Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 13/06/2020

Mauritanie : l’institution militaire, colonne vertébrale du grand effacement des citoyens noirs

altL’armée « mauritanienne » existe. Cela ne fait pas de doute. Omniprésente, elle régente le pays depuis plus de quarante ans. Tout passe par elle. Tout revient à elle et tout lui revient. Est-elle nationale ? Sûrement pas. Elle est plutôt ethnique, tribale et l’apanage d’une seule composante du pays : la composante maure. Ce n’est pas la dernière et monocolore vague de promotion d’officiers généraux, intervenue le 8 juin 2020, qui fera penser le contraire. Dix promotions pour dix officiers maures promus. Oui, dix sur dix. Au moins, les faits ont le mérite de la clarté. Même les plus béats des optimistes se rendent à l’évidence : le taiseux Ghazouani est bel et bien un homme du système d’exclusion et fera tout pour le préserver et le consolider. Le pire n’étant jamais sûr, le tout nouveau promu au poste de Chef d’Etat-major des armées (CEMGA), le général Mohamed Ould Meguett est, depuis de nombreuses années, régulièrement mis en cause pour des pratiques génocidaires. Tout juste nommé, l’intéressé a, à son tour, choisi ses collaborateurs. Bis repetita. Dix autres nominations et dix maures dont celle du directeur de l’Ecole Militaire Interarmes d’Atar, pépinière des futurs officiers de l’armée mauritanienne, de fait fermée progressivement aux Noirs. Une autre, au poste de directeur adjoint du bureau présidentiel d’études et de documentation, interroge quand on sait la nature des liens familiaux qui unissent ce promu à l’ancien chef de l’Etat en exil au Qatar depuis 2005. Prépare-t-on le retour de celui qui est désigné comme principal responsable du génocide d’une composante de la communauté noire? L’agenda caché serait-il en rapport avec le programme d’effacement des non arabes de la très raciste mouvance panarabiste qui entoure le pouvoir militaire. Son projet d’en découdre, sa présence et son activisme jusqu’au sein des cercles restreints des décideurs politiques ne sont un secret pour personne. Au-delà de la seule confiscation de l’armée, le général Mohamed Ould Ghazouani a tenu à envoyer un message on ne peut plus clair à ceux qui douteraient encore. Pour le désormais ex-obligé et ex-ami du président sortant, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, il s’agit par-dessus tout de protéger une armée intimement associée au génocide des années 1989 à 1991 notamment. Rien de tel qu’un réel bien qu’invisible panneau « Sens interdit, haut commandement interdit aux Noirs » pour lever toute équivoque. Conçu par et sous le pouvoir civil, ce panneau a régi cette institution durant l’effroyable et interminable règne du colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005) désigné comme l’architecte du génocide. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, Chef de l’Etat sortant, un de ses successeurs, n’aura aucun mal à assumer et à perpétuer cet héritage funeste. Sûr de sa domination et gonflé de mépris, le pouvoir raciste mauritanien ne prend même plus la peine de faire semblant. A quoi bon ? Comment en est-on arrivé là? Sûrement pas par hasard. La réalité actuelle est le résultat prévisible d’une entreprise, pensée de longue date, voulue et appliquée avec le plus grand soin. Elle repose sur une entreprise d’éviction systématique, programmée depuis plusieurs décennies, de la composante noire de tous les centres et leviers de décision de l’institution militaire. Toute la stratégie de recrutements est conçue en fonction de cet objectif obsessionnel de « dénégrification ». Relégués, pour combien de temps encore, au statut d’hommes de troupe, quasi absents de la hiérarchie, les Noirs sont réduits à des fonctions subalternes et à des missions ingrates. L’odieux et récent meurtre du malheureux civil Abbass Diallo, froidement abattu par l’armée le 28 mai dernier dans le sud du pays pour un fait mineur, figure au nombre de celles-là. Chacun à sa place et le tour est joué. L’artisan acharné et méticuleux de cette opération de blanchiment n’est autre que l’actuel Chef de l’Etat, le général Ghazouani, homme du sérail s’il en est. chef d’Etat-major de l’armée, il s’est évertué avec minutie et acharnement à épurer définitivement celle-ci de ses derniers éléments négro-africains. Pour ce faire, il s’est doté d’un outil. Le recrutement est, dans les faits, remplacé par la sélection sur des bases raciale, ethnique et tribale. La cooptation et l’entre-soi sont devenus la règle. Les concours d’entrée n’ont de concours que l’apparence. La discrimination est l’alpha et l’oméga de la « belle » machinerie. L’arabisation artificielle sert de moyen d’exclusion. Tout est fait pour signifier aux citoyens noirs que l’armée de leur pays n’est pas faite pour eux et donc décourager leurs candidatures, de toute façon, vouées à l’échec. Il est désormais « naturel » que des promotions entières de recrues ne comportent aucun Noir alors que cette communauté représente un poids démographique considérable. Faut-il rappeler que les militaires noirs se sont, notamment au niveau du commandement, illustrés et durant la guerre dite du Sahara. Rien d’étonnant. L’exclusion au sein de l’armée n’est jamais que le reflet du racisme systémique qui est l’essence même de l’Etat mauritanien. On peut l’observer à tous les autres échelons de la vie nationale, qu’il s’agisse de la fonction publique et notamment la haute administration, de l’enseignement, de la santé, de l’information, de la vie économique. La politique d’assimilation par la langue arabe n’en est qu’une manifestation en format réduit. Enjeu important et immédiat de pouvoir, l’institution militaire est une loupe grossissante de la réalité mauritanienne. Celle d’un pays dans lequel le racisme et les discriminations sont incarnés par et dans l’Etat.

Ciré Ba – Paris, le 13/06/2020

Une petite mise au point à l’intention du camarade Mouhamed Al Habib Kidé

altCher camarade,
C’est avec intérêt que j’ai lu ton texte au sujet de la manifestation du 10 juin organisé par le mouvement «Turban Rouge», j’avais pu écouter un audio en Pulaar dont tu es l’auteur qui faisait office de traduction de ce texte.

En effet le mouvement Turban Rouge s’est formé deux jours après le terrible meurtre d’Abass Diallo par un militaire de la patrouille chargée de sécuriser la frontière avec le Sénégal. Dans un contexte d’indignation, d’une part assez partagée chez les internautes, mais d’autre part très diffuse, ce mouvement a eu comme but premier de rassembler tous les appels à la justice autour d’un symbole commun : la couleur rouge. Cette unité d’expression a instauré une sorte de fil conducteur auquel se rattacher et a incontestablement eu un effet mobilisateur qui va au delà même des frontières du pays. Ainsi, je crois que toute critique sur les actions de ce mouvement devrait montrer, si elle se veut honnête et impartiale, cet acquis qui est d’une importance capitale. Ce fait positif semble malheureusement t’échapper; peut être que tu étais si concentré à déceler les manquements que tu en as oublié de faire une liste complète de l’ensemble des actions. Dresser une liste incomplète, biaisée pouvant induire le peuple en erreur est un procédé qu’il faut toujours éviter d’adopter quand on soumet des remarques plaintives au public.
Le mouvement Turban rouge, contrairement à ce que tu en dis dans ton audio, est non partisan et n’a jamais mis l’appartenance politique en avant. Ce qui peut expliquer d’ailleurs l’adhésion à ce symbole de tout un peuple venu d’horizons politiques différents. Donc ton analyse repose sur un faux postulat, tu en es arrivé à accuser la manifestation du 10 juin d’avoir délimité l’affaire Abass au sein d’une couleur politique que tu t’es permis de présupposer. Dans cet élan de raisonnement qui repose malheureusement sur une hypothèse erronée, tu as affirmé qu’Abass n’était pas dans un mouvement politique et donc qu’un parti seul ne devrait pas organiser un acte de dénonciation. Encore une fois, tu enfonces une porte ouverte. Ce mouvement a montré dans tous ses appels au peuple son caractère indépendant. En espérant que cette fois ci tu aies pris le temps de vérifier ton information, et que tu n’aies rien omis qui dérangerait la conclusion que tu voulais soumettre, et qu’Abass n’appartienne vraiment à aucun mouvement politique, je crois qu’il ne serait pas toujours tout aussi évident qu’exiger un accord entre les différentes organisations soit prérequis au lancement d’une manifestation. Je ne crois pas qu’une telle démarche soit à l’origine des mouvements ayant cours aux Etats Unis, en France ou au Mali en ce moment même. Non, je crois que la force de ces grands mouvements cités réside dans le fait que les gens se sont rejoints dans la rue sans exiger recevoir un préavis; les gens ne se sont pas attardés à scruter les noms des initiateurs, ni à s’inventer des raisons de s’y soustraire. Non ! Les gens ont vu des gens dehors, se battre pour une cause juste et s’y sont joints pour gonfler la foule et renforcer sa voix. Et pourtant ils avaient chacun un facebook pour écrire une critique du mouvement, et un whatsapp pour lancer des audios à messages discordants, ils ne se sont pas attelés à casser l’harmonie, ni à contrecarrer la dynamique ; ils ont utilisé ces plateformes pour amplifier l’action qu’ils ont désormais intégrée, et l’ont propagée vers les quatre coins du globe. On peut ainsi, naturellement et sans grande originalité, être tenté de se demander si l’échec que tu déplores dans la manifestation du 10 juin ne tient pas surtout du fait que certains, au lieu de

participer à la diffusion du message, ont choisi de réserver leurs forces pour les séances de critique de l’après manifestation. Cher camarade Kidé, ta voix aurait plus porté si tu avais participé à cet appel citoyen, à le diffuser au moins, comme bon citoyen; mais au lieu de cela tu as décidé de t’illustrer particulièrement dans la post-action. Cela rappelle les adeptes de l’après- coup politique. L’adepte de l’après-coup politique observe une lutte entre deux parties, ce qui l’importe c’est de bénéficier de l’issue, peu importe le vainqueur. Il attend toujours la fin pour évaluer la meilleure façon d’en tirer profit. Celui que personne n’a vu s’impliquer dans le pré- combat, se retrouve soudainement témoin voire l’arbitre, ou même vainqueur d’une lutte qu’il n’a pas menée. Je ne dis aucunement que tu en es un dans ce cas précis, mais le problème est que si tu voulais en être, tu ne t’y serais pas pris différemment.

Sur une question de cette importance, nous devrions apprendre à oublier nos personnes, ne serait ce que provisoirement, au profit de la justice; participer à la dynamique en cours, la corriger s’il le faut de l’intérieur, ou au moins éviter de la discréditer avec des accusations infondées. Il y a quelques jours, alors que tu criais à l’injustice, tu avais bien apprécié que le peuple te soutienne sans se concerter, et pourtant ta situation n’avait rien de comparable à celle d’Abass. Alors accepte que les gens puissent aussi manifester sans se concerter dans une situation beaucoup plus grave et plus urgente. Mieux, tu avais là une occasion inespérée de rendre la réaction spontanée que le peuple a témoigné à ton égard en juste rejoignant les manifestants dans la rue.
Avec toutes mes amitiés,

Dr Mouhamadou Sy

RMI