Daily Archives: 24/10/2018
La communauté Bidhane prisonnière de l’esclavage
Notre avenir, en tant que « communauté Bidhane », dépendra, dans une large mesure, de ce que nous aurons fait pour que les anciens esclaves acceptent de nous pardonner.
Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, aux yeux de certains, l’avenir de cette communauté demeurera menacé aussi longtemps que sévira l’esclavage et ses séquelles, en Mauritanie. Le phénomène de sclérose qui entame son unité, sociale et politique, est de plus en plus évident et puise sa force dans des sources intarissables. Bâtie sur un socle d’inspiration « guerrière», puis « maraboutique », puis des deux, cette communauté a toujours tenté de dominer les autres (communautés), principalement d’origine négro-africaine, revendiquée ou tue, d’abord par le fusil, puis par le Livre, puis, économiquement, par la boutique.
Lequel socle, qui a longtemps résisté aux secousses, limitées, des « dominés », se fissure de plus en plus, sous la poussée de la démocratie dans le monde, exigeant plus d’égalité et de justice.
Longtemps « bernés » par une certaine vision de la démographie, nos « leaders » n’ont jamais pensé que la somme des « minorités » pouvait, un jour, égaler, ou dépasser, celle d’une » majorité », rarement vérifiée. Jusqu’au jour où…les compteurs furent déplombés.
Une minorité parmi d’autres
Trois événements majeurs intervenus en Mauritanie entre 1984 (début du pouvoir Maaouya) et 2007 (élection démocratique d’un Président civil), ont remis en cause les « équilibres » traditionnels et le positionnement sociopolitique des différentes communautés ethniques qui composent la population du pays.
Il s’agit de ce que l’on appelle communément « le passif humanitaire » né des « évènements de 86-91 », de l’ouverture démocratique (multipartisme et liberté de la presse) et la radicalisation des courants Haratines (anciens et nouveaux).
L’objectif ici n’est pas de revenir sur l’analyse détaillée de chacun de ces évènements, mais, plus modestement, de tenter de « repositionner », la communauté Bidhane, la mienne, sur ce nouvel échiquier, en perspective d’un Etat-Nation où toutes nos communautés trouveraient leurs justes places.
Comme je l’ai annoncé plus haut,, mon souci premier est de contribuer à faire prendre conscience aux composantes de cette communauté, qu’elle ne peut, désormais, se maintenir et se développer, qu’en reconnaissant (en restituant ?) aux autres (communautés) leurs droits et leurs spécificités historiques, culturelles et démographiques.
Cette démarche, ce devoir, devrait, en premier lieu, viser l’ensemble Haratines, dont l’identification, culturelle et ethnique, est complexe, tant son imbrication dans toutes nos communautés est profonde.
J’avais, dans un malheureux essai, écrit en 2007, sous le titre de « Yessar, de l’esclavage à la citoyenneté », tenté de sensibiliser l’opinion sur les torts et souffrances endurés par cet ensemble, sans grand succès, hélas ! A l’époque, j’étais moins « communautariste » et j’avais moins peur.
Les Haratines, cheville-ouvrière de la société Mauritanienne
Pour introduire ce chapitre, je propose, en partage, l’image que donnait (Allah Yari7mou) Kane Saïdou, socio-anthropologue Mauritanien, des Haratines : « communauté en transition, les Haratines se donneront contradictoirement, par leur spécificité même, un rôle unificateur bénéfique. Non seulement à toute la Mauritanie, mais à toute la région.
Sauf si, pris par le vertige de leur force montante, ils commettent l’erreur de ne pas jouer entre les communautés nationales le rôle qui doit être le leur : le véritable trait d’union entre deux communautés transitionnelle exprime, en effet, très clairement et mieux que toute autre, la nature complexe des rapports actuels entre Maures et Noirs ».
