Daily Archives: 08/10/2015
Douces « vérités », « vérités » tardives et troublantes de monsieur Gay El Hadj

(Réponse à Gay El Hadj, ex-gouverneur adjoint)
Première partie
Pourquoi faut-il répondre à monsieur Gay El Hadj ?
Des amis, des proches, des connaissances nous ont demandé publiquement ou discrètement de ne pas donner suite aux propos tenus par monsieur Gay El Hadj, ancien gouverneur adjoint du Hodh El Chargui en 1988, et tout nouveau gouverneur adjoint de la wilaya de Nouakchott Nord…, dans un article intitulé «La fin tragique de Teen Yussouf Gueye et les contre-vérités de Boye Alassane Harouna ». Leur souci, légitime, s’entend : éviter d’entretenir une polémique futile. Et louable est leur appréhension de voir le réveil tardif de monsieur Gay El Hadj donner lieu à des glissements sur des échanges portant sur des sujets anachroniques, au moment même où le pays s’expose à l’une de ces crises politiques dont il est coutumier et qu’il semble affectionner ; au moment où injustices sociales et discriminations ethniques s’accentuent.
Il est vrai que la prise de parole de M. Gay El hadj, intervenant 27 ans après le déroulement des faits en question (1988), et 16 ans après la parution de mon livre (1999) dont il pense qu’il contient des contrevérités quant à son rôle et son comportement par rapport aux faits visés, mérite à juste titre d’être souverainement ignorée. Incontestablement ses propos n’ont d’intérêt, et encore, que pour ceux dont monsieur Gay El Hadj est le porte-voix, le porte-plume, l’obligé et le pantin. Ceux qui, tapis dans les sous-sols, ont jugé opportun de l’envoyer croiser le fer. Ceux à qui il doit sa récente promotion qui fait de lui un nouveau gouverneur adjoint. Puisse-t-il dans l’exercice de sa nouvelle fonction s’inspirer de son expérience d’il y a 27 ans à Néma. Et faire montre auprès de ses administrés de plus d’empathie, de proximité et d’humanité…
Mais il faut répondre à Gay El hadj pour plusieurs raisons. En voici quelques-unes.
1. le réveil de M. Gay est à ce point tardif qu’il pose des interrogations légitimes quant à ses motivations réelles.
En effet, si le souci de Gay El Hadj était simplement de rétablir la vérité, en dehors de toute polémique ; si sa volonté était de corriger une injustice par moi commise à son égard, d’après lui, sans tambour ni trompette, sans faire du buzz, n’eût-il pas été plus indiqué de me saisir directement, de me demander de clarifier ou de préciser davantage tel passage du livre pour lever éventuellement tout soupçon … qui pourrait peser sur lui dans cette affaire ? Je lui aurais alors proposé une déclaration publique, si tel était son souhait, déclaration qu’il aurait pu cosigner, dans laquelle j’aurais fait apparaitre que ni lui ni le défunt qu’il convoque à mauvais escient et d’une manière indécente n’étaient visés par mes propos. Et c’est là que se situe le terrible quiproquo, artificiel, sciemment provoqué par monsieur Gay — pour jeter la poudre aux yeux et faire accroire qu’il est affecté. Ce quiproquo nous conduit à la deuxième raison.
2. Monsieur Gay se présente à la fois comme victime, avocat, procureur et juge. Cela ne fait-il pas trop pour qu’il soit cru ? Il verse tout entier dans la victimisation et dans la minauderie à telle enseigne que son intervention suscite par son étrangeté des questionnements incontournables sur sa crédibilité, sa bonne foi.
3. L’article de Gay El Hadj se décompose en trois parties, que nous aborderons en le suivant pas à pas. Notons dès maintenant que chacune de ces parties fait apparaître des incohérences, des contradictions, des interrogations et des hors-sujet (la convocation du MND, par exemple) introduits pour divertir, noyer le poisson.
Toutes ces considérations appellent une réponse. Elle vise à apporter des précisions et des clarifications.
