Daily Archives: 04/05/2020
Mauritanie – Administration territoriale, le plus large mouvement de l’histoire et le plus décrié par une certaine frange
Les nominations opérées au niveau de l’Administration territoire au cours du Conseil des ministres du jeudi 30 avril 2020 sont les plus vastes connues à ce jour. Alors que les partisans du pouvoir de Mohamed Cheikh Ghazwani considèrent ce mouvement comme le plus important jusque-là opéré depuis sa prise de pouvoir, et qu’il a été caractérisé par le rajeunissement de l’administration territoriale, les détracteurs voient par contre à travers ces nominations fleuves une grave atteinte à l’unité nationale et à la cohésion sociale eu égard au peu de places accordées aux Négro-mauritaniens.
Le Ministère de l’Intérieur vient d’opérer le plus vaste mouvement de l’administration territoriale sous l’ère Ghazwani. Un remaniement décidé au cours du Conseil des Ministres du jeudi 30 avril 2020 et qui a touché plusieurs régions du pays, mais qui a aussi fait couler beaucoup d’encre. Nominations de Walis, de Walis Mouçaid, de Hakems et de leurs adjoints, de chefs d’arrondissement, de directeurs de cabinets, de conseillers et de chargés de mission. Au total, plus d’une centaine de changements au niveau du commandement, tant au niveau central qu’au niveau local. Il y a eu des permutations, des nouveaux promus, des promotions et des départs.
Pour les partisans de Mohamed Ghazwani, ce changement constitue l’une des premières mesures prises par un pouvoir qui cherche à placer ses hommes de confiance et à rompre avec un héritage laissé par l’ancien pouvoir. Parmi les nouveaux promus au niveau de l’administration territoriale, plusieurs jeunes issus des dernières promotions de l’Ecole Nationale d’Administration qui font leurs premiers pas dans le commandement, mais aussi plusieurs fonctionnaires qui dormaient au niveau de l’administration centrale sans aucune charge.
Débat autour des quotas
Ce remaniement massif au niveau de l’administration territoriale anime les débats dans les réseaux sociaux. La polémique enfle d’une manière jamais égalée, au point que de virulentes empoignades commencent à attiser les flammes communautaristes et les tensions sociales. Pour la communauté négro-africaine, ces nominations ne sont qu’un continuum d’un «système raciste et raciale qui consolide la mainmise de la communauté maure sur les commandes de l’Etat au détriment des autres composantes de la Nation».
Sur ce plan, les comptes sont tout de suite faits. Sur les 18 Walis et Walis Mouçaid, seuls 3 négro-africains ont été promus. Sur les 13 chargés de mission, les négro-africains ne sont que 4, zéro sur 5 au niveau de l’Inspection interne, 1 négro-africain sur les 7 attachés de cabinet, 1 négro-africain directeur sur les 16 directeurs nommés, 2 sur 9 conseillers. Sur les 19 conseillers et directeurs de cabinet au niveau des Wilayas, un seul négro-africain, 7 négro-africains sur les 69 Hakems, Hakems Mouçaid et Chefs d’Arrondissement, avec un 1 seul Hakem négro-africain.
Ainsi, sur un total de 163 nominés, les Négro-africains ne sont que 18, soit à peu près 11% des postes, contre 89 % occupés par leurs compatriotes maures.
Donc, le dernier remaniement au niveau de l’administration territoriale n’a fait que raviver un vieux et éternel débat en Mauritanie autour de la représentativité communautaire dans un pays déchiré par des tensions sociales et raciales. Certains n’ont pas hésité à reprendre la terminologie «Apartheid» collée à la Mauritanie et que les élites négro-africaines et Harratines ne cessent de dénoncer.
