L’EVANGELISATION DES PEULS DU SENEGAL : AU COEUR D’UN MONDE QUI A RENONCE A LA FOI MUSULMANE
Sur une population totale estimée à plus de 30 millions d’habitants, l’Afrique compte aujourd’hui environ 15 mille peuls Chrétiens. Dans des pays comme le Benin, la troisième génération de peuls chrétiens a fini de se constituer. Au Nigéria et au Cameroun, l’évangélisation des peuls est devenue une réalité. Tel n’est pas le cas au Sénégal où la situation est encore timide. On parle de quelques 200 peuls chrétiens discrets ou assumés. Ce qui frappe dans cette situation, c’est qu’il s’agit de musulmans qui ont renié la religion de Mouhamed. L’adhésion à la voix chrétienne se manifeste surtout dans les zones comme Dahra Djoloff et Linguère (région de Louga) ou encore dans la région de Kolda dans le fouladou Pakao et Balanta Counda. Dans ces territoires, l’église luthérienne est au centre de la reconversion des peuls. Connus depuis le 11ème siècle comme les principaux dépositaires de l’islam en Afrique de l’Ouest et propagateurs de l’Islam en Afrique noire, on ne pourrait ne pas se poser plusieurs questions : Qu’est ce qui motive ces convertis à signer un nouveau pacte de confiance avec Jésus? Quelles sont les stratégies utilisées par les évangélistes pour pénétrer ce peuple? Et comment ces nouveaux disciples de l’église luthérienne vivent-ils leur nouvelle foi?
QUI SONT-ILS ET QUEL EST LEUR PREMIER CONTACT AVEC L’EGLISE ?
Dahra Djolof, Linguère et environs constituent le bastion où les évangélistes puisent pour convertir les fidèles musulmans. Même les peuls du Fouta Toro convertis au christianisme depuis les années 90 trouvent leur salut dans cette zone où désormais il faut compter avec l’église.
La pénétration de l’église bien que timide dans le monde peul jusque-là, est facilitée par la vague de peuls arabisants qui ont vécu dans les pays arabes notamment en Libye. Musulmans pratiquants, mémorisant même parfois le Coran, ces jeunes peuls partis approfondir leurs connaissances à Benghazi, Tripoli et ailleurs en Libye, ont eu la déception de leur vie. Ils ont été humiliés par leurs frères musulmans trouvés dans ces pays qui voyaient en un homme noir, un homme de l’enfer par nature quelle que soit sa foi ou sa pieté. Frustrés par ce comportement quotidien des arabes, ces étudiants noirs ont tout simplement décidé de couper tout lien avec ce monde méprisant. Ce renoncement a poussé certains d’entre eux à quitter la religion musulmane qu’ils avaient en commun avec les arabes. Les uns ont épousé la religion chrétienne tandis que les autres sont toujours restés sans religion.
Mais en dehors de ce mouvement de vengeance, chaque apostat a une histoire directe et particulière avec les missionnaires. Pour D.B, l’origine de sa reconversion au christianisme est liée au conflit Sénégalo-mauritanien de 1989. Il dit avoir vécu l’horreur de ses parents peuls maltraités par les maures blancs sous le regard et complice des pays arabes qui ont même participé d’une manière indirecte à cette barbarie. En ce moment, il travaillait pour le compte de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Dakar. Au contraire, reconnait-il, ce se sont les chrétiens qui apportaient leurs assistances aux populations massacrées. Sachant qu’il n’a aucun moyen de vengeance contre les maures, alors il décide tout simplement de renoncer à la religion musulmane qui constituait leur seul dénominateur commun. Avec sa détermination, il était parvenu à convaincre quelque 130 personnes à adhérer à la « nouvelle » religion. Et chaque année (à l’époque), ils parvenaient à baptiser jusqu’à six personnes.
On en trouve actuellement dans toutes les catégories d’âges, D’A.S.W.BA soixante dizaine jusqu’aux plus jeunes qui participent aux messes hebdomadaires dans la chapelle spéciale de Linguère, ils ont fini de vaincre le complexe qui hante toute personne qui s’engage dans une nouvelle aventure. Il suffit d’un tour matinal les dimanches dans les rues de cette ville d’élevage pour faire le constat.
Des enfants nés de parents chrétiens comme B.D, des couples peuls chrétiens vivant sereinement leur foi à l’image de S.B et son épouse A.B, des hommes de confiance de l’église comme M.S, O.S, M.D…, des hommes qui inspirent méfiance, naviguant entre les deux religions. Bref les luthériens ont touché à toutes les couches. La stratification sociale chez les peuls est aussi un argument avancé par certains pour légitimer leur acte d’allégeance à côté d’autres motifs. Au finish l’église luthérien est parvenue même à avoir un pasteur peul dirigeant d’une église à Dakar.
