Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 01/12/2012

Sciences Po ou l’avant-garde néolibérale

altTout entière consacrée à célébrer le dynamisme de Sciences Po sous la direction de Richard Descoings, la presse n’a jamais relevé l’ironie d’une restauration de l’ancienne Ecole libre des sciences politiques. Ainsi en va-t-il des entreprises de réaction qui, au profit d’une amnésie collective, se déguisent sous le manteau du progrès. L’affaire Sciences Po aura non seulement dévoilé les gaspillages, les privilèges et le fonctionnement discrétionnaire d’une institution d’enseignement supérieur jouant un rôle majeur dans la sélection des élites, mais aussi démasqué un projet ambitieux de transformation de l’enseignement supérieur français.

Les révélations de la Cour des comptes prennent en effet une autre dimension si on relie les faits incriminés à la vision néolibérale de l’éducation qui caractérisait le [projet du triumvirat Descoings-Pébereau-Casanova (Lire « L’Ecole libre des sciences politiques », Le Monde diplomatique, 25 octobre 2012). La transformation avait été entamée par Alain Lancelot qui ne cachait pas ses convictions politiques. L’arrivée de Michel Pébereau à la présidence du Conseil de direction en était aussi un signe manifeste. Inspecteur des finances, ce dernier avait été en 1986, dans le cabinet d’Edouard Balladur, un artisan des privatisations du gouvernement de cohabitation mené par Jacques Chirac. Alors qu’il n’était pas un ancien étudiant de Sciences Po, son intérêt pour cette institution ne s’est pas démenti puisqu’il a occupé cette fonction sans discontinuer depuis 1988, soit durant vingt-quatre ans. Tout en étant PDG des banques qu’il avait privatisées, le CIC puis la BNP (devenue sous son égide BNP-Paribas). Or, cet homme aux solides convictions néolibérales a soutenu la politique de privatisation de Sciences Po, rejoint en 2007 par un autre néolibéral affiché, l’économiste Jean-Claude Casanova, président du Conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) (Lire « Poker menteur à Sciences Po », Le Monde diplomatique, 5 novembre 2012).

Privatiser Sciences Po, cela était difficile sans précautions spéciales. Il revenait à Richard Descoings d’inventer la formule pour y parvenir. Avec sa réputation d’école des élites, Sciences Po ne pouvait subir une transformation renforçant le sens élitaire sans soulever la réprobation. La grève de 1995, provoquée par l’augmentation des droits d’inscription, sonna comme un avertissement. Alain Lancelot, directeur contesté, fut avantageusement reclassé au Conseil constitutionnel. Richard Descoings, son directeur adjoint, reprit le flambeau avec subtilité. Sciences Po allait faire du social en corrigeant son image par la distribution de bourses et surtout en créant le dispositif de discrimination positive par le recrutement dans des lycées de ZEP. La conférence de presse habilement montée en février 2001 inaugurait sa stratégie de communication. Les journalistes présents écoutèrent le directeur, puis les proviseurs des premiers lycées concernés. Sortant dans la rue, ils découvraient dans le kiosque la une du journal Le Monde consacrée à l’initiative de Sciences Po. Ce coup médiatique réussit au-delà de toute espérance : Sciences Po devint presque synonyme d’une politique sociale d’avant-garde. Plus personne ne pouvait ignorer la signification de l’acronyme ZEP, et plus personne ne pouvait attaquer la sélection sociale à Sciences Po. Descoings devint une star médiatique adulée par les étudiants, les journalistes et les politiques. Sans qu’il contrôle tout à fait son succès.

Richard Descoings affichait régulièrement son ambition d’augmenter le financement privé de son école, afin qu’il dépasse le financement public. A coup d’augmentations des frais d’inscription et des effectifs, d’ouvertures de succursales, d’emprunts (même toxiques) et d’appels réguliers à la générosité des anciens élèves. Echec. Le financement de l’Etat est resté majoritaire et le total des financements publics est supérieur à 70 %. La conviction néolibérale ne saurait être désintéressée et, sauf contradiction, on ne fait pas autant d’efforts si ce n’est pour en profiter soi-même. Descoings d’abord, et ceux qui le secondaient ensuite. Il faut bien acheter les loyautés. L’équipe de direction a donc bénéficié d’augmentations de leurs rémunérations, primes et avantages divers. « Ce n’est tout de même pas Goldmann Sachs », se défendait un dirigeant, trahissant ainsi son univers de référence. Les salaires et les primes des dirigeants auraient été plus légitimes, si l’objectif d’un financement privé avait été atteint. Or financées par de l’argent public, la Cour des comptes pouvait alors contrôler ces rétributions par anticipation.

