Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 02/06/2018

Exclusif : Jemal Ould Yessa s’exprime après 7 ans de silence…

Chose promise, chose due. Comme je l’annonçais l’autre jour, j’ai rencontré mon cousin Jemal à Abidjan et il a accepté de répondre à quelques questions. C’est une interview A.O.C. Ce genre d’interview, dont l’Appellation est d’Origine Contrôlée, comme celle d’Ahmed Ould Cheikh à l’inquisitrice  Irabiha, consiste à ne pas mettre en difficulté l’interlocuteur ou le client, c’est selon… 

 

 

Il faut se contenter de poser les questions qui ne fâchent pas vraiment à la différence qu’il n’y a pas aujourd’hui de silence criminel pour soutenir une corde qui réclame un pendu, fût-il innocent…
 



 
 
 
1- Chezvlane : Jemal Ould Yessa, vous avez été connu, d’abord par vos écrits et votre engagement contre ce que vous appelez « la domination ou l’hégémonie ethno-tribale ». Depuis la fin des années 1980, vous ne cessez de dénoncer, pêle-mêle, le racisme contre les communautés noires, l’esclavage, l’impunité et la privatisation de l’Etat par des clans qui se partagent le pouvoir, à tour de putsch, parfois « de manière rotative » (l’expression est de vous). Vous ne cessez de prédire l’effondrement de ce système mais aussi la dislocation de la Mauritanie.
 
Ai-je bien résumé votre parcours ?
 
 
 
 
 
 
Jemal : Plus ou moins….
 
2- Chezvlane : Alors, qui êtes-vous ? Un provocateur professionnel, un éternel adolescent en politique, un opposant aigri ?
 
Jemal : Je me définirai par le terme « lanceur d’alerte », hélas pas plus écouté que Cassandre. La provocation, l’aigreur et l’adolescence relèvent de l’appréciation relative et variable ; peut-être qu’il y a, en chacun d’entre nous, un peu de tels défauts. Chez nous, l’art de gouverner se confond avec la feinte, la triche sur temps, bref l’évitement des ruptures sans lesquelles aucune société de ce bas-monde n’évolue. Nos intellectuels organiques excellent dans la justification du fait accompli et s’ingénient à se concilier les bonnes grâces du Prince ou, celles, moins rentables, de la rue. Sur les problématiques de l’esclavage et du racisme que vous citez en exemple plus haut, tout a été dit ; le diagnostic est établi. Les solutions, prévisibles et de bon sens ne font défaut : parler, comprendre, rendre justice. A part l’amorce durant l’intermède du très prudent Sidi Ould Cheikh Abdellahi, nous sommes vite retombés dans l’occultation, le déni, associés au bricolage d’arrangements ponctuels. Et revoici la Mauritanie, de retour dans la rubrique des détenus d’opinion et de conscience : Mohamed Ould Mkhaitir, Birame Dah Abeid et ses co-accusés, Djiby Sow et d’autres dont l’état de santé autorise quelque crainte..
 
3-Chezvlane:  A propos d’esclavage, quels sont, d’après-vous, les signes d’un début de « normalisation » ?
 
Jemal : Quand les descendants d’esclaves épouseront les filles d’anciens maîtres, sans susciter le scandale, nous aurions franchi un pas décisif dans l’égalité. Je choisis cet exemple, pour souligner la dimension symbolique du défi.
 
4. Chezvlane : Votre pessimisme habituel sur l’avenir de la Mauritanie, le maintenez-vous ?
 
Jemal : Il ne s’agit pas de pessimisme mais de lucidité. Oui, je le maintiens, dans les termes que j’exprimais en 2006, à la faveur d’une tribune dans le journal sénégalais Sud Quotidien, sous le titre fantaisiste « sur la dune un peuple averti ne vaut rien ».
 
5.Chezvlane : L’article paraît bien prémonitoire mais n’est-ce pas une qualité un peu étrange chez un descendant de guerrier ?
 
Jemal : Oh, peu importe l’auteur et ses déterminismes ; l’essentiel est dans la détérioration constante des équilibres écologiques et sociaux du pays. Et, encore, 2006 ne nous n’étions assez instruits de la menace jihadiste.
 
