Daily Archives: 26/10/2019
Jean de Gliniasty: «La Russie est de retour en Afrique, avec des préoccupations nouvelles»
RFI Afrique – « Non aux diktats politiques et au chantage monétaire », ont lancé en chœur Vladimir Poutine et ses 43 hôtes chefs d’État africains réunis les 23 et 24 octobre à Sotchi.
Jusqu’où la Russie peut-elle aller en Afrique ? Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou et ancien directeur Afrique au Quai d’Orsay.
RFI : Avec 43 chefs d’État à Sotchi, peut-on parler d’un succès pour Vladimir Poutine ?
Jean de Gliniasty : Incontestablement. Cela veut dire que la Russie est de retour en Afrique. Elle y avait été pendant toute la période soviétique. Il y avait une éclipse d’une dizaine d’années après la chute du mur. Et maintenant, ils sont de retour avec des préoccupations différentes. Elles étaient idéologiques du temps des Soviétiques (lutte contre le colonialisme, une volonté d’influence face au bloc de l’Ouest). Maintenant, les préoccupations russes en Afrique sont quand même à dominante économique.
Vladimir Poutine, n’a-t-il pas aussi du succès parce qu’il résiste aux Occidentaux ?
Je ne crois pas que l’Afrique soit dans un état d’esprit anti-occidental. Je crois que les dirigeants africains pensent que plus on est de fous, plus on rit et que mettre en concurrence la Russie avec la Chine, la Turquie, la France, les États-Unis, ça ne peut être que bon pour eux. Et en cela, ils ont raison.
Oui, mais tout de même, dans la déclaration finale, la Russie et les 43 chefs d’État et de gouvernement africains, dénoncent les « diktats politiques et le chantage monétaire »…
En ce qui concerne les « diktats politiques », bien sûr là vous avez tout à fait raison. Les Africains sont un petit peu exaspérés comme d’ailleurs pratiquement tous les pays du monde, il faut le dire, par les leçons de morale, les leçons de démocratie, les leçons de droit de l’homme, etc. Donc, tous ces gouvernements, dont certains d’ailleurs sont assez peu recommandables, sont tout à fait contents de voir que la Russie met l’accent sur le respect de la souveraineté et le conservatisme. Sur ce plan, il y a effectivement une position idéologique, ça c’est sûr. En ce qui concerne le « chantage monétaire », il y a convergence entre deux choses. Vous savez que les sanctions américaines sont extraterritoriales dès lors que vous touchez au dollar. Le système économique mondial est fondé sur le dollar à un tel point qu’il est très difficile de trouver des monnaies qui vous permettent d’échapper à l’extra-territorialité des sanctions américaines. Donc, il y a chantage monétaire et en ce sens, et ils en ont parlé à Sotchi, comment échapper à la monnaie dollar pour faire du commerce ? Et puis, il y a, il faut le dire, un petit coup de patte à la zone CFA, au franc CFA. Mais la France soutient la création d’une zone monétaire ouest-africaine. C’est plus dirigé contre le dollar que contre le franc CFA.
Lors de ce sommet, le président du Burkina Faso, également président du G5 Sahel [Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, NDLR], Roch Marc Christian Kaboré, a invité la Russie à rejoindre le pacte pour la sécurité au Sahel qui a été lancé lors du G7 de Biarritz il y a deux mois par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Mais la Russie a pourtant été expulsée de ce G8 devenu G7 il y a cinq ans.