Nous savons tous que depuis la nuit des temps, la quasi-totalité des tribus Bidhanes, qu’elles soient « Arabes ou « Berbères», ont soumis à l’esclavage nombre de leurs concitoyens, regroupés aujourd’hui, sous le vocable « Haratines ».
Nous savons tous, également, que cet abominable crime, « importé » par les Berbères et les Arabes, séparément, lors de leur arrivée dans l’espace géographique de ce qui allait s’appeler la Mauritanie, est à la base de la survie, de la richesse et du « prestige » de nombreuses familles Bidhanes, qui ont fait la pluie et le beau temps, tout au long de l’histoire de la Mauritanie.
Il aura fallu que la Mauritanie indépendante, candidate au statut de membre de l’organisation des Nations Unies, souscrive aux grands principes d’égalité et de justice entre les hommes, et notamment, à la déclaration universelle des droits de l’homme, pour que le mot « esclaves » trouve une place officielle dans le vocabulaire de l’Administration publique.
Et c’est ainsi que les premières actions de lutte politique contre l’esclavage, initiées par des descendants d’esclaves, en Mauritanie, virent le jour, au milieu des années 60, du siècle dernier, presqu’en même temps que l’émergence de mouvements nationalistes Arabes et Négro-Africains, autour desquels se sont cristallisées les premières cellules de contestation et d’opposition, au pouvoir central d’alors.
Entre ces deux nationalismes (chauvin et étroit), la mouvance Haratine a eu beaucoup de mal à se frayer son propre chemin et à identifier ses partenaires stratégiques.
Au cours de cette phase d’hésitation, deux groupes ont pu émerger du lot : « Akhouka El Hartani » (ton frère), qui n’a pas fait long feu et « El Hor » (Le libre), qui, de par son nom, évoquait déjà l’idée de la lutte pour la liberté et qui peut être considéré, aujourd’hui, comme le précurseur de la lutte pour l’auto-émancipation des Haratines en Mauritanie.
Ce mouvement, dont les leaders ont été considérés, tantôt comme opposants au pouvoir et « traités » comme tels, tantôt intégrés, comme hauts fonctionnaires dans les différents corps de la fonction publique, a largement contribué à l’éveil politique et la prise de conscience de « classe » parmi les travailleurs et la jeunesse Haratines.
L’APP, El Moustaghbel, et dans une moindre mesures El Wiam, sont aujourd’hui des partis politiques, à majorité Haratines, qui se partagent entre l’opposition dite radicale et celle dite « dialoguiste ».
Moins « politiques », mais pas moins actifs, l’ONG « SOS-Esclaves et « El Mithagh », sont des membres actifs des organisations de la société civile, qui se battent pour les droits de l’homme et en particulier contre l’esclavage et ses séquelles.
IRA, l’enfant prodigue de la mouvance Haratine, navigue entre le statut d’ONG et celui de parti politique, non reconnus tous les deux, s’implante davantage en Europe et aux USA.
C’est, forts de ces acquis politiques remarquables, et d’une supériorité démographique patente, malgré l’absence de toute statistique officielle, que le Mouvement Haratine est en train de se frayer un large chemin au sein du paysage politique Mauritanien, dans lequel il évolue désormais comme « un poisson dans l’eau ».
Vont-ils (les Haratines), pour autant, réussir à fédérer leurs différentes franges et à mutualiser leurs efforts, pour consolider leurs acquis politiques incontestables, et une expérience si riche, afin d’en récolter les dividendes, juridiques et économiques, qui constituent l’essence-même de leurs luttes ?
Face à ses questions, il est important d’essayer d’identifier les obstacles qui se dressent encore sur le chemin de l’extinction totale de l’esclavage, y compris la « résistance » de la communauté Bidhane, à travers ses deux composantes : l’Etat et les structures féodales traditionnelles
L’arsenal de domination et les techniques de résistance
Pour ceux qui l’auraient oublié, l’objectif de ma démarche est de contribuer à « sauver » la communauté Bidhane, ma communauté, des dangers qui la menacent de plus en plus. La sauver des conséquences directes, de ses propres agissements au sein de l’ensemble Mauritanien, qu’elle tente de dominer depuis que les premières tribus Berbères et Arabes ont foulé le sol de cette partie septentrionale de l’ex-Empire du Ghana.
