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Mauritanie : l’institution militaire, colonne vertébrale du grand effacement des citoyens noirs
L’armée « mauritanienne » existe. Cela ne fait pas de doute. Omniprésente, elle régente le pays depuis plus de quarante ans. Tout passe par elle. Tout revient à elle et tout lui revient. Est-elle nationale ? Sûrement pas. Elle est plutôt ethnique, tribale et l’apanage d’une seule composante du pays : la composante maure. Ce n’est pas la dernière et monocolore vague de promotion d’officiers généraux, intervenue le 8 juin 2020, qui fera penser le contraire. Dix promotions pour dix officiers maures promus. Oui, dix sur dix. Au moins, les faits ont le mérite de la clarté. Même les plus béats des optimistes se rendent à l’évidence : le taiseux Ghazouani est bel et bien un homme du système d’exclusion et fera tout pour le préserver et le consolider. Le pire n’étant jamais sûr, le tout nouveau promu au poste de Chef d’Etat-major des armées (CEMGA), le général Mohamed Ould Meguett est, depuis de nombreuses années, régulièrement mis en cause pour des pratiques génocidaires. Tout juste nommé, l’intéressé a, à son tour, choisi ses collaborateurs. Bis repetita. Dix autres nominations et dix maures dont celle du directeur de l’Ecole Militaire Interarmes d’Atar, pépinière des futurs officiers de l’armée mauritanienne, de fait fermée progressivement aux Noirs. Une autre, au poste de directeur adjoint du bureau présidentiel d’études et de documentation, interroge quand on sait la nature des liens familiaux qui unissent ce promu à l’ancien chef de l’Etat en exil au Qatar depuis 2005. Prépare-t-on le retour de celui qui est désigné comme principal responsable du génocide d’une composante de la communauté noire? L’agenda caché serait-il en rapport avec le programme d’effacement des non arabes de la très raciste mouvance panarabiste qui entoure le pouvoir militaire. Son projet d’en découdre, sa présence et son activisme jusqu’au sein des cercles restreints des décideurs politiques ne sont un secret pour personne. Au-delà de la seule confiscation de l’armée, le général Mohamed Ould Ghazouani a tenu à envoyer un message on ne peut plus clair à ceux qui douteraient encore. Pour le désormais ex-obligé et ex-ami du président sortant, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, il s’agit par-dessus tout de protéger une armée intimement associée au génocide des années 1989 à 1991 notamment. Rien de tel qu’un réel bien qu’invisible panneau « Sens interdit, haut commandement interdit aux Noirs » pour lever toute équivoque. Conçu par et sous le pouvoir civil, ce panneau a régi cette institution durant l’effroyable et interminable règne du colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005) désigné comme l’architecte du génocide. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, Chef de l’Etat sortant, un de ses successeurs, n’aura aucun mal à assumer et à perpétuer cet héritage funeste. Sûr de sa domination et gonflé de mépris, le pouvoir raciste mauritanien ne prend même plus la peine de faire semblant. A quoi bon ? Comment en est-on arrivé là? Sûrement pas par hasard. La réalité actuelle est le résultat prévisible d’une entreprise, pensée de longue date, voulue et appliquée avec le plus grand soin. Elle repose sur une entreprise d’éviction systématique, programmée depuis plusieurs décennies, de la composante noire de tous les centres et leviers de décision de l’institution militaire. Toute la stratégie de recrutements est conçue en fonction de cet objectif obsessionnel de « dénégrification ». Relégués, pour combien de temps encore, au statut d’hommes