La Russie a été expulsée suite à l’annexion de la Crimée et à la crise dans le Donbass. Il est question de l’y faire rentrer. Je ne suis pas sûr d’ailleurs du tout que la Russie souhaite y rentrer. En tout cas, tant notre président français que Trump il y a un moment, et même à plusieurs reprises, ont envisagé de faire rentrer les Russes. Donc en fait, l’initiative sur le Sahel, c’est de dire qu’il faut un peu partager le fardeau. D’abord, je constate que dans la presse russe, pour l’instant on n’en parle pas. Ce qui veut dire que les Russes réfléchissent, que la ligne n’a pas encore été fixée si je puis dire. En tout cas, je n’ai rien trouvé ce matin dans la presse russe. Sur le fond, il n’est pas exclu que Français, Allemands et autres trouvent un modus vivendi. Je me souviens que les Russes étaient intervenus et tout le monde souhaitait qu’ils le fassent. Au moment de la crise tchadienne, c’était Eufor Tchad il y a une dizaine d’années. Ils avaient fourni des hélicoptères et tout le monde sait que les opérations de maintien de l’ONU sont en grand besoin d’hélicoptères. Donc c’est clair que la lutte contre le terrorisme Aqmi-Boko Haram, tout cela, c’est un sujet de préoccupation où les Russes et les Occidentaux, et la France en particulier, peuvent se retrouver. Mais enfin, il faut voir le détail et le diable est dans le détail.
Et les soldats de l’opération Barkhane sont déjà transportés d’Europe en Afrique par des gros porteurs russes ?
Oui. Mais ce sont des firmes privées. Ce sont des gros porteurs russes, d’ailleurs souvent ils sont Ukrainiens, les moteurs, les avions : l’Antonov 24, puis les gros… Mais ce sont des boîtes privées qui gagnent de l’argent comme ça.
Et peut-on imaginer un jour des instructeurs russes, voire des soldats russes, dans les opérations au Sahel ?
Les formateurs y sont déjà, au Mali notamment. Donc les formateurs, je pense que oui, il y en a beaucoup en Afrique. Des troupes ? Je ne pense pas, mais en revanche on sait que les mercenaires Wagner, les groupes privés de combat, sont présents souvent en Afrique. De toute façon au Sahel, rien ne se fera sans l’accord de la France. Donc les Russes négocieront avec nous les conditions de participation. C’est l’objet d’une négociation. Je ne suis pas sûr que les Français, les Américains seront enchantés de cette montée en puissance russe. Mais ils devront s’en accommoder dès lors que les pays du G5 y sont favorables.
Au début de ce mois, les ministres français Jean-Yves Le Drian et Florence Parly sont allés voir leur homologue russe à Moscou pour parler coopération diplomatique et militaire. Ont-ils parlé du Sahel ?
Sans aucun doute, oui. Je ne sais pas exactement ce qu’ils ont dit, mais ils ont passé en revue toutes les crises, et notamment sous le chapeau lutte contre le terrorisme, contre le jihadisme, etc. La question du Sahel a été abordée.
► Jean de Gliniasty, auteur de « La diplomatie au péril des valeurs », éditions L’Inventaire.
RFI
Mauritanie : premiers tests de Ould Ghazouani sur les droits de l’homme
Les deux bloggeurs mauritaniens libérés en juin dernier après une détention de quelques mois reviennent sur la sellette avec la requête des Nations-Unies pour une enquête sur les circonstances de leurs détentions arbitraires.
Un gros caillou dans la chaussure du président mauritanien à l’époque ministre de la défense. Abderrahmane Weddady et Mohamed Jiddou sont entrés dans l’histoire des bloggeurs les plus célèbres en Mauritanie et au-delà des frontières pour avoir révélé des scandales immobiliers qui pointaient l’ancien président et ses proches.
L’ancien journaliste et l’ancien conseiller juridique se sont retrouvés en prison sans mandat d’arrêt et sans être informés des motifs de leur arrestation.
Grâce à la pression de la communauté internationale notamment les organisations internationales et nationales des droits de l’homme, Reporters Sans Frontières et Amnesty International, les deux bloggeurs sont libérés en juin dernier.
