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Préparatifs des élections 2023 : Encore des obstacles à venir
Après la dernière rencontre entre le ministère de l’Intérieur et les vingt-quatre partis de la majorité et de l’opposition, conclue par un apparent consensus autour de certaines questions, notamment la proportionnelle, la recomposition de la CENI et le vote de la diaspora, s’achemine-t-on vers plus de transparence lors des prochaines élections ? Lors de cette rencontre, les uns et les autres ont en effet abordé ce qui apparaît comme le plat de résistance des prochains scrutins. Selon des sources concordantes, il s’agirait de la neutralité de l’administration, le vote de l’armée et l’utilisation de l’argent public. Notons cependant ici que Tawassoul, le principal parti de l’opposition, tempère, pour ne pas dire marque de sa différence, le consensus annoncé par les autres partis et le ministère de l’Intérieur. Les islamistes préfèrent rester très prudents, tandis que l’APP continue à réclamer un dialogue politique afin régler les autres problèmes énoncés sur la feuille de route concoctée par les partis lors des préparatifs des concertations suspendus il y a quelques mois.
Exceptées les locales et la présidentielle de 2007, les élections en Mauritanie ont toujours accouché de contestations. L’Opposition et la Société civile ont de tout temps dénoncé des irrégularités mettant en cause l’implication de l’Administration. Ce n’est de fait un secret pour personne que le gouvernement envoie ses ministres et hauts responsables pour influer sur le déroulement des scrutins. Des tentes sont dressées devant les bureaux de vote pour contrôler les militants et sympathisants des partis, particulièrement celui au pouvoir. Lors des locales de 2018, on a vu des ministres élire domicile en certaines capitales départementales pour contrôler le vote en amont et le jour du vote. L’argent circule et les fonctionnaires sont sommés de faire voter les leurs en faveur du parti au pouvoir. Les corps habillés ne sont pas en reste avec les bataillons qu’ils envoient pour, disent-ils, «sécuriser » le vote. Des méthodes qui ne plaident pas pour un scrutin libre et transparent.
Des méthodes vraiment bannies ?
Le ministre de l’Intérieur et, donc, le gouvernement sont-ils vraiment disposés à se départir de ces pratiques déloyales et à laisser les citoyens voter en toute liberté ? La Direction générale des élections logée au ministère de l’Intérieur et les autorités administratives et de sécurité joueront-ils franc jeu ? Voilà les questions existentielles que se pose l’opinion, quelques mois avant les prochaines élections dont certains prédisent l’anticipation en Février prochain. Il est bien beau de s’entendre sur la proportionnelle, le vote de la diaspora, le financement par l’État d’une partie des budgets de campagne des partis engagés dans la course mais rien ne changera, à l’arrivée, si les hauts fonctionnaires et cadres de l’Etat sont pistés par le gouvernement et ses services de renseignements, si des billets sont distribués la nuit à des citoyens qui dorment le ventre creux, si les corps habillés sont obligés de voter pour le parti au pouvoir, si la CENI est fantoche, etc.
Le dernier dialogue de 2012 avait apporté des améliorations pour la transparence des élections mais le pouvoir a toujours refusé de les appliquer, surtout en ce qui concerne l’incompatibilité des charges. On se rappelle que les partis APP de Messaoud Boulkheïr et l’ex WIAM de Boydiel Houmeïd qui s’étaient battus à l’époque pour une recommandation à ce sujet dénoncèrent sa non-application lors de la présidentielle de 2014. Va-t-on enfin traduire cette intention dans les faits ? Rien n’est moins sûr. Le poids des tribus et des clans, le « zèle » de certains hauts fonctionnaires demeurent surpuissants. On l’a vu tout récemment avec le dernier rajustement gouvernemental, à travers le dosage toujours en vigueur dans notre administration.
Autre signe indien à vaincre : le déplacement des électeurs. Les acteurs politiques ont pris l’habitude, depuis le temps du PRDS, de déporter les populations vers leur circonscription à la veille d’un scrutin, ce qui contribue à influencer le vote. Des cortèges sont alors organisés par les différents clans pour peser sur le résultat. Certains villages et villes voient doubler leur population, voire tripler, en quelques jours, parfois avec des gens sans aucune attache au terroir. Ils sont transportés pour les inscriptions et pour le vote. Il paraît très difficile de voir les partis politiques, en particulier celui du pouvoir, accepter de changer cette règle ancrée dans nos mœurs électorales. Il est vrai, diront certains par ailleurs, que chaque mauritanien est libre d’aller s’inscrire et voter là où il le veut dans son pays mais un scrutin crédible et transparent s’accommode très mal avec ce genre de pratiques.