Mais avant, qu’il nous soit permis de faire mention de l’observation suivante. Elle est capitale. 27 ans après les faits en question, je n’ai jamais su que c’était monsieur Gay El Hadj, dont je ne garde aucun souvenir, qui était le gouverneur adjoint basé à Néma. Ni que c’était feu Sarr Demba qui y était préfet. C’est Gay El Hadj qui me l’apprend par la publication de son article. Cette considération à elle seule pulvérise le fantasme ou la paranoïa feinte de monsieur Gay : celle qui l’amène à affirmer, larmes de crocodile aux yeux, que je l’incrimine. Ce qui m’importait quand j’ai évoqué la vacance « de/du » pouvoir sur laquelle je reviendrai, c’était plus les fonctions administratives que les personnes qui les incarnaient. Croire donc qu’il y avait acharnement sur votre personne, monsieur Gay, en convoquant pour valider vos affirmations des faits anthropologiques (titres et fonctions, alliances et relations entre détenteurs de titre, entre clans au sein d’une caste, dans notre société traditionnelle), cela relève de la fantasmagorie ou de la paranoïa. Mais aujourd’hui que Gay El Hadj sort de son hibernation de 27 ans ; et retrouve ses esprits après une somnolence et un silence assourdissant de 27 ans pour se présenter devant nous, et nous présenter, en victime, sa version des faits, le cœur plein de larmes artificielles, qu’il souffre que je lui dise ce que je pense de ses propos.
L’article de Gay El Hadj, avions-nous indiqué, se décline essentiellement en trois parties : I. Son « film des évènements ». II. Mes « contre-vérités ». III. Sa vision de l’« avenir pour la Mauritanie ». Suivons-le dans son développement de ces trois chapitres.
I. A propos du « Film des évènements » présenté par monsieur Gay El Hadj
Il ressort des circonstances de l’évacuation médicale de Ten Youssouf Gueye, telles que relatées par monsieur Gay El Hadj, le constat suivant.
a) Si nous relevons au vu de ce qu’expose monsieur Gay une certaine diligence dans l’échange de « messages codés » entre lui et son ministère, force est de constater l’absence d’une réaction prompte à la mesure de la gravité de la maladie de Ten Youssouf Gueye aussi bien au niveau de monsieur Gay lui-même qu’au niveau de sa hiérarchie.
Que fait monsieur Gay quand le lieutenant Oumar ould Boubacar lui fit le « compte rendu de sa visite au Fort de Oualata » non pas le 30 septembre 1988, comme il l’écrit par erreur, mais le 30 août 1988, en insistant « sur le cas de Teen Yousouf Guèye » et en lui demandant d’agir rapidement ? Monsieur Gay se lie les mains par une procédure administrative : il demande au lieutenant Oumar Ould Beibacar « un rapport écrit sur la situation des détenus du fort de Oualata ». Ainsi perd-il une heure précieuse (puisque selon lui le rapport lui a été remis une heure après qu’il l’a demandé) devant une situation alarmante, qui exigeait une décision rapide.
Monsieur Gay nous apprend qu’il était à peu près 10 heures quand le lieutenant Oumar lui a remis le rapport écrit qu’il lui avait demandé une heure plus tôt, c’est-à-dire à 9 heures. Que déduire de cela ? A 9 heures du matin le mardi 30 août 1988, après que le lieutenant Oumar lui a exposé oralement la situation alarmante de Ten Youssouf Gueye, 6 heures s’écoulèrent avant que la décision d’évacuation médicale ne soit prise au niveau du ministère de l’intérieur. En effet, monsieur Gay nous informe que c’est au terme d’un interminable échange de « messages codés » entre lui et le ministère de l’intérieur que « La mission d’évacuation quitte Néma vers 15 heures ». 6 heures perdues, avant que la « mission » d’évacuation sanitaire quitte Néma pour aller chercher TEN à Oualata.
Des procédures et des pratiques encadrent et régissent le fonctionnement de toute institution. Mais elles ne doivent jamais entraver ou retarder la prise de décisions dont l’exécution est rendue urgente et impérieuse par une situation donnée. Ces procédures et pratiques doivent se compléter en cas d’urgence absolue par d’autres, moins bureaucratiques, plus expéditives. Celles-là perdent temporairement leur primauté et cèdent la place à celles-ci. En d’autres termes, en l’occurrence, monsieur Gay aurait dû, dans un premier temps, et devant l’urgence et la gravité de la situation, prendre en compte le compte rendu verbal du lieutenant Oumar, et informer immédiatement et verbalement sa hiérarchie. L’application des procédures administratives habituelles (compte rendu écrit, « messages codés », etc.) vient après que l’urgence aura été gérée par des échanges verbaux. Avantage : gain de temps considérable, rapidité dans le traitement de la situation ciblée. Dans notre cas d’espèce, vous aviez affaire à un malade, M. Gay. Plus vite il est présenté au médecin, mieux c’est. Cela est connu de tous. De même qu’il n’échappe à personne qu’en pareille circonstance, dans une course pour préserver une vie humaine, chaque seconde est décisive.
