Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 12/11/2021

Monsieur Abdsalam Horma, président du parti SAWAB et député à l’AN : ‘’Je n’ai constaté aucune réalisation majeure durant ces deux dernières années, hormis l’apaisement politique’’

Le Calame : Le mercredi 27 Octobre dernier, les acteurs politiques de la majorité et de l’opposition ont tenu une réunion à Nouakchott visant à mettre en place la commission d’organisation du dialogue en gestation. Quelle en fut l’ambiance ? Avec quelle impression en êtes-vous sorti ?

Abdsalam Horma : À mon avis, cette réunion s’est tenue en grand retard par rapport au calendrier prévu mais elle a tout de même vu la participation unanime des acteurs politiques nationaux ; j’y vois un point positif qui apportera, s’il est bien exploité, stabilité et tranquillité au pays, renforçant, du coup, la cohésion nationale et la modernisation des institutions démocratiques.

– Depuis la tenue de cette réunion, des tractations se poursuivraient au sein de l’opposition pour harmoniser sa position. Faudrait-il craindre qu’elle se rende divisée à ce conclave ? Que faites-vous pour éviter cela ?

– Hélas, depuis les soubresauts consécutifs à la présidentielle de 2019, l’opposition n’a pas pu ou su former un front uni pour proposer une vision nationale – disons, une alternative claire – afin de dialoguer avec le régime en place ; elle n’a pas pu s’entendre sur un programme de lutte qui mettrait suffisamment de pression sur le pouvoir et, partant, le pousser à entamer des réformes sérieuses dans son action. La fracture au sein de l’opposition est malheureusement une réalité, mais je n’en crois pas moins possible de se ressaisir, à n’importe quel moment, et de colmater les brèches. À cet égard, nous souhaitons que sa participation au dialogue forme l’occasion rêvée de renforcer son unité et dépasser les querelles de minarets.

– À votre avis, qu’est-ce qui a poussé le président de la République à accepter de dialoguer, alors que, selon lui et ses soutiens, le pays ne vit pas de crise ?

– Dire que le pays ne traverse aucune crise est une aberration. Je suis pour ma part convaincu que nous traversons une réelle crise, héritée, en partie, de l’ancien régime et, après lui, du pouvoir actuel. J’ajouterai que la réalité d’une crise n’exclut pas l’apparition d’une ou de plusieurs autres et donc la nécessité de chercher à les anticiper pour s’en prémunir. Le conclave en vue revêt un caractère impérieux pour le régime qui a besoin d’assurer la stabilité du pays et à en pacifier l’atmosphère politique.

– Ce dialogue devrait permettre de trouver des solutions consensuelles autour de certaines questions nationales, notamment l’unité nationale et la cohésion sociale. Avez-vous perçu une volonté politique réelle des uns et des autres, en particulier du côté du pouvoir, quant à la mise en œuvre des résolutions qui sortiraient des concertations ?

– Affirmatif, nous avons effectivement perçu du côté du pouvoir une réelle volonté de discuter de tous les problèmes de l’heure et, de son gouvernement, celle de respecter scrupuleusement la mise en œuvre des résolutions qui sortiront de ces discussions. Elles constituent donc une opportunité rare, à ne pas rater pour les protagonistes de l’arène politique, de débattre sans tabous des problèmes essentiels, dans une ambiance marquée du sceau de la responsabilité et du travail constructif.

– Quelles sont pour SAWAB les autres priorités que le dialogue doit régler ? Quelle est votre contribution aux concertations en vue ?

– Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est la paix civile, le renforcement de la cohésion nationale, le règlement définitif de la question de l’esclavage et de ses séquelles abominables, la mise en place de moyens coercitifs contre les phénomènes de la gabegie et de la mauvaise gouvernance et l’édification de véritables institutions de l’État.

– Un débat sur la réforme du système éducatif et la place des langues nationales, comme le pulaar, le soninké et le wolof, agite la classe politique et les réseaux sociaux. Qu’en pense l’homme politique et professeur à l’Université que vous êtes ?

– Toute réforme du système éducatif qui ne prend pas en compte la réalité naturelle de la société mauritanienne, de sa langue officielle et de ses langues nationales ; qui ne fortifie pas son indépendance culturelle et son identité propre ; est évidement vouée à l’échec. Cette réforme doit renforcer l’existence d’une langue vivante à tous les niveaux scolaires pour permettre d’éloigner au loin le spectre des idéologies, des antagonismes et des querelles politiques afin de consolider l’unité et la concorde nationale, au lieu d’être des facteurs de divisions et d’isolement.

– Comment l’École républicaine qu’ambitionne le gouvernement pourrait-elle prendre en charge cette question ?

– Ceci est très simple, s’il y a, chez le gouvernement, une réelle volonté politique. Républicaine, l’école va permettre à tous les fils du pays de bénéficier d’un enseignement nouveau, d’une école publique obligatoire, de lois rigoureuses, de programmes pédagogiques et scientifiques adéquats qui favoriseront notre ouverture à l’environnement économique, la satisfaction de nos besoins de développement et garantir à nos étudiants de tous niveaux académiques ce qu’il leur faut pour intégrer le marché de l’emploi et de production.