La forme la plus abjecte et la plus inhumaine, de cette domination, fût la soumission à l’esclavage des ancêtres des Haratines d’aujourd’hui. L’arsenal qui permit d’imposer et de perpétuer cette pratique, était physique, économique et spirituel.
Si ses aspects physiques et économiques ont pu être, quelquefois, atténués par la « fidélité des sujets», ou leur acquisition de quelques bribes de revenu, l’aspect spirituel était sans limites et promettait les sanctions les plus redoutables, ici-bas et surtout dans l’au-delà.
Les premières lueurs de liberté, pour les esclaves, vinrent avec l’imposition des lois françaises sur le territoire Mauritanien, ayant pour champs d’application, les fameux villages de liberté, implantés dans la Wilaya de l’Assaba. Une « collusion » entre certains administrateurs coloniaux et des Chefs de tribus Bidhanes, a vite fait de limiter la contagion de ces villages, tout en maintenant (en théorie) le principe de la sanction contre ceux qui font le commerce d’êtres humains, ou qui les maintiennent en captivité.
N’empêche, ces villages, ancêtres des « Adwabas », ont constitué les premiers « No Bidhanes lands » et sont devenus, petit à petit, des espèces de sanctuaires, où les anciens « esclaves », ont pu se retrouver entre eux, loin de leurs anciens « maîtres ».
En parallèle, l’école française ouvrit ses portes, d’abord aux fils de Chefs, Bidhanes bien évidemment, lesquels la considérant relativement « Haram », y poussèrent, d’abords les enfants de leurs « esclaves ». Ils ne pouvaient pas imaginer que cette école-là allait constituer le premier creuset où se formèrent les futurs vrais libérateurs des esclaves, c’est-à-dire les leaders de l’aristocratie Haratines.
Les premiers Haratines, diplômés de cette école, devinrent rapidement des auxiliaires de l’Administration coloniale, fonction dans laquelle ils ne tardèrent pas à mettre à profit leur parfaite connaissance du caractère paresseux et corruptible, de leurs anciens maîtres.
Avec des revenus fixes et de bonnes oreilles auprès du Makhzen, une véritable mutation socioéconomique s’opéra, mettant certains Chefs traditionnels dans une position de quasi-dépendance de leurs anciens sujets. Ce début de semblant d’« égalité », ne tarda pas à être ralenti, puis freiné, par l’avènement de…l’indépendance.
En effet, avec l’indépendance les tribus Bidhanes ajoutèrent, à leur vieil arsenal deux nouvelles armes redoutables : un Etat disposant d’une Armée et le retrait de l’ex-arbitre. Le rapport de forces, largement déséquilibré, né de cette nouvelle situation, allait soumettre, à nouveau, les Haratines à d’autres formes d’injustice et de domination, où l’esclavage à «ciel ouvert » va céder la place à des formes plus « modernes », mais pas moins inhumaines.
La communauté Bidhanes : comment se racheter
Pour contribuer à l’extinction définitive du phénomène de l’esclavage, dont elle a longtemps été le pyromane, la communauté Bidhane a plusieurs défis à lever :
1-Se «délester » de la réputation d’être le parrain et le bouclier du système politique en place.
En effet, s’il est vrai, comme indiqué dans la suite 3, que l’Administration héritée du colonialisme et l’Etat Mauritanien naissant, ont d’abord, et avant tout, servi la communauté Bidhane, à laquelle ils se sont identifiés, au plan social et idéologique, il n’en est pas moins vrai que depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, cette donne a bel et bien changé.