Si les reproches du rapport de la Cour ont été reconnus par le président de la FNSP Jean-Claude Casanova, qui est censé contrôler la gestion du directeur de Sciences Po, il devrait en toute cohérence démissionner (Lire « Rapport sur Sciences Po : une forte ambition, une gestion défaillante », Cour des comptes, 22 novembre 2012). Avec Michel Pébereau, dont la mission à la tête du Conseil de direction était similaire. S’ils ne le font pas, c’est que l’entreprise néolibérale ne saurait céder aux impératifs d’une morale de l’honneur. Irresponsables à leurs propres yeux, ils ont donc opposé leur arrogance à la ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso. Ils ont procédé à l’élection discrétionnaire du nouveau directeur. Contre la demande de la ministre. Affirmant l’inverse lors de l’élection : le ministère a aussitôt démenti. Affirmant aussi que la Cour des comptes avait donné l’assurance qu’il n’y aurait pas de poursuites judiciaires — autre assurance qui s’est avérée fausse. Le mensonge cynique à la tête d’une institution d’enseignement est un mauvais exemple donné aux jeunes générations. Etait-ce si urgent ? En nommant l’administrateur provisoire et héritier putatif Hervé Crès, ils pensaient créer l’irréversible. Avec le risque d’être contrariés par le rapport de la Cour des comptes publié le 22 novembre. Or, la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie afin de juger les dirigeants. La ministre a immédiatement imposé la nomination d’un nouvel administrateur provisoire.

Le coup de force de l’élection du nouveau directeur se justifiait parce qu’Hervé Crès avait été choisi pour continuer la politique de privatisation. Ancien élève de HEC ayant eu une carrière dans le privé, il « collait » bien à la transformation de Sciences Po en business school (lire « Comment Sciences-Po et l’ENA deviennent des “business schools” », Le Monde diplomatique, novembre 2000) selon les projets du triumvirat néolibéral qui le menait jusqu’alors. Dépité d’être récusé par une assemblée générale du personnel et finalement détrôné de son mandat de directeur malgré son communiqué aux personnels qui faisait fi de la nécessaire ratification par l’Etat, il n’en manifestait pas moins son adhésion à l’entreprise néolibérale : « Je n’accepte pas de servir de bouc émissaire. Richard Descoings a bousculé les conservatismes, ce qui a pu provoquer du ressentiment » (Le Monde, 23 novembre). Avec une belle continuité, il reprenait ainsi l’argumentaire de Descoings, qui accusait de conservatisme toute objection, utilisant sa politique de discrimination positive pour renvoyer dans les cordes toute critique de gauche. Belle stratégie de bataille à fronts renversés : plus égalitaire que moi…. Est-ce du conservatisme que de contrôler l’usage des finances publiques ? Conservatisme que de mettre en cause les gaspillages ? Conservatisme que de mettre en cause l’arbitraire, l’opacité et les privilèges ? Il faut une bonne conscience aveugle ou beaucoup de cynisme pour le soutenir.

En prétendant que le statut de cette école n’est pas en cause, on peut craindre que les dirigeants aient raison. Si le gouvernement, une fois de plus, s’inclinait devant la pression des dirigeants de Sciences Po, ils n’illustreraient que le constat selon lequel les élites ne réforment pas volontiers le système de sélection qui les a consacrés. On peut le craindre, d’autant plus que le statut qui a permis de mener subrepticement une politique de privatisation risque fort d’en permettre la reprise une fois la crise finie. Or, avec l’université de Paris Dauphine, Sciences Po joue le rôle de poisson pilote d’une université néolibérale. Après que la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) en ait posé les bases en conférant l’autonomie à chaque université, ces établissements ouvrent la voie à la privatisation de tout l’enseignement supérieur, où les études devront être payées par les étudiants. Par leurs parents pour ceux qui ont la chance d’être bien nés, par l’emprunt pour ceux qui ne l’ont pas. Ces derniers commenceront leur vie professionnelle avec des remboursements étalés sur deux décennies, comme aux Etats-Unis où s’est constitué une bulle des emprunts étudiants (Lire Christopher Newfield, « La dette étudiante, une bombe à retardement », Le Monde diplomatique, septembre 2012). Au moins se tiendront-ils tranquilles. On aimerait que les dogmatiques néolibéraux nous expliquent la supériorité de cette organisation sur l’enseignement public qui les a généralement consacrés en France. Ils ne convaincront pas ceux qui pensent que l’éducation est un bien public, qu’elle doit être gratuite, même pour les gens fortunés, pour corriger les inégalités sociales. C’est vouloir faire prendre des vessies pour des lanternes que de prétendre que la restauration de l’Ecole libre des sciences politiques, pour préparer la privatisation de tout l’enseignement supérieur, est un progrès.