Enfin, pour en revenir à la recomposition de la CENI, organe-pilier de l’organisation des élections, les Mauritaniens se demandent si, après l’accord de principe, les différents partis, le ministère de l’Intérieur et la présidence de la République parviendront à un consensus sur le choix de son bureau directeur et de ses démembrements. On s’est toujours bagarré autour des hommes et de leur qualité. Le choix de son président a surtout posé problème. Sur sa courte histoire, seul celui de Cheikh Sid’Ahmed Babamine fit consensus lors des locales et présidentielle de 2006-2007. La Mauritanie parachevait ainsi la transition militaire 2005-2007. L’homme avait quitté la CENI avec mention honorable.
Aujourd’hui, les supputations vont déjà bon train. On se demande sur quelle personnalité portera le choix des acteurs. Trouveront-ils un homme respecté de tous ou un homme de paille pour « valider » le scrutin ? Les partis de l’opposition réussiront-ils à faire bloc pour éviter d’en arriver à cette triste seconde hypothèse ? Le triomphe de la première sera le premier signal fort du gouvernement pour un processus électoral inclusif, transparent et incontestable.
Dalay Lam
le calame
La loi d’orientation, Par-delà pour et contre
« Douter de tout ou tout croire, disait le mathématicien Henri Poincaré, ce sont deux solutions, également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir ». En dépit du contexte épistémologique dans lequel l’auteur avait formulé sa remarque, pour justement introduire son approche du rôle de l’hypothèse en science, il ne me semble pas relever de l’abus que de la convoquer dans un débat où « l’hypothèse » prend une valeur idéologique si profonde qu’elle s’en dépouille de sa nature optionnelle et prescriptive. Le questionnement des hypothèses, des présupposés idéologiques, a été en effet l’étape largement éludée, volontairement ou non, par bon nombre des contributions au débat ; ce qui a certainement causé son avortement surtout sur le terrain intellectuel.
La question de la politique linguistique est faite de plus de politique que de langue et de technique. Et souvent, la petite portion de technique qui y est contenue ne s’inscrit que dans une « linguistique politique », autrement dit dans une ‘science’ taillée sur mesure pour accompagner les décisions prises dans leurs aspects publicitaires auprès de l’opinion et leur mise en application sur le terrain.
Ainsi les théories justificatives et les interprétations devancent souvent les faits auxquels elles se rapportent, non pas pour les motiver et les introduire, encore moins pour inviter le peuple à s’y intéresser en toute lucidité, mais pour inoculer à ce dernier un message dont il ne lui revient plus de comprendre le contenu. Dans un contexte comme celui-ci, le débat intellectuel a le rôle impérieux de déjouer la propagande en déchirant le voile et mettant à nu le fait brut qu’il enveloppe, le seul élément auquel la pensée doit se soumettre et sur lequel toute décision avisée est tenue de se fonder. Mais le rôle du débat intellectuel ne s’arrête pas à l’exhumation et à l’analyse des données factuelles noyées au fond de la présentation officielle, on attend de lui d’être le lieu où s’opère une reconstitution du contexte, souvent tu ou trahi par la présentation qui en est faite, afin de réinscrire ces données dans les bases idéologiques, politiques, historiques qui les sous-tendent. Le contexte fait en effet partie du fait qui s’y place et ne pas l’intégrer est une façon comme une autre de dénaturer le fait. La convocation de telles bases jette certes une lumière sur les endroits obscures d’un projet qui touche le cœur de la société. Toutefois, s’en suffire ne mènerait pas plus aux objectifs du débat que s’arrêter à mi-chemin d’un voyage mènerait à la destination visée. Le débat intellectuel est fondamentalement l’espace où ces bases elles-mêmes doivent être considérées comme objets de la discussion au même titre que les produits qu’elles dégagent, loin de leur statut admis de principes immuables et limitants invoqués à tout bout de champ à la rescousse d’une position en péril. Dans un tel refus systématique d’interroger les fondements idéologiques des positions défendues, le débat ne jouera guère son rôle de contrecarrer la propagande ; au contraire, il ne fera qu’occuper une parcelle à l’intérieur même de la propagande dont il ne diffère plus en nature.