de troupe, quasi absents de la hiérarchie, les Noirs sont réduits à des fonctions subalternes et à des missions ingrates. L’odieux et récent meurtre du malheureux civil Abbass Diallo, froidement abattu par l’armée le 28 mai dernier dans le sud du pays pour un fait mineur, figure au nombre de celles-là. Chacun à sa place et le tour est joué. L’artisan acharné et méticuleux de cette opération de blanchiment n’est autre que l’actuel Chef de l’Etat, le général Ghazouani, homme du sérail s’il en est. chef d’Etat-major de l’armée, il s’est évertué avec minutie et acharnement à épurer définitivement celle-ci de ses derniers éléments négro-africains. Pour ce faire, il s’est doté d’un outil. Le recrutement est, dans les faits, remplacé par la sélection sur des bases raciale, ethnique et tribale. La cooptation et l’entre-soi sont devenus la règle. Les concours d’entrée n’ont de concours que l’apparence. La discrimination est l’alpha et l’oméga de la « belle » machinerie. L’arabisation artificielle sert de moyen d’exclusion. Tout est fait pour signifier aux citoyens noirs que l’armée de leur pays n’est pas faite pour eux et donc décourager leurs candidatures, de toute façon, vouées à l’échec. Il est désormais « naturel » que des promotions entières de recrues ne comportent aucun Noir alors que cette communauté représente un poids démographique considérable. Faut-il rappeler que les militaires noirs se sont, notamment au niveau du commandement, illustrés et durant la guerre dite du Sahara. Rien d’étonnant. L’exclusion au sein de l’armée n’est jamais que le reflet du racisme systémique qui est l’essence même de l’Etat mauritanien. On peut l’observer à tous les autres échelons de la vie nationale, qu’il s’agisse de la fonction publique et notamment la haute administration, de l’enseignement, de la santé, de l’information, de la vie économique. La politique d’assimilation par la langue arabe n’en est qu’une manifestation en format réduit. Enjeu important et immédiat de pouvoir, l’institution militaire est une loupe grossissante de la réalité mauritanienne. Celle d’un pays dans lequel le racisme et les discriminations sont incarnés par et dans l’Etat.
Ciré Ba – Paris, le 13/06/2020
Une petite mise au point à l’intention du camarade Mouhamed Al Habib Kidé
Cher camarade,
C’est avec intérêt que j’ai lu ton texte au sujet de la manifestation du 10 juin organisé par le mouvement «Turban Rouge», j’avais pu écouter un audio en Pulaar dont tu es l’auteur qui faisait office de traduction de ce texte.
En effet le mouvement Turban Rouge s’est formé deux jours après le terrible meurtre d’Abass Diallo par un militaire de la patrouille chargée de sécuriser la frontière avec le Sénégal. Dans un contexte d’indignation, d’une part assez partagée chez les internautes, mais d’autre part très diffuse, ce mouvement a eu comme but premier de rassembler tous les appels à la justice autour d’un symbole commun : la couleur rouge. Cette unité d’expression a instauré une sorte de fil conducteur auquel se rattacher et a incontestablement eu un effet mobilisateur qui va au delà même des frontières du pays. Ainsi, je crois que toute critique sur les actions de ce mouvement devrait montrer, si elle se veut honnête et impartiale, cet acquis qui est d’une importance capitale. Ce fait positif semble malheureusement t’échapper; peut être que tu étais si concentré à déceler les manquements que tu en as oublié de faire une liste complète de l’ensemble des actions. Dresser une liste incomplète, biaisée pouvant induire le peuple en erreur est un procédé qu’il faut toujours éviter d’adopter quand on soumet des remarques plaintives au public.