6. Chezvlane : Oui, l’on sent que le sujet vous obsède….
 
Jemal : Oui, je vous le concède…
 
7. Chezvlane : Pourquoi ?
 
Jemal : Le wahhabisme, alimenté par l’argent des pétromonarchies du Golfe, s’est implanté en Mauritanie, depuis la fin des années 1970 ; la majorité de nos notables religieux sont devenus les agents propagateurs de cette idéologie du pouvoir, certains par conviction, d’autres – sans doute la plupart – en toute vénalité ; le salafisme constitue l’étape ultime vers l’achèvement de l’islamisme politique. A présent, la société mauritanienne est parvenue à un stade de maturation où le passage à l’acte jihadiste connaîtra un essor sans précédent et s’exportera vers le voisinage immédiat.
 
8. Chezvlane : Pourtant, les autorités mauritaniennes multiplient les initiatives pour sauver l’Islam de la paix et en favoriser l’audience par les jeunes…
 
Jemal : Trop tard, le dégât, irréversible, est fait. A force de surenchère avec les islamistes sur le terrain de la répression et de l’intolérance, les pouvoirs publics ont participé à la dissémination du wahhabisme, au détriment des confréries soufies, davantage tournées vers la spiritualité ; à ce jeu-là, les barbus gagnent toujours. L’original déclasse la copie. Au lieu de distiller des valeurs de civisme séculier et de cultiver la résistance à l’obscurantisme, les gouvernements successifs, par facilité, paresse, populisme ou négligence, ont finalement abdiqué la vertu cardinale dans l’art de gouverner : ils ont cessé de prévoir, d’anticiper, d’observer au-delà du lendemain. Nous le payerons, tous, cher, très cher, à l’image du Mali, du Nigéria ou du Niger.
 
9. Chezvlane : Mais notre contexte est différent des situations que vous citez…
 
Jemal :  En quoi ? Croyez-vous que nous n’avons pas nos Daesh et nos Boko Haram ? Ils sont là, de moins en moins tapis à l’ombre des mosquées. Ils agissent au grand jour, menacent ici, excommunient là, interdisent ceci, défendent cela, de plus en plus prompts à l’appel au meurtre, contre des civils sans défense ; leur incitation constante à la haine relève, à présent, de la vulgate. Ils violent la loi mauritanienne sans répit mais nul ne s’avise de les interpeler en conséquence, parce que l’environnement ne possède plus les facultés de distinction entre religion et dogmatisme. Parmi le bloc historique, c’est-à-dire l’ensemble arabo-berbère, le rapport des forces ultérieur à la guerre de Charr Bebbe s’est inversé. Aujourd’hui et sans l’effet d’aucun engagement militaire, la perspective d’un Etat théocratique est à portée des successeurs de Nasr Eddine. Le jihadisme mauritanien constitue le bras armé de cette revanche sur l’histoire, dans un contexte international bien plus favorable qu’au 17 ème siècle. A moins d’une guerre civile ou d’un putsch de « rectification » à l’égyptienne, la Mauritanie est en train de parfaire son statut de potentielle Talibanie sur le Continent.
 