La question que pose la loi d’orientation du système éducatif, mise dans le contexte général du pays, engage au moins trois éléments à débattre : le rôle de la loi, l’orientation de la nation et le projet de société mis en promotion. Vouloir restreindre cette loi d’orientation à une simple question de loi sur l’apprentissage c’est lui ôter sa substance et, accessoirement, éclipser tous les aspects de la vie nationale dans lesquels l’école agit, en réduisant cette dernière à un simple endroit d’acquisition de ‘savoirs’ qu’il faut réformer au vu de ses mauvais résultats. L’école est, et a toujours été, plus que cela. Et je le note sans aucun jugement de valeur. A-t-on jamais appris à l’école, avec l’objectivité due, les préceptes d’une idéologie contraire à celle défendue par l’État ? A-t-on simplement jamais appris à l’école, avec objectivité critique, l’idéologie que défend l’État ? L’apprentissage de celle-ci est toujours fait dans l’optique d’y faire adhérer les apprenants en usant de tous les moyens structurels mis à disposition. L’école est plus qu’un lieu d’acquisition de savoirs en étant aussi un lieu de tri de ces savoirs et d’orientations des contenus. Qu’elle soit mauritanienne, française ou béninoise, l’école est ainsi un haut lieu idéologique ayant pour livres saints ses manuels délimités par l’idéologie de l’État qui les a conçus, et véhiculant les dispositions d’un ordre sous le contrôle d’un clergé répondant au nom de ministère de l’éducation. L’on me dira que cette description est exagérée. Mais l’est-elle davantage que celle présentant l’école comme un innocent lieu de transmission de savoir ? En notant cet aspect, loin de discréditer cet organe essentiel de la vie en société et de lui refuser la reconnaissance de son rôle, nous ne faisons que refuser de soumettre notre description au bon vouloir de son image promue. Si nous voulons toucher du doigt notre sujet, nous devons accepter de nous départir de l’usage automatique des termes et descriptifs usés dans l’étiquetage publicitaires de ses éléments constitutifs en nous intéressant aux éléments eux-mêmes. Et il nous incombe alors de dire l’école telle qu’elle fonctionne et non telle que nous aimerions qu’elle soit ou que d’autres voudraient qu’on la voie. Il en vaut autant pour les autres éléments de notre dossier.
Dès son introduction, la loi, du moins le projet de loi, présente ses buts sociaux (comme l’égalité des chances, l’équité, la cohésion), ses buts identitaires-nationaux (on peut y lire « l’amour de la patrie », « respect des symboles » etc…) et ses buts civiques. Cela fixe les grandes lignes du projet de société que la loi dit vouloir concrétiser derrière l’idée de la réforme. Elle reviendra ensuite décliner, dans les titres et les chapitres qui suivront, son approche et les détails du modèle qui sera mis en œuvre afin d’atteindre les objectifs fixés. Ainsi, après la déclinaison du projet de société envisagé, le modèle à mettre en place sera la deuxième composante majeure de la loi. Quand la note de présentation du projet de loi, publiée plus tôt, parlait de la nécessité de combler l’absence d’un cadre juridique organisateur du système éducatif dans le même texte que celui mentionnant l’usage prévu des langues nationales, on était déjà au cœur de la question de la « politique linguistique ». Cette dernière occupe le chapitre II du Titre V du projet de loi et constitue, comme le témoignent les évènements qui continuent de jalonner ce processus législatif, le cœur du modèle proposé. Avant même de proposer une présentation de l’article phare de cette loi, à savoir le fameux article 65, il convient ici de remarquer l’incroyable maladresse, pour ne pas dire sabotage, consistant à vouloir solder cette éminente question de la politique linguistique dont la portée va au-delà du système éducatif, malgré l’important lien qu’elle entretient avec ce dernier, dans un cadre purement scolaire. Cela peut en effet nous faire penser à d’autres aspect de la question nationale (la loi d’amnistie en fait partie, d’autres faits relatifs au même dossier…) qui ne cessent d’être abordés dans des cadres inappropriés qui ne peuvent à l’évidence pas les contenir. L’expérience a montré que cela ne participe qu’à complexifier le problème mais jamais à le résoudre. Vouloir dissoudre la question linguistique dans une loi comme celle-là semble, hélas, être un nouveau cas de traitement inapproprié d’une problématique majeure en cela que la place des langues dans les autres secteurs de la vie nationale ne peut y être abordée et assurée. Or cette place, en tant que source de débouchés et comme marqueur concret de la politique linguistique, peut même conditionner le déroulement du modèle proposé. Si apprendre en soninké ne donne pas de débouchés ou ne produit que des « analphabètes » de la langue utilisée dans le secteur administratif, alors il sera prévisible que ce choix de langue ne sera qu’éphémère et qu’au bout de la pulsion identitaire légitime, les