Le mouvement Turban rouge, contrairement à ce que tu en dis dans ton audio, est non partisan et n’a jamais mis l’appartenance politique en avant. Ce qui peut expliquer d’ailleurs l’adhésion à ce symbole de tout un peuple venu d’horizons politiques différents. Donc ton analyse repose sur un faux postulat, tu en es arrivé à accuser la manifestation du 10 juin d’avoir délimité l’affaire Abass au sein d’une couleur politique que tu t’es permis de présupposer. Dans cet élan de raisonnement qui repose malheureusement sur une hypothèse erronée, tu as affirmé qu’Abass n’était pas dans un mouvement politique et donc qu’un parti seul ne devrait pas organiser un acte de dénonciation. Encore une fois, tu enfonces une porte ouverte. Ce mouvement a montré dans tous ses appels au peuple son caractère indépendant. En espérant que cette fois ci tu aies pris le temps de vérifier ton information, et que tu n’aies rien omis qui dérangerait la conclusion que tu voulais soumettre, et qu’Abass n’appartienne vraiment à aucun mouvement politique, je crois qu’il ne serait pas toujours tout aussi évident qu’exiger un accord entre les différentes organisations soit prérequis au lancement d’une manifestation. Je ne crois pas qu’une telle démarche soit à l’origine des mouvements ayant cours aux Etats Unis, en France ou au Mali en ce moment même. Non, je crois que la force de ces grands mouvements cités réside dans le fait que les gens se sont rejoints dans la rue sans exiger recevoir un préavis; les gens ne se sont pas attardés à scruter les noms des initiateurs, ni à s’inventer des raisons de s’y soustraire. Non ! Les gens ont vu des gens dehors, se battre pour une cause juste et s’y sont joints pour gonfler la foule et renforcer sa voix. Et pourtant ils avaient chacun un facebook pour écrire une critique du mouvement, et un whatsapp pour lancer des audios à messages discordants, ils ne se sont pas attelés à casser l’harmonie, ni à contrecarrer la dynamique ; ils ont utilisé ces plateformes pour amplifier l’action qu’ils ont désormais intégrée, et l’ont propagée vers les quatre coins du globe. On peut ainsi, naturellement et sans grande originalité, être tenté de se demander si l’échec que tu déplores dans la manifestation du 10 juin ne tient pas surtout du fait que certains, au lieu de
participer à la diffusion du message, ont choisi de réserver leurs forces pour les séances de critique de l’après manifestation. Cher camarade Kidé, ta voix aurait plus porté si tu avais participé à cet appel citoyen, à le diffuser au moins, comme bon citoyen; mais au lieu de cela tu as décidé de t’illustrer particulièrement dans la post-action. Cela rappelle les adeptes de l’après- coup politique. L’adepte de l’après-coup politique observe une lutte entre deux parties, ce qui l’importe c’est de bénéficier de l’issue, peu importe le vainqueur. Il attend toujours la fin pour évaluer la meilleure façon d’en tirer profit. Celui que personne n’a vu s’impliquer dans le pré- combat, se retrouve soudainement témoin voire l’arbitre, ou même vainqueur d’une lutte qu’il n’a pas menée. Je ne dis aucunement que tu en es un dans ce cas précis, mais le problème est que si tu voulais en être, tu ne t’y serais pas pris différemment.
Sur une question de cette importance, nous devrions apprendre à oublier nos personnes, ne serait ce que provisoirement, au profit de la justice; participer à la dynamique en cours, la corriger s’il le faut de l’intérieur, ou au moins éviter de la discréditer avec des accusations infondées. Il y a quelques jours, alors que tu criais à l’injustice, tu avais bien apprécié que le peuple te soutienne sans se concerter, et pourtant ta situation n’avait rien de comparable à celle d’Abass. Alors accepte que les gens puissent aussi manifester sans se concerter dans une situation beaucoup plus grave et plus urgente. Mieux, tu avais là une occasion inespérée de rendre la réaction spontanée que le peuple a témoigné à ton égard en juste rejoignant les manifestants dans la rue.
Avec toutes mes amitiés,
Dr Mouhamadou Sy
RMI
Changement au sein des armées : Ghazouani verrouille son système
Le Rénovateur Quotidien – Les changements au sein de la grande muette ont consacré un recentrage du commandement autour des hommes de confiance du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
Le nouveau dispositif procède d’un verrouillage de la hiérarchie militaire pour mieux se mettre à l’abri d’éventuelles intrigues pouvant secouer l’establishment militaire.