10. Chezvlane : Quelles preuves de ce que vous avancez ?
 
Jemal : Ouvrez les yeux ou sortez un peu plus souvent du pays et prenez de la distance. Observez la saturation de l’espace public par l’obscurantisme, la manie du Takfir, regardez l’effritement de l’esthétique et des référents fondateurs de la Mauritanie, au profit du rigorisme wahhabite. Même dans notre mode de consommation urbain, notre rapport à la vie, à l’habilement, aux distractions, nous ne cessons de copier le Machrek, gommant ainsi notre identité de peuple mulâtre, produit de brassages millénaires, héritier des empires du Sahara et du Sahel. Autre exemple, considérez, je vous prie, l’impossibilité d’organiser un défilé de mode ou un concours de danse traditionnelle. A chacun de ces projets, l’on vous objectera l’indécence d’exposer ainsi les hommes à la tentation du corps féminin. Plus personne n’ose s’élever contre la menace physique, à l’exception de quelques rares militantes des Droits de l’Homme ; je tiens, à nommer, ici, Mekfoula Mint Brahim, Aminetou Mint El Moctar et Fatimata Mbaye. Des associations de promotion citoyenne et une nouvelle génération de jeunes activistes arabophones maintiennent encore la flamme de la résistance. L’affaire Ould Mkheitir et les manifestations qui l’ont accompagnée et suivie ont démontré combien l’Etat mauritanien s’est piégé dans sa concurrence au zèle islamiste. Vous avez vu et entendu des hommes de foi, exciter le peuple à la destruction, un individu s’est permis de promettre une prime à qui assassinerait l’ « apostat », des foules, hors de tout contrôle, ont intimidé des avocats, menacé de mort des journalistes, des militants de la dignité humaine. Des biens furent pillés ou détruits, de jour, sans qu’aucun auteur ou commanditaire n’en répondît devant la justice.
 
 
11. Chezvlane : Justement, au sujet de Ould Mkheitir, que pensez-vous de sa condamnation à mort ?
 
Jemal : J’en ai honte, pour la Mauritanie et les mauritaniens, comme je déplore le silence retentissant de mes compatriotes intéressés à la chose publique. Je n’ose parler d’ « intellectuels ». Qu’il me soit permis, ici, de rendre hommage à quelques auteurs de tribunes rares en faveur du prévenu. Parmi eux, je retiens l’excellente contribution de Abdul Lo Gourmo. Les personnalités politiques – hormis une infime minorité dont Moustapha Ould Abeiderrahmane – se sont aplaties devant le chantage wahhabo-salafiste.
 
12. Chezvlane : Comment expliquez-vous ce mutisme et cette résignation ?
 
Jemal : Nous avons assisté à une série de présumées profanations du Coran, jamais élucidées mais qui se sont conclues par une tentative de prise de pouvoir, de type insurrectionnel, dans les jardins de la Présidence. Depuis, je n’ai lu d’analyse critique, ni de bilan, susceptible de rendre, à l’évènement, toute sa portée prédictive. Comme d’habitude, l’on est passé à une autre intrigue, entretenant une longue jurisprudence d’amnésie et d’impunité. Pourtant, il y avait de quoi s’inquiéter pour l’avenir commun et prendre le temps de suggérer un nouveau consensus. Au lieu de discuter, de se confronter à la question du rapport de la religion et de l’Etat, l’on se contenta de tourner la page, incapables d’en tirer les leçons. Voilà, dans le domaine politique, l’improvisation et le dilettantisme coûtent un intérêt exorbitant, autant la créance est différée.
 
13. Chezvlane : Quel jugement portez-vous sur la méthode ?
 
Jemal : Oui, il fallait « préserver l’ordre public », au prix d’une banalisation de la violence religieuse. L’audace des apprentis jihadistes n’en a qu’augmenté. Cette succession de déroutes et de lâchetés vient nourrir les exactions de demain. C’est juste une question de temps. Pour l’instant, vous pouvez tout commettre, en Mauritanie, y compris régler des comptes très temporels, tant que vous prétendez agir pour le triomphe de la foi.
 
