Monthly Archives: May 2013
L´Édito du Calame : Seigneur de la coke, préservez-nous en !
Intervenant mercredi dernier, le 23 mai, dans un colloque organisé par l’opposition sous le thème « La Mauritanie est elle devenue un narco-Etat? », Dah Ould Abdel Jelil, ancien ministre de l’Intérieur sous Ould Taya, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Pour lui, un faisceau de preuves tangibles tendent à démontrer que notre pays est devenu, au fil des ans, une plaque tournante du trafic de drogue dans la sous-région. Rien qu’à voir les quantités saisies depuis 2007 – contre combien de tonnes passées entre les mailles du filet ? – la drogue sud-américaine en chemin pour l’Europe apprécie bel et bien notre route des sables. Il y a six ans, la première alerte était donnée avec le fameux avion de Nouadhibou, qui débarqua précipitamment sa cargaison interdite sur le tarmac de l’aéroport, avant de remettre les gaz et atterrir en plein désert. Victime d’une dénonciation. Jusque là, on ne parlait que d’un groupe de jeunes, subitement argentés, qu’on soupçonnait être tombés sur un filon… blanc.
La méthode, utilisée désormais par les trafiquants, qui n’hésitaient plus à traverser l’Atlantique à bord d’un petit avion alimenté en plein vol, et les quantités saisies ont fini par convaincre les autorités que le danger était bien réel. Ce qui n’empêchera pas tous les protagonistes de l’affaire de prendre la poudre d’escampette, à commencer par leur correspondant local. D’autres scandales défrayeront la chronique. Comme celle du français Walter Amegan, extradé du Sénégal, et ses complices. Ou celui de Lemzerreb, à l’extrême nord du pays, qui permit l’arrestation d’une trentaine de trafiquants et la saisie d’un camion rempli à ras-bord de chanvre indien. Amegan et ses amis seront libérés par un juge et l’on n’a plus jamais entendu parler des hommes arrêtés à Lemzerreb. Complicités ? Relations en assez hautes postures pour bénéficier de non-lieux, remises de peine ou grâce présidentielle ? Et en échange de quoi ? Questions sans réponses qui laissent le doute s’insinuer partout.
En fallait-il plus pour que Noel Mamère, le député Vert européen, saute sur l’occasion et accuse le président Aziz d’être un « parrain de la drogue dans la sous-région » ? Le parlementaire français reviendra sur sa déclaration, quelques jours plus tard, en tentant de minimiser sa portée mais le mal était déjà fait. Il a été assigné en justice. Une première audience, dite de procédure, a déjà eu lieu le mercredi 24 mai et le procès est fixé au 13 mai 2014.
A l’esclavage qui nous colle à la peau, il nous faut donc, désormais, associer le trafic de drogue. Quand le nom du premier d’entre nous y est mêlé, on ne peut plus y échapper. Surtout que, si l’on en croit certains médias, il aurait reçu, discrètement, des personnes nommément impliquées dans ce trafic au Mali et en Guinée-Bissau, comme le chef d’état-major des armées de ce dernier pays, véritable narco-Etat, inculpé, par l’administration américaine, pour son rôle dans ce commerce illicite. Et notre Président aurait, également, gracié des personnes plus que mouillées dans des affaires dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont louches.
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Prions pour que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve et que tous ces faits ne soient que de simples coïncidences. Qu’aucune grâce n’ait jamais été accordée. Que le président n’ait reçu que des responsables au-dessus de tout soupçon. Que toutes les personnes impliquées dans ce trafic soient encore en train de purger leurs peines. Et que les fameuses malles de Coumba Bâ ne contiennent rien d’autre que sa garde-robe. On ne sortira de l’auberge que lorsque toutes ces prières seront exaucées. Alors prions !
Ahmed Ould Cheikh-Le Calame
Flamnet-Agora : La déconstruction dans le combat des noirs mauritaniens
Depuis des décennies, les pratiques discriminatoires à l’encontre des noirs mauritaniens n’ont cessé de croitre, atteignant leur paroxysme vers la fin des années quatre-vingt. On savait déjà que la censure réveillait et stimulait l’envie de s’exprimer, la répression poussait à la révolte, la discrimination et la domination validaient le combat pour l’égalité, l’oppression invitait à la libération, bref toute action était le prélude à une réaction.