Le système de communication dans nombre d’institutions du pays, dans la période qui nous intéresse ici, était basé sur le message — codé ou non. Mais cela, y compris dans l’armée, n’a jamais empêché les différents responsables de quelque échelon qu’ils fussent de communiquer par voie radiotéléphonique. Rapports et messages suivent après.
b) Ten Youssouf Gueye : de la prison de Oualata à la prison de Néma
Monsieur Gay El Hadj nous révèle que les « directives précises » qui lui ont été envoyées par message lui indiquaient que Ten Youssouf Gueye devait être évacué et placé « à la prison civile de Néma en attendant l’arrivée de l’avion….».
Quitter une prison pour bénéficier d’un traitement approprié et se retrouver non pas dans « une chambre », comme le dit Gay El Hadj, mais dans une cellule d’une autre prison, qu’une telle contre-indication ne soit pas perçue par la hiérarchie de monsieur Gay, c’est l’évidence même. Que monsieur Gay ne soit pas parvenu à convaincre sa hiérarchie que l’état de santé du malade, inoffensif et incapable de s’évader, qui plus est, était tout ce qu’il y avait d’incompatible avec une « mise en cellule », en position d’attente, dans la prison civile de Néma, concédons-le-lui. Mais que monsieur Gay, qui a lui-même accueilli le malade à son arrivée (selon lui), a lui-même constaté l’extrême gravité de son état, n’ait pas pensé ou osé prendre la responsabilité de l’installer ailleurs que dans une « cellule » de prison, cela fait incontestablement de lui un exécutant béni-oui-oui, mais pas un administrateur capable, confronté au tragique d’une situation, de faire montre d’humanité dans l’accompagnement d’un prisonnier malade sur le point de rendre son dernier soupir — quitte à passer outre aux « directives précises » de sa hiérarchie lointaine.
Et quand vous avouez vous-même que des « directives précises » venant de votre hiérarchie vous intimaient l’ordre de placer TEN « à la prison civile de Néma en attendant l’arrivée de l’avion… », vous admettez explicitement ici ma thèse que vous contestez ailleurs : « Conséquence tragique d’une telle vacance de pouvoir et du refus des responsables administratifs sur place d’engager leur responsabilité : Ten Youssouf Gueye agonisant, évacué d’un fort-mouroir pour être hospitalisé, se retrouva, malgré son état, dans la prison des détenus de droit commun de Nema » (P.132). C’est cette thèse qui vous indigne, suscite votre courroux et vous fait dire que je vous accuse injustement.
Or vos propos font apparaître que l’ordre reçu vous dédouane. Il fait de vous, et de vous seul, un empêché. De cela provient la justification de mon expression : « refus des responsables administratifs sur place d’engager leur responsabilité ». Pourquoi alors venir se présenter en victime et crier au scandale ? Parce qu’il y a problème, M. Gay El Hadj. Problème dont vous êtes conscient mais que vous tentez vainement d’occulter, monsieur l’ex-gouverneur adjoint et nouveau gouverneur adjoint. Et ce problème vous culpabilise, de facto. En effet, sur le terrain, face à ses administrés, à l’urgence, un responsable digne de ce nom doit savoir et pouvoir contourner des « directives précises » mais incongrues, saugrenues, absurdes voire mortelles pour les citoyens, qu’ils soient détenus ou non. Ce que vous n’avez pas su ou osé faire. Face à une situation concrète, grave et urgente, vous vous êtes comporté en administrateur béni-oui-oui en vous contentant des « directives précises » venues des bureaux de votre hiérarchie de Nouakchott.