– Le président Ghazwani a fini de boucler ses deux premières années à la tête du pays. Comment évaluez-vous ce parcours ?

– Je n’ai constaté aucune réalisation majeure durant ces deux dernières années, hormis l’apaisement politique. La gabegie et la mauvaise gestion de l’État continuent de sévir. Les espoirs suscités par l’examen des dossiers de la décennie se sont très vite estompés avec les mauvaises pratiques d’antan qui se poursuivent, hélas, aussi bien au niveau administratif que gouvernemental.

– Que pensez-vous de la gestion du dossier de la décennie d’Ould Abdel Aziz, seul placé en détention préventive depuis Juin dernier ?

– La gestion du dossier de la décennie avait bien démarré, avec la mise en place, à l’Assemblée nationale, d’une commission d’enquête parlementaire, mais je suis, depuis quelque temps, découragé, par l’apparente volonté de transformer un épais et lourd dossier en une affaire personnelle contre l’ex-Président.

 – Que pensez-vous des augmentations récurrentes des prix des denrées de première nécessité et des mesures prises par le gouvernement pour les juguler ? Sont-elles efficaces ?

– Je ne vois aucune raison valable de faire flamber les prix des denrées de première nécessité, sauf dans l’optique du désordre instauré par des lobbies commerciaux assoiffés de gains, aidés en cela par les faiblesses et l’incurie notoires dans notre commerce. Le gouvernement ferme les yeux sur le fait accompli : c’est fort regrettable.

– Quel est l’état de votre alliance avec le parti RAG et de son président, le député élu de SAWAB, Biram Dah Abeid ?

– Nos relations avec le mouvement IRA et son parti sont la colonne vertébrale du courant qui soutient le leader Biram Dah Abeïd. Elles obéissent à la logique d’un partenariat politique dont les bases furent jetées en 2018. L’objectif était de former un pôle politique et une alliance électorale attractive nationale mais également de renforcer l’unité nationale et la solidarité de notre peuple, de lutter contre l’esclavage et ses séquelles néfastes, ainsi que contre la pauvreté et l’ignorance.

Aujourd’hui, nous considérons ce pôle en partie intégrante et essentielle de l’opposition, capable de la fédérer dans une alliance forte et à même de porter l’estocade au pouvoir lors des échéances électorales prochaines.

– Votre dernier mot ?

– Je profite de l’occasion que votre journal m’offre pour lancer un appel pressant, à l’ensemble des acteurs politiques de tous les horizons et autres forces vives de la Nation, de faire preuve de prudence et de retenue, en ne ménageant aucun effort pour préserver la stabilité et la quiétude de notre pays : je les exhorte à éviter tous les discours ou propos haineux ou malencontreux que certains ne manqueraient pas d’exploiter pour lui nuire.

Je les invite surtout à la vigilance car notre pays est entouré, comme vous le savez, de voisins où sévissent des conflits armés pouvant, si l’on n’y prend garde, dégénérer jusqu’en nos frontières. Nous devons donc profiter de ce dialogue pour prêcher un discours pondéré, sans passion, et surtout tenter de résoudre tous les problèmes que connaît notre pays.

                                               Propos recueillis par Dalay Lam

le calame

Dialogue en gestation : L’opposition à la recherche d’une nouvelle (plate)forme

Depuis quelques jours, l’opposition mauritanienne organise des réunions pour parvenir à une nouvelle plateforme politique. En effet, la présidentielle de 2019 avait fini de dissoudre la Coordination de l’opposition Politique (COD) dont les membres ont soutenu des candidats à la présidentielle. Depuis lors, l’opposition s’est embourbée dans une sorte de léthargie. Du chacun pour soi jusqu’à la création en 2020, de la coordination des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, ceci, en faveur de la pandémie de la COVID 19. Le président de la République avait appelé à l’union contre la pandémie. Tawassoul, premier parti de l’opposition, le RFD, l’UFP, APP, SAWAB et AJD/MR avaient répondu à l’appel, ce qui avait contribué à apaiser l’arène politique du pays. Les partis de la majorité et de l’opposition ont travaillé ensemble jusqu’au retrait de Tawassoul ; APP, quant à lui, se fait tirer difficilement l’oreille. Le cadre tient jusqu’à la décision de Ghazwani d’appeler aux concertations politiques entre la majorité et l’opposition. C’est donc en faveur de ce cadre que l’opposition se retrouve pour parler d’une seule voix. Avouons-le, ce n’est pas facile. Trois réunions se sont tenues pour y parvenir. Les partis de l’opposition ont tenté de parler et d’harmoniser leurs positions. Il s’agit d’échanger sur les thématiques, le format et de mettre en place une commission de pilotage, laquelle définira le format et ceux qui devront représenter l’opposition au comité de supervision du dialogue. Il est évident que tous les partis de l’opposition ne pourraient pas siéger à ce comité et par conséquent, il faudrait désigner ceux qui y seront envoyés. Quels critères seront-ils édictés par l’opposition ? Ceux qui ne seront pas désignés rumineront-ils leur colère au sein du nouveau cadre qui sera mis en place ? Au sein de l’opposition, certains partis politiques travaillent à éviter des frictions et à unir celle-ci. C’est d’ailleurs pourquoi, les organisateurs des différentes réunions ont ratissé large ne laissant personne en marge. Ils veulent un conclave inclusif pour débattre de l’ensemble des questions nationales. La feuille de route concoctée s’est efforcée à prendre en compté l’ensemble des préoccupations majeures du pays.