parents soninkés finiront par guider leurs enfants dans la langue qui rapporte, de la même façon qu’on fait tous les jours des choix guidés par l’intérêt économique et social au détriment d’un principe culturel et identitaire. Cela vaut évidemment pour le pulaar et le wolof. C’est pourquoi certains observateurs ont vu avec justesse que cet aspect de la loi n’a aucun sens sans l’officialisation de ces langues, sauf si la loi cherche à torpiller la question linguistique et l’officialisation avec, en mettant en équation sa part éducationnelle avec un vide complet au niveau de ses perspectives dans les structures économiques, administratives, politiques et in fine sociales. Il n’est rien de tel que cette démarche pour inspirer un rejet populaire du projet au cours de son déroulement. Par conséquent, avant même d’entrer dans le contenu de cet article, nous nous confrontons à un sérieux problème de cadre qui pose plus de questions qu’il n’en donne de réponses. En effet, à partir de ce problème, nous nous devons de nous demander quel est le type de modèle que cette loi nous propose. Car, même si on peut tout écrire et prétendre à tout comme buts escomptés, seul le modèle utilisé nous dira ses capacités réelles et vers quelle société il nous dirige. Il est donc question de savoir si nous sommes en face d’un modèle de transition vers l’usage généralisé de la langue dominante ou s’il contient une capacité palpable d’un développement multilingue. Car l’un et l’autre de ces modèles utilisent bien la diversité linguistique ; seulement le premier le fait en ayant le passage à la langue dominante pour but, et le second le fait en ayant les langues utilisées comme finalité. Cette catégorisation de modèles, mise en perspective avec l’absence d’officialisation et en particulier de débouchés clairs des langues pulaar, soninké et wolof, nous fait d’emblée nous attendre à un modèle de transition dont la mise en place ne requiert en effet aucun changement dans le statut constitutionnel des langues. Le statut courant suffisant à supporter le rôle accessoire qu’elles joueraient dans le système éducatif en vue. Donc, avec ces premières données, il est légitime de s’attendre à ce qu’il s’agisse d’un modèle de transition jusqu’à la preuve du contraire que fournira peut-être le contenu des articles. La question se simplifie donc : elle reste de savoir si les contenus de l’article 65 et de l’annexe qui s’y rapporte ont la capacité de contredire l’idée d’un modèle de transition suggérée par les données extérieures qui conditionnent sa mise en place.
De son côté, l’article 65 énonce explicitement des propositions contradictoires quand elles ne sont pas si superflues qu’elles suscitent de la suspicion à son encontre. Ces caractéristiques ont été discutées en long et en large par différents observateurs. Mais citons ses passages en guise de complétude. Comparons d’abord le contenu des trois propositions suivantes qui se suivent telles quelles dans l’article 65:
Prop. 1.« Pour offrir l’accès le plus facile, le plus efficace et le plus équitable au savoir, chaque enfant mauritanien sera enseigné dans sa langue maternelle, tout en tenant compte du contexte local et des impératifs de préservation de la cohésion sociale. »
Prop. 2.« L’enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux d’éducation et de formation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés. »
Prop. 3.« Les langues nationales Poular, Soninké et Wolof sont introduites, promues et développées à tous les niveaux d’éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés d’éducation et de formation, à la fois comme langues de communication et comme langues d’enseignement ; selon la langue maternelle et la demande exprimée pour chacune de ces langues. »
Pour peu qu’on soit soucieux de la logique des choses, comment peut-on assurer l’enseignement de tout enfant mauritanien dans sa langue (Prop. 1) et assurer en même le même enseignement en arabe (Prop. 2) ? Le manque de clarté ici entraîne une contradiction. La Prop. 3 ne se veut pas claire non plus car les modalités de cette introduction ne sont pas définies. Dans son régime maximum, elle entre en contradiction avec Prop. 2. Il y a toutefois une façon de résoudre la contradiction entre Prop 1 et Prop 2 si le mot « enfant » dans Prop 1 s’accompagne d’une limitation d’âge correspondant à la sortie du primaire, et si on fait appel à la suite de la loi qu’on verra comme une atténuation de la Prop 2 :
Prop 4. « Au niveau du primaire, chaque enfant mauritanien effectue l’apprentissage des disciplines scientifiques dans sa langue maternelle, tout en tenant compte du contexte local et des impératifs de préservation de la cohésion sociale. »
Donc ces passages de la loi sont plein de contradictions. Mais si on suit la résolution proposée, on voit des langues pulaar, soninké et wolof dont la considération est mieux affirmée au primaire qu’aux autres niveaux. Ce qui suggère encore une fois un modèle de transition.