De fait, les pouvoirs militaires qui se sont succédé depuis 1978, ont provoqué et soutenu l’éclatement de la communauté Bidhane, en régions, tribus et castes. Cette « balkanisation » de la communauté en question, a largement contribué à affaiblir le nouvel Etat, dont la base et la « légitimité » communautaires se sont nettement rétrécies.
Or, le nouveau rapport de force, basé sur la force (militaire) n’a pas réussi à compenser la perte d’adhésion, de solidarité et de cohésion de la communauté Bidhane, autour des objectifs fixés par les nouveaux tenants du pouvoir.
Aussi, certaines tribus et collectivités se sont regroupées au tour de leurs propres intérêts et ont cessé de miser sur l’Etat, en tant que protecteur et arbitre central.
Le multipartisme et l’éclosion des ONG allaient accentuer cette tendance à l’« autogestion », en lieu et place d’une dépendance aveugle de l’Administration publique.
Cet état de fait, né de l’absence d’un Etat de droit, « dédouane «, en grande partie, la communauté Bidhane de l’accusation d’être, systématiquement, solidaire des politiques désastreuses du Gouvernement, notamment en matière de justice, d’éducation et des droits de l’homme.
2-Redonner à cette communauté un niveau de respectabilité, au sein des autres communautés, à égale distance de l’« Etat-Bidhanes », comme certains qualifient le système politique en place. En plus, elle devra s’investir, de manière plus ouverte et plus efficace, dans la lutte contre les séquelles, nombreuses et visibles, de l’esclavage, ainsi que la mise à l’index et l’extirpation de ses rangs, de ceux qui continueraient à soutenir ou à tenter de justifier la pratique de l’esclavage.
3-Initier un élan national de solidarité, volontariste et mesurable, se traduisant par le soutien, matériel et moral, des victimes d’injustice des autres communautés, en particulier en milieu Haratine. Une telle mesure constituerait une preuve d’humilité et du désir d’un vivre ensemble et d’une cohabitation apaisés, sur la base d’une confiance mutuelle retrouvée.
4-Cet ensemble de mesures et d’actions doit être couronné par une demande formelle de pardon, clairement exprimée, par la communauté Bidhane, auprès des organisations Haratines.
Si un tel objectif était atteint, les futures élections législatives, précédées d’un recensement national, sans complaisance, permettront à toutes les communautés du pays, de se positionner librement, sur le plan politique, et de récolter le juste fruit de leur poids démographique, pour aboutir à l’instauration d’un Etat de droit et la construction d’une Nation, où nous aurons, tous, les mêmes droits et devoirs.
C’est à ce prix, me semble-t-il, que notre pays pourrait, enfin, se construire et se développer en ne gardant de son passé « communautariste » que les spécificités culturelles, qui font sa richesse globale et la fierté de chaque communauté.
Ahmed Ould Mohamed
le calame
Interdiction du niqab : la France épinglée par un groupe d’experts de l’ONU
Le Parisien – Le Comité des droits de l’homme, qui reproche à Paris sa loi de 2010 sur le niqab, n’a aucun pouvoir de contrainte sur les États.
Comme l’avait annoncé La Croix au début du mois, un groupe d’experts de l’ONU a « condamné » mardi la France pour avoir verbalisé deux femmes qui portaient le voile islamique intégral, demandant à Paris de « compenser » les plaignantes et de réviser sa loi. Toutefois, ces experts indépendants, réunis au sein du Comité des droits de l’homme à Genève, ne font que rendre des avis et n’ont aucun pouvoir de contrainte sur les Etats.
Ce Comité de 18 experts, qui dépend du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU, avait été saisi en 2016 par deux Françaises de confession musulmane condamnées à une amende pour le port en public du niqab, le voile islamique intégral avec seulement une ouverture pour les yeux.