Vendredi 02 septembre 1988, 12 heures 45, M. Gay apprend d’un garde, nous dit-il, le décès de Ten Youssouf Gueye. Près de 4 heures après la mort de Ten, étrangement, subitement, M. Gay nous révèle qu’il n’arrivait pas à joindre sa hiérarchie pour l’informer du décès de Ten Youssouf Gueye. Encore moins obtenir d’elle la conduite à tenir face au décès de TEN. Mais là, miraculeusement, il « re » trouve l’esprit d’initiative et l’audace qui lui firent défaut quand il s’était agi, au vu de la gravité de l’état de TEN, de l’accueillir ailleurs que dans une cellule de prison de Néma. Ainsi fait-il procéder à la toilette mortuaire et décide, sous la direction d’un imam, d’inhumer TEN. Il n’arrivera, nous indique-t-il, à joindre sa hiérarchie qu’à 21 heures, soit 9 heures après le décès de TEN.
Tout en relevant l’inconsistance et le caractère bien étrange de certains faits exposés ici, accordons à M. Gay que ce qu’il dit est vrai. En attendant que la réalité de la version par lui exposée ici soit vérifiée en bonne et due forme. Car je suis fondé à prendre avec des pincettes les propos d’un monsieur qui, après avoir hiverné pendant 27 ans, sort de son mutisme avec une telle prolixité.
II. Mes « contre-vérités », selon M. Gay El Hadj
a) De la « Vacance du pouvoir »
« Les textes organisant l’administration territoriale en Mauritanie sont conçus de telle sorte qu’il n’y a jamais de vacance de pouvoir », nous rappelle M. Gay, qui feint de ne pas comprendre ce dont il est question ou qui nous prend pour des jobards.
Quand nous parlons d’un cas concret (celui de TEN en l’occurrence), et cherchons à savoir s’il a été géré de manière efficiente par les responsables administratifs concernés, Gay El Hadj nous sert une définition juridique, une théorie, une formule. Oubliant que les textes, les lois et le statut juridique sont une chose ; et que leur application concrète et la réalité des faits sont une tout autre chose. Il y a combien de textes de loi abolissant et criminalisant l’esclavage en Mauritanie depuis l’indépendance ? Sont-ils appliqués ? L’esclavage a-t-il seulement connu un début d’éradication ? Non, évidemment.
Bien sûr que l’organigramme de l’administration territoriale, et même celui de toute institution digne de ce nom, est élaboré de manière que tous les postes soient pourvus. Cependant, quand les responsables administratifs sont présents mais incapables de régler un problème grave et urgent qui met en jeu la vie d’un citoyen qui plus est (c’était le cas de TEN), comment appelez-vous cela, monsieur Gay ? C’est cela que je désigne par vacance de /du pouvoir. Autrement dit ceux qui incarnaient l’autorité de l’Etat (vous en l’occurrence) étaient présents. Mais leur présence équivalait à une absence, donc à une vacance du pouvoir, dès lors qu’ils étaient incapables de toute décision. Ce que vous confirmez en disant que « ni le gouverneur titulaire, ni le commandant du GR1 n’étaient habilités à décider de l’hospitalisation de TEEN… » Pourquoi ? «(…) pour la simple raison, dites-vous, qu’il n’était pas évacué pour être hospitalisé à Néma mais transporté à Nouakchott par avion médicalisé. ».
Faut-il rigoler ou s’attrister devant une telle affirmation ? M. Gay. Je l’ai indiqué plus haut : quand un responsable administratif digne de ce nom reçoit un malade, fût-il prisonnier, dans l’état où se trouvait TEN, il le confie à un hôpital local (celui de Néma en l’occurrence) ou à un dispensaire plutôt que de le mettre dans un cachot. Et s’il n’est pas capable de le faire sans l’aval du pouvoir central (Nouakchott), admettez que le pouvoir local est vacant. D’où mon expression « vacance de pouvoir ». Admettez aussi, par voie de conséquence, que vous étiez dans l’impossibilité, dans l’incapacité (légalement s’entend) d’engager une quelconque responsabilité quant au placement de TEN dans un centre hospitalier avant son évacuation médicale sur Nouakchott. Puisque vous admettez qu’une telle responsabilité incombait à votre hiérarchie. Et c’est ce constat, tiré aussi de mon expérience et de la connaissance que j’avais du fonctionnement de quelques institutions du pays, qui m’avait conduit à écrire que seuls le gouverneur titulaire ou le commandant du GR1 semblaient habilités à décider de l’hospitalisation de TEN.
