Monsieur Abdsalam Horma, président du parti SAWAB et député à l’AN : ‘’Je n’ai constaté aucune réalisation majeure durant ces deux dernières années, hormis l’apaisement politique’’
Le Calame : Le mercredi 27 Octobre dernier, les acteurs politiques de la majorité et de l’opposition ont tenu une réunion à Nouakchott visant à mettre en place la commission d’organisation du dialogue en gestation. Quelle en fut l’ambiance ? Avec quelle impression en êtes-vous sorti ?
Abdsalam Horma : À mon avis, cette réunion s’est tenue en grand retard par rapport au calendrier prévu mais elle a tout de même vu la participation unanime des acteurs politiques nationaux ; j’y vois un point positif qui apportera, s’il est bien exploité, stabilité et tranquillité au pays, renforçant, du coup, la cohésion nationale et la modernisation des institutions démocratiques.
– Depuis la tenue de cette réunion, des tractations se poursuivraient au sein de l’opposition pour harmoniser sa position. Faudrait-il craindre qu’elle se rende divisée à ce conclave ? Que faites-vous pour éviter cela ?
– Hélas, depuis les soubresauts consécutifs à la présidentielle de 2019, l’opposition n’a pas pu ou su former un front uni pour proposer une vision nationale – disons, une alternative claire – afin de dialoguer avec le régime en place ; elle n’a pas pu s’entendre sur un programme de lutte qui mettrait suffisamment de pression sur le pouvoir et, partant, le pousser à entamer des réformes sérieuses dans son action. La fracture au sein de l’opposition est malheureusement une réalité, mais je n’en crois pas moins possible de se ressaisir, à n’importe quel moment, et de colmater les brèches. À cet égard, nous souhaitons que sa participation au dialogue forme l’occasion rêvée de renforcer son unité et dépasser les querelles de minarets.
– À votre avis, qu’est-ce qui a poussé le président de la République à accepter de dialoguer, alors que, selon lui et ses soutiens, le pays ne vit pas de crise ?
– Dire que le pays ne traverse aucune crise est une aberration. Je suis pour ma part convaincu que nous traversons une réelle crise, héritée, en partie, de l’ancien régime et, après lui, du pouvoir actuel. J’ajouterai que la réalité d’une crise n’exclut pas l’apparition d’une ou de plusieurs autres et donc la nécessité de chercher à les anticiper pour s’en prémunir. Le conclave en vue revêt un caractère impérieux pour le régime qui a besoin d’assurer la stabilité du pays et à en pacifier l’atmosphère politique.
– Ce dialogue devrait permettre de trouver des solutions consensuelles autour de certaines questions nationales, notamment l’unité nationale et la cohésion sociale. Avez-vous perçu une volonté politique réelle des uns et des autres, en particulier du côté du pouvoir, quant à la mise en œuvre des résolutions qui sortiraient des concertations ?
– Affirmatif, nous avons effectivement perçu du côté du pouvoir une réelle volonté de discuter de tous les problèmes de l’heure et, de son gouvernement, celle de respecter scrupuleusement la mise en œuvre des résolutions qui sortiront de ces discussions. Elles constituent donc une opportunité rare, à ne pas rater pour les protagonistes de l’arène politique, de débattre sans tabous des problèmes essentiels, dans une ambiance marquée du sceau de la responsabilité et du travail constructif.
– Quelles sont pour SAWAB les autres priorités que le dialogue doit régler ? Quelle est votre contribution aux concertations en vue ?
– Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est la paix civile, le renforcement de la cohésion nationale, le règlement définitif de la question de l’esclavage et de ses séquelles abominables, la mise en place de moyens coercitifs contre les phénomènes de la gabegie et de la mauvaise gouvernance et l’édification de véritables institutions de l’État.
– Un débat sur la réforme du système éducatif et la place des langues nationales, comme le pulaar, le soninké et le wolof, agite la classe politique et les réseaux sociaux. Qu’en pense l’homme politique et professeur à l’Université que vous êtes ?