Au terme de cette première étape donc, l’opposition pourrait se trouver une nouvelle plateforme et partant parler d’une seule voie aussi bien lors des concertations que lors des prochaines échéances électorales. Elle pourrait désormais peser sur les débats nationaux et imposer, pourquoi pas, au pouvoir un rapport de force en sa faveur. Sa division lors des élections présidentielle de 2019 avait fini de l’affaiblir.

Des sujets qui fâchent toujours ?

Mêmes si toute l’opposition et même la majorité s’accordent sur l’urgence de débattre de l’unité nationale et la cohésion sociale, de la gouvernance et la lutte contre la gabegie, il n’en demeure pas moins que les uns et les autres n’y mettent certainement pas le même contenu. Le passif humanitaire demeure toujours un sujet délicat. Dire la vérité sur ce qui s’est passé dans les casernes militaires, dans la vallée et dans certaines villes du pays, sur les déportations, reste difficile à réaliser car cela engage la responsabilité des forces de défense et de sécurité. Pour certains, l’armée doit être tenue hors de ces conclaves. C’est d’ailleurs pourquoi le régime de Ould Taya avait rapidement fait voter une loi d’amnistie en 1993 pour protéger ceux que les victimes, les rescapés, les veuves et les orphelins qualifient de « bourreaux ». C’est d’ailleurs pourquoi, croient savoir certains, des cercles du pouvoir et des extrémistes qui avaient été mouillées dans ces exactions travailleraient dans l’ombre à saborder les concertations que le président Ghazwani a accepté d’organiser. Or, vider cet abcès ne signifie pas régler les comptes entre les composantes du pays. Si les ayants droit des victimes, les rescapés militaires, les veuves, les déportés ramenés au pays ou les rapatriés volontaires (MOYTO KOOTA) continuent à réclamer, depuis des dizaines d’années, la vérité sur ce qui s’est passé pendant les années dites de « braise » ; ce n’est évidemment pas par esprit de vengeance. En effet, on n’a jamais vu une expédition punitive contre l’un des bourreaux que les uns et les autres suspectent avoir sévi contre leur papa, frères, mari et autre. Ils veulent que de telles exactions ne se répètent pas dans ce pays et qu’ils puissent enfin faire le deuil des leurs. Comment, dans un pays musulman, on prive les citoyens des sépultures des défunts ?  

En effet, ces « évènements » de 1989/91 ont profondément ébranlé les fondements de l’unité nationale que tous les acteurs politiques, pouvoir et opposition voudraient consolider et renforcer. Cela passe par accepter un débat sans passion sur ces questions qui continuent de fâcher. On ne peut résoudre les questions nationales et apporter des solutions idoines sans faire preuve de réalisme, de dépassement et de patriotisme. Ceux qui continuent à réclamer la vérité prêchent pour une justice transitionnelle qui a fait ses preuves au Maroc, en Afrique du Sud et en Gambie ; ces pays n’en ont pas pâti, au contraire, ils ont réussi une réconciliation nationale sans accrocs.

En effet, les « évènements » ont créé, comme tout le monde le sait, une certaine méfiance entre les composantes nationales dont certains acteurs politiques, du côté du pouvoir et de l’opposition ne cessent de dénoncer leur marginalisation à tous les niveaux. Ils fustigent des écoles et des nominations monocolores, des médias publics presque exclusifs, le refus d’officialiser l’enseignement des langues nationales (Pulaar, Soninke et Wolof). Ils y ajoutent depuis quelque temps cette espèce d’hypocrisie. Les négro-africains sont supposés être des suppôts du français, langue du colon alors que tous les fils à papas sont dans les filières françaises : Lycée Théodore Monod et autres.

La récente sortie médiatique de 8 partis de l’opposition qui réclamaient justement, un dialogue politique et non des « concertations » a mis le principal parti de la majorité dans tous ces états. Ces sujets qui fâchent vont-ils favoriser un consensus entre les différents acteurs politiques ? En tout cas, tous les acteurs devant se retrouver autour de la table ont exprimé leur désir ou souhait de voir le dialogue être inclusif mais surtout de permettre de débattre de tous les sujets sans tabou.

                                          Dalay Lam