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POURQUOI LES LUTHERIENS SE FOCALISENT SUR LES PEULS ?
Qu’est-ce qui poussent les missionnaires à se focaliser sur les peuls? En réalité selon un missionnaire trouvé à Dahra Djoloff répondant au nom de Donst… ou D. Sow (son nom local), il n’y a pas un focus sur les peuls. L’église a établi des critères basés sur l’importance par le nombre des représentations des différents peuples. Il y a ce qu’elle appelle des peuples atteints, des peuples peu atteints et les peuples non atteints. Un peuple non atteint est un peuple dont le taux d’évangélisation est inférieur à 2%. Cette catégorie intéresse surtout les luthériens et les peuls en font partie.
Mais par ailleurs un de nos interlocuteurs du nom d’A.B. a laissé entendre qu’un missionnaire du nom de Marck lui avait signifié que les peuls ont joué un grand rôle dans l’expansion de l’Islam en Afrique. C’est pourquoi les évangélistes veulent les avoir dans leur camp pour qu’ils jouent le même rôle dans la religion de Jésus.
P.H, un ancien représentant de l’église luthérienne au Sénégal, avait affirmé que le nombre de fidèles affilié à l’église luthérienne en 30 ans de présence était évalué à quelques cinq milles fidèles, mais la plupart sont des Sérères. Le nombre de peul est négligeable. Mais il affirme que même s’ils avaient un seul peul converti au christianisme, c’est important du fait que ce peuple est ancré à l’islam culturellement. Et ils sont parvenus à installer une église peule à Linguère. P.H affirme que la difficulté se trouve au Fouta du fait de la réticence humaine face aux mutations.
CONVICTIONS OU RECHERCHE DE PROFITS
Ils sont souvent accusés à tort ou à raison d’avoir vendu leur foi pour la recherche de profit. D.B. (redevenu musulman), l’un des premiers apostats, reconnait avoir été motivé par des évangélistes dans les années 90. A l’époque, il avait un salaire de plus de 350 mille francs cfa et avait à sa disposition un véhicule pour ses missions. A cette époque, le budget d’évangélisation était de 25 millions par an que les luthériens mobilisaient. Mais cette motivation était plutôt pour son activité de recrutement pour la massification. Lui et ses premiers convertis bénéficiaient aussi des missions nationales et internationales et avaient la possibilité de faire des rencontres avec les hauts dirigeants de l’église luthérienne installés aux USA. Ils ont eu à bénéficier aussi d’une formation professionnelle chacun dans son domaine d’activité. Et à Linguère, ils avaient un siège équipé où tous leurs besoins étaient satisfaits.
A Linguère, on trouve une ferme mise en place par l’église et gérée par un certain S.B à la tête d’une famille entièrement à la cause des luthériens. Cette ferme est totalement financée par l’église luthérienne à hauteur de 25 millions de francs cfa, selon S.B, avec un budget de fonctionnement de 6 millions de francs déboursés toujours par les évangélistes. La ferme ravitaille en lait une autre laiterie dont le coût est estimé à 5 million, toujours construite par l’église.
Les relations avec l’église sont autres pour M.D qui a eu le contact des missionnaires à l’âge de 12 ans à T.B dans le département de Podor. Il dit être puissamment soutenu par les évangélistes dans ses études et même dans sa carrière de chercheur.
A travers le Sénégal, les évangélistes ont beaucoup investi dans le social. Dans le domaine de la santé, ils ont mis sur pied une clinique à Dahra Djoloff gérée par un homme de confiance et de conviction profonde O.S. Quelques employés de cette structure sanitaire sont aussi des « recrues» dans la nouvelle voie.
Le plus souvent, ce sont surtout leurs familles musulmanes qui les accusent d’avoir une relation d’intérêt avec l’église. Mais la plupart d’entre eux légitiment leur engagement par une foi solide acquise par diverses manières et pour des motifs différents.
C’est le cas du défunt S.K un ressortissant du Fouta qui vivait à Linguère. A l’en croire, c’est en traduisant le nouveau testament en pulaar (étant musulman) qu’il a rencontré des vérités absolues qui ne corroborent pas avec les idées qu’il avait de cette religion.
Le vieux A.S.B, un chrétien qui dirige un village musulman (T.D) dans le département de Linguère fait partie des plus engagés à côté de M.S, un produit libyen originaire de K dans la région de Matam. Ce dernier, est fils d’un Imam et a mémorisé le Coran depuis le bas âge. Il fait partie des valeurs sûres du christianisme et porte l’espoir des missionnaires.