De tout cela il découle que vous n’êtes accusé de rien quant au décès de TEN. En définitive, c’est l’Etat, incarné par le régime de l’époque, qui est seul responsable des décès survenus à Oualata du fait des conditions de détention. Si je dois vous reprocher quelque chose, aujourd’hui, au vu de vos propos, c’est d’avoir manqué d’audace, d’esprit d’initiative, d’aptitude à contourner ces « instructions précises », que vous ressassez comme un perroquet, pour accueillir et accompagner décemment , avec humanité, un malade au seuil de sa dernière demeure.
S’agissant du gouverneur titulaire ou du commandant du GR1, je suis convaincu qu’au moins l’une de ces deux autorités ne se serait pas fait lier par un formalisme, et aurait agi différemment de vous, si elle était sur place et si la gestion du cas TEN Youssouf Gueye relevait de sa compétence directe. Vous savez à qui je pense, puisque vous avez le don de lire « le repli de ma pensée », Ô Oracle, sorti de 27 ans d’hivernation, tout investi de pouvoirs divinatoires !
En plus de la compétence ou du savoir, ce qui différencie les hommes qui assument de hautes responsabilités étatiques ou administratives, monsieur l’ex- gouverneur adjoint, c’est le savoir-faire ; c’est surtout le savoir-être. C’est pourquoi vous dites des bobards quand du haut de votre superbe vous décrétez que « […] les instructions sur cette affaire étaient claires et le gouverneur titulaire et le commandant du GR1 n’y pouvaient rien. ». Réaffirmons-le : un responsable digne de ce nom doit savoir dire non, ou avoir la subtilité de prendre quelques libertés avec « les instructions précises », pour les contourner dès lors que leur application stricte est rendue absurde ou mortifère par des circonstances non anticipées. Ce n’est pas parce que vous avez été incapable de le faire qu’il vous faut dénier à d’autres la faculté de le faire — s’ils étaient à votre place.
b) Sépulture/ Tombe anonyme
Là aussi, vous faites du tapage pour rien. Ou pour divertir. Qu’ai-je écrit, parlant de TEN ? « Sans sépulture, il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Néma. » (P 132. J’étais à Oualata)
Cernons l’approche sémantique et contextualisons les choses avant d’aller plus loin.
Sépulture : polysémie : stèle, épitaphe, monument mortuaire, tombe…
Contexte : proposition (« Sans sépulture, il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Néma. »). Sépulture, dans son acception de tombe, est à évacuer d’emblée. Puisque dans la proposition qui suit il est indiqué qu’« […] il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Néma. »
Vous avouez n’avoir pas assisté à l’enterrement de Ten (je vous épargne la question : Pourquoi ?). Et vous ne dites pas explicitement que vous êtes allé voir sa tombe après son enterrement. Mais vous affirmez mordicus que « […] sa tombe a été matérialisée, ses enfants et tous ceux qui le souhaitent peuvent aller se recueillir sur cette tombe. » Je voudrais vous le concéder volontiers, monsieur Gay El Hadj. Mais il se trouve qu’en avril 2014, notre ancien compagnon de détention Ly Djibril Hamet et le colonel Oumar Ould Beïbacar sont allés à Oualata, puis à Néma pour se recueillir sur les tombes de nos compagnons de détention. (Vous avez dû voir ou entendre parler de la vidéo et des photos qui immortalisent ce voyage de recueillement.) Eh bien ! M. Gay El Hadj, ils n’ont trouvé aucune « tombe matérialisée » de Ten Youssouf Gueye. Pas de tombe. Pas de stèle. Pas d’épitaphe. Rien. Contrairement aux tombes de : Bâ Alassane Oumar, Bâ Abdoul Khoudous et Djigo Tabssirou, à Oualata. Même le cimetière où repose TEN reste à identifier avec exactitude, selon Ly Djibril Hamet. Que dire alors de sa tombe, lui, Ten. Alors, je veux bien vous croire, monsieur Gay, mais rien dans vos dires, rien au regard de tous ces faits, ne m’autorise à vous croire. Comment croire quelqu’un qui sort d’un sommeil de 27 ans, et qui subitement se met à table avec une allégresse que voile mal une indignation feinte ? Comment croire en vous ?