– Toute réforme du système éducatif qui ne prend pas en compte la réalité naturelle de la société mauritanienne, de sa langue officielle et de ses langues nationales ; qui ne fortifie pas son indépendance culturelle et son identité propre ; est évidement vouée à l’échec. Cette réforme doit renforcer l’existence d’une langue vivante à tous les niveaux scolaires pour permettre d’éloigner au loin le spectre des idéologies, des antagonismes et des querelles politiques afin de consolider l’unité et la concorde nationale, au lieu d’être des facteurs de divisions et d’isolement.
– Comment l’École républicaine qu’ambitionne le gouvernement pourrait-elle prendre en charge cette question ?
– Ceci est très simple, s’il y a, chez le gouvernement, une réelle volonté politique. Républicaine, l’école va permettre à tous les fils du pays de bénéficier d’un enseignement nouveau, d’une école publique obligatoire, de lois rigoureuses, de programmes pédagogiques et scientifiques adéquats qui favoriseront notre ouverture à l’environnement économique, la satisfaction de nos besoins de développement et garantir à nos étudiants de tous niveaux académiques ce qu’il leur faut pour intégrer le marché de l’emploi et de production.
– Le président Ghazwani a fini de boucler ses deux premières années à la tête du pays. Comment évaluez-vous ce parcours ?
– Je n’ai constaté aucune réalisation majeure durant ces deux dernières années, hormis l’apaisement politique. La gabegie et la mauvaise gestion de l’État continuent de sévir. Les espoirs suscités par l’examen des dossiers de la décennie se sont très vite estompés avec les mauvaises pratiques d’antan qui se poursuivent, hélas, aussi bien au niveau administratif que gouvernemental.
– Que pensez-vous de la gestion du dossier de la décennie d’Ould Abdel Aziz, seul placé en détention préventive depuis Juin dernier ?
– La gestion du dossier de la décennie avait bien démarré, avec la mise en place, à l’Assemblée nationale, d’une commission d’enquête parlementaire, mais je suis, depuis quelque temps, découragé, par l’apparente volonté de transformer un épais et lourd dossier en une affaire personnelle contre l’ex-Président.
– Que pensez-vous des augmentations récurrentes des prix des denrées de première nécessité et des mesures prises par le gouvernement pour les juguler ? Sont-elles efficaces ?
– Je ne vois aucune raison valable de faire flamber les prix des denrées de première nécessité, sauf dans l’optique du désordre instauré par des lobbies commerciaux assoiffés de gains, aidés en cela par les faiblesses et l’incurie notoires dans notre commerce. Le gouvernement ferme les yeux sur le fait accompli : c’est fort regrettable.
– Quel est l’état de votre alliance avec le parti RAG et de son président, le député élu de SAWAB, Biram Dah Abeid ?
– Nos relations avec le mouvement IRA et son parti sont la colonne vertébrale du courant qui soutient le leader Biram Dah Abeïd. Elles obéissent à la logique d’un partenariat politique dont les bases furent jetées en 2018. L’objectif était de former un pôle politique et une alliance électorale attractive nationale mais également de renforcer l’unité nationale et la solidarité de notre peuple, de lutter contre l’esclavage et ses séquelles néfastes, ainsi que contre la pauvreté et l’ignorance.
Aujourd’hui, nous considérons ce pôle en partie intégrante et essentielle de l’opposition, capable de la fédérer dans une alliance forte et à même de porter l’estocade au pouvoir lors des échéances électorales prochaines.
– Votre dernier mot ?
– Je profite de l’occasion que votre journal m’offre pour lancer un appel pressant, à l’ensemble des acteurs politiques de tous les horizons et autres forces vives de la Nation, de faire preuve de prudence et de retenue, en ne ménageant aucun effort pour préserver la stabilité et la quiétude de notre pays : je les exhorte à éviter tous les discours ou propos haineux ou malencontreux que certains ne manqueraient pas d’exploiter pour lui nuire.
Je les invite surtout à la vigilance car notre pays est entouré, comme vous le savez, de voisins où sévissent des conflits armés pouvant, si l’on n’y prend garde, dégénérer jusqu’en nos frontières. Nous devons donc profiter de ce dialogue pour prêcher un discours pondéré, sans passion, et surtout tenter de résoudre tous les problèmes que connaît notre pays.
Propos recueillis par Dalay Lam
le calame