Rien de véritablement nouveau dans le cercle de la vieille cavalerie car ce sont les mêmes hommes qui ont été redéployés d’un commandement à un autre. Des généraux catapultés par leur ancien chef à ce grade sous le magistère de l’un des premiers d’entre eux Mohamed Ould Abdel Aziz.
Les mêmes faucons d’un système militaire transférés d’un poste vers un autre selon les promotions accordées. Ce sont ces hommes qui hier étaient le carré des fidèles de l’ex-président Aziz qui offrent leur loyauté au patron général des armées qui, il y a une année tenait les rennes du commandement. Les cartes ont donc été redistribuées selon la volonté de l’homme fort du pays lui seul qui en détient les raisons.
Des raisons qui pourraient être liées à des urgences sécuritaires comme cela fut le 28 novembre dernier où une tentative de déstabilisation du pouvoir à peine installé, aurait été frôlée en pleine célébration du 59ème anniversaire de l’indépendance nationale. Depuis quelques mois les mauvaises relations entre les deux anciens amis ne font que se dégrader au point que le moindre changement pourrait être matière à interprétation.
En confiant ces hautes fonctions à des hommes qui ont bénéficié de toutes les faveurs pendant que d’autres se frottent les mains d’impatience, la dynastie des puissants généraux marche au pas d’un système « aristocratisé ». Sans une seule promotion réservée aux autres communautés marginalisées bannis des tableaux d’avancement. Dans une armée qui brandit l’étendard républicain après des vagues d’épurations ethniques.
Le décret présidentiel tombé ce lundi 8 Juin a été réparti comme suit les nominations :
Le Général de division Mohamed Ould Bamba Ould Meguett au poste de Chef d’État-major général des Armées.
Il remplace à ce poste le général de division Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine, qui occupait ce poste depuis le 6 novembre 2018. Le nouveau chef des armées était jusqu’ici le patron de la police mauritanienne.
« La Présidence de la République a annoncé que par décret en date de ce jour, le Général de division Mohamed Ould Bamba Ould Meguett est nommé Chef d’État-major général des Armées », souligne un communiqué de la présidence mauritanienne transmis à l’Agence mauritanienne d’Information.
Le président mauritanien a également nommé le Général de Brigade Ahmed Ould Abdel Wedoud Ould M’Bareck au poste d’Inspecteur Général des Forces Armées et de Sécurité.
Le Contre-Amiral Isselkou Cheikh El Wely, est nommé Chef d’Etat-major particulier du Président de la République.
Le Général de Division Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine est nommé Chef d’Etat-major de la Garde Nationale
Le Général de Division Misgharou Ould Sidi est nommé Directeur général de la Sureté nationale
Le Général de Brigade Moctar Ould Bella Ould Chaabane devient Chef d’Etat-major Général adjoint des Armées
Le Général Habiboulah occupe les commandes du Groupement Général de la Sécurité Routière
Le Général de Brigade Mohamed El Moctar Ould Cheikh Ould Menny devient Chef d’État-major de l’Armée de terre
Le Contre-amiral Mohamed Ould Cheikhna ould taleb Moustaph est promu Chef d’État-major de la Marine nationale
Le Général de Brigade Mohamed Ould Cheikh Ould Beyda est promu Chef d’État-major des Forces spéciales
TPMN : la dénégrification de l’armée mauritanienne arrive à terme
TPMN – Les nominations, au sein des forces des armées et de sécurité, ce lundi 08 mai 2020 appellent plusieurs observations.
La première est l’aboutissement de l’entreprise de denegrification de l’armée entamée en 1987, et dont le tournant décisif, se situe au début des années 1990, avec les exécutions extrajudiciaires de plus de 500 militaires négro-mauritaniens.