14. Chezvlane : Ce que vous décrivez, est-il si nouveau que cela ?
 
Jemal : Nous étions des musulmans paisibles et aptes au bonheur, avant qu’une junte militaire ne nous impose sa Charia, une réforme du code pénal de pure hypocrisie, désormais en vigueur mais inapplicable, malgré le bref apprentissage, sur des cobayes noirs, de la peine de mort et des mains tranchées.
Dois-je vous rappeler ce que notre pays était ? Une terre de contrastes, de diversité, certes cultivée à la sueur des esclaves mais, jamais, une théocratie ne s’y enracina dans la durée, des Almoravides à El Hadj Omar Tall. J’ai vécu mon enfance nomade dans un campement où l’on appelait à la prière tandis qu’à proximité, quelques tentes plus loin, le voisinage s’adonnait à une noce bruyante, au son de l’Ardine, de la Tidinit et du Tbol. Les plus pieux se retiraient de la fête pour se prosterner vers la Mecque ; les autres dansaient encore, chantaient et riaient. Il n’a jamais été question d’interroger leur foi, encore moins de les soumettre à un châtiment. Chacun allait, dans la vie, avec son propre fardeau, ses joies et espérances. Et dans la Mauritanie des mollahs, la presse fit écho, en 2011 ou  2012, d’une cérémonie salafiste où des griots, sous la menace de rôtir dans les flammes éternelles, acceptèrent de se repentir, de leur métier, en public. Est-ce que vous soupçonnez seulement, l’énormité du pas ainsi franchi sur la voie de la déculturation et de la dissolution du patrimoine artistique, donc de la mémoire ?!! Les griots sont l’âme de la Mauritanie ; aussi fallait-il piétiner celle-ci, pour mieux déraciner, en chacun de nous, la moindre velléité de résistance, sur le chemin des philistins, vers la conquête du pouvoir.  Le fanatisme, avant de recruter ses poseurs de bombes, se doit d’aplanir le terrain culturel, de l’appauvrir de toute aptitude à se souvenir, rire et oser. Les lecteurs de Georges Orwell imaginent l’angoissante perspective.
 
 
15. Chezvlane : Vous avez milité pour la participation des islamistes au jeu électoral…un regret ?
 
Jemal : Non, aucunement ! Il y a des démocrates parmi eux et des personnes de valeur. Après tout, le pluralisme comporte sa part de risque ; le peuple a le droit de choisir le pire…et d’en assumer les implications.
 
16. Chezvlane : Après des années d’asile en France, vous avez été amnistié en 2005 au lendemain du coup d’Etat contre Ould Taya. Qu’est-ce qui vous empêche de mettre un terme définitif à votre exil et peut-être d’envisager une charge élective?
 
Jemal : Je ne suis plus réfugié politique mais fonctionnaire international. A ce titre, je rentre en Mauritanie quand les impératifs professionnels me le permettent. Si vous m’exhortez à quitter mon travail actuel pour m’installer au pays, je crains de devoir vous décevoir. Les conditions d’une vie digne varient d’une personne à l’autre. Les miennes, pourtant peu exigeantes, n’y sont encore garanties. Me présenter à une élection en Mauritanie ? Voyons, ne jouez pas au naïf ! Vous savez bien que certaines convictions ne prédisposent pas au suffrage.
 
17. Chezvlane : Alors, est-ce à dire que vous resterez en marge du pouvoir ?
 
Jemal : Et alors, ce ne serait pas la fin du monde, ni même un motif de pleur. Peut-être oui, peut-être non ; parlementaire, conseiller, ministre ne sont-ce pas, là, des titres bien dévalués en Mauritanie ? S’il faut les acquérir par le biais d’un renoncement, le galon vaut-il la courbette ? Je crois que non.
 
18. Chezvlane : Donc vous préférez gratter le papier d’une organisation internationale plutôt que de vous salir les mains en servant votre pays ?
 
Jemal : Oui, de toute évidence. Est-ce un grief aussi monstrueux ?
 
19. Chezvlane : Non, non, respectons les règles de l’entretien. Les questions me reviennent.
 
Jemal : Vous n’avez qu’à ignorer certaines réponses.
 
20. Chezvlane : Bon, revenons au fond. Jusqu’ici, vous ne formulez aucune critique à l’endroit du Président Aziz, vous ne dites rien du dialogue entre l’opposition et le pouvoir?
 
Jemal : Je suis astreint à une obligation de réserve. Le contrat que j’ai signé avec mon employeur me défend d’émettre une opinion partisane sur la gestion de mon pays. Je n’entends y déroger et ajoute, tout de même, que votre interrogation me laisse perplexe, au regard des thèmes abordés plus hauts. Le sujet que vous soulevez me semble bien secondaire.
 
21. Chezvlane : Et si le Chef de l’Etat vous appelait à de hautes fonctions, avec la marge de manœuvre suffisante ?
 
Jemal : Très peu probable mais non, merci, je ne suis pas preneur. Votre « marge de manœuvre » me fait doucement sourire. 
 