La mainmise totale sur l’économie du pays, le verrouillage administratif qui est devenu une arme d’exclusion, les exactions sommaires et extrajudiciaires dont les séquelles sont encore visibles, autant d’instruments de violence exclusivement détenus par une composante raciale minoritaire qui ont fini par diviser la Mauritanie, et la fracture s’alourdit jour après jour.
L’idée d’action nécessaire et conséquente en réponse à cette question de domination fut sans doute le manifeste du négromauritanien opprimé qui est la production intemporelle des FLAM. Le travail remarquable accompli au prix des vies et de l’exil a permis de sortir cette cause de longtemps occultée par l’Etat mauritanien pour l’étaler sur les forums internationaux. C’est une première phase de construction sans laquelle, je ne crois pas que les jeunes mauritaniens d’aujourd’hui, bien que confrontés à une dure réalité, auraient saisi le problème sous le même angle.
Mais comme toute lutte de libération ou toute revendication légitime si vous préférez, il y a une divergence d’idées quant aux méthodes et stratégies à adopter pour arriver au même objectif. En même temps qu’on s’élance dans la construction, le processus inverse de déconstruction se met en route. C’est une rude épreuve, en plus de celle qu’on endure déjà, à laquelle il faut faire face pour surmonter les risques d’explosion et la résignation.
Cette déconstruction n’a pas porté fruit tout de suite parce qu’elle s’inscrit dans la continuité de l’action de l’oppresseur par effet d’inertie opposée au mouvement de libération. Cependant, elle est nécessaire pour régler la question de leadership qui apparemment, est le casse-tête et la boite de pandores qu’il ne faut pas ouvrir. Elle a fini par morceler le groupe et disperser tous les candidats à la direction du mouvement, chacun partant avec le peu qu’il peut pour former son propre mouvement. Ainsi, l’avènement de la démocratie de façade instituée par Taya a vu naitre des partis d’opposition dirigés par des noirs. Ces partis d’opposition ont du mal à se faire entendre parce qu’ils sont constitués des mêmes noirs à exclure à tout prix.
Certes il y a de la volonté chez tous ces militants tantôt orientés vers les droits de l’homme, tantôt préoccupés par la seule question d’enrôlement, mais la faille est bien là, en ce sens que l’IRA ne peut pas devenir un parti politique basé sur l’abolition de l’esclavage qui n’est point une politique de gestion d’un pays, et TPMN qui est une réponse à l’enrôlement raciste n’est pas partie sur un programme politique dès le départ, même si par la suite son leader a dressé une liste de revendications qui vont dans le sens du règlement global de la question nationale. Encore une fois de plus, la déconstruction ne nous a pas été favorable même si elle a permis de mettre en place des structures visibles et actives sur le terrain, celles-ci se sont vite confrontées aux divisions classiques et des parallélismes ont vu le jour.
Le temps passe et le problème d’enrôlement raciste persiste. Les manifestations pacifiques ont montré certaines limites, alors il faut innover et explorer d’autres méthodes. La déconstruction s’avère une arme efficace si on la manie avec précaution. Longtemps soumis à la direction du collectif des associations, on s’est rendu compte que quelque part, un blocage existait mais on n’osait pas le pointer du doigt. La situation devenant chaotique, l’OTMF sort de sa coquille et organise une série de sit-in devant l’ambassade. En même temps, les jeunes intellectuels, sous l’impulsion de l’incontournable combattante Mariame Kane, s’organisent autour d’une structure appelée Commission Diaspora.
Il faut noter la présence dans toutes les manifestations initiées par l’OTMF et la Diaspora, de l’infatigable Amadou Dieng qui n’est pas là en tant que Secrétaire des FLAM mais un simple citoyen qui revendique ses droits, l’initiative d’organiser des sit-in devant le parlement européen que Ba Bocar a prise sans faire référence à son appartenance politique, et tant d’autres actions montrent une évolution positive de la déconstruction vers ce qu’on attend d’elle, sans toutefois remettre en cause l’ensemble des structures existantes avec leur légitimité historique.
