Plusieurs fois repoussée, la date des élections municipales et législatives a, enfin, été annoncée. «Entre mi-septembre et mi-octobre 2013» : c’est dans cette fourchette qu’aura lieu, selon un communiqué publié, jeudi dernier, par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Une institution mise en place, il faut le rappeler, suite à un accord intervenu en 2011, lors du dialogue politique entre la majorité et une partie de l’opposition. Une annonce-surprise, aux conséquences politiques lourdes, dans la mesure où l’ensemble des pôles politiques peine à s’entendre sur l’essentiel : préserver la paix sociale.
Dilemme pour la COD
L’annonce de la date des élections municipales et législatives intervient, de fait, dans une scène politique toujours marquée par une forte tension politique, avec les marches de contestation de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), mais au lendemain du lancement de l’initiative du président de l’Assemblée nationale qui cherche, justement, à rapprocher la majorité présidentielle et l’opposition réunie au sein de cette coordination.
En annonçant la date des élections, la CENI met fin, semble-t-il, aux conciliabules politiques et invite, par la même occasion, les protagonistes à s’occuper plutôt de leur état-major de campagne, quand bien même laisse-t-elle la porte entr’ouverte à la discussion des conditions pour un scrutin transparent et inclusif. Une tâche bien difficile, cependant, dans la mesure où la mise en place de la CENI et sa décision de fixer la date n’ont fait l’objet d’aucun accord avec la COD qui, non seulement, ne la reconnaît pas mais exige, en outre, des garanties pour prendre part au scrutin. L’opposition radicale est donc, aujourd’hui, dans une position délicate. Doit-elle aller aux élections, sans aucune garantie sur la neutralité de l’administration et de l’armée, sur l’utilisation de l’argent, etc. ? Rien, aujourd’hui, même avec un gouvernement d’union nationale, ne garantit, a priori, que le scrutin de septembre/octobre se déroulera dans la transparence. La COD n’est pas prête à oublier celui de juillet 2009, décidé à la va-vite, au lendemain de l’Accord de Dakar. Mais prendra-t-elle, pour autant, le pari de boycotter le scrutin ? Le faisant, elle se placerait hors des institutions, un acte qu’elle risque fort de regretter. Espérons que les concertations, annoncées par la CENI, avec l’ensemble des acteurs politiques, aboutiront à un consensus, pour des élections apaisées. La COD doit se réunir, nous fait-on savoir, pour se prononcer à ce sujet.
Par ailleurs, on est en droit de se demander quel sort sera réservé à l’initiative de Messaoud Ould Boulkheïr dont le but était, justement, d’établir les meilleures conditions possibles pour une élection transparente. L’annonce vient couper l’herbe sous les pieds de la CAP et des soutiens du président de l’Assemblée nationale. La CAP, comme la COD, ne manquera pas de se réunir rapidement, pour se prononcer sur la nouvelle donne politique. L’enthousiasme et le soutien massif que cette initiative a suscités, au sein de tous les pôles politiques, laissait entrevoir, en dépit du rejet, par le pouvoir de la formation d’un gouvernement de large ouverture, la possibilité d’établir des passerelles entre les blocs. Tout semble, désormais, remis en cause.
Vers une majorité « embarrassante » pour l’UPR ?
Mais la COD n’est pas la seule à courir des risques en boycottant le scrutin. En effet, nombre de partis de la majorité et, même, l’Union Pour la République (UPR) pourraient connaître des surprises. L’UPR devrait certainement user de sa proximité avec le président de la République pour tenter de rafler la mise. Elle ne manquera pas de convoquer, au cours de cette campagne, le bilan de celui-ci : infrastructures de base, performances macro-économiques, programme Emel, sécurité et, plus discrètement sans doute, lutte contre la gabegie. Tout y passera. Résultat des courses, elle pourrait se retrouver avec un score à la soviétique, écrasant tous ses partenaire de la CMP, et remporter, ainsi, une embarrassante majorité. Les résultats de sa première campagne d’implantation est encore présent dans les esprits. A cela, il faudra ajouter les mécontents que le parti a enfantés, depuis sa fondation. C’est, d’ailleurs, à cause de ces mécontents que le renouvellement du tiers du Sénat fut reporté, sine die. L’interdiction des candidatures indépendantes n’empêchera pas certains nomades politiques d’atterrir dans d’autres « partis d’élections » et de se présenter sous leurs couleurs.
Bien entendu, les adversaires qui iront au charbon ne manqueront pas de tirer, à boulets rouges, sur le pouvoir, en mettant en exergue la dégradation continue des conditions de vie des populations, sous le magistère du prétendu « président des pauvres », avec, à la clef, la monté vertigineuse des prix, les insuffisances du programme Emel 2012, les dysfonctionnements de l’administration et l’insécurité galopante dans la capitale. Ils dénonceront, sans nul doute, ce que la COD appelle « la gabegie au sommet de l’Etat » et le « pouvoir dictatorial » en place…
La CENI saura-t-elle relever le défi ?
En annonçant la date des élections, la CENI laisse croire qu’elle est désormais prête à organiser le scrutin, alors que d’aucuns pensaient qu’elle allait attendre la fin de l’enrôlement à laquelle le pouvoir liait, justement, l’organisation des élections. De fait, il apparaît clairement que, pour aller aux élections, il faut une liste électorale. Or, l’enrôlement ne fournit que des cartes d’identité numérisées, réputées « infalsifiables ». La CENI doit, donc, organiser un recensement de la population, pour en tirer une nouvelle liste électorale : cela devrait prendre du temps. Elle doit, de surcroît, mettre en place ses démembrements et sa logistique, à l’intérieur du pays, ce qui demande, également, du temps et… de l’argent. Mais la CENI ne dispose que d’un simple budget de fonctionnement. Que fera le gouvernement ? Voter un budget additif ou assurer provisions à la CENI, avec tous les risques de mélange de genre ? Les détracteurs du pouvoir n’en manqueront pas de mettre en doute, comme ils l’ont fait jusqu’ici, la crédibilité de l’institution. Face aux nombreux obstacles qui se dressent sur le long chemin jusqu’à septembre, certains suspectent déjà la CENI de « faire diversion », pour occuper la classe politique, avant de… reporter, une nouvelle fois, la date annoncée.
