu’avec 10%, c’est pratiquement le plein emploi. Nous savons tous que nous sommes très loin du plein emploi.
En fin, il est étonnant que le BIT qui a apporté son assistance technique à cette étude puisse noter dans son rapport de 2015 que la Mauritanie est le pays qui présente le taux de chômage le plus élevé au monde (30%), alors que cette étude a été publiée en 2013 (le BIT peut-il ne pas être au courant d’une étude dont il a assuré l’assistance technique ou la juge-t-il peu crédible ?).
Si cette étude était sérieuse, les organisations internationales auraient fait de la Mauritanie, le champion de la lutte contre le chômage, mais hélas, tel n’est pas le cas.
Pour ce qui concerne la réduction de la pauvreté, l’EPCV est une en quête solide (sixième enquête du genre). L’ONS a développé une bonne expérience dans ce domaine et l’on ne peut que prendre acte des résultats de cette enquête.
Mais en tous cas, certains résultats méritent d’être évoqués pour y attirer l’attention des lecteurs qui peuvent eux-mêmes juger. La réduction de la pauvreté de 11 points en cinq ans de conjoncture extrêmement favorable est un résultat en dessous des attentes.
Le fait que la réduction de la pauvreté ait été trois fois plus importante en milieu rural qu’en milieu urbain (2,5% contre 0,7%) est quelque chose qui ne semble pas aussi évident, tout comme le fait d’affirmer que la part des consommations du décile inférieur de la distribution représente 5,8% de la dépense totale en 2014 contre 2,5% en 2008 et 2,7% en 2004.
Cette amélioration de la distribution du revenu, en faveur des pauvres, au cours de cette période, n’est pas suffisamment perceptible. Il faut noter aussi que bien que cette enquête ait été publiée en août 2015, la Banque Mondiale ne l’a pas encore intégré au niveau de ses données (s’agit-t-il ici d’une question de crédibilité aussi ?).
Biladi: Les infrastructures que le gouvernement a réalisées au cours de cette période, pouvez les ignorer ?
Yahya A. El Waghf : Vous avez raison de parler des infrastructures. Les infrastructures comme priorité constituent un bon choix au niveau de toute politique économique, particulièrement pour des pays sous-équipés comme le nôtre.
Mais pour que ce choix puisse donner des résultats positifs, il faut que les projets soient bien étudiés et classés selon leur importance pour l’économie du pays. Vous savez comme moi que les projets n’ont pas fait l’objet d’études et l’objectif recherché n’a jamais dépassé le cérémonial.
On a inauguré tant de projets au cours de cette période, mais combien de projets ont effectivement été finalisés ? Vous savez que le secteur routier constitue la première priorité et qu’il absorbe plus de 50% des investissements publics. On peut le prendre comme exemple. Les deux principaux chantiers routiers sont la route Atar-Tidjikdja et celle Elghayra-Barkeol-Chegar.
Le premier chantier a commencé en 2010 et le second en 2009. Le niveau de réalisation pour les deux chantiers est en deçà de 60% (trois lots sur quatre sont encore en chantier pour Atar-Tidjikdja) alors que les routes devraient être réceptionnées depuis plus de deux à quatre ans selon les lots. On peut aussi citer le cas de la route Kiffa-Kankoussa lancée en février 2011 pour 36 mois, toujours en chantier après un retard 18 mois.
Vous avez le cas de la route Nouakchott-Rosso, la route Kiffa-Tintane (146 km) qui a pris plus de 120 mois pour 30 mois (contrat), la route Oueivia-Keurmacen, etc. Si vous examiner les délais de réalisation, vous pourrez remarquer que les taux d’exécution physique des projets n’atteint jamais les 30%, par rapport aux délais contractuels.
Ces retards génèrent des coûts considérables pour le pays et des manques à gagner importants. Ce qui m’a toujours étonné, c’est que les rapports d’exécution financière du budget d’investissement font état de taux de 95% alors que l’exécution réelle des projets est en deçà de 30%. On peut donc constater qu’on a investi beaucoup d’argent mais les résultats sont là.
Il y a aussi la qualité et la durabilité de ce qui a été fait. Vous savez que des dizaines de km de voierie ont été réalisée par ATTM à Nouakchott en 2009-2010 et que cette même voierie a été reprise par l’ENER en 2012-2013, soit une durée de vie de deux à trois ans.
