Daily Archives: 06/11/2018
Système de caste en Mauritanie
Le 23 octobre 2018, à Nouakchott, dans l’un des appartements de location de l’immeuble Sahraoui, commune résidentielle de Tevragh Zeina, le jeune Mohamed Lemine Ould Khalifa Ould Eyde, meurt des suites de coups et blessures volontaires, à l’arme blanche.
Les premières constatations de la police imputent l’acte à Limam Touhami, beau-frère du susdit. Blessé, la veille, la victime restera séquestrée, jusqu’à perdre connaissance. Durant 20 heures, les auteurs de l’homicide s’appliqueront à lui prodiguer, in situ, des soins sommaires, pour éviter le scandale.
Le lendemain, à 16 heures, l’infirmier qui tentait de le maintenir en vie – un proche parent du meurtrier – décide de faire transporter Ould Eyde, à la clinique Kissi où il décède. Ce dernier avait épousé, en mésalliance, Roughaya Mint Touhami, de la tribu guerrière des Oulad Ahmed, à cheval entre les régions du Brakna et du Trarza.
Ould Eydde, lui, descend d’une prestigieuse lignée de griots (Igawen), un groupe que les Maures, cependant, réputent inférieur par la naissance. L’union subversive suscitait des tensions au sein de l’entourage familial, d’autant que les conjoints résistaient à toutes les pressions les incitants à se séparer.
La veuve et son frère, aussitôt écroués pour les nécessités de l’enquête, plaident l’accident, consécutif à une altercation. Les témoins, en majorité, confirment le piège, donc la préméditation. Une vidéo, en Arabe, interroge l’évènement : cliquer ici
Depuis, des réunions de tribu se succèdent pour entraver la chaine pénale, dans le cadre du prix du sang (Diya). La formule d’impunité permet d’occulter la demande de justice, sous des considérations immémoriales de « redevabilité » mutuelle dans l’épreuve, un processus de substitutions aux représailles, par le jeu combiné de la solidarité et de la compensation matérielle. La société maure y recourt, souvent, en marge de l’Etat et des lois. Le procédé permet d’empêcher la vendetta ; ainsi s’exerce-t-il aux dépens du droit, qu’il contourne et vide de sa vocation.
IRA – Mauritanie rappelle, ici, que les hiérarchies héritées marquent encore la mémoire primitive, aussi bien des arabo-berbère que des négro-africains, même si la réaction s’avère moins radicale parmi les seconds.
Le sentiment de supériorité génétique façonne le présent des rapports humains, au point de contrarier, voire d’interdire la faculté, pour un homme, d’extraction modeste, d’épouser une fille d’un degré de noblesse plus élevé. Bien entendu, les entorses et infractions à l’usage se multiplient mais se paient parfois au prix de la vie quand l’intimidation et les privations ne produisent l’effet de dissuasion escompté.
L’impunité de telles atteintes à l’intégrité du corps et de la vie constitue l’épilogue mécanique au crime d’honneur, commis pour préserver la pureté de la généalogie. D’ailleurs, des jurisconsultes musulmans s’évertuent, dans de rares cas, à auréoler la pratique d’une caution religieuse.
Il convient, aussi, la banalisation quasi-prévisible d’une « bavure » dont trépasse un noir d’ascendance subsaharienne, en particulier un rejeton d’esclave, comme l’illustre l’élimination de Mohamed Ould Matalla, le 12 juin 2018, par une patrouille de police, à Nouakchott. Selon le Ministre de l’Intérieur Ahmedou Ould Abdallah, une crise cardiaque explique sa mort dans un commissariat, au cours de la garde-à-vue.
Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste en Mauritanie
Nouakchott, le 5 novembre 2018
le calame
Hommage au Pr. Lô Gourmo
La dernière sortie de mon éminent collègue, le professeur Lô Gourmo a, comme on pouvait s’y attendre, fait des vagues. Et quelles vagues ?
Pourtant, tant dans son contenu que dans sa forme, son propos ne comporte aucune nouveauté puisqu’il n’a fait que répéter ce que beaucoup martèlent depuis des décennies. Donc si son écrit, puis sa vidéo ont suscité autant de bruit, c’est bien parce que celui qui a souligné le caractère raciste et anti négro-africain de l’Etat mauritanien et du gouvernement qui l’incarne, s’appelle Lô Gourmo et non Samba Thiam, Ibrahima Moktar Sarr, Ba Mamadou Alassane, Kaw Touré, Alassane Dia et bien d’autres voix progressistes encore !