Mais ce dernier passage le fait de façon encore plus claire :
Prop 5. « Tout enfant de langue maternelle arabe doit apprendre au moins l’une des trois langues nationales (Poular, Soninké et wolof). Le choix de cette langue est guidé par le contexte sociodémographique régional. L’arabe est enseigné à tous les enfants dont elle n’est pas la langue maternelle comme langue de communication et comme langue d’enseignement.»
Le bilan de cet article fondamental est que non seulement il n’a pas pu contredire l’hypothèse d’un modèle de transition, mais il participe même à l’étayer en optant pour une asymétrie dans le traitement entre l’arabe et les autres langues. Ce bilan est consolidé par les dispositions de l’annexe qui conditionne l’introduction généralisée des langues à un test dont les termes ne sont pas définis.
Maintenant si on est embarqué dans un modèle de transition, que pouvons-nous espérer ? Autrement dit, que reste-t-il des buts sociaux louables avancés dans l’introduction de la loi ? Tout d’abord, il se passe de discussion que toutes les communautés nationales ne sont pas à égale distance par rapport à l’arabe. Les locuteurs de la langue hassaniya, un dialecte de l’arabe, sont de loin les plus proches de cette langue que leurs compatriotes locuteurs du pulaar, soninke ou wolof. Un système dont le souci est de transiter ces derniers, par le biais des dispositions du modèle dessiné, vers l’utilisation pleine de l’arabe instaure d’emblée une inégalité dans les conditions d’apprentissage. Or peut-on atteindre une égalité des chances à partir d’une inégalité des conditions ? Cette première injustice est intercommunautaire. L’égalité des chances restera un mythe au moment où la communauté hassaniya est mise dans des conditions linguistiques de réussite meilleure que celles des autres communautés. Par ailleurs, à l’intérieur de chaque communauté, une autre forme d’inégalité des chances, de nature économique mais impliquée par la condition linguistique, subsistera dans la mesure où les communautés pulaar, soninke et wolof resteront face à une langue aussi étrangère que toute autre, érigée en passage obligée pour une réussite scolaire. Donc ce seront encore les classes les plus aisées qui auront globalement plus de chances que les autres dans la mesure où elles auront un moyen accessible d’action contre les barrières linguistiques en payant un service privé. Le même phénomène pourrait être observé, à moindre degré, dans la communauté hassaniya quant à l’adaptation à l’arabe classique (mais il est très probable qu’on décide d’en rester à la version du hassaniya par le principe bien connu du moindre effort). Donc les buts sociaux sont doublement un leurre pour les communautés pulaar, soninke et wolof.