Le point d’orgue de ces assassinats restera la nuit du 27 au 28 novembre 1990, pendant laquelle, vingt-huit militaires ont été pendus à Inal pour célébrer le trentième anniversaire de l’indépendance nationale.
Une autre observation porte sur la nouvelle promotion du général Mohamed Ould Meguett, cité dans tous les rapports et tous les témoignages des rescapés des camps mouroirs des années de braise comme ayant personnellement participé à la torture et à l’exécution de certains de ses frères d’armes.
Enfin, la dernière observation est relative à l’incorporation de toute une promotion de jeunes officiers recrutés en dehors de tout concours, et appartenant tous à la famille et à l’entourage proche du général Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
Touche pas à ma Nationalité dénonce avec la plus grande véhémence : – la transformation de l’armée nationale en une armée communautaire et communautariste.
– l’insulte à la mémoire de toutes les victimes des années de braise à nos jours, et à l’intelligence, de tous les mauritaniens par la promotion de présumés criminels
Touche pas à ma Nationalité rappelle pour la énième, fois le danger d’une telle option pour l’avenir de notre pays, et en appelle à l’engagement et à la mobilisation de tous les mauritaniens épris de paix et de justice à combattre le système raciste et esclavagiste qui nous gouverne jusqu’à sa destruction totale.
Nouakchott le 09/06/2020
TPMN
Cellule de communication
L’EVANGELISATION DES PEULS DU SENEGAL : AU COEUR D’UN MONDE QUI A RENONCE A LA FOI MUSULMANE
Sur une population totale estimée à plus de 30 millions d’habitants, l’Afrique compte aujourd’hui environ 15 mille peuls Chrétiens. Dans des pays comme le Benin, la troisième génération de peuls chrétiens a fini de se constituer. Au Nigéria et au Cameroun, l’évangélisation des peuls est devenue une réalité. Tel n’est pas le cas au Sénégal où la situation est encore timide. On parle de quelques 200 peuls chrétiens discrets ou assumés. Ce qui frappe dans cette situation, c’est qu’il s’agit de musulmans qui ont renié la religion de Mouhamed. L’adhésion à la voix chrétienne se manifeste surtout dans les zones comme Dahra Djoloff et Linguère (région de Louga) ou encore dans la région de Kolda dans le fouladou Pakao et Balanta Counda. Dans ces territoires, l’église luthérienne est au centre de la reconversion des peuls. Connus depuis le 11ème siècle comme les principaux dépositaires de l’islam en Afrique de l’Ouest et propagateurs de l’Islam en Afrique noire, on ne pourrait ne pas se poser plusieurs questions : Qu’est ce qui motive ces convertis à signer un nouveau pacte de confiance avec Jésus? Quelles sont les stratégies utilisées par les évangélistes pour pénétrer ce peuple? Et comment ces nouveaux disciples de l’église luthérienne vivent-ils leur nouvelle foi?
QUI SONT-ILS ET QUEL EST LEUR PREMIER CONTACT AVEC L’EGLISE ?
Dahra Djolof, Linguère et environs constituent le bastion où les évangélistes puisent pour convertir les fidèles musulmans. Même les peuls du Fouta Toro convertis au christianisme depuis les années 90 trouvent leur salut dans cette zone où désormais il faut compter avec l’église.
La pénétration de l’église bien que timide dans le monde peul jusque-là, est facilitée par la vague de peuls arabisants qui ont vécu dans les pays arabes notamment en Libye. Musulmans pratiquants, mémorisant même parfois le Coran, ces jeunes peuls partis approfondir leurs connaissances à Benghazi, Tripoli et ailleurs en Libye, ont eu la déception de leur vie. Ils ont été humiliés par leurs frères musulmans trouvés dans ces pays qui voyaient en un homme noir, un homme de l’enfer par nature quelle que soit sa foi ou sa pieté. Frustrés par ce comportement quotidien des arabes, ces étudiants noirs ont tout simplement décidé de couper tout lien avec ce monde méprisant. Ce renoncement a poussé certains d’entre eux à quitter la religion musulmane qu’ils avaient en commun avec les arabes. Les uns ont épousé la religion chrétienne tandis que les autres sont toujours restés sans religion.