22. Chezvlane : Une dernière question, plus personnelle, quel métier auriez-vous aimé exercer ?
 
Jemal : Plusieurs me viennent à l’esprit : garde-forestier par passion des arbres, meneur d’une révolte d’esclaves, redresseur de tort raciste, forgeron-orfèvre de talent, chanteur et musicien.
 
23. Chezvlane : Encore une, êtes-vous conscient que cette réponse peut choquer ?
 
Jemal : Oui, sans doute et tant pis ; après tout, je reste un homme libre, tant que Dieu me prête vie.
 
24. Chezvlane : Merci d’avoir accepté ce premier entretien après des années de silence
 

 Jemal : C’est moi qui vous remercie.

Ciré Ba : Carton rouge à Biram Dah Abeid qui a franchi la ligne rouge

Ciré Ba : Carton rouge à Biram Dah Abeid qui a franchi la ligne rougeCertaines victimes du génocide et les exclus de tous bords qui avaient fait de la lutte par procuration, à Biram Dah Abeid, leur mode opératoire privilégié en ont aujourd’hui pour leur grade. Ils ont reçu un coup de poignard dans le dos.

Un coup édifiant sur la nature et les intentions de l’homme : les honneurs personnels et le pouvoir à tout prix quitte à verser dans le déni dans une coalition avec des idéologues du génocide, auteurs avérés de l’exclusion de la communauté noire et partisans de la perpétuation du système esclavagiste qu’il déclare combattre.

Au-delà des dessous de l’alliance scellée ce jeudi 31 mai 2018 entre SAWAB, parti nationaliste arabe d’obédience baathiste dont les leaders ont conçu le génocide d’une partie de leurs compatriotes noirs entre 1989 et 1992,  et IRA/RAG mouvement abolitionniste présidé par Biram Dah Abeid , qui vient après celle passée entre Messaoud Ould Boulkheir et les Nassériens en 2003, il y a lieu de s’interroger sur la volonté réelle et la capacité de certains leaders Haratine de s’émanciper.

De leur capacité de s’affranchir de leurs anciens maîtres dépendra en grande partie le règlement de la question de l’esclavage, et plus largement, celui de la question nationale. Sans être pessimiste, je n’en entrevois pas l’issue pour si tôt.

Les victimes de l’exclusion devraient se résoudre à porter leur combat. Personne ne le fera à leur, notre, place.

Ciré Ba – Paris, 2 juin 2018

[Édito] L’exemple à suivre | Par Béchir Ben Yahmed

[Édito] L’exemple à suivre | Par Béchir Ben YahmedDeux pays de l’ancien Tiers Monde font beaucoup parler d’eux en ce mois de mai : la Malaisie et le Venezuela. Je recommande aux opposants africains de méditer leur exemple et d’en tirer les enseignements pour les transposer à l’Afrique.

Édito. Les médias, dont Jeune Afrique, et les analystes, y compris moi-même, ne parlent pas assez des opposants africains. Nous ne rendons pas un hommage suffisant aux efforts qu’ils déploient dans des conditions très difficiles pour parvenir à l’alternance dans leurs pays respectifs. Et pourtant, ces opposants existent ; certains d’entre eux se battent courageusement pendant parfois une ou deux décennies pour qu’advienne cette nécessaire alternance. Sans laquelle il n’y a pas de vraie démocratie…

La réserve des médias, leur prudence, la tiédeur de leur soutien aux opposants trouvent leur explication dans deux faits que nous avons observés :

• Nombre d’opposants se mettent, une fois arrivés au pouvoir, à imiter ceux qu’ils ont remplacés. Ils nous déçoivent, et nous nous sentons trahis.

• D’autres nous ont désespérés et découragés par leur éparpillement en chapelles dont aucune ne paraissait capable de battre ceux qu’elle prétendait écarter du pouvoir.

Ils savent que, pour conquérir ce pouvoir, il faut en déloger ceux qui s’y sont retranchés et qui disposent des moyens de l’État, qu’ils utilisent sans état d’âme pour conserver leurs postes. Quelle que soit la force de leurs arguments, les opposants n’ont aucune chance de gagner s’ils ne se rassemblent pas autour d’un chef fédérateur et ne font pas montre d’un savoir-faire égal ou supérieur à celui de leurs adversaires.