La question genre complètement occultée
Beaucoup de féministes voient pour la plupart d’entre elles, à travers le dernier mouvement au sein de l’Administration territoriale, une note martiale et masochiste, eu égard au peu de femmes qui ont été promues. Avec zéro femme au niveau des chargés de mission, deux femmes conseillères sur 9 et 1 femme à l’Inspection Interne sur 5, la gente féminine semble ainsi être les moins visibles dans l’administration du Ministère de l’Intérieur. Elles ne sont en effet que 5 au niveau central, contre Zéro Wali, zéro Wali Mouçaid, 1 seule conseillère de Wali et 3 Hakems, Hakem Mouçaid sur un effectif de 70.
Cheikh Aïdara
Source : Thaqafa
La récidive d’un obsédé de l’arabité exclusive / Par Boubacar Diagana et Ciré Ba
Dans un long article paru dans Cridem, M. Mohamed Yeslem Yarba Beihatt délivre un carton rouge au ministre de la fonction publique qu’il menace au passage d’éviction. Rien de moins. L’intéressé a, à l’occasion du 1er mai, osé prononcer un discours en français. Infamie suprême!
Pour solde de tous comptes, le ministre est en outre gratifié de gentillesses du genre «illettré», «incompétent» dans l’incapacité d’exercer ses fonctions. Lisons plutôt M. Beihatt: «Dites-vous que si vous persistiez à continuer pour tenir vos discours dans une langue autre que l’Arabe, celle officielle de notre pays, vous n’aurez plus droit à rester dans votre poste. Oui, et de la manière la plus simple au monde. Pour motif d’incapacité. C’est-à-dire que, si vous ne pouvez pas prononcer un discours en Arabe, cela veut dire, que, vous êtes incompétent. C’est que vous n’êtes pas digne de la confiance placée en vous. Parce que, en ce moment, la meilleure excuse qu’on peut vous donner, est que vous êtes «illettré».
Et nous qui croyions que les ministres étaient nommés par le Chef de l’Etat sur proposition du 1er ministre! Le meilleur ou le pire, c’est qu’à suivre le raisonnement de M. Beihatt, le pauvre ministre n’aurait pas non plus le droit de prononcer son discours en Sooninke, sa langue maternelle reconnue pourtant comme une des langues nationales du pays de par une constitution qu’il invoque à tort et à travers. En dehors de l’arabe, point de salut. Qu’on se le tienne pour dit.
Grand seigneur, le censeur laisse tout de même une seconde chance au ministre. Celui-ci est sommé fissa d’aller suivre des cours intensifs d’arabe auprès de son excellence, l’ambassadeur France en Mauritanie. Autrement dit, l’ambassadeur français devrait, avec grand plaisir, former en arabe des responsables mauritaniens dans le but de leur permettre de ne plus s’exprimer en français. Logique. Toujours très cohérent, l’inspiré M. Beihatt, n’hésitait pourtant pas, dans un article publié sur Cridem le 23 décembre 2019, en guise de cadeau de Noël sans doute, à étriller le diplomate français. Pour lui, le diplomate ne devrait pas aborder le problème de la langue en Mauritanie au risque de compromettre les intérêts de son pays et de voir l’anglais encouragé à prendre la place de langue de Molière en Mauritanie par représailles. Car, «si vous n’êtes pas encore au courant, dans quel cas, je le regretterais fort – ; je vous le fais savoir : le rapport entre la langue du colon, le français, pour bien nommer les choses, et celle officielle de la République Islamique de Mauritanie, l’arabe ; ce rapport-là, était la cause malheureuse des événements regrettables de 1966» affirme M.Behatt. Qu’était-il donc reproché à l’ambassadeur? En réponse à la question suivante d’un média local: «Que pensez-vous du recul de la langue française en Mauritanie ?, le diplomate avait répondu: «Voici une question que l’on me pose en français et à laquelle je répondrais donc avec plaisir en français. Avec la langue arabe et les langues nationales, la Mauritanie possède un patrimoine linguistique de grande valeur, dont elle peut légitimement être fière…». Rien de plus.