« “La ” seule fois où on remarque une petite prudence de l’auteur de « J’étais à Oualata » c’est quand il écrit “il serait enterré dans une tombe anonyme” », dites-vous. Plus qu’une « petite prudence », monsieur Gay, il s’agit là d’une hypothèse, d’une possibilité, d’une probabilité, d’une chose dite mais dont la réalité reste à vérifier : d’où l’usage du conditionnel (mode). Mais vos propos et les faits mentionnés plus haut transforment l’hypothèse, émise en 1988 et couchée sur papier en 1999, en réalité vivante qui met en évidence vos mensonges éhontés. Autrement dit il apparaît de plus en plus certain que j’aurais pu, dû, écrire dès 1999 : « Sans sépulture, TEN est enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Nema. ». Car c’est sur ce mode, dans cette formulation, que j’avais recueilli l’information en 1988, à Oualata, auprès des gardes. Et c’est sciemment que j’ai fait recours au conditionnel pour la transcrire, vu le contexte de l’époque.
c) A propos de la responsabilité du gouverneur adjoint et du préfet
J’ai indiqué plus haut pourquoi et dans quel sens j’ai parlé du « refus des autorités sur place d’engager leur responsabilité » pour que TEN fût hospitalisé. J’ai précisé aussi que de cela ne découlait pas que ces autorités étaient responsables de la mort de TEN et des trois autres détenus. J’ai mentionné que votre existence même monsieur Gay — a fortiori votre statut de gouverneur adjoint à l’époque des faits —, je l’ignorais. Ce qui ne vous empêche pas de vous prosterner devant le Coran, d’y poser vos deux mains et de mentir : car vous mentez lorsque vous dites qu’en parlant des responsables administratifs sur place j’avais conscience que c’était vous. Et, sans gêne, vous déterrez le vieux Sarr Demba, que son âme repose en paix, pour faire pathos. Pour susciter sympathie et solidarité autour de votre « cause ». Cette indécence, cette irrévérence envers les morts, cela ne vous fait-il pas baisser les yeux, monsieur Gay ? Non ! Pour donner à votre thèse scabreuse une allure de consistance, vous vous livrez à une psychanalyse de bistrot ; et vous invoquez des considérations d’ordre anthropologique : « deux Ten, Gaye et Sarr, ont laissé mourir un Ten : Youssouf Gueye. ». Gardez vos fantasmes et vos délires pour vous. Gardez-vous d’attribuer aux autres vos troublants et inquiétants cauchemars.
Quant au vieux Sarr Demba, c’est vous qui le nommez. C’est vous qui le déterrez pour le convoquer comme témoin à charge afin d’exploiter sa notoriété et son prestige au profit de votre défense. Vaine et indécente tentative de ressusciter les morts pour vendre votre « cause ». Il ne demande rien que d’être laissé reposer en paix. Ni lui ni ses parents et amis ne souhaiteraient jamais que son nom fût associé de quelque manière que ce fût à vos calculs politiques de caniveau. Voulez-vous le laisser définitivement reposer en paix !
Occupons-nous présentement des vivants, de vous en l’occurrence. Car vous seul étiez habilité à traiter le cas TEN, ainsi que je l’ai indiqué plus haut. Vous n’êtes pas responsable, en définitive, de sa mort. J’ai précisé pourquoi. Mais j’ai aussi précisé et le réitère ici : vous n’avez su ni osé accueillir et accompagner Ten Youssouf Gueye mourant avec décence, avec humanité. En administrateur béni-oui-oui, vous vous êtes accroché aux « instructions précises » de votre hiérarchie. Ce qui vous a conduit à placer TEN dans une cellule dans la prison de Néma. Alors que son état de santé alarmant exigeait qu’il fût conduit dans un hôpital ou un dispensaire à Néma avant son évacuation médicale à Nouakchott. Vous n’avez pas osé ou su l’héberger dans un coin de chez vous, dussiez-vous pour cela placer une sentinelle à son chevet.
Vous, monsieur Gay, puisque vous m’en donnez aujourd’hui l’occasion, et au vu de votre propre relation des faits, oui vous Gay El Hadj, je vous accuse d’avoir manqué, en tant qu’individu, de grandeur, d’humanité et d’empathie devant le prisonnier malade Ten Youssouf Gueye. Je vous accuse en tant que gouverneur adjoint d’avoir manqué de présence d’esprit, d’esprit d’initiative et de courage face au cas Ten Youssouf Gueye. Et je n’ai point besoin pour cela de faire référence à la solidarité traditionnelle fuutaŋke. Il me suffit de lire et d’analyser vos propos, de mettre en exergue ce qu’ils donnent à voir.