Tirer les enseignements

Deux pays de l’ancien Tiers Monde font beaucoup parler d’eux en ce mois de mai. Je recommande aux opposants africains de méditer leur exemple et d’en tirer les enseignements pour les transposer à l’Afrique. Ces deux pays sont lointains, mais importants : l’un, la Malaisie, est asiatique et musulman ; l’autre, le Venezuela, est latino-américain et catholique. Le premier vient de réussir la plus belle des alternances ; le second a reconduit à sa tête Nicolás Maduro, l’un des pires présidents au monde.

alt

Voyons de plus près ce qu’ont fait les opposants de ces deux pays en commençant par le Venezuela, qui est l’exemple de ce que les opposants de tous les continents doivent éviter comme la gale.

Au Venezuela et en Amérique latine, tout le monde sait que Nicolás Maduro, choisi par Hugo Chávez pour être son vice-président, a succédé fortuitement à ce dernier, emporté par un cancer. Il s’est très vite révélé incompétent et indigne de la fonction ; il dit et fait n’importe quoi, mène son pays, pourtant riche, à la faillite.

Il ne se maintient à la présidence du Venezuela que parce que l’opposition y est divisée et se comporte plus stupidement encore que lui. Maduro ayant provoqué une élection présidentielle anticipée, ses opposants ont montré qu’ils n’avaient ni chefs dignes de ce nom ni stratégie. Ils se sont répartis en deux camps : les partisans d’un boycott, qui ont obtenu que 20 % environ des électeurs désertent les urnes, et ceux qui ont appelé à voter pour un autre opposant, lequel a recueilli 21 % des suffrages exprimés.

Maduro a donc été « réélu » avec 68 % des voix de ceux qui ont participé au scrutin (mais qui ne représentent qu’entre 35 % et 45 % des inscrits). C’est une défaite pour le Venezuela et tous les Vénézuéliens, qui vont au-devant de lendemains qui déchantent ; et ce sont les principaux pays d’Amérique du Sud et le Canada qui ont entrepris, à la place de l’opposition vénézuélienne, de faire tomber Maduro.

Un dictateur qui écoute

La Malaisie, elle, a en revanche réussi la plus brillante et la plus inattendue des alternances. Un homme de 92 ans, qui avait exercé la fonction de Premier ministre pendant vingt-deux ans et y avait renoncé volontairement en 2003, a repris du service. Mahathir Mohamad est célèbre à ce jour dans son pays et même dans le reste du monde pour avoir conduit la Malaisie, à la fin du XXe siècle, à la prospérité et l’avoir sortie de la crise financière qui avait frappé, en 1997, les « dragons et tigres asiatiques ».

C’est un « développeur » du type de l’ex-président tunisien Ben Ali et un chef intègre du type de Paul Kagame, président du Rwanda. Il sait qu’on le surnomme « le dictateur » et en plaisante volontiers, précisant : « un dictateur qui écoute ». À la fin de son long règne, il n’a pas hésité à démettre et à jeter en prison son successeur désigné, Anwar Ibrahim, dont « les dents trop longues » l’insupportaient.

Ces dernières années, la Malaisie était à la dérive, et le parti qui la gouvernait depuis plus d’un demi-siècle était tombé entre les mains d’une clique corrompue emmenée par Najib Razak, un Premier ministre assoiffé de biens terrestres, flanqué d’une épouse dépensière. L’opposition malaisienne a alors tiré de sa retraite Mahathir Mohamad. Lequel l’a unie et s’est réconcilié avec ce même Anwar Ibrahim. Ensemble, ils ont remporté haut la main les élections législatives.

alt

Mahathir Mohamad a repris le pouvoir pour deux ans au maximum, fait libérer Anwar Ibrahim, avec la promesse formelle et publique qu’il lui succéderait au plus tard en 2020. Sans perdre un seul jour, il a interdit au chef des corrompus et à sa femme de quitter le pays, fait perquisitionner leurs domiciles et entrepris de leur faire rendre gorge.