Car, faudrait-il le rappeler, depuis la publication du « manifeste du Négro-mauritanien opprimé » par les Forces de Libération Africaine de Mauritanie (FLAM) en 1986, plusieurs générations de négro-africains n’ont cessé de dénoncer l’exclusion dont faisait l’objet leur communauté et d’appeler à un débat national pour refonder notre pays sur des bases égalitaires et justes.
Malheureusement, excepté le sage Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui avait, avec courage et sincérité, amorcé ce virage salutaire (journées de concertations au Palais des Congrès, retour organisé des déportés…), tous les autres régimes n’ont fait que consolider l’hégémonie de la communauté arabe sur les communautés noires de Mauritanie. Et lorsque des patriotes sincères osent indexer cette infamie, au lieu de les écouter, la réaction de ceux qui nous gouvernent et de leurs suppôts est toujours la même : les traiter de « communautaristes », de « racistes » pour ne citer que les qualificatifs les moins sévères. Ainsi, de l’avis de ces extrémistes de la droite radicale, ce ne sont pas ceux qui exercent le racisme qui sont racistes et donc coupables, mais ceux-là qui, révoltés de subir l’exclusion dans les instances de leur pays, lèvent la voix pour réclamer l’égalité, la justice.
Qui peut encore aujourd’hui nier l’existence du racisme d’Etat lorsque depuis plusieurs décennies, au sein de tous les gouvernements, les Négro-africains qui représentent plus de 35 % de la population de la Mauritanie occupent à peine les 1/5 des postes du gouvernement ? Aux échelles inférieures (secrétariats généraux, directions et chefs de services, gouverneurs, préfets, directeurs de sureté, commissaires et autres) leur représentativité s’amenuise au point qu’elle devient quasiment inexistante.
Qui peut valablement nier l’instauration de ce système d’apartheid qui ne dit pas son nom lorsque aucune langue négro-africaine n’est officialisée encore moins enseignée alors que l’expérimentation de l’enseignement du poular, soninké et wolof a été réalisée avec succès par le défunt institut des langues nationales ?
Qui a encore l’outrance de nier que les communautés négro-africaines sont exclues des sphères de la vie publique lorsque sur plus de six (6) autorisations de diffusion octroyées à des télévisions, et six autres à des radios, aucune n’est donnée à un Négro-africain, malgré de nombreuses demandes ? Et Pourquoi ?
Que dire des promotions qui sortent de nos écoles militaires, sorties à l’occasion desquelles, les dirigeants n’éprouvent plus aucune gêne à afficher des photos où les seuls rejetons de la communauté arabe posent fièrement comme si la Mauritanie était faite à 100% d’Arabes !
Monsieur ould Maham, le tout nouveau dépositaire de la langue de bois, et sacrosaint porte-parole du gouvernement, a beaux nier ces réalités mais les faits sont têtus.
C’est donc la situation calamiteuse que nous vivons qui a poussé les plus patients d’entre nous à laisser sortir ce cri dont on sent bien qu’il a été longtemps contenu pour se conformer à certaines convenances, pour éviter de blesser des camarades, pour ménager l’autre en espérant qu’il se rende compte par lui-même que la blessure qu’il inflige est de plus en plus insupportable.
L’ancien ‘’Kadihine’’, idéologue du Mouvement National Démocratique (MND) et enfin éminence grise de l’UFP espérait peut-être ne jamais avoir à en arriver là. Si seulement ses amis Arabes, auprès desquels il chemina si longuement dans un combat commun, avaient su l’observer, le lire en lisant entre ses lignes depuis toutes ses années, ils se seraient alors rendus compte que leur frère d’arme souffrait, souffre énormément de cette lutte intérieure qu’il livrait en lui-même, pour que le cri de colère qui, en lui sourdait, ne perçât, tout à la fois déchirant et terrible.
S’ils avaient deviné le malaise ontologique de leurs indéfectible camarade, peut être auraient-ils crié à sa place et lui auraient-ils évité cette hypertension nerveuse et au-delà lui, auraient-ils évité à la scène politique mauritanienne cette polarisation dangereuse dans laquelle elle s’engage à présent. Mais le regard fixé ailleurs, ils n’ont pas vu que leur « frère » souffrait, souffrait…
Aussi contrairement à beaucoup qui accusent l’éminent professeur et avocat d’avoir employé trop tard les bons qualificatifs pour décrire le racisme institutionnalisé en Mauritanie, moi je voudrais juste lui rendre un hommage que je veux le plus vibrant. Oui, cher collègue et aîné, mieux vaut tard que jamais. Aussi je vous prie d’agréer, par ces modestes lignes l’expression de la gratitude qui m’anime.
Pr. Mamadou Kalidou BA
Nouakchott le 05/11/2018