Et puisque vous convoquez, à mauvais escient, la tradition fuutaŋke, vous devriez aussi savoir que le respect des morts, le pardon, l’extinction des rancœurs, l’oubli des querelles sont des notions fondamentales inscrites dans le système de valeurs des fuutaŋkooɓe. Qui, comme Amadou Hampâté Bâ, savent « […] qu’il faut fermer les yeux sur les travers des hommes pour ne retenir d’eux que ce qui est bon. ». En convoquant ici, et de cette manière, la tradition des fuutaŋkooɓe pour mettre en relief les liens et les solidarités entre les TEN, vous versez dans le taƴ enɗamaagu(*). Vous tentez de semer la zizanie. Tout cela pour faire diversion. Pour vous protéger. Pour susciter sympathie et soutien autour de votre personne, au moment précis où vous êtes élevé à la dignité de gouverneur adjoint. Votre article, M. Gay, c’est la triste et peu flatteuse contrepartie due à ceux qui vous ont « réhabilité » ; ceux pour et au nom de qui vous parlez. Peine perdue. Car si chaque Cassandre a ses groupies, je doute que parmi les vôtres il y ait une foule disposée à se laisser prendre à votre jeu d’écoliers, Gay El Hadj, monsieur-tout-nouveau-gouverneur-adjoint-tartufe.
…………………………
(*) Terme pulaar. Désigne ce qui crée discorde, haine, rupture… notamment entre parents, et par extension entre amis et proches.
(A suivre : deuxième partie)
Boye Alassane Harouna
7 octobre 2015
Mono-dialogue politique : Jusqu’où ira le pouvoir ?
Après la tenue, sans l’opposition, des journées préliminaires de concertations sur le « dialogue » politique inclusif, le gouvernement a dépêché, à l’intérieur du pays, des missions de sensibilisation. Tous membres du gouvernement, ces représentants ont à charge d’expliquer, aux populations, la décision du gouvernement de tenir, début-Octobre, un « dialogue » national, afin de débattre des recommandations des journées de concertations. Et de s’efforcer à démontrer que le président de la République, en convoquant les Mauritaniens à débattre, entre eux, des problèmes de leurs pays, a pris une « sage décision ». Les missionnaires exhortent donc les populations à soutenir l’initiative du président de la République, en vue de « trouver des solutions » à tous ces problèmes. Or le pouvoir nous avait habitués à un discours selon lequel, au plan macroéconomique, voire économique tout court, notre pays se portait très bien ; en somme, tout « baignerait dans l’huile ». Tandis qu’au plan politique, l’opposition fut toujours – et demeure – qualifiée d’« insignifiante ». Allez comprendre !
Les missionnaires ont clamé, à tue-tête, que le dialogue se tiendrait, vaille que vaille – sans l’opposition, donc, puisque les deux pôles (FNDU et CUPAD) de celle-ci ont décidé de « bouder » le processus en gestation. Et de décocher flèche sur flèche, sur ceux-ci. Jusqu’où ira le gouvernement dans sa démarche quasiment « unilatérale » ? Que peut faire l’opposition ? D’abord, pour contrer sa marginalisation ; puis contraindre, tant se faire que peut, le gouvernement à surseoir à son agenda. La première interrogation en appelle immédiatement une autre : quel profit pourrait tirer le gouvernement d’un tel processus ? Certains observateurs croient savoir que le Raïs voudrait accréditer, aux yeux de l’opinion nationale mais, aussi, internationale, que c’est l’opposition mauritanienne qui refuse le dialogue, pour donner l’impression que le pays est bloqué. De fait, Ould Abdel Aziz n’a cessé, depuis son arrivée au pouvoir, de se prétendre disposé au dialogue mais un dialogue « à pas forcés », pour ne pas dire « à sa botte », que l’opposition rejette, depuis celui de Dakar, en 2009. En quoi forcer à nouveau le pas serait-il profitable au pays ? En quoi les recommandations des journées de concertations sans l’opposition le feraient-elles avancer ? Qu’est-ce qui empêche le Président de gouverner, avec une majorité réputée si « confortable », depuis 2009 ? Quel profit, au plan diplomatique, le pouvoir pourrait-il tirer, dans un contexte où nombre d’élections en vue en Afrique se déroulent dans un climat tendu. S’y ajoute la tentative avortée de coup d’Etat, au Burkina, consécutive à l’entêtement d’un président en fin de mandat ? Quant à la France, quelle attitude adopter, à l’endroit de l’opposition mauritanienne ?