Cinq parallèles entre le Mali et l’Afghanistan

altPar définition en géométrie euclidienne, des droites parallèles ne se croisent jamais. Sauf par courbure de l’espace-temps, avec l’intervention des puissances internationales.

  • L’islamisme

  • Force morale et militaire, l’islamisme n’est plus à présenter. Mélange de religion, de tribalisme, de guerre et d’infiltration de tous les services secrets du monde, le djihadisme, courant radical du radicalisme islamiste, a encore le vent en poupe, alimenté par l’impasse démocratique et l’injustice des puissances mondiales.

Si l’islamisme, matrice idéologique du djihadisme, est plus ou moins financé par des Etats riches et conservateurs comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, son excroissance s’autofinance dans une large mesure grâce aux prises d’otages, razzias et prélèvements forcés d’impôts islamiques, commerce de drogue et contrebande transfrontalière.

Pour asseoir un ordre moral paramilitaire et comme l’on fait les Talibans avec les Bouddhas du Bâmiyân, les islamistes ont commencé leur carrière au Nord Mali en détruisant des marabouts, symboles «païens» d’un islam traditionnel du culte des Saints. La méthode est signée, il s’agit du wahhabisme saoudien, purisme archaïque des origines qui vise à délaisser tous les symboles d’adoration à d’autres qu’à Dieu, y compris la tombe du Prophète Mohamed lui-même, abandonnée (en Arabie Saoudite) pour éviter qu’on aime l’homme plus que son message.

Moteur de la résistance, fourre-tout d’illuminés et de paramilitaires, c’est encore une fois l’islamisme qui va jouer dans l’intervention étrangère, étendard de ralliement. D’autant que contrairement au sexe ou à la religion, l’islamisme ne fait pas de distinction de race ou d’appartenance ethnique. Touaregs, Noirs ou Blancs, Songhaïs, Peuls, Berabiches, Reguibats, Toubous ou Arabes sont les bienvenus, pourvu qu’ils aient une arme (voire un arsenal) et une dent (voire un dentier) contre l’Occident. Une auberge espagnole, sans alcool et sans Espagne.

L’afflux des combattants étrangers

Ils étaient déjà présents avec l’arrivée des groupes de Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) dans les régions Sahélo-sahariennes et ont profité de la démission de l’État malien et de l’offensive des Touaregs du MNLA (indépendantistes) pour s’installer entre la boucle du fleuve Niger au Sud, le Niger à l’Est, la Mauritanie à l’Ouest et l’Algérie au Nord, pour y consolider leurs bases.

Mais depuis l’imminence de l’intervention internationale, les services secrets, qui observent en permanence la région, ont pu noter l’arrivée d’une nouvelle vague de combattants djihadistes: mauritaniens, nigériens ou algériens, mais aussi soudanais, yéménites ou saoudiens, et même nigérians de la secte Boko Haram, venus en renfort pour l’un des combats finaux entre Dieu et le Diable, même si dans certaines régions, ils semblent se faire tout petit en prévision de l’attaque.

Reste à définir le rôle à jouer de tous ces groupes qui évoluent dans ces zones grises: groupes du crime organisé, spécialisés dans la vente d’armes, le trafic de drogue ou la traite humaine, connectés aux groupes djihadistes, mais pas forcément avec l’envie de se battre contre le reste du monde. Dans tous les cas, c’est une Internationale, fixée pour combattre l’autre Internationale, dans un combat à l’air de déjà-vu, entre les forces du bien et du mal.

  • L’absence d’État

Comme en Afghanistan ou en Somalie, l’islamisme se greffe sur des zones désertées par l’État, par un processus de maturation en plusieurs phases, dont la première est de se relier, de s’allier et d’épauler les groupes du crime organisé ou de revendication politique déjà présents dans la région, puis de les ramener à eux en leur prêtant aide militaire, protection et assise internationale.

Mais en l’absence d’État et de règles claires, les groupes deviennent souvent rivaux. Comme en Afghanistan d’ailleurs, les forces étrangères partie prenante de l’intervention, vont s’appuyer sur le MNLA (Touaregs laïcs indépendantistes). La question du rôle de Ansar Dine (Touaregs islamistes, opposés à l’indépendance de l’Azawad), n’est pas encore définie, celui-ci préférant prendre ses distances avec le MNLA et Al-Qaïda, mais sans  condamner ni l’un ni l’autre, pour des raisons de survie.