Une loi, adoptée par le Parlement français en 2010, interdit tout vêtement dissimulant le visage dans l’espace public sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 150 euros. Dans un communiqué de presse, le Comité a jugé que « l’interdiction du niqab viole la liberté de religion (et) les droits humains » de ces deux musulmanes.
Paris insiste sur la « pleine légitimité » de la loi
« Le Comité reconnaît que les États peuvent exiger des individus qu’ils découvrent leur visage dans des circonstances spécifiques dans le cadre de contrôles d’identité, mais il a été d’avis que l’interdiction généralisée du niqab était une mesure trop radicale », poursuit le communiqué.
En réaction, le ministère français des Affaires étrangères a rappelé dans un communiqué « que la loi de 2010 interdit la dissimulation du visage dans l’espace public dans la mesure où celle-ci est jugée incompatible avec le principe de fraternité et le socle minimal des valeurs d’une société démocratique et ouverte ». Paris souligne également que « le Conseil constitutionnel a jugé la loi conforme à la Constitution. La Cour européenne des droits de l’homme a elle-même jugé dans sa décision du 1er juillet 2014 que cette loi ne porte atteinte ni à la liberté de conscience, ni à la liberté de religion et qu’elle n’est pas discriminatoire ».
« La France souligne donc la pleine légitimité d’une loi dont l’objectif est de garantir les conditions du vivre-ensemble nécessaire au plein exercice des droits civils et politiques, auquel elle est attachée et qu’elle promeut dans son action internationale », conclut le communiqué.
Le président du Comité, l’Israélien Yuval Shany, a affirmé qu’il considérait personnellement, comme « nombre » des 17 autres experts, que le niqab était « une forme d’oppression contre les femmes ». Le Comité a estimé que l’« interdiction généralisée à caractère pénal […] a porté atteinte de manière disproportionnée au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion ». Il a également reproché à cette loi de « marginaliser » ces femmes « en les confinant chez elles et en leur fermant l’accès aux services publics ».
Réponse dans les 180 jours
Le Comité demande en conclusion à la France de lui envoyer un « rapport de suivi » dans un délai de 180 jours sur les mesures prises pour « compenser les plaignantes » et « éviter que des cas similaires se reproduisent à l’avenir, y compris en révisant la loi incriminée ». Les 18 experts, élus pour 4 ans, sont chargés de surveiller le respect par les pays membres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dans une interview, la Lettone Ilze Brands-Kehris, membre du Comité, a reconnu que le voile islamique était « une très grande question qui suscite aussi beaucoup d’émotion et de réactions, et donc qui peut être politisée et manipulée ». Mais, a-t-elle ajouté, « ce n’est pas le rôle du comité, nous, on fait une analyse strictement juridique de la situation ».
Interrogée sur l’absence de pouvoir contraignant du Comité, elle a souligné que la France est, malgré tout, « dans l’obligation » de se conformer aux recommandations du Comité, en tant que signataire du Pacte sur les droits civils et politiques.
Déjà pour l’affaire Baby-Loup
Ce n’est pas la première fois que le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’immisce dans le débat sur la laïcité en France. En août, le Comité a donné raison à une Française musulmane qui avait été licenciée par la crèche Baby-Loup parce qu’elle refusait d’enlever son foulard sur son lieu de travail. Les experts ont estimé qu’il s’agissait d’une « atteinte à la liberté de religion » et demandé à la France de l’indemniser dans les 180 jours.
Malgré la loi de 2010, le niqab ou la burka n’ont pas disparu de l’espace public en France et sont mêmes en augmentation dans certaines banlieues. Le braqueur Redoine Faïd, qui était devenu l’homme le plus recherché de France après son évasion spectaculaire de prison le 1er juillet, se cachait lui-même sous une burqa lorsque les policiers l’ont localisé après trois mois de cavale dans la ville de Creil.