Biladi : Comment expliquez-vous la différence entre ces taux ?
Yahya A. El Waghf : Comment je peux l’expliquer ? J’espère que cela est dû aux projets extrabudgétaires. Cela veut dire qu’une partie des enveloppes programmées pour les projets budgétisés a été utilisée par des projets qui ne figurent pas sur le budget. Vous savez que depuis 2008, la loi des finances, comme toutes les autres lois, n’est pas respecté et chaque année une loi initiale est votée en début d’année et une autre dite rectificative en fin d’année.
Biladi : Il semblerait que le FMI est en désaccord avec le gouvernement et qu’il demande la dévaluation de l’ouguiya. Qu’en pensez-vous ?
Yahya A. El Waghf : Je considère personnellement que le FMI est aussi responsable que le gouvernement de la situation économique actuelle que vit notre pays. Il a signé un accord avec le gouvernement au titre de la facilité élargie de crédit (2010-2013) qui lui permettait de peser sur les décisions du pays. Au lieu de conseiller le gouvernement, pour faire les meilleurs choix économiques, le FMI s’est limité à faire l’éloge de ses politiques. Les conférences de presses communes avec le gouvernement se succédaient avec des discours identiques (aucune nuance entre les deux discours).
Les critiques de l’opposition ne pouvaient faire le poids face à la crédibilité du FMI. Tout le monde savait, le FMI en tête, que les prix des minerais pouvaient baisser à tout moment et que le secteur minier représente 75% des exportations et 30% des recettes budgétaires du pays.
La capacité d’anticipation de cette grande institution n’a pas été mise à contribution dans notre cas. On ne peut que se demander si le rôle du FMI n’est pas d’accompagner les pays dans leurs politiques, quelque soient ces politiques, pendant la période de vache grâce et de leur imposer ses conditions pendant les périodes de conjoncture défavorable.
J’aurai aimé que le droit international puisse permettre aux pays de pouvoir demander réparation au FMI en cas de complaisance ou de complicité avec les gouvernements. Maintenant, il est vrai que notre économie a des problèmes et que des mesures urgentes doivent être entreprises pour corriger les déséquilibres. Dans ces situations, il faut que le gouvernement soit courageux et prenne les mesures qu’il faut, fussent-elles douloureuses.
Biladi : êtes-vous donc favorable à la demande de dévaluation de l’ouguiya ?
Yahya A. El Waghf : Vous savez qu’en tant que politique et consommateur en même temps, je ne peux en aucun cas défendre la dévaluation. Mais au niveau technique, il faut savoir qu’il y a des problèmes et il faut leur trouver des solutions.
L’examen du rapport annuel 2014 de la Banque Centrale montre que notre économie fait face effectivement à des problèmes réels. Le déficit des transactions courantes a atteint 445 milliards d’ouguiyas en 2014, soit 29% du PIB. Le service de la dette a augmenté de 54% par rapport à l’année précédente.
Le déficit budgétaire s’est creusé pour se situer à 55 milliards (3,7% du PIB) contre un déficit de 14 milliards (0,9% du PIB) l’année précédente. Le déficit en ressources, c’est-à-dire, la différence entre le produit intérieur brut et la demande intérieure est de 403 milliards d’ouguiyas, soit 26% du PIB.
Comme l’année 2015 est beaucoup plus difficile pour notre économie que l’année 2014, étant donné que la baisse des prix du fer est plus importante, les déséquilibres seront encore plus graves. Il y a donc urgence à agir.
Dans de pareilles circonstances, les économistes conseillent de choisir les instruments qui ont le plus d’impact sur les objectifs recherchés. Dans notre cas, les objectifs prioritaires recherchés doivent être les deux principaux équilibres, interne (budget) et externe (balance des payements). Pour l’équilibre interne, il me semble que cela ne pose pas un grand problème.
L’instrument budgétaire est le plus approprié et nous disposons d’une marge de manouvre acceptable, surtout avec notre niveau d’investissement public et le niveau des transferts (c’est sans doute douloureux mais c’est nécessaire). La difficulté majeure est au niveau de l’équilibre extérieur.
L’instrument monétaire ne me semble pas en mesure de rétablir cet équilibre avec un niveau de restriction monétaire supportable par l’économie. Ni l’endettement (nous avons atteint notre seuil d’endettement), ni les dons ne me semblent pouvoir contribuer au rétablissement de notre équilibre externe. S’il n y a pas de retournement de conjoncture (favorable) d’ici 2016, je ne vois malheureusement pas d’autres solutions que la dévaluation.