Les opposants malaisiens ont ainsi donné l’exemple à suivre : unifier les rangs, désigner dès le premier tour un candidat unique face au pouvoir, le faire gagner, gagner avec lui et, la victoire acquise, entreprendre de nettoyer les écuries d’Augias.

Y a-t-il en Afrique des opposants de ce calibre, capables de fédérer les oppositions de leur pays et de les rassembler derrière un candidat unique ? S’ils existent, ils guettent l’occasion d’apparaître au grand jour. Mais les opposants africains n’ont visé jusqu’ici que des victoires, en général laborieuses, au second tour. C’est ainsi en tout cas que se sont produites les alternances africaines, dont deux au Sénégal (en 2000 et en 2012) et une en Côte d’Ivoire (2010).

L’exemple malaisien vient de montrer de façon éclatante que si l’on veut gagner les élections et par la suite bien gouverner, mieux vaut remporter la mise dès le premier tour.

On n’y parvient qu’en y allant rassemblés autour d’un candidat unique. Les vraies alternances sont à ce prix.

Source: Jeune Afrique

Futures élections : IRA –SAWAB, un mariage de raisons peu consommable

Futures élections : IRA –SAWAB, un mariage de raisons peu consommableUn mariage, qui ressemble, à bien des égards, à celui du Phacochère et de l’Antilope (Tfag 3arr wu 3anz Lemhar). Déjà, au premier round, un couac s’est imposé : le Ministre de l’intérieur, potentiel témoin du marié, refuse d’entériner les fiançailles, en déclarant illégale la cérémonie qui devrait les officialiser, ce jeudi.

Pourtant, Biram avait bien annoncé, à grande PUB qu’il a signé un accord avec un parti politique, qui lui permettrait de participer aux élections, par des voies légales et ainsi, faire « inonder » les urnes d’ « IRAtis », d’ici et d’ailleurs, à toutes les étapes du processus électoral.

En réalité, peu de gens avaient imaginé que le « parti-miracle » serait le SAWAB, mais la politique étant l’art du possible, rien n’y est…impossible.

On peut se poser beaucoup de questions pour tenter comprendre le « choix » de Biram, pour jeter son dévolu sur l’unique parti qui se réclame du Baath Irakien et qui, aux yeux de la majorité des électeurs objectifs et bailleurs de fonds potentiels, de Biram, est considéré comme la bête noire de toutes les communautés négro-africaines, dont il se réclame.

La première question qui vient à l’esprit, est de savoir comment les FLAM et « Conscience et Résistance », principaux conseillers en stratégie politique de Biram, aient pu entériner un tel choix?

En effet, le silence de ces deux principaux alliés « radicaux », qui ont une parfaite connaissance des enjeux et du jeu politiques du pays, face à l’offre, empoisonnée, du parti Baath (SAWAB), sonne comme une « trahison », ou tout au moins comme un lâchage.

En face, le parti SAWAB, membre de la majorité Présidentielle, par le biais de l’opposition dialoguiste, tire les marrons du feu et marque une importante victoire politique sur trois niveaux :

-Efface, ou réduit largement, l’étiquette de « raciste » que lui collent tous les non-arabes, du pays, en signant un accord politique avec Biram, dont le mouvement, IRA, se proclame, haut et fort, l’avocat des communautés noires et l’ennemi juré des Arabo-Berbères.

-Renforce le camp du Président Aziz, en neutralisant son principal adversaire pour les futures élections, ce qui augure d’un « renvoi d’ascenseur » non négligeable, sur biens des plans.

-Isole, pour longtemps, Biram et son mouvement, au sein des milieux négro-africains, pour lesquels, signer un accord avec le « diable de Saddam », est pire que tous les crimes commis par Maaouiya Ould Taya contre leurs communautés.

Pour Biram, qui aura du mal à se relever et à se vendre aux électeurs Haratines et négro-africains, après une telle « erreur », sa survie politique risque de lui imposer de s’allier avec l’UPR, comme au bon vieux temps, en attendant que les orages se calment.

Et tant pis pour IRA et la conquête du pouvoir.

Ahmed Ould Mohamed

adrar-info