Ainsi, les FLAM ont entrepris le retour au pays, Ba Mamadou est resté sur sa ligne de conduite traditionnelle, Ibrahima Sarr a quitté la majorité présidentielle et s’est montré tranchant dans ses discours, Kane Hamidou s’est aligné sur la même position que ses camarades des autres mouvements et partis d’opposition noirs, sans parler des articles d’intellectuels dont Sy Hamdou et Lo Gourmo, de jeunes s’exprimant en leurs propres noms, tout ce monde marche dans la même direction dans un ordre indescriptible où le désordre semble être une loi improvisée. Ce qui est en train de se reconstruire, résultat d’une déconstruction pacifique invisible si n’est par la multiplication des initiatives, est me semble-t-il, une lueur d’espoir qu’il faudra entretenir avec toute l’énergie dont on dispose, pour qu’un jour, dans ce pays, noirs et maures puissent vivre ensemble dans l’égalité des droits et des devoirs.
Ousmane Dia dit Samba
Paris-France.
Interpellation adressée au Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération par la députée Kadiata Malick Diallo
Monsieur le Ministre
Les ressortissants mauritaniens vivants à l’extérieur particulièrement en France sont confrontés à de graves problèmes liés aux conditions d’enrôlement qui leur sont spécialement imposées (exigence de présenter une carte de séjour) et à la notification par l’Ambassadeur de Mauritanie à Paris aux autorités préfectorales françaises de l’invalidité des anciens passeports alors même qu’ils sont incapables de se procurer encore les passeports biométriques. Cette situation fait courir à nos concitoyens des risques énormes de se retrouver en situation d’illégalité, de perte d’emploi et même de citoyenneté mauritanienne.
En conséquence, je vous prie Monsieur le Ministre de nous expliquer cet état de fait et de nous rassurer quant aux mesures que vous pourriez prendre pour mettre fin au calvaire de ces citoyens.
Développement de la question objet de l’interpellation
L’opération d’enrôlement des citoyens engagée depuis deux ans n’a pas fini de faire parler
d’elle du fait des conditions calamiteuses dans lesquelles elle a été engagée et poursuivie, provoquant énormément de contestations et de protestations qui ont engendrées même la mort d’un adolescent Lamine Mangane. Aujourd’hui encore beaucoup de citoyens continuent à se plaindre et à dénoncer les obstacles dressés devant eux pour se faire enrôler mais je repose cette fois-ci le problème sous-forme d’interpellation à cause des risques et des conséquences incalculables que cette opération fait courir à nos compatriotes vivant à l’extérieur, si on ne prend pas des mesures urgentes pour redresser la situation.
L’enrôlement a été entamé en France avec la tare congénitale de conception qu’on a toujours dénoncée qui consiste à considérer que personne n’est plus mauritanien et qu’il le deviendra seulement une fois qu’il se fera enrôler. Et comme il n’y a pas de procédure arrêté à laquelle tout le monde doit se soumettre, les conditions varieront en fonction du lieu d’enrôlement, du type de population à recenser et du responsable de l’opération. Vous vous rappelez sans doute qu’après beaucoup de critiques et de protestations au début de l’opération l’Administrateur Directeur Général a été obligé de venir à la télévision nationale et de présenter oralement une procédure en insistant sur le fait que tous les mauritaniens seront recensés et il les divisera en quatre catégories :
Ceux qui ont un acte de naissance et la carte d’identité issus du Ranvec ;
Ceux qui ont l’un ou l’autre des actes ;
Ceux qui ont les anciennes pièces d’Etat-civil (avant le Ranvec) ;
Ceux qui n’ont aucune pièce et qui seront identifiés à partir de leurs parents et proches.
Il est seul à savoir et à pouvoir décider à quelle période telle ou telle catégorie sera admise à l’enrôlement et malheureusement on parle beaucoup d’un durcissement de l’opération ces derniers temps.