Biladi : Le gendarme de la bourse américaine s’intéresserait au comportement de Kinross dans notre pays et ses relations douteuses avec le régime. Qu’est-ce que vous pensez de cette question ?
Y. A. El Waghf : Je n’ai pas plus d’informations que vous. Je sais seulement que la justice américaine est sérieuse et indépendante et ne peut être instrumentalisée par personne. J’ai lu comme vous la réponse du porte-parole du gouvernement à la question relative à ce sujet.
Le moins que l’on puisse en dire est qu’elle est surprenante. Cette entreprise est de droit mauritanien. Si une justice étrangère enquête sur des malversations au niveau de cette entreprise, quel que soit les personnes concernées, il est du devoir du pays de l’entreprise de mener lui-même sa propre en quête et de collaborer avec la justice étrangère pour faire la lumière sur les faits incriminés.
Bialdi: Par rapport à l’exploitation de la mine d’or de Tasiast, celle-ci a été cédée par son premier acquéreur contre la somme de sept milliards de dollars. Aucun sous n’est revenu à la Mauritanie. Est-ce normal ?
Y. A. El Waghf : Normalement, il y a une taxe sur la plus-value de cession que l’entreprise qui a vendu les actifs doit payer au pays, selon la réglementation en vigueur (ou suivant un arrangement). En général, les cessions sont soumises à l’accord du gouvernement qui doit normalement exiger le payement des taxes.
Nos juristes doivent examiner ce cas et la société civile, dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives(ITIE), doit elle aussi vérifier si le pays n’a pas été lésé dans cette transaction.
Biladi : Selon des informations révélées par la presse, la SNIM aurait cédé à l’Etat ou à des privés quelques-unes de ses filiales. Comment vous voyez l’avenir de cette entreprise, jadis fleuron de l’industrie nationale ?
Y. A. El Waghf : J’ai parlé plus haut de la mauvaise politique économique du gouvernement. Le cas de la SNIM est un véritable gâchis. Si l’Egypte est un don du Nil, la Mauritanie est aussi un don de la SNIM (MIFERMA). La SNIM a connu des périodes très difficiles, depuis pratiquement sa prise en charge de la MIFERMA (la guerre du Sahara, la baisse des prix, le problème de la sidérurgie européenne, les déboires du projet Guelb I, etc.) jusqu’au milieu des années deux mille.
Les différents managements de cette époque avec l’appui du personnel de l’entreprise, ont fournis des efforts considérables pour la maintenir en activité dans des situations extrêmement difficiles (jusqu’en 2004, le prix est resté en deçà de 20 dollars). Entre 2010 et 2014, les prix ont atteint des niveaux record (entre 100 et 190 dollars).
Le chiffre d’affaire cumulé de la période 2009-2014 est de l’ordre de 2000 milliards d’ouguiyas. Les bénéfices nets pour la même période ont dépassé les 800 milliards d’ouguiyas. C’était donc une occasion rêvée pour la SNIM et pour le pays. Cette occasion a été malheureusement ratée, en raison d’une gestion catastrophique.
Au lieu de centrer son activité sur son cœur de métier et profiter de la conjoncture pour augmenter sa production et encourager ses partenaires (Glencore et les chinois de Tazadite) à faire autant, la SNIM s’est lancé dans des programmes de prestige (création de nouvelles filiales et prise de participation dans des sociétés à l’extérieur de son domaine d’intervention, financement d‘activités économiques et sociales sans aucun rapport avec la société, financement de sociétés privées, etc.) qui ont englouti les ressources considérables qu’elle a réalisées grâce à la flambée des prix.
Malgré cette conjoncture exceptionnelle, la plupart des professionnels du secteur estime que la SNIM est aujourd’hui au bord de la faillite. Il semblerait qu’elle est descendue sur le marché financier pour emprunter de l’argent.
Les banques sérieuses ne peuvent pas prêter à un management qui a gaspillé 7 milliards de dollars sans se soucier de son lendemain. L’écroulement éventuel de la SNIM peut sérieusement mettre en danger l’existence même de la Mauritanie. Ce n’est pas le bradage de ses filiales qui m’inquiète, c’est plutôt la SNIM elle-même qui m’inquiète.
Propos recueillis par Moussa O. Hamed