Mais alors qu’en est-il du but national ? Qu’adviendra-t-il de l’identité nationale aussi fermement défendue mais si peu définie dans les termes de la loi ? Si la définition de l’identité nationale est à la charge de l’école, la nôtre de par modèle choisi, produit l’arabe ou l’arabisé. Faire entrer des petits soninké, wolof et pulaar, et ressortir des arabisés fait incontestablement de notre école une machine d’assimilation comme l’école française l’a été pour les petits bretons, basques, alsaciens et leurs autres camarades d’autres régions. Il n’aura fallu qu’à peine un siècle après les lois Ferry sur la généralisation de l’école pour changer de fond en comble le paysage sociolinguistique français. Les jacobinistes mauritaniens expliquent les éléments asymétriques dans la politique linguistique déclinée dans la loi, et qu’on a vu sont de nature à inscrire le système dans un modèle de transition, par une prétendue majorité de l’arabe. Une majorité qu’aucune statistique ethnique actuelle ne soutient. Ce qui fait que la communauté qui en est bénéficiaire est jusque-là plus majorée que majoritaire. Mais quand bien même il y aurait une majorité arabe ou pulaar ou autre en Mauritanie, nous serions bien d’accord que cet état de majorité serait valable à un instant précis de l’histoire. L’évolution démographique peut en faire ce qu’elle voudra dans le futur. L’idée de la figer au profit des uns et au détriment des autres en faisant fi de l’expression libre du devenir démographique des uns et des autres n’est donc pas objective. Elle le serait si elle soutenait par exemple que « la langue de l’État est la langue majoritaire ». Un tel principe pourrait volontiers être nommé « unilinguisme ouvert » par opposition à « l’unilinguisme fermé » consistant à nommer et entériner la langue majoritaire à l’instant t. Ainsi, dans un unilinguisme ouvert, si aujourd’hui c’est le wolof la langue majoritaire, alors le wolof sera pris. Quand cela changera dans trente ans au profit du soninké, cette langue serait l’heureuse élue en ce moment-là. S’il s’agissait d’un unilinguisme fermé, comme c’est le cas aujourd’hui en Mauritanie, on inscrirait dans la constitution que « wolof est la langue de l’État » en se basant sur le nombre majoritaire de ses locuteurs d’aujourd’hui tout en n’envisageant pas de le changer si la situation se renversait au profit du soninké ; ce qui serait refuser un droit au soninké pour les mêmes raisons qu’on l’avait accordé au wolof. Voilà la contradiction fondamentale de l’unilinguisme fermé et son injustice intrinsèque. La seule façon de résoudre ce problème tout en restant à l’intérieur du cadre de l’unilinguisme fermé est de plonger davantage dans l’injustice et d’assurer à la langue élue la persistance de sa position de majoritaire en usant de tous les moyens de l’État pour arriver à cette fin. Certains pays ont appliqué une telle politique ; ainsi, les langues régionales françaises sont mortes ou en agonie. D’autres pays comme la Suisse arrivent, en optant pour un multilinguisme décomplexé, à préserver ses langues, en particulier le romanche dont la survie ne serait pas possible autrement. L’unilinguisme ouvert ainsi défini, est exempt de l’injustice `interlingue’ constitutionnel. Car il propose un droit qu’en théorie toute langue peut atteindre quand elle est dans les conditions. Mais il pose deux problèmes. Premièrement, l’évolution démographique peut mener à une situation où aucune langue n’est majoritaire : il atteindrait alors ses limites et devrait improviser ou le système serait clôturé. Le deuxième problème est qu’en réalité il n’est juste qu’entre les langues, mais qu’à l’intérieur de chaque cycle les locuteurs des langues minoritaires subiront une injustice sociale ; et celle-là n’est pas justifiable par une expression du type « Tenez bon et faites des bébés, ça pourrait être le tour des autres dans un siècle ». Cela dit, dans un unilinguisme fermé, celui qu’on vit, peu importe le nombre de bébés que le camp des ‘minorités’ ferait, la constitution dit que ça sera toujours leur tour de souffrir ! Dans ce sens, l’unilinguisme ouvert reste, malgré ses problèmes de structure et son injustice sociale cyclique, meilleur que l’unilinguisme fermé. Par conséquent, seul le multilinguisme reste un une option viable. Ainsi, l’on peut dire qu’un projet de société soucieux de l’égalité des conditions et, par voie de conséquence, celle des chances, passe par le choix du multilinguisme. C’est ce dernier qui est également le garant d’une identité nationale diverse. Si l’on veut libérer les buts sociaux que la loi affiche des pièges du choix idéologique jacobin ambiant et en faire, peut-être un jour, des réalités pleines, une étape impérieuse nous incombe ; celle de l’officialisation des langues pulaar, soninke et wolof, seule garante de la réussite de tout projet éducationnel les concernant.
Mouhamadou Sy
Le 21 Septembre 2022
DÉCLARATION DE PRESSE DES FPC SUR L’ÉPURATION ETHNIQUE EN MAURITANIE
UNE IMPORTANTE DÉCLARATION DE PRESSE DES FPC SUR L’ÉPURATION ETHNIQUE EN MAURITANIE
Des tractations sur le dossier du Génocide des années de braise, dit par certains du ”Passif humanitaire”, entre les émissaires du Président Ghazouani et certains représentants des victimes et ayants droit regroupés au sein des coalitions de défense de leurs intérêts sont en train d’aboutir à des résultats viciés par la détermination de l’Etat à solder au rabais des crimes odieux consécutifs à l’épuration éthnique subie par la commuanauté négro-mauritanienne. Cette enième machination va connaitre le même sort que celui des précédentes infructueuses tentatives d’un réglement consensuel qui élude ce qui devrait en constitue la substance, à savoir la vérité sur les faits et la justice pour les victimes.