En France, un seul bureau a été ouvert pas seulement pour toute la France mais pour toute l’Europe et les candidats à l’enrôlement sont obligés donc de venir de très loin et très tôt (à 4h ou 5h du matin) pour faire la queue. Les mauritaniens vivants en France feraient à eux seuls 20 000 à 30 000 et la commission n’enregistre pas plus de 40 personnes par jour. Je pensais sérieusement que le démarrage tardif de l’enrôlement à l’extérieur devait permettre une meilleure préparation de l’ opération mais j’ai été surprise de voir qu’on a fait que transposer à l’étranger les méthodes déjà difficilement acceptables ici, sans tenir compte des contextes très
différents (manque de temps, contraintes de travail, d’études, conditions atmosphériques rudes et de longues files d’attente, femmes et enfants compris occupant la voie publique avec ce que cela pose comme désagrément pour le voisinage) ; alors qu’on pouvait bien profiter du degré de développement et d’organisation de ces pays.
Il est par ailleurs exigé de chaque candidat de présenter en plus des actes demandés à l’intérieur du pays la carte de séjour délivrée par l’autorité du pays d’accueil (ce qui n’est pas demandé en Arabie Saoudite ou en Côte d’Ivoire par exemple).
Et au moment même où ces concitoyens se battaient contre ces conditions inacceptables, l’Ambassadeur communique aux autorités préfectorales françaises l’invalidité des anciens passeports. Est-ce que vous mesurez les conséquences d’un tel état de fait ? Impossibilité de se faire établir une carte de séjour et se retrouver dans l’illégalité et donc perte d’emploi dans les conditions de crise en Europe et pire impossibilité de se faire enrôler pour obtenir son état-civil et par conséquent perte de nationalité. Vous comprenez alors l’indignation et la colère de ces mauritaniens qui au lieu d’être aidé par les autorités de leur pays pour faire face aux énormes difficultés de l’exil sont ainsi maltraités par celles-ci malgré l’esprit d’ouverture dont ils ont fait preuve dans les négociations.
La question qu’il faut se poser est pourquoi leur exige-t-on la carte de séjour ? Est ce parce qu’on doute de leur citoyenneté mauritanienne ? Ou est ce pour attester comme on semble le dire que la personne réside bien à l’étranger ? Cette exigence est loin d’être pertinente pour l’un et pour l’autre cas. En quoi un acte établi par une autorité d’un pays étranger peut-il confirmer la nationalité de quelqu’un alors même que cet acte est délivré sur la base de l’acte national mis en doute ? L’enrôlement étant biométrique la résidence n’a plus d’importance. Alors Monsieur le Ministre la question est encore sans réponse pour moi. Il y a donc urgence à trouver avec nos ressortissants en France des solutions convenables et leur éviter des situations qui pourraient être dramatiques.
La question de fond, même si on ne l’a pas déclarée, semble être le doute qui pèserait sur certains d’avoir obtenu une autre nationalité qui leur ferait perdre la nationalité mauritanienne. On ne peut s’empêcher alors de demander pourquoi ce doute ne se porterait que sur les Mauritaniens installés en Europe et pas dans les autres pays.
Dans tous les cas cette situation repose pour les mauritaniens contraints de vivre à l’extérieur la possibilité d’avoir une double nationalité. En effet la loi sur la nationalité l’autorise de manière injuste parce qu’elle est obtenue par décret présidentiel (l’appréciation ainsi laissé au président permet d’accorder un avantage de cette importance à un tel et d’en priver un tel autre) au lieu d’être un décret avec des critères précis faisant respecter l’égalité des citoyens. Le problème de la constitutionnalité de la loi sur la nationalité mérite d’ailleurs d’être soulevé au Conseil Constitutionnel. En tout état de cause je pense qu’il est vraiment indispensable de réviser cet aspect de la dite loi pour corriger cette injustice d’abord et permettre ensuite à ces milliers de Mauritaniens qui se sacrifient pour vivre et faire vivre les leurs et qui contribuent de manière considérable au développement socio-économique de leur pays (l’essentiel de leurs revenus est transféré ici sous forme d’investissements, de transfert de devises etc.) et leur éviter des situation déplorables comme celle de ce compatriote tué récemment en Angola et qui n’avait plus sur lui des papiers mauritaniens.
En conclusion, je demande à notre auguste assemblée de prendre une motion demandant purement et simplement au gouvernement la suppression de l’exigence de la présentation de la carte de séjour qui est une pièce étrangère pour l’enrôlement de nos ressortissants en France.
Je vous remercie.