Le Parisien avec AFP
Faire la paix avant la guerre./Par Mohamed Yehdih O. Breideleil
II. S’élever en hauteur
Idriss Déby qui, lui, est franchement un guerrier, pratiquement né et grandi dans le feu et qui n’a jamais connu une année calme et dont le crépitement des armes ennemies constitue la musique nocturne habituelle, a fait, en toute franchise, son mea culpa public. Il s’est jeté corps et âme dans le combat, comme sait le faire ce peuple tchadien admirable, mais une fois dans la gueule du loup, on l’a abandonné avec ses problèmes économiques et les préoccupations quotidiennes d’une population avec laquelle la nature marâtre a été injuste.
Peut-on faire mieux qu’Idriss Déby dans la lutte contre le terrorisme ? Jamais !
Ceux qui mènent la danse anti-terroriste n’ont pas encore trouvé la formule et la voie pour circonscrire l’incendie et, dans leur fébrilité, ils veulent jeter du gaz inflammable pour éteindre le feu. Dégarnir à l’Ouest du Grand Sahara, ça sera la fin des haricots. Le terrorisme pourra alors courir tout au long de la colonne vertébrale du Grand Sahara, de Bilma à Dakhla.
Cinq ans d’effort
Après cinq ans d’efforts, apparemment sincères, pour imposer la paix dans le Grand Sahara et le Sahel, ils apparaissent de plus en plus comme des gens qui courent derrière des oiseaux ou un feu de brousse dont la langue dévastatrice est inatteignable.
Il eût été pourtant de bon sens de créer, au départ, aux deux extrémités de l’arc de l’incendie, deux zones de sécurité et de stabilité, ou deux points d’appui sûrs. De toutes les zones touchant ce ventre mou gagné par le terrorisme, seuls le Tchad et la Mauritanie sont susceptibles d’être sécurisés et peuvent, potentiellement, constituer de vrais remparts, et pas uniquement parce que ce sont des pays sahariens, bien que cette donnée vient en première ligne de compte, mais parce que ce sont deux pays qui ont connu dans l’époque récente des guerres internes, dans les années 1970. En Mauritanie, d’ailleurs les armes n’ont vraiment jamais été déposées depuis 1900. Après la « pacification » de 1934, des ilôts de guerilla sont restés avec ce qu’appellent les gens du Hodh les « gens de la montagne ». Puis au Nord, on a empoigné les armes avec le Jaïch Tahrir, en 1956, et ces derniers soubresauts ne se sont éteints qu’en 1963 au Hodh.
La sécurisation du Tchad est simple. Elle est économique, un point.
La sécurisation de la Mauritanie est plus complexe, plus problématique pour les puissances étrangères à l’Afrique. Elle demande une révision conceptuelle, un changement de logiciel, parce que la Mauritanie et sa sécurité sont inséparables du Sahara Occidental. Vouloir séparer la Mauritanie et le Sahara occidental, dans l’analyse, est une chimère. Sécuriser la Mauritanie signifie s’orienter vers une vraie solution du problème du Sahara Occidental, c’est-à-dire une solution acceptable pour sa population.
Sans cela, aller mourir à Bamako ou à Mopti, bêtement, c’est trop d’audace incompréhensible, une légèreté inadmissible. N’avoir rien à proposer aux Mauritaniens, dans cette année de sécheresse grise, que d’aller mourir hors de leurs frontières, c’est franchement dépasser toutes les bornes imaginables. Faire la guerre en pleine crise économique, quand les mauritaniens sont déchirés intérieurement, inquiets pour leur avenir, que le pays ressemble à une marmite de sorcière, on y pense pas quand on a encore un grain de raison.
Actions inconsidérées
Nous avons, certes, une institution militaire digne de considération, mais quand on a une belle perle, on n’en fait pas un boulet de canon à la première occasion venue. C’est l’Armée qui est tout de même la colonne vertébrale de l’Etat.