Dalay Lam
Réactions
Mohamed Borbosse, président du parti El Moutaqbel : « La COD à laquelle nous appartenons prépare sa réaction mais nous pouvons vous dire que cette décision constitue un leurre de plus du pouvoir, dans la mesure où rien n’est fait pour susciter des conditions d’élections transparentes et inclusives. Rien n’est fait pour assainir le fichier électoral, rien n’est fait à l’endroit des partenaires politiques, pour asseoir tout le monde autour d’une table et discuter, sérieusement, de l’organisation d’un tel scrutin, offrir des garanties de scrutin apaisé… Pour toutes ces raisons, nous pensons que nous nous acheminons vers la réédition du 19 juillet 2009… »
Ibrahima Moctar Sarr, président d’AJD/MR : « Nous avons été le premier parti à être reçu par la CENI qui nous a réservé la primeur de sa déclaration. Mais, comme nous appartenons à la CAP qui soutient l’initiative de Messaoud Ould Boulkheïr, dont l’ambition reste de contribuer à rapprocher les positions, divergentes, de la COD et de la majorité présidentielle, en vue d’organiser des élections libres, transparentes et inclusives, nous allons étudier, individuellement et collectivement, la décision de la CENI et approcher la COD, pour recueillir son avis. Si sa participation nécessite un report, nous travaillerons en ce sens, pour amener la CENI à revoir sa copie, mais, au cas elle refuse de participer, nous, l’AJD, nous irons aux élections, non sans discuter, avec la commission, de certaines de nos préoccupations. Cependant, comme je l’ai dit tantôt, notre souhait est d’arriver à un consensus général, de sorte que tous les pôles politiques puissent prendre part à ces élections. »
Sangott Ousmane, vice-président de l’UDP : « L’UDP a toujours appelé de ses vœux l’organisation d’élections libres et transparentes, parce que, sans élections, pas de démocratie. C’est le baromètre des partis politiques, pour jauger leur poids électoral. Je rappelle que les élections ont été reculées à la demande de l’opposition et que le renouvellement du tiers du Sénat, prévu en 2011, devait attendre la fondation de la CENI. Telles sont les raisons objectives qui justifient les différents reports. Aujourd’hui que la date des élections est fixée par la CENI, l’UDP s’en réjouit vivement et espère que cette institution prendra toutes les mesures, pour l’organisation d’un scrutin libre et transparent. C’est le souhait de tous les Mauritaniens. »
Mahfoudh Ould Betah, président de CDN : « Je suis très surpris par la décision de la CENI, dans la mesure où elle avait entamé, il y a quelques jours, une série de concertations avec les différents partis politiques, en vue de trouver, justement, un consensus autour de la date des élections. En tout, je puis vous dire, sous réserve de la position de la COD, que nous ne pouvons pas cautionner la décision de la CENI, parce qu’elle n’est aussi indépendante qu’elle le laisse croire. La liste ou le fichier électoral, le matériel afférant aux élections et le transport des urnes ne relèvent pas de ses compétences. Mais, comme je l’ai dit à l’entame de mon propos, la COD va se réunir sous peu, pour convenir d’une réaction commune, par rapport à cette surprenante décision. »
Réaction de la COD, toujours attendue
Depuis l’annonce par la CENI de la date des prochaines élections municipales et législatives, les yeux sont tournés vers la coordination de l’opposition démocratique. En réunion depuis le dimanche 3 mars, les leaders de la COD cherchent à parvenir à une unanimité pour aller ou non à ces élections. Et même si certaines indiscrétions ou rumeurs laissent croire que la majorité des partis prône le boycott, rien n’est encore joué. Il faut reconnaître que la tâche n’est pas du tout facile car elle joue son va tout. Boycotter, c’est se mettre en marge des institutions, laisser donc le champ libre au pouvoir dont on réclame le départ, aller aux élections sans aucune garantie de transparence : indépendance totale de la CENI, neutralité de l’administration et de l’armée, fichier électoral fiable et sécurisé…. c’est aller au suicide, courir derrière un hypothétique dialogue après coup, comme après les élections de juillet 2009. Beaucoup d’espoirs s’envoleront pour certains d’arriver un jour au pouvoir. C’est certainement pour toutes ces raisons que la réunion de la COD se prolonge pour arriver, même aux forceps, à un consensus permettant d’éviter l’implosion que redoutent les militants de l’opposition mais qui plairait sans nul doute à la majorité présidentielle et à son chef.
Face à son attitude, on est en droit de se demander si la COD ne traine pas les pieds pour attendre la réaction du président Messaoud Ould Boulkheir, auteur d’une initiative de sortie de crise et l’ensemble de ses soutiens réunis au sein de la CAP. Le silence du président de l’Assemblée Nationale et les déclarations d’Ould Horma sur Sahara Média parlant de règles du jeu faussées par la CENI pourraient augurer peut-être de quelque chose de nouveau. L’avenir proche nous édifiera. En tout cas, une chose est certaine, les pôles de l’opposition ont l’urgence et l’obligation d’harmoniser leur position pour éviter de se faire laminer, donc de faire reculer la démocratie mauritanienne lourdement secouée depuis sa rectification en août 2008 .
Source: Le calame