Mais comme en Afghanistan encore, les liens tribaux vont jouer. Une partie des djihadistes pourra trouver refuge dans les pays voisins, au Niger, Mauritanie, Algérie, Libye et Tchad, où les États centraux ont du mal à intervenir dans leurs zones tribales, à l’image du Waziristan pakistanais, où Ben Laden vivait comme un panda protégé avant de finir comme un poisson sous l’eau.

  • Le relief

Contrairement à ce que l’on pense, le Nord du Mali n’est pas un désert plat où le moindre mouvement peut se détecter à partir de satellites ou de drones. En réalité, au-delà des grandes plaines sableuses au Nord du fleuve Niger, la région est un ensemble de montagnes, avec comme en Afghanistan, d’innombrables grottes (comme à Bouressa ou Okawan, marché d’achat d’armes) et de plateaux, regs caillouteux, mines de sels labyrinthiques (Taoudeni), collines (Tigharghar), vallées arides (Tilemsi) ou touffues (aux abords de l’Adrar des Ifoghas) ou de villes serrées comme Tombouctou et Gao, où il est relativement aisé de survivre caché.

De fait, et comme en Afghanistan, les bombardements aériens et les avancées au sol vont être compliquées par un terrain difficile que seuls les Touaregs connaissent bien. Si les djihadistes se préparent déjà, le MNLA (indépendantistes touaregs du Nord) va probablement jouer le rôle de l’Alliance du Nord afghane, et épauler, voire jouer les éclaireurs dans cette guerre contre Al-Qaïda et les mouvements djihadistes affiliés.

Les affrontements entre le MNLA et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique) ont d’ailleurs déjà commencé, rendus difficiles par l’immensité du territoire. En effet, on estime à deux millions de kilomètres carrés, soit quatre fois la surface de la France, la zone où se déroulera l’intervention des forces alliées.

  • L’armement

En plus de l’armement malien abandonné par l’armée au Nord (les 3/4 selon les experts), pendant les premières offensives du MNLA, les islamistes sont lourdement armés, présents sur le marché international dérégulé des armes grâce aux fonds essentiellement récupérés dans les prises d’otages (de un à 10 millions d’euros par tête) et le trafic de drogue (40% des drogues dures en provenance d’Amérique du Sud transitent par le Sahel pour arriver en Europe).

Mais depuis le démantèlement de l’armée libyenne, d’autres armes sont arrivées dans le Nord Mali. Contrairement au Niger, où les Touaregs kadhafistes n’ont pas pu rapatrier leurs armes, les Touaregs maliens qui opéraient dans les armées libyennes ont pu faire entrer leurs cargaisons en rejoignant le Mali. Si ces combattants démobilisés n’ont pas tous rejoint les troupes de l’AQMI, du Mujao ou de Ansar Dine, un nombre d’entre eux ont revendu leurs armes aux mouvements islamistes, la région étant complètement abandonnée, en proie au chômage et à l’inactivité.

Après une phase de nomadisme dans les régions sahélo-sahariennes, c’est dans cette région entre le massif de l’Ifoghas et les frontières des États voisins que les islamistes se sont constitués des bases et ont caché un stock impressionnant d’armes de tous types, lance-grenades, mitrailleuses avec visée anti-aérienne, fusils automatiques (près de 80.000 kalachnikovs sont disséminés dans le Sahel), munitions, grenades, explosifs (Semtex), ainsi que l’artillerie légère anti-aérienne montée sur véhicule (calibre légers bitubes), selon le rapport de l’ONU de 2012.

Ce sont ces dernières armes, canons aériens et antichars (RPG 7), missiles MILAN (livrés par la France à Kadhafi) et les soviétiques Strela-2 et SA-7 Grail, des lance-roquettes très légers qui peuvent atteindre des appareils volants à 1.500 mètres, qui font peur à tout le monde. Comme en Afghanistan, où les missiles américains Stinger avaient été distribués par l’armée US pour combattre l’Union soviétique, les redoutables missiles sol-air russes sont un véritable danger pour tout avion ou hélicoptère circulant dans la région.

L’utilisation de drones sera le principal atout des armées étrangères, avant une éventuelle intervention au sol, avec un coût déjà estimé à un milliard de dollars pour une année. On estime à 2.000 au jour d’aujourd’hui l’effectif des djihadistes, contre 3.300 pour l’instant, celui des armées étrangères. Si dans le désert, des parallèles peuvent se croiser, les dommages collatéraux sont imprévisibles. La géométrie et la théorie des chocs n’y sont pas une science exacte.

Chawki Amari

Source: SlateAfrique