Ce qui est paraît quasiment certain, pour certains observateurs et l’opposition, c’est que le pouvoir prépare un « petit quelque chose » à l’endroit de 2019, terme officiel du second et dernier mandat de l’actuel président mauritanien, conformément à l’article 26 de la Constitution. Un petit quelque chose qui pourrait ressembler à une espèce de référendum permettant de faire changer celle-ci. Un pari risqué mais que plusieurs caciques du régime actuel n’hésiteraient pas à jouer. Sinon, que gagnerait Ould Abdel Aziz, en s’engageant dans une telle aventure ? Pour d’autres, le forcing actuel pourrait présager d’autres négociations, au plan diplomatique, afin de préparer une sortie, par la grande porte, du président actuel, soldant, ainsi et, peut-être, définitivement, le putsch de 2008…Attendons de voir. Le 10 octobre est dans quelques jours non ?
DL
le calame
Passif humanitaire : blocage de dossiers au ministère des Finances ?
Ils sont plus de deux cents fonctionnaires et agents de la Fonction publique à courir, depuis 2012, derrière le règlement de leur situation. Il s’agit d’une seconde vague des mauritaniens ayant été vidés de leur poste, au cours des évènements 1989/1991. Une première vague obtint sa « régularisation », auprès de l’agence ANAIR, dissoute depuis. Les autres continuent à courir, entre le ministère de la Fonction publique et celui des Finances. C’est d’ailleurs suite à de nombreuses réclamations que le gouvernement « ordonna », lors du Conseil des ministres du 20 Septembre 2012, de régler le problème. Mais, quinze mois plus tard, une lettre circulaire N° 00019/13, en date du 3 Décembre 2013, devait être encore adressée, aux différents établissements, leur rappelant de se conformer à la décision de l’Etat de promouvoir « des mesures en faveur des employés victimes des évènements de 1989 ». il s’agit, « concrètement », pouvait-on lire dans ce document, d’« indemnisations, de réintégrations, régulation de situations statutaires, droits à la retraite, selon les cas ». Le ministère de la Fonction publique prépare et envoie un courrier au ministère des Finances, concernant 219 personnes. Un nombre qui va, d’ailleurs, connaître une sensible augmentation, suite à diverses réclamations. Selon l’un des délégués des victimes, il aurait atteint, d’après le dernier courrier du ministère de la Fonction publique, du 15 Juillet 2015, le chiffre de 463, les limogés du secteur privé inclus. Voici nos pauvres victimes à courir ou à continuer la course. Mais toujours pas au bout de leur peine. Car, au ministère des Finances, on leur signifie n’avoir reçu aucun courrier de la Fonction publique à leur sujet. Retour donc à ce département où le secrétaire particulier déclare, catégorique, avoir bel et bien envoyé ledit courrier ! Soulignons, ici, que le secrétariat central du ministère de la Fonction publique qui avait géré tout ce dossier a été dissous, laissant un seul fonctionnaire le suivre avec les délégués des victimes.
Au ministère des Finances où il s’est rendu plusieurs fois, Mamadou Hamady Sarr, un de ces délégués, s’est lui-même entendu dire que le secrétariat central n’avait pas reçu le courrier de son collègue de la Fonction publique, mais, à en croire diverses sources, la missive serait bien parvenu au département des Finances, sans y être officiellement enregistrée, et se trouverait, actuellement au bureau du ministre… qui bloquerait la liquidation du dossier. Difficultés financières ou excès de zèle ?
En tout cas, les victimes concernées se demandent ce que vaut, réellement, une décision du gouvernement de la République, puisqu’elle peut être, si facilement, remise en cause. Et Mamadou Hamady Sarr d’interroger : le président de la République qui a ordonné, en 2012, le règlement de cette affaire, est-il bien informé de son évolution ? Et de lancer, au nom de ses compagnons d’infortunes – Dieu sait qu’elles sont nombreuses ! – un appel au président de la République, pour que soit mis fin au calvaire de ces centaines de mauritaniens, à la merci encore de l’arbitraire.
le calame