Le pouvoir et ses démarcheurs ont cru pouvoir compter sur l’usure du temps, la précarité des conditions sociales des victimes et le sentiment de lassitude grandissant pour imposer une solution pécuniaire et une mise en scène symbolique en lieu et place d’une prise en compte exigeante des devoirs de Vérité et de Justice, conditions obligatoires pour tout réglement sérieux des crimes contre l’humanité de l’ampleur de ceux commis dans notre pays. Ne pas faire face ici et maintenant à la prise en charge courageuse de ces douloureux évènements par des voies et moyens expérimentés par des pays ayant connu les mêmes faits, c’est reporter la nécessaire réconcialition nationale que de nombreux patriotes mauritaniens appellent de tous leurs voeux.
Rappelons encore une fois que ce dossier tragique concerne et interpelle le peuple mauritanien dans son ensemble et non seulement les principales victimes et leurs familles.
Les FPC appellent les victimes et les ayants droits à ne pas céder aux tentations, à préserver leur unité et à poursuivre la défense des principes qui ont guidé jusque-là leur combat: le refus de l’impunité, les exigences de vérité et de réparations et, la nécessité du pardon en tant qu’aboutissement. Ce combat est juste. Il préserve leur dignité et celle des disparus.
Les FPC invitent le Président Ghazouani à s’inspirer de l’expérience malheureuse de ses prédécesseurs sur ce dossier. La solution que tentent d’imposer ses émissaires reconduit les mêmes travers qui ont compromis les tentatives de réglement précédentes. Les intermédiaires auront changé mais le contentieux et les exigences de justice demeureront dans toute leur acuité.
Nouakchott le 17 septembre 2022.
Le département de la communication et de la presse.
Les FPC alertent contre une tentative de solder au rabais les crimes du régime Taya
Les Forces Progressistes pour le Changement (FPC/issues des Forces de Libération Africaine de Mauritanie/FLAM), alertent contre des manœuvres à travers lesquelles, le pouvoir du président Mohamed Cheikh Ghazouani et certains représentants des victimes des massacres collectifs des années 1989/1991, tentent un règlement au rabais de ce dossier, dans une déclaration rendue publique samedi.
Le document des FPC vise « des tractations sur le dossier du génocide des années de braise, que certains désignent sous « les termes de passif humanitaire » entre les émissaires du président Mohamed Cheikh El Ghazouani et quelques représentants des victimes et ayants droit, regroupés au sein des coalitions de défense de leurs intérêts ».
Une démarche dont l’objectif évident «est d’aboutir à des résultats viciés par la détermination de l’Etat à solder au rabais des crimes odieux, consécutifs à l’épuration subie par la communauté négro-africaine ».
Toutefois, les camarades du président Samba Thiam demeurent convaincus que « cette énième machination va connaître le même sort que celui des précédentes infructueuses tentatives d’un règlement consensuel, qui élude ce qui devrait en constituer la substance, à savoir la vérité sur les faits et la justice pour les victimes ».
A signaler qu’un débat sur la qualification des orgies sanguinaires des années du régime de Maouya ould Sid’Ahmed Taya, agite la toile depuis quelques semaines, au sujet de la qualification des faits
dans le cadre de la législation pénale internationale.
Ainsi, le Professeur Lô Gourmo, avocat inscrit au barreau de Nouakchott, et vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP), défend une thèse suivant laquelle les massacres des années de braise sont à classer dans le registre «du crime contre l’humanité ».
L’avocat semble ainsi adopter une position stratégique, à partir de laquelle la qualification des faits serait plus facile à établir.
Dans le même temps, Mohamed Lemine, un éminent spécialiste opérant à l’étranger, soutient une thèse suivant laquelle les différents éléments du puzzle sanguinaire des années 1989/1991
constituent un cas de crime de génocide.
Cette deuxième position serait « d’ordre académique », note un avocat.
Au-delà de ce débat, il faut noter que le génocide et le crime contre l’humanité emportent les mêmes peines du point de vue de la législation pénale internationale.
Quant aux termes « passif humanitaire » ils relèvent d’un euphémisme désignant des crimes politiques graves, dans le cadre d’une démarche sans rapport avec le droit, ajoute la ce même source.