Mais en dehors de ce mouvement de vengeance, chaque apostat a une histoire directe et particulière avec les missionnaires. Pour D.B, l’origine de sa reconversion au christianisme est liée au conflit Sénégalo-mauritanien de 1989. Il dit avoir vécu l’horreur de ses parents peuls maltraités par les maures blancs sous le regard et complice des pays arabes qui ont même participé d’une manière indirecte à cette barbarie. En ce moment, il travaillait pour le compte de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Dakar. Au contraire, reconnait-il, ce se sont les chrétiens qui apportaient leurs assistances aux populations massacrées. Sachant qu’il n’a aucun moyen de vengeance contre les maures, alors il décide tout simplement de renoncer à la religion musulmane qui constituait leur seul dénominateur commun. Avec sa détermination, il était parvenu à convaincre quelque 130 personnes à adhérer à la « nouvelle » religion. Et chaque année (à l’époque), ils parvenaient à baptiser jusqu’à six personnes.
On en trouve actuellement dans toutes les catégories d’âges, D’A.S.W.BA soixante dizaine jusqu’aux plus jeunes qui participent aux messes hebdomadaires dans la chapelle spéciale de Linguère, ils ont fini de vaincre le complexe qui hante toute personne qui s’engage dans une nouvelle aventure. Il suffit d’un tour matinal les dimanches dans les rues de cette ville d’élevage pour faire le constat.
Des enfants nés de parents chrétiens comme B.D, des couples peuls chrétiens vivant sereinement leur foi à l’image de S.B et son épouse A.B, des hommes de confiance de l’église comme M.S, O.S, M.D…, des hommes qui inspirent méfiance, naviguant entre les deux religions. Bref les luthériens ont touché à toutes les couches. La stratification sociale chez les peuls est aussi un argument avancé par certains pour légitimer leur acte d’allégeance à côté d’autres motifs. Au finish l’église luthérien est parvenue même à avoir un pasteur peul dirigeant d’une église à Dakar.
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POURQUOI LES LUTHERIENS SE FOCALISENT SUR LES PEULS ?
Qu’est-ce qui poussent les missionnaires à se focaliser sur les peuls? En réalité selon un missionnaire trouvé à Dahra Djoloff répondant au nom de Donst… ou D. Sow (son nom local), il n’y a pas un focus sur les peuls. L’église a établi des critères basés sur l’importance par le nombre des représentations des différents peuples. Il y a ce qu’elle appelle des peuples atteints, des peuples peu atteints et les peuples non atteints. Un peuple non atteint est un peuple dont le taux d’évangélisation est inférieur à 2%. Cette catégorie intéresse surtout les luthériens et les peuls en font partie.
Mais par ailleurs un de nos interlocuteurs du nom d’A.B. a laissé entendre qu’un missionnaire du nom de Marck lui avait signifié que les peuls ont joué un grand rôle dans l’expansion de l’Islam en Afrique. C’est pourquoi les évangélistes veulent les avoir dans leur camp pour qu’ils jouent le même rôle dans la religion de Jésus.
P.H, un ancien représentant de l’église luthérienne au Sénégal, avait affirmé que le nombre de fidèles affilié à l’église luthérienne en 30 ans de présence était évalué à quelques cinq milles fidèles, mais la plupart sont des Sérères. Le nombre de peul est négligeable. Mais il affirme que même s’ils avaient un seul peul converti au christianisme, c’est important du fait que ce peuple est ancré à l’islam culturellement. Et ils sont parvenus à installer une église peule à Linguère. P.H affirme que la difficulté se trouve au Fouta du fait de la réticence humaine face aux mutations.
