Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Agadez la stoïque …

altLundi 27 mai 2013, 09h45 du matin, le Mont Bagzane (du nom du sommet de ces montagnes de l’Air culminant à 2022 mètres soit 6634 pieds), l’avion du Président de la République du Niger s’immobilise sur le tarmac de l’aéroport international Mano Dayak d’Agadez.

La matinée n’est vraiment pas chaude (la saison de chaleur est pourtant à son pic au Niger), elle n’est pas du tout fraîche : elle est dans cet entre deux qui enveloppe la vieille cité, capitale du nord Niger.
Hier nous ne parlions que de ‘’Nord-Mali’’, aujourd’hui nous nous mettons à évoquer le ‘’Nord Niger’’.
Pourquoi dans nos contrées, les difficultés viennent systématiquement par le nord ?
Un hasard ? Une mauvaise et passagère loi des séries ?
Ou alors, serait-ce parce que certains tiennent mordicus à nous délester de notre nord, à nous le faire perdre, eux qui ont définitivement rompu avec le leur ?
A Agadez, le climat a donc décidé de se mettre au diapason de cette lourde atmosphère d’incertitude qui enveloppe la ville : ni chaud, ni froid, juste un purgatoire climatique.
Cette impression finit de vous persuader, même si vous n’êtes pas informé, que la cité porte un deuil.
Il y a une douleur dans cet air un peu contrit, dans cette foule peu nombreuse et ces regards graves, sur ces visages attentifs mais distraits, hospitaliers mais peinés, avenants mais comme endoloris…
Les nigériens sont d’un tempérament très stoïques, endurants, patients…
Le protocole de l’accueil est solennel mais réduit au strict minimum, sans effusion, avec netteté, sans fioritures.
On entend surtout et on voit cet assourdissant silence, mélange de colère rentrée et de recueillement collectif.
La République est affligée, comme les gens d’Agadez.
Le pays est uni : le Président de la République Issoufou Mahamadou s’est fait accompagner pour la circonstance par le Président de l’Assemblée Nationale et surtout, par le Chef de file de l’Opposition.
La présence massive du Corps diplomatique témoigne de la solidarité internationale.
Le sol, habituellement peu nanti de végétation, est plus dépouillé encore, presque un paysage lunaire, un paysage minéral, hier tirant vers le marron, désormais délavé, un reg jaunâtre…
Certes, on est déjà dans la période de soudure, celle de la canicule, des sols asséchés, des déficits hydriques, des tarissements cycliques, des desséchements récurrents … mais là, le sol d’Agadez semble avoir perdu, en plus de son eau, ses larmes.
La terre a beaucoup pleuré, depuis ce funeste jeudi 23 mai 2013, où les terroristes ont  frappé Agadez.
Le ciel, la terre, l’air, les gens(les arrivants, les locaux, les officiels, la multitude…), les bâtiments, les enseignes… tous sont chagrinés.
Pourtant aucune effusion particulière, aucun cri, aucune démonstration d’exubérante tristesse … la douleur est visible mais contenue, la souffrance est réelle mais la dignité en couvre pudiquement la face, l’affliction est là mais la forte croyance islamique, par son fatalisme, par son acceptation du Destin, en atténue la fureur …
Tout au long des rues de la ville, des hommes, des femmes, des enfants … tous debout pour souhaiter la bienvenue aux illustres visiteurs… mais à la manière de ceux qui se lèvent lors du passage d’un cortège funèbre (tradition musulmane due au Prophète Mohamed SAWS et très respectée au Niger).
Ils ne disent rien. Ils sont justes là.
Le cortège traverse une ville debout, dehors, mais silencieuse, atone…
Agadez n’est pas une ville ordinaire. C’est une cité historique, inscrite au patrimoine de l’Humanité, et sacrée.
Elle ne compte pas moins de 83 Mosquées dont 4 de Vendredi, 79 de quartier et dont la plus célèbre date du XVIème siècle.
S’en prendre à elle est donc plus qu’une banale agression.
C’est pire, une profanation.
Agadez est accablée, violentée, blessée, martyrisée … Elle a comme perdu une certaine virginité, venue à l’âge adulte par un viol…
Mais Agadez s’est relevée et veut croire que ce cauchemar se soigne et que l’espoir arrive, porté par notre caravane, comme dans son glorieux passé, ces processions de dromadaires lui apportaient si souvent la délivrance.
Au milieu de cette déshérence collective, trône la fameuse Mosquée d’Agadez, témoin de ce prestige spirituel, baraka des environs : une légende raconte que ses milliers de poutres en bois n’ont été installé que lorsque, sur chacun, fut lu le Saint Coran en entier …
Nous nous dirigeons vers la caserne-école militaire où s’est concentré le supplice terroriste.
Sur un immense terrain vague, si dégagé, si épuré, si infini … qu’il semble fait pour illustrer l’expression éponyme, ‘’le vague à l’âme’’.
Des rangées de militaires pour rendre les honneurs, à nous-mêmes surement, mais surtout à leurs frères d’armes tombés sur le champ d’honneur.
Une succession de tentes et de rangées de hangars provisoires pour nous mettre à l’abri d’un soleil en passe de fondre lui aussi en larmes, de verser ses rayons en mode liquide sur nos peaux déjà cuites en surface …
Des hommes et des femmes si sagement assis, dans la détresse, dans l’attente aussi de cette espérance annoncée, venant de Niamey.
Là aussi par catégories(les religieux à part, les familles des victimes de coté, les officiels, le commun des agadessois se serrant les coudes, les maitres de cérémonie, les journalistes et autres techniciens s’affairant partout …), comme si on remettait aussi en ordre, ce lundi 27, ce que les criminels du jeudi 23 ont voulu éparpiller, désorganisé, déchiqueter …
A tous égards, cette cérémonie veut panser les plaies, honorer les morts, soulager les survivants, enterrer ce sombre passé et embrasser un bel avenir… dans sa forme comme dans son fond.
Le rituel commence alors par une Fatiha et quelques versets-prières.
S’en suit le cérémonial militaire : le Ministre nigérien de la