Le pays qui était déjà mal en point à cause du gaspillage et d’un tâtonnement invraisemblable, a été jeté l’année dernière dans une confusion folle par un processus incompréhensible dont la première salve a été la révision constitutionnelle, refusée par le Parlement et malgré tout imposée.
Elle a été suivie d’actions inconsidérées qui dénotaient, non pas de la lucidité mais de la nervosité et la solitude dans la décision, des choses contre lesquelles mettait en garde Thucydide, il y a 2400 ans, sans parler de Maawiya Ibn AbiSouviane. On poursuivit, devant les tribunaux, des sénateurs réfractaires et l’un d’eux fut même jeté sans ménagement, affirme-t-on, en prison pour un an. Des journalistes et des syndicalistes sont poursuivis, mais quand les parlementaires sont emprisonnés, ils devraient, eux, se sentir heureux que ça s’arrête là. L’homme d’affaires Mohamed O. Bouamattou eut droit à des textes spécifiques, personnalisés, aux yeux de tous, destinés à arrêter ses affaires. Ce qu’on lui reproche, à la vérité, est difficile à saisir, en dépit des sous-entendus et des déclarations fracassantes. Toujours est-il que personne n’y croit. Quand une chose n’est pas crue, il est inutile de s’y accrocher. Elle devient un boulet qu’on traîne, une charge supplémentaire handicapante. L’emprisonnement de Biram O. Dah O. Abeïd est intervenu plus récemment, aussi curieux que les précédents cas. Il a été emprisonné à la veille d’une élection législative où il est candidat. N’ayant pas été condamné, il a été élu député. C’est donc un nouveau parlementaire qui est en prison, un très mauvais signal pour une démocratie toujours balbutiante. Mais personne, alors personne, ne peut dire le motif réel de son emprisonnement. Question de tempérament ? Question d’entêtement ? Biram fausse-t-il un jeu ou un projet quelque part ? Tout le monde en est réduit à des conjectures, sur un sujet qu’on garde in petto.
Régime vilipendé
Après cette révision constitutionnelle forcée, la population médusée a répondu par une dérision de haute voltige, lorsqu’il a été question de réimplanter le parti au pouvoir. Un million deux cents mille personnes munies de leurs cartes d’identités inviolables et sécurisées y ont adhéré, pendant que dans la rue, le Régime en place est vilipendé de manière quasi-unanime. La dérision n’ayant pas été déchiffrée et même comprise au premier degré comme une preuve de popularité, on est passé, tambour battant, au scrutin législatif et municipal du 1er septembre 2018.
La population par une dérision plus cynique a clarifié son geste précédent : un huitième seulement des adhérents qui se sont inscrits au parti, à peine plus d’un mois auparavant, a voté pour le Parti! Ce huitième est principalement constitué de supporters des candidats intéressés personnellement. La dérision ne s’arrête pas là, mais personne ne veut lire ce qui est écrit avec des lettres de la grosseur des pilons à mil. Dans le meeting d’ouverture et le meeting de clôture du parti officiel à Nouakchott, l’affluence dépasse le score national, toutes régions confondues, y compris Nouakchott !
Ce n’est pas facile à comprendre, il faut en convenir. Seules les expériences du passé peuvent nous éclairer. C’est une constance, dans un pays où tout tourne autour de l’Etat – même les affaires- un pays de surcroit où les oisifs sont infinis, les intelligences supérieures fréquentes et la transparence est l’exception et même un vice dénoncé, les applaudisseurs et les nageurs en eau trouble qui sont légion ne prennent la tête du cortège officiel que tardivement, quand la situation devient mauvaise et lorsqu’ils ont bien étudié et compris la mentalité, les penchants et la personnalité de leur proie. Mais à ce stade, ils en font leur jouet. D’ailleurs le haut responsable acquiert la conviction que s’il se débarrasse de cette compagnie, il sera isolé, seul, et il est, a contrario, agréable d’être dans une compagnie souriante sans motif, affable à l’excès, couvrant leur interlocuteur de caresses verbales, au besoin, les mains ruisselantes de cadeaux.