C’est donc l’ennemi juré d’il y a peu qui est recommandé pour combler les lacunes en arabe du ministre «francophone». Il serait intéressant au passage de recenser les établissements et pays de formation des membres du gouvernement, académies militaires comprises. Passons. Rappelons également que le nouvel ami ambassadeur était également accusé, en décembre 2019, de chercher à attiser le feu en Mauritanie et était invité à s’occuper de ses patois en Métropole. C’est dire si notre «procureur» excelle dans les raccourcis et les inversions de rôles. Rien n’est trop beau pour faire accepter l’inacceptable. Une constante émerge de ses écrits malgré les ruses et les ficelles plus ou moins grosses: la volonté affichée d’asseoir l’hégémonie d’une composante nationale sur et au détriment des autres. En un mot comme en mille, l’objectif est celui-là. Car au-delà de la langue, c’est bien de domination, d’exclusion économique et de disqualification des autres composantes nationales qu’il s’agit.
L’association de diffusion et de défense de la langue arabe en Mauritanie n’en fait pas mystère qui, le 9 septembre 2019, en appelait à stopper l’usage de la langue française dans les documents officiels du pays, qualifiant au passage les autres langues nationales, pourtant reconnues comme telles à savoir le Pulaar, le Sooninke et le Wolof de «dialectes des communautés négro-africaines». Au mépris des compatriotes de la Vallée, l’association enfonçait le clou: «s’adresser délibérément aux gens avec ce qu’ils ne comprennent pas constitue une préméditation qui ressemble à un défi». Ces chantres affichés et déraisonnables d’une Mauritanie exclusivement arabe font mine d’oublier que depuis des décennies, les représentants de l’Etat, de son administration et des services déconcentrés ne s’embarrassent plus guère de soucis d’équilibre puisqu’ils ne communiquent qu’en arabe et bien souvent en se passant allègrement de traduction.
Dans le double souci du respect du Vivre ensemble et de la volonté d’ouverture au monde, ils gagneraient à méditer les initiatives positives à l’exemple de celle du Maroc qui vient de mettre en place un Conseil national des langues et de la culture marocaine visant également à la facilitation de l’apprentissage des langues étrangères les plus parlées dans le monde dont le français. Le Maroc dont la population berbère, estimée entre 15 et 20 millions de personnes, vit souvent dans l’Atlas ou en campagne et n’apprend l’arabe qu’à l’école comme les populations de notre vallée, a officialisé la langue amazighe (berbère) en 2011.
Une loi généralisant l’usage de cette langue dans les administrations et à l’école a été votée à l’unanimité par les députés marocains le 10 juin 2019. Cette loi permettra la délivrance de cartes d’identité, de passeports ou d’actes de mariages en langue amazighe.
Il serait enfin temps de comprendre que les postures idéologiques, les pétitions de principe du genre «Ici c’est la Mauritanie… Ce n’est pas l’Occitanie… Le pays des plus grands savants, «érudits» de la langue Arabe…Ici, c’est la langue arabe qui est la langue officielle…» tiennent plus du coup d’épée dans l’eau. Cela peut faire plaisir mais d’un plaisir sans lendemain. Il suffit d’un sérieux problème de santé-(que nous ne souhaitons évidemment à personne) appelant une évacuation sanitaire pour s’en rendre compte.
A propos de la promotion du Tamazigh au Maroc, cf France info Afrique du 13 juin 2019. Une chaîne de télévision, Tamazight TV, est consacrée à la culture berbère. En savoir plus sur la mise en place de ce Conseil http://aujourdhui.ma/culture/conseil-national-des-langues-et-de-la-culture-marocaine-cest-fait-les-attributions-et-missions-publiees-au-bo?fbclid=IwAR05juN3kkZmoH4sPqWQrf3ubbYobEw0Za31h3i2lMlPW9OJMpaXLehUxRM
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris, le 03/05/2020
Kassataya