CONVICTIONS OU RECHERCHE DE PROFITS
Ils sont souvent accusés à tort ou à raison d’avoir vendu leur foi pour la recherche de profit. D.B. (redevenu musulman), l’un des premiers apostats, reconnait avoir été motivé par des évangélistes dans les années 90. A l’époque, il avait un salaire de plus de 350 mille francs cfa et avait à sa disposition un véhicule pour ses missions. A cette époque, le budget d’évangélisation était de 25 millions par an que les luthériens mobilisaient. Mais cette motivation était plutôt pour son activité de recrutement pour la massification. Lui et ses premiers convertis bénéficiaient aussi des missions nationales et internationales et avaient la possibilité de faire des rencontres avec les hauts dirigeants de l’église luthérienne installés aux USA. Ils ont eu à bénéficier aussi d’une formation professionnelle chacun dans son domaine d’activité. Et à Linguère, ils avaient un siège équipé où tous leurs besoins étaient satisfaits.
A Linguère, on trouve une ferme mise en place par l’église et gérée par un certain S.B à la tête d’une famille entièrement à la cause des luthériens. Cette ferme est totalement financée par l’église luthérienne à hauteur de 25 millions de francs cfa, selon S.B, avec un budget de fonctionnement de 6 millions de francs déboursés toujours par les évangélistes. La ferme ravitaille en lait une autre laiterie dont le coût est estimé à 5 million, toujours construite par l’église.
Les relations avec l’église sont autres pour M.D qui a eu le contact des missionnaires à l’âge de 12 ans à T.B dans le département de Podor. Il dit être puissamment soutenu par les évangélistes dans ses études et même dans sa carrière de chercheur.
A travers le Sénégal, les évangélistes ont beaucoup investi dans le social. Dans le domaine de la santé, ils ont mis sur pied une clinique à Dahra Djoloff gérée par un homme de confiance et de conviction profonde O.S. Quelques employés de cette structure sanitaire sont aussi des « recrues» dans la nouvelle voie.
Le plus souvent, ce sont surtout leurs familles musulmanes qui les accusent d’avoir une relation d’intérêt avec l’église. Mais la plupart d’entre eux légitiment leur engagement par une foi solide acquise par diverses manières et pour des motifs différents.
C’est le cas du défunt S.K un ressortissant du Fouta qui vivait à Linguère. A l’en croire, c’est en traduisant le nouveau testament en pulaar (étant musulman) qu’il a rencontré des vérités absolues qui ne corroborent pas avec les idées qu’il avait de cette religion.
Le vieux A.S.B, un chrétien qui dirige un village musulman (T.D) dans le département de Linguère fait partie des plus engagés à côté de M.S, un produit libyen originaire de K dans la région de Matam. Ce dernier, est fils d’un Imam et a mémorisé le Coran depuis le bas âge. Il fait partie des valeurs sûres du christianisme et porte l’espoir des missionnaires.
Une autre perle rare pour les évangélistes est O.S originaire de D. dans le ferlo. Cet agent de santé très respecté et respectueux est un modèle de peul chrétien tant recherché par l’église. C’est lui qui gère la clinique G.K. Avec cette activité, il continue à rendre un grand service à ses parents de Djoloff.
La première génération peule chrétienne a déjà fini de se constituer avec une descendance à laquelle elle a transmis la foi chrétienne. B.D la trentaine un peu dépassée se charge chaque dimanche à initier les plus jeunes dans la chapelle de Linguère où se retrouve sans gêne la petite communauté peule chrétienne chaque dimanche matin.
PRESSIONS DES PARENTS ET REJET DE LA SOCIETE
Au premier contact avec le christianisme, les nouveaux disciples vivaient en cachette pour la plupart. Cet état de fait était surtout lié aux pressions qu’ils subissaient au sein de leur environnement immédiat et au rejet de la société.
