Flamnet-Agora : La déconstruction dans le combat des noirs mauritaniens
Depuis des décennies, les pratiques discriminatoires à l’encontre des noirs mauritaniens n’ont cessé de croitre, atteignant leur paroxysme vers la fin des années quatre-vingt. On savait déjà que la censure réveillait et stimulait l’envie de s’exprimer, la répression poussait à la révolte, la discrimination et la domination validaient le combat pour l’égalité, l’oppression invitait à la libération, bref toute action était le prélude à une réaction.
La mainmise totale sur l’économie du pays, le verrouillage administratif qui est devenu une arme d’exclusion, les exactions sommaires et extrajudiciaires dont les séquelles sont encore visibles, autant d’instruments de violence exclusivement détenus par une composante raciale minoritaire qui ont fini par diviser la Mauritanie, et la fracture s’alourdit jour après jour.
L’idée d’action nécessaire et conséquente en réponse à cette question de domination fut sans doute le manifeste du négromauritanien opprimé qui est la production intemporelle des FLAM. Le travail remarquable accompli au prix des vies et de l’exil a permis de sortir cette cause de longtemps occultée par l’Etat mauritanien pour l’étaler sur les forums internationaux. C’est une première phase de construction sans laquelle, je ne crois pas que les jeunes mauritaniens d’aujourd’hui, bien que confrontés à une dure réalité, auraient saisi le problème sous le même angle.
Mais comme toute lutte de libération ou toute revendication légitime si vous préférez, il y a une divergence d’idées quant aux méthodes et stratégies à adopter pour arriver au même objectif. En même temps qu’on s’élance dans la construction, le processus inverse de déconstruction se met en route. C’est une rude épreuve, en plus de celle qu’on endure déjà, à laquelle il faut faire face pour surmonter les risques d’explosion et la résignation.
Cette déconstruction n’a pas porté fruit tout de suite parce qu’elle s’inscrit dans la continuité de l’action de l’oppresseur par effet d’inertie opposée au mouvement de libération. Cependant, elle est nécessaire pour régler la question de leadership qui apparemment, est le casse-tête et la boite de pandores qu’il ne faut pas ouvrir. Elle a fini par morceler le groupe et disperser tous les candidats à la direction du mouvement, chacun partant avec le peu qu’il peut pour former son propre mouvement. Ainsi, l’avènement de la démocratie de façade instituée par Taya a vu naitre des partis d’opposition dirigés par des noirs. Ces partis d’opposition ont du mal à se faire entendre parce qu’ils sont constitués des mêmes noirs à exclure à tout prix.
Certes il y a de la volonté chez tous ces militants tantôt orientés vers les droits de l’homme, tantôt préoccupés par la seule question d’enrôlement, mais la faille est bien là, en ce sens que l’IRA ne peut pas devenir un parti politique basé sur l’abolition de l’esclavage qui n’est point une politique de gestion d’un pays, et TPMN qui est une réponse à l’enrôlement raciste n’est pas partie sur un programme politique dès le départ, même si par la suite son leader a dressé une liste de revendications qui vont dans le sens du règlement global de la question nationale. Encore une fois de plus, la déconstruction ne nous a pas été favorable même si elle a permis de mettre en place des structures visibles et actives sur le terrain, celles-ci se sont vite confrontées aux divisions classiques et des parallélismes ont vu le jour.
Le temps passe et le problème d’enrôlement raciste persiste. Les manifestations pacifiques ont montré certaines limites, alors il faut innover et explorer d’autres méthodes. La déconstruction s’avère une arme efficace si on la manie avec précaution. Longtemps soumis à la direction du collectif des associations, on s’est rendu compte que quelque part, un blocage existait mais on n’osait pas le pointer du doigt. La situation devenant chaotique, l’OTMF sort de sa coquille et organise une série de sit-in devant l’ambassade. En même temps, les jeunes intellectuels, sous l’impulsion de l’incontournable combattante Mariame Kane, s’organisent autour d’une structure appelée Commission Diaspora.
Il faut noter la présence dans toutes les manifestations initiées par l’OTMF et la Diaspora, de l’infatigable Amadou Dieng qui n’est pas là en tant que Secrétaire des FLAM mais un simple citoyen qui revendique ses droits, l’initiative d’organiser des sit-in devant le parlement européen que Ba Bocar a prise sans faire référence à son appartenance politique, et tant d’autres actions montrent une évolution positive de la déconstruction vers ce qu’on attend d’elle, sans toutefois remettre en cause l’ensemble des structures existantes avec leur légitimité historique.
Ainsi, les FLAM ont entrepris le retour au pays, Ba Mamadou est resté sur sa ligne de conduite traditionnelle, Ibrahima Sarr a quitté la majorité présidentielle et s’est montré tranchant dans ses discours, Kane Hamidou s’est aligné sur la même position que ses camarades des autres mouvements et partis d’opposition noirs, sans parler des articles d’intellectuels dont Sy Hamdou et Lo Gourmo, de jeunes s’exprimant en leurs propres noms, tout ce monde marche dans la même direction dans un ordre indescriptible où le désordre semble être une loi improvisée. Ce qui est en train de se reconstruire, résultat d’une déconstruction pacifique invisible si n’est par la multiplication des initiatives, est me semble-t-il, une lueur d’espoir qu’il faudra entretenir avec toute l’énergie dont on dispose, pour qu’un jour, dans ce pays, noirs et maures puissent vivre ensemble dans l’égalité des droits et des devoirs.
Ousmane Dia dit Samba
Paris-France.