Ould Abdel Aziz libre : En attendant le prochain épisode
L’ex-président Ould Abdel Aziz, qui croupissait sous contrôle judiciaire depuis des mois, vient de recouvrer sa liberté. Grand ouf de soulagement dans son entourage et de ses conseils ! Lesquels affirmaient récemment dans un communiqué qu’il n’y avait pas d’autre solution que de libérer leur client, « les accusations à son encontre ne reposant sur rien ». C’est fait depuis le 7 Septembre. Les avocats avaient également ajouté que leur client attendait désormais le procès. Adieu donc l’article 93 martelé jusqu’ici par le prévenu et ses avocats ! On croit que l’ex-Président va enfin parler, répondre aux questions du tribunal, affronter peut-être ses anciens ministres qui l’ont lâché. Un évènement très attendu et qui risque d’éclabousser pas mal de monde. Jusque-là, Ould Abdel Aziz qui s’est dit harcelé, humilié n’a pas révélé grand-chose lors de ses conférences de presse, comme s’il n’avait, en fait, pas d’arguments à faire valoir. Mais en attendant ce « grand » moment – en tous les cas, un précédent dans le pays – les Mauritaniens restent dubitatifs et se demandent si le procès aura bel et bien lieu.
L’organiser sera, pour la justice mauritanienne, réussir un gros challenge. Et, pour le gouvernement, prouver, d’une certaine manière, la séparation effective des pouvoirs. La fin du contrôle judiciaire et la remise des passeports à l’ancien Raïs paraît constituer le premier pas du processus. Si Ould Abdel est blanchi par la justice, il pourrait, comme il l’a promis, se relancer dans la politique et, pourquoi pas, se présenter à la prochaine présidentielle. Une hypothèse au demeurant difficilement envisageable pour les observateurs car les relations entre l’ex et son successeur ont quasiment atteint un point de non-retour, même si rien n’est impossible en politique. Le gouvernement suspecte, voire accuse, l’ancien président de détournements de montants colossaux. Pourrait-il se dédire et restituer le patrimoine consigné à Ould Abdel Aziz ? À quel prix ? Une chose est sûre, il en perdrait définitivement sa crédibilité et la confiance des Mauritaniens. Depuis trois ans qu’il dirige le pays, le successeur d’Ould Abdel Aziz n’a pas réussi à se séparer des hommes de confiance de son prédécesseur dont le régime est si décrié. Cette absence de rupture d’avec la gouvernance antérieure a fait – fait encore – grincer les dents et penser à une espèce de cirque, auquel il nous faut assister depuis le déclenchement du fameux « dossier de la Décennie ». Certains n’hésitent pas à y voir comme un deal. Et racontent, depuis la fin du contrôle judiciaire d’Ould Abdel Aziz, qu’après même une condamnation, celui-ci pourrait bénéficier d’une grâce présidentielle. Une amitié de quarante ans ne se perd pas si facilement.
Réhabilitation ?
Pour Ould Abdel Aziz, le procès sera peut-être l’occasion de se défendre mais surtout celle de laver « l’affront ». Qui l’eût cru ? Celui qui régna presque onze années à la tête du pays, cet homme craint et fonceur, a été accusé, entre autres, de détournement de deniers publics, recels et entrave à la justice. Arrêté, il a été jeté dans une prison taillée sur mesure. Ses demandes répétées de liberté provisoire et de sortie du pays pour se faire soigner à l’étranger ont toutes été rejetées, alors que certains de ses anciens Premiers ministres et ministres se retrouvaient pratiquement blanchis. « Règlement de comptes et harcèlement », « politique de deux poids, deux mesures ! », glapissaient ses proches et conseils.
Ould Abdel Aziz semble déterminé à recouvrer son entière liberté et son honneur foulé au pied. Il ne ratera pas l’occasion d’exploiter le mécontentement des citoyens face au pouvoir de Ghazwani, surfer sur la hausse continue des prix des produits vitaux, le chômage, le recyclage des anciens cadres suspectés de gabegie, la gestion des eaux de pluies à Nouakchott…Même si le chahut du public au stade Boïdiya et l’appel à Ould Abdel Aziz peuvent être considérés comme phénomènes épidermiques, le gouvernement doit les prendre au sérieux. La gouvernance de Ghazwani semble bel et bien faire l’affaire pour… l’affaire d’Aziz.
Dalay Lam
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