Mokhtar O. Daddah, lui-même, qui est un homme équilibré et rompu aux relations humaines, a été conduit dans le gouffre, sans parler de ceux qui lui ont succédé. Une fois son idole d’hier perdue, cette classe qu’on ne saurait qualifier mais qui se définit elle-même comme politique se détourne lestement, avec régularité, et devient introuvable. Aucun de nos chefs d’Etats adulés -et ils l’ont tous été- n’a jamais eu droit à la moindre solidarité, à la moindre manifestation de soutien, après sa chute.
Revenir à la raison
Dans le processus irrationnel en cours, l’homme de la rue soutient que nos dirigeants comptent surtout, pour tordre le cou, de nouveau, à la Constitution et engager, contre toute logique et en l’absence du moindre soutien réel, un troisième mandat ou un mandat déguisé, sur une puissance tutélaire étrangère, en contrepartie de l’intervention militaire au Mali.
Ce serait mettre le comble à la confusion. Aucune puissance étrangère, dans le monde d’aujourd’hui, n’est capable de maintenir un pouvoir contre la volonté de son peuple et si elle le tentait, elle y perdrait définitivement sa crédibilité. De plus, un pouvoir isolé qui sent la nécessité d’un appui étranger sera vomi, perdra sa légitimité et retournera contre lui les derniers patriotes qui s’accrochent encore à lui et ceux qui ont déjà pris le large mais pensent qu’il est encore possible de trouver une sortie honorable au pays.
C’est l’aveuglement qui crée le mécontentement, les frustrations, mène les gens aux extrêmes, crée la révolte, l’extrémisme, le terrorisme. Ce qui se dévoile de jour en jour n’incite guère à l’optimisme et, il faut bien l’avouer, le pays ressemble à un convoi qui roule à toute allure dans l’obscurité.
Non, au lieu de l’aventure, nous pouvons revenir à la raison, pendant qu’il est temps. Nous ne devons pas insulter l’avenir, nous devons le construire. Nous pouvons encore désamorcer une crise qui ne profitera à personne, une véritable bombe à retardement. Nous pouvons faire la paix, au lieu de la guerre. Quelle paix ? La paix intérieure, celle qui est une fin en soi et qui permet, éventuellement, de faire la guerre.
La paix commence par l’apaisement. Les gens plient, volontiers, devant qui rabat de ses prétentions.
Le seul apaisement convaincant et significatif, susceptible de changer les données actuelles, c’est de s’orienter résolument en toute honnêteté, en toute sincérité, vers l’alternance démocratique en perspective des prochaines élections présidentielles. C’est une attitude incontournable et salutaire pour tous. Il y aura alors, pour la première fois depuis longtemps, une réelle unanimité et la fierté que l’intérêt général prime sur tout le reste. Personne, quel qu’il soit, ne pourra se mettre en travers d’une telle orientation, sans encourir le sort d’un reprouvé et d’un isolé.
Sans chercher à s’agripper au pouvoir ou à s’infiltrer par la fenêtre, le régime cessera d’avoir des ennemis. Sans chercher à imposer un candidat, il gagnera en considération. En cessant d’apparaître comme mû par des intérêts égoïstes, il gagnera en estime. En s’élevant en hauteur, pour garantir et faciliter ce que la population voudra, il gagnera en dignité et sera respectable pour tous.
Sans cela, tout le monde constatera qu’il n’y a plus rien à faire, que nous allons droit au mur et que nous sommes, malheureusement, contraints de prendre à notre compte le constat du philosophe Michel Onfray auquel on demandait, il y a quelques temps, quels conseils il pouvait donner aux jeunes d’aujourd’hui. Il répondit ainsi : « Le bateau coule. Restez dignes. Mourez debout ! »
M. Y. B.
le calame