FLAMNET-AGORA: «Féodalisme» dans le Fouta : Ni tabou, ni occulté!
On peut se réveiller au crépuscule si l’on veut, mais croire que le jour commence à son réveil est une erreur!
Je suis tout à fait au navré de la campagne de certains milieux en Mauritanie consistant à fustiger le Fouta pour son prétendu « féodalisme »1 , mot qui n’a d’ailleurs aucune signification dans notre société. Peut-être qu’on veut parler du système des castes?
Notre drame aussi c’est d’être obligé d’utiliser des langues étrangères car nous sommes analphabètes dans nos propres langues! Un esclavage mental2 qui devrait aussi avoir ses combattants. A mon très humble avis…
Il y a beaucoup de gens qui se réveillent aujourd’hui croyant que le système de castes est tabou au Fouta. En fait c’est un débat qui est dépassé car c’était à l’ordre du jour pendant les années 70! Toute la jeunesse du Fouta a commencé à remettre en questions le manque d’égalité entre les castes et surtout le sort réservé aux Maccuɓe3 a été dénoncé de manière ferme. D’ailleurs toute cette nouvelle idéologie égalitaire a émergé dans les mouvements de jeunesse qui ont commencé à sensibiliser les masses notamment dans des pièces de théâtre, de la poésie et des chansons. Qui n’a pas entendu le fameux hymne « Yontii ummaade, yonta am ummo-ɗee, ñemmben adinooɓe, haɓetenooɓe sabu bone kalfiigu »4 , sur un air de « Eerooy eeraade5 « ?
Au début ce n’était qu’un slogan, mais l’action de la jeunesse pour sensibiliser, dénoncer devenait de plus en plus populaire dans les villages du Fouta. Mieux, comme la jeunesse est aussi la force du travail dans nos contrées, les anciens ont commencé à apporter leur soutien à ce mouvement naissant notamment en permettant aux jeunes filles de jouer dans des pièces de théâtre, en publique, ce qui était relativement impensable auparavant.
Le mouvement s’est amplifié avec la diversification des activités culturelles, mais aussi sportives. C’est l’époque où tous les villages se réunissaient pour créer un championnat afin d’organiser des rencontres de football l’après-midi et surtout une rencontre théâtrale le soir sur les thèmes les plus chers à cette jeunesse: le Macungaagu6 , le statut de la femme et l’apprentissage du Pulaar.
Le Macungaagu (état de servitude) est dénoncé par le célèbre slogan « dimo alaa, diimaajo woodaani, ndimaagu neɗɗo ko golle e balle »7 . Ces quelques mots étaient dans leur essence une quasi constitution anti-esclavagiste en ce qu’ils déclarent sans ambiguïté que la noblesse c’est seulement par les bienfait qu’on l’obtient. C’est une manière directe et poignante de dire aux dominateurs que leur position est usurpée car les règles du jeu « golle e balle » ne sont pas respectées!
Mais la jeunesse ne s’arrête pas aux mots. Elle passe à l’action en organisant la vie du village autour de cette force qu’est le « yontannde »8 . Désormais, il est interdit aux Maccube de revendiquer certaines tâches dans les cérémonies comme servir, égorger ou découper le mouton ou même faire la cuisine! Au début cela a crée une vive émotion dans les milieux Maccuɓe car c’est une source de revenus qui disparaît, mais aussi pour les Maccuɓe, leur rñole dans la socité allait s’en trouver dévalorisé. Mais la jeunesse n’en a cure. De plus les Awluɓe9 sont priés de rester discrets et de venir en tant que simples invités et d’ailleurs une amende est prévue pour toute personne qui donnerait de l’argent à un gawlo en dehors des « kinɗe »10 .
Des tensions ont été notées ça-et-là entre Maccube et mouvements de jeunesse, accusés de vouloir saper les traditions de ces familles entières qui affirment avec fierté leur appartenance à mouvance Gallunke! Mais la force de conviction de la jeunesse, qui puisait sa puissance dans la réalisation de diffétentes actions en faveur du bien être des villages va finir par prendre le dessus.