Les apostats ont connu d’énormes pressions de la part de leur famille surtout ceux du Fouta, au point que le plus souvent, ils étaient dans l’obligation d’aller vivre leur foi dans les zones plus tolérantes comme le département de Linguère ou la région de Kolda.
S.K a fait les frais de sa reconversion. Un jour dit-il, le chef de village de M. Dans la région de Matam l’a mis devant la juridiction populaire du village où l’acte de séparation avec les siens a été scellé. Il mènera tout le reste de sa vie à Linguère.
M.D de M dans le département de Podor, pense même que c’est sa reconversion au christianisme qui est à l’origine de la disparition de sa mère. Il est resté pendant une dizaine d’années sans fouler le sol de son village d’origine où la nouvelle avait failli faire perdre la raison à son père dignitaire du village.
O.S, l’un des plus déterminé, rentre toujours voir les siens au village de D, même si les relations qu’il avait jadis avec ses proches ont été affectées. Son oncle qui lui était très cher à L.B dans le Matam n’en revient toujours pas.
A.S, la femme de S.B, est-elle tranquille dans son foyer chrétien. Elle dit n’avoir subi aucune pression de la part de ses parents. Pour A.K de Dahra mariée à un frère chrétien, c’est juste au début de sa reconversion qu’elle avait subi un peu de pression, mais le temps a fini par ramener ses parents à la raison ; et aujourd’hui elle vit sa foi à côté de sa progéniture.
KOLDA ET KEDOUGOU MOINS RETICENTS POUR LES EVANGELISTES
Dans la région de Kolda aussi l’église évangélique est très présente et pêche dans le marigot musulman. On trouve une chapelle à Pakourou Mawnde. A Vélingara aussi il y a une église où les prêches se font en Pulaar. On trouve une autre chapelle à Mampati et à Kounkandé où il y a une église que dirigent les peuls. S.S, un peul chrétien du Fouladou reconnait que les choses ne sont pas aussi compliquées comme au Fouta où l’Islam est ancré dans le quotidien des gens.
A Kédougou, les choses sont encore timides. Un seul cas de reconversion avait été relevé il y a dix ans par S.S. Cependant dans le monde Bassari où c’est la religion traditionnelle qui prédomine, les missionnaires sont en rude bataille avec une famille maraboutique pour la réorientation religieuse de ces animistes.
LE PROBLEME D’IDENTITE CULTURELLE
A Kolda, à Dahra, à Linguère, à W.Th… les fidèles de Yessou (Jésus) vivent en harmonie avec leurs frères de sang musulmans. Cela est certainement lié au fait que ces apostats ont épousé leur nouvelle religion tout en restant eux-mêmes. Ainsi, dans l’accoutrement, l’alimentation, le mode vie… rien n’a changé dans le vécu des nouveaux chrétiens qui ont adapté un christianisme à la dimension de leur authenticité.
Le cas d’A.B. qui travaille dans la clinique de GK est une illustration. Ce Chrétien est à la tête d’une famille polygame. Avec ses deux femmes musulmanes, il dit vivre sa culture peule, (Pulaagu). Il est même allé jusqu’à déclarer que si l’église lui demande de se séparer de l’une de ses deux femmes, il va tout simplement se séparer de l’église et vivre avec ses épouses.
Ces peuls ont adhéré au Christianisme en rejetant tout ce qui ne corrobore pas avec le mode de vie de leurs parents. Ils partagent avec les musulmans toutes les manifestations socio-culturelles. Dans les cérémonies familles, il n’y a rien qui peut identifier l’appartenance des uns et des autres. Tous les interdits de la culture peule sont respectés. Et même dans la chapelle où se trouvent les peuls chrétiens à Linguère, tout est adapté à la réalité du milieu. Les livres sont écris en pulaar, les prêches sont faites en pulaar et à la place du vin c’est plutôt le lait local qui est servi. Une manière pour eux de montrer qu’ils sont d’abord peuls.
Par Hamet Amadou LY