Mais cette libération ne met pas fin complètement la procédure engagée par les autorités de Nouakchott. Pour mettre fin à cette parodie de justice des experts des Nations relancent cette semaine cette affaire qui a secoué les mauritaniens avant les présidentielles pour demander une enquête indépendante sur les circonstances de leurs arrestations arbitraires.
Les experts indépendants onusiens entendent blanchir les deux bloggeurs et punir les responsables. U
n gros caillou dans la chaussure de Ould Ghazouani qui a fait des droits de l’homme son nouveau cheval de bataille pour corriger toutes les violations de son prédécesseur avec la création d’un commissariat chargé des droits de l’homme et des relations avec la société civile. La balle est dans son camp pour répondre positivement à cette requête de l’ONU.
Cherif Kane
Petit Mauritanien. Par Pr ELY Mustapha
Pr Ely Mustapha– Je ne sais si, dans vingt ans, tu liras cette lettre mais je ne souhaite qu’une chose : que tu la lises dans une Mauritanie prospère et fière de son passé et sûre de son avenir.
Petit Mauritanien,
Aujourd’hui, tu as cinq ans. Et je te regarde gambader sur tes frêles jambes et je m’interroge…
Je m’interroge sur ce que te laisseront les générations d’aujourd’hui et sur le poids que déjà te font supporter celles d’hier.
Que vont-t-elles te laisser en héritage ?
De quelque côté que je me retourne, je ne vois que la désolation d’un sous-développement orchestré.
Tes airs de jeux sont des dépotoirs à ciel ouvert. Une capitale en ruine noyée dans les immondices où les routes sont des nids de mort où rugissent des tacots branlants à tombeau ouvert. Des nids de désespoirs producteurs de handicap et pourvoyeurs de gémissements d’accidentés qui peuplent les lits à descente de nos hôpitaux insalubres.
Ton univers d’écolier est une aire de non-savoir. Une école où l’instituteur, prophète de jadis, est devenu, dans une société sans repères, l’icône de l’ignorance et le pôle de l’irrespect. Vivant en dessous du seuil de subsistance et s’accrochant à qui mieux mieux aux haillons d’une société qui a rangé le savoir aux rayons de l’inutile.
Ecoles que l’on vend pour achalander des boutiques et troquer le savoir contre la contrebande.
Qu’aurais-tu appris, mon enfant, dans ce miasme éducationnel sinon à prendre le chemin de la délinquance ?
Qu’auras-tu reçu en héritage de tes pères ?
Ils ont pillé le pays et ses ressources. Ils ont laissé un pays exsangue où des milliers de citoyens végètent dans une pauvreté criante dans des bidons-villes aux relents de misère instituée. Des communautés entières vivant de vent et d’espoir et que déciment en silence la soif, la faim et la maladie.
Ils ont déjà contracté tellement de dettes qu’ils ont hypothéqué ton avenir. De l’endettement tout azimut, ils en sont devenus les maîtres. Maîtres du prêt-à-voler. Ils t’ont mis en gage ainsi que les générations à venir.
Petit Mauritanien,
Je sais que tu ne comprendras pas pourquoi sur une terre d’Islam tant d’hommes et de femmes ont pillé les ressources de la communauté. Comment ils ont appauvri leur pays et hypothéqué ton avenir. Comment ils ont créé la ségrégation entre toi et ton frère au nom de leur désir de pérennité. Te laissant ainsi supporter le schisme social de leur bêtise raciale.
Tu te demanderas si les vrais préceptes spirituels et moraux de l’Islam furent l’une des préoccupations de nos gouvernants ou qu’ils les ont exploités à leur compte et tu n’auras pas tort.
Tu ne comprendras pas pourquoi, un peuple asservi continue à élire ceux-là même qui sont la cause de sa misère. Et que se cooptant entre-eux, ils entretiennent des dynasties voraces qui se perpétuent par la force comme au temps des monarchies absolues.