Il devient extrêmement hasardeux d’aller à l’encontre des idées de cette jeunesse qui, par un simple appel, pouvait faire échouer la construction d’un dispensaire ou le « coulage » d’un bâtiment en dur car elle seule a la force de fournir les bras nécessaires pour mener à bien ce genre de travail en un temps record. Je me rappelle aussi des fameux « ɗoftal » pour labourer les champs d’un chef de famille qui était soit âgé ou malade. Un appel est lancé la veille pour aller « accompagner » untel. Le lendemain matin, une horde de jeunes se rencontre derrière le village et s’ébranle en chantant vers les champs! En mois d’une heure, le champs est labouré dans la liesse et la bonne humeur. Souvent, on se garde bien d’alerter la personne qu’on allait aider pour éviter qu’il se sente dans l’obligation de préparer un toufam (zrig local), voire un repas.
Qui pouvait défier cette jeunesse anti-esclavagiste et pro égalitaire à l’époque? Personne!
Le statut de la femme devient une préoccupation centrale dans ce mouvement. Encore une fois, c’est le chant et les pièces de théâtre que la jeunesse trouve la meilleur forme de sensibilisation. « Suka debbo, puccu seeri e gubbal, humanee tinaani, seeree tinaani »11 devient un des slogans les plus populaires. C’est une dénonciation sans ambigüité du sort réservé à la femme: mariage forcé, répudiations abusives, excision. La plupart des chansons tournaient autour de la fierté d’être fille et l’hommage rendu à la maman. « Suka debbo ummo daro »12 . Nous croyons en toi et sans toi rien n’est possible disait-on parfois dans les chansons. Mais aussi, on appelait les parents à libérer les filles et à favoriser leur entrée dans le système scolaire au lieu d’en faire de futures assistées à la merci des hommes peu scrupuleux.
Pendant des années, les mouvements de jeunesse se multiplient dans le Fouta. Les rencontres inter-villages13 ont favorisé l’émergence d’autres mouvements et la jeunesse devient la force incontournable dans tout le Fouta.
Parallèlement à cette transformation de la société prônée et imposée par la jeunesse, l’apprentissage de la langue Pulaar est devenu la mode. Il y avait seulement quelques années qu’on nous vantait l’école, ses instruits et sa langue française, symbole de progrès et de savoir. Mais il a fallu d’ailleurs combattre les sceptiques qui éclataient de rire rien qu’à l’idée d’apprendre le Pulaar! Ceux se demandaient « mais pourquoi apprendre le Pulaar? » ont eu cette réponse cinglante de Ibrahima Moctar Sarr14 dans son fameux « Hol ko janngi Pulaar »15 . Ibrahima Moctar Sarr a joué un rôle crucial dans ce mouvement par la force des mots que la jeunesse puisait dans sa poésie. « Alla rokkunoo-mi ɗemngal »… Dieu m’a donné une langue… Pulaar kay ko ɗemngal… Si, le Pulaar « est » une langue16 ! Alors où sont ceux qui nous faisaientt croire que cette langue est vouée à la disparition, qu’elle ne sert ni à véhiculer le savoir, ni à gérer les avoirs! Que dire aussi de l’incontournable apport du plus grand évangeliste Pulaar de l’histoire, Murtuɗo Joop? Décidément, les mots peuvent avoir une puissance, une force qui inspire et qui pousse au changement. C’est pour cela que le Pulaar a fait un bon spectaculaire tant sur la plan de sa codification scientifique que son taux d’alphabétisation.
L’intérêt du Pulaar dans ce mouvement était double, voire triple. Apprendre pour tous! Personne ne pouvait être marginalisé car tout le monde peut apprendre quel que soit son origine dans la stratification sociale. D’ailleurs c’est ce qui prévaut jusqu’à présent dans les associations Pulaarophones. Mais aussi, les femmes ont trouvé dans le Pulaar un moyen formidable d’émancipation intellectuelle qui les mettait au même niveau que les hommes. Nous avons encore encore des preuves vivantes du succès de ces femmes que l’on considère aujourd’hui comme des modèles. Mais l’intérêt ultime que la jeunesse trouvait dans le Pulaar est tout simplement de montrer que notre société peut évoluer en étant enraciné dans son milieu, dans sa langue et son mode de pensée. Notre société peut évoluer d’elle même sans importer d’idéologies étrangères, fussent-elles évoluées. Elle peut surtout évoluer en privilégiant l’instruction, la recherche du savoir et la sauvegarde de son patrimoine par le développement de la langue, sans laquelle aucun développement n’est possible. Le ndimlaagu17 passe du golle e balle au ngenniyaŋkaagal, c’est à dire à la maitrise de la langue. Si Ibrahima Moctar Sarr a eu plus de succès dans les années 70 que tous les poètes qui écrivaient en français, langue qui excercait une écrasante domination à l’époque, c’est justement à cause de la présence de cette jeunesse qui mettait le Fouta avant tout, la langue avant tout. La langue pour tous sans discrimination, le sport pour tous sans distinction de caste, le statut pour toutes les femmes, sans distinction, voilà ce que la jeunesse de cette époque a initié.
Aujourd’hui, au moment où la langue Pulaar est entrée dans l’ère numérique avec le développement de logiciels18 , la sortie prochaine de Smartphones en Pulaar19 , le système d’exploitation Linux en préparation, si l’on ne parle pas beaucoup du problème des castes, c’est tout simplement parce que le Fouta a déjà fait sa révolution dans ce domaine. On est tout simplement passé à autre chose, à la vitesse supérieure, la vitesse numérique. Ce n’est pas un hasard si la langue Pulaar a connu cette percée dans les moeurs, les mentalités. Une certaine idée de l’égalité de la solidarité et du respect de l’autre est passé par là.
Si maintenant il y a des arriérés qui se sentent supérieurs eux autres, ce n’est pas le problème du Fouta, c’est le problème des arriérés. Pourquoi doit-on toujours prendre comme référence les mauvais pour juger le Fouta? Il y en a partout des attardés mais de grâce arrêtons de les prendre comme les représentants d’une société car ils ne le sont pas!
Et Dieu sait que je ne suis pas trop bavard mais je me sentais le devoir de recadrer un débat qui devenait vide et trop peu basé sur les faits.
Ibrahima Malal SARR
Président du Groupe PULAAGU (http://www.pulaagu.com)
Source:http://www.blog-pulaagu.com
Notes:
Mot souvent utilisé dans un contexte totalement différent de son origine. On remarque d’ailleurs l’absence de ce mot dans le vocabulaire des languages africaines! Je vous renvoie sur une discussion intéressante initiée par Kaaw Touré, porte parole des FLAM qui se demandait à juste titre ce que voulait bien signifier ce mot barbare. [↩]
Bob Marley nous invitait dans les années 80 de nous « émanciper de l’esclavage mental » [↩]
Anciens esclaves ou descendants notamment [↩]
Il est temps de te lever, ma jeunesse lève-toi, imitons nos anciens qui se sont battus contre la fléau de l’eclavage. [↩]
Chanson populaire du Fouta [↩]
Esclavage, servitude [↩]
Il n’y a pas de noble, il n’y a pas de moins noble, la noblesse, c’est les bonnes actions. [↩]
Jeunesse [↩]
Griots [↩]
somme donnée à chaque caste en guise de cadeau par la famille qui organise [↩]
La femme, victime d’injustice, mariée sans son accord, divorcée sans son accord. – Groupe Rénovation de Ndioum [↩]
Jeune femme, lève-toi et prends ton destin en main [↩]
Notamment sans tenir compte de la frontière car tous les villages des deux rives pouvaient participer [↩]
Homme pilitique et poète mauritanien, président du parti AJD/MR [↩]
Mais pourquoi diable apprendre le Pulaar? [↩]
Relayé par la voie de Baaba Maal plus tard [↩]
« Noblesse » [↩]
Claviers, navigateurs, traitement de texte [↩]
Firefox OS, le système d’exploitation de Mozilla pour Smartphones [↩]
Radio- Aeré Lao recoit les FLAM
Radio- Aeré Lao basée à New-York recoit le Camarade Mamadou Barry, Conseiller du Président des FLAM, ce jeudi 23 Mai a 16h, heure de New York.
Pour écouter Composez le 1415- 655- 0807 ou par Skype @ radiofulbe.
Pour participer composez le 1917- 386- 2143.
La lutte continue!
Amadou Thiam
Chargé de communication des FLAM-Amérique du Nord.