Une autre perle rare pour les évangélistes est O.S originaire de D. dans le ferlo. Cet agent de santé très respecté et respectueux est un modèle de peul chrétien tant recherché par l’église. C’est lui qui gère la clinique G.K. Avec cette activité, il continue à rendre un grand service à ses parents de Djoloff.
La première génération peule chrétienne a déjà fini de se constituer avec une descendance à laquelle elle a transmis la foi chrétienne. B.D la trentaine un peu dépassée se charge chaque dimanche à initier les plus jeunes dans la chapelle de Linguère où se retrouve sans gêne la petite communauté peule chrétienne chaque dimanche matin.
PRESSIONS DES PARENTS ET REJET DE LA SOCIETE
Au premier contact avec le christianisme, les nouveaux disciples vivaient en cachette pour la plupart. Cet état de fait était surtout lié aux pressions qu’ils subissaient au sein de leur environnement immédiat et au rejet de la société.
Les apostats ont connu d’énormes pressions de la part de leur famille surtout ceux du Fouta, au point que le plus souvent, ils étaient dans l’obligation d’aller vivre leur foi dans les zones plus tolérantes comme le département de Linguère ou la région de Kolda.
S.K a fait les frais de sa reconversion. Un jour dit-il, le chef de village de M. Dans la région de Matam l’a mis devant la juridiction populaire du village où l’acte de séparation avec les siens a été scellé. Il mènera tout le reste de sa vie à Linguère.
M.D de M dans le département de Podor, pense même que c’est sa reconversion au christianisme qui est à l’origine de la disparition de sa mère. Il est resté pendant une dizaine d’années sans fouler le sol de son village d’origine où la nouvelle avait failli faire perdre la raison à son père dignitaire du village.
O.S, l’un des plus déterminé, rentre toujours voir les siens au village de D, même si les relations qu’il avait jadis avec ses proches ont été affectées. Son oncle qui lui était très cher à L.B dans le Matam n’en revient toujours pas.
A.S, la femme de S.B, est-elle tranquille dans son foyer chrétien. Elle dit n’avoir subi aucune pression de la part de ses parents. Pour A.K de Dahra mariée à un frère chrétien, c’est juste au début de sa reconversion qu’elle avait subi un peu de pression, mais le temps a fini par ramener ses parents à la raison ; et aujourd’hui elle vit sa foi à côté de sa progéniture.
KOLDA ET KEDOUGOU MOINS RETICENTS POUR LES EVANGELISTES
Dans la région de Kolda aussi l’église évangélique est très présente et pêche dans le marigot musulman. On trouve une chapelle à Pakourou Mawnde. A Vélingara aussi il y a une église où les prêches se font en Pulaar. On trouve une autre chapelle à Mampati et à Kounkandé où il y a une église que dirigent les peuls. S.S, un peul chrétien du Fouladou reconnait que les choses ne sont pas aussi compliquées comme au Fouta où l’Islam est ancré dans le quotidien des gens.
A Kédougou, les choses sont encore timides. Un seul cas de reconversion avait été relevé il y a dix ans par S.S. Cependant dans le monde Bassari où c’est la religion traditionnelle qui prédomine, les missionnaires sont en rude bataille avec une famille maraboutique pour la réorientation religieuse de ces animistes.
LE PROBLEME D’IDENTITE CULTURELLE
A Kolda, à Dahra, à Linguère, à W.Th… les fidèles de Yessou (Jésus) vivent en harmonie avec leurs frères de sang musulmans. Cela est certainement lié au fait que ces apostats ont épousé leur nouvelle religion tout en restant eux-mêmes. Ainsi, dans l’accoutrement, l’alimentation, le mode vie… rien n’a changé dans le vécu des nouveaux chrétiens qui ont adapté un christianisme à la dimension de leur authenticité.
Le cas d’A.B. qui travaille dans la clinique de GK est une illustration. Ce Chrétien est à la tête d’une famille polygame. Avec ses deux femmes musulmanes, il dit vivre sa culture peule, (Pulaagu). Il est même allé jusqu’à déclarer que si l’église lui demande de se séparer de l’une de ses deux femmes, il va tout simplement se séparer de l’église et vivre avec ses épouses.
Ces peuls ont adhéré au Christianisme en rejetant tout ce qui ne corrobore pas avec le mode de vie de leurs parents. Ils partagent avec les musulmans toutes les manifestations socio-culturelles. Dans les cérémonies familles, il n’y a rien qui peut identifier l’appartenance des uns et des autres. Tous les interdits de la culture peule sont respectés. Et même dans la chapelle où se trouvent les peuls chrétiens à Linguère, tout est adapté à la réalité du milieu. Les livres sont écris en pulaar, les prêches sont faites en pulaar et à la place du vin c’est plutôt le lait local qui est servi. Une manière pour eux de montrer qu’ils sont d’abord peuls.
Par Hamet Amadou LY