Tu ne comprendras pas pourquoi avec notre culture millénaire afro-arabo-berbères, nous n’arrivons pas à nous créer une identité propre, riche d’un tel d’apport civilisationnel. Et qu’au contraire nous avons épuisé nos énergies en entretenant les divisions sur la tribu, l’ethnie, la race et les langues et qu’au final nous sommes devenus des ilots d’intolérance, de repliement et de méfiance. Ilots qu’illustrent si bien nos communautés qui se fuyant les unes les autres, créent leurs propres quartiers pour s’y isoler.Â
Une nation d’isoloirs, dans une camisole de force.
En somme une folie de laquelle cette nation ne s’éveillera pas malgré les (électro)chocs qu’elle a subis tout au long de son existence. De la déportation de ses enfants à leur mise à mort, de la ségrégation à l’esclavage, de l’exil à l’oubli, tant de chocs qui ne semblent pas l’avoir alarmée sur les affres de son destin.
Que vont-t-ils te laisser en héritage ?
Un Etat fragilisé par la culture de l’intérêt personnel, du clanisme et la corruption dans lequel demain tu ne seras peut-être qu’un maillon qui perpétuera la chaine.
Tu ouvriras les yeux sur un pays aux ressources naturelles épuisées où le sable, aux pieds nus, est une braise et le soleil, sans toit, un enfer. Car ils auront tout emporté dans leur voracité jusqu’à la dernière sardine de côtes jadis prospères de ton pays.
Depuis des dizaines d’années que les richesses de ton pays sont exploitées, elles n’ont jamais contribué à un développement durable.
Tu ne pourras compter ni sur un tissu industriel d’envergure, ni sur une production nationale compétitive sur les marchés internationaux, ni sur une technologie exportée, ni sur un savoir-faire qui aurait fait notre fierté nationale ou internationale. Rien.
On ne t’aura laissé, en pillant tes richesses, que du vent. Un pays comptant parmi les pays les plus pauvres du monde ayant un indice de développement plus bas que le niveau d’une mer qu’ils auront exploitée à outrance et pollué à satiété.
Aujourd’hui je te regarde et le sourire innocent que tu m’adresses fait mal et j’y mesure toute l’ampleur de l’injustice que l’on te fait.
Je ne sais si en lisant, dans vingt ans, cette lettre, au moment où peut-être je ne serai plus là, tu aurais eu droit, toi et tes enfants, à une école studieuse, à un cadre de vie sain à un travail épanouissant et à une vie heureuse dans un pays développé.
Je ne saurai le dire. Mais je le souhaite vivement. Bien qu’au moment où j’écris cette lettre, j’ai un doute profond en cela.
Non, pas un doute en ce que notre pays puisse se redresser un jour et t’offrir une vie heureuse à laquelle tu auras généreusement contribué par ton savoir, tes efforts et ton travail, mais un doute quant à l’ampleur du sacrifice qu’il faudrait consentir par une société minée par les non-valeurs.
Et si la pauvreté peut se résorber et l’économie se redresser, en un jour par la volonté des hommes, il reste que les valeurs humaines (celles de la droiture, de la vérité, de l’intégrité, de l’honneur) sont le fruit d’une évolution socio-culturelle, éducative et spirituelle qui demande des générations pour s’enraciner dans la société.
Nous sommes encore au début d’un changement dont, s’il est une continuité, tu souffriras encore dans vingt ans et au-delà.
Petit Mauritanien,
L’espoir est permis que demain soit meilleur qu’aujourd’hui ; et toutes les bonnes volontés de ce peuple œuvrent à cela.
Mais si cela n’était pas le cas, sache au moins dans ta misère future, dont nous sommes responsables, que nous étions dans le passé plus misérables que toi. Et que si nous ne t’avons rien laissé en héritage, c’est que nous étions encore moralement plus méprisables. Un épisode à gommer de l’histoire des peuples.
Récrée-toi une Nation nouvelle. Et ne te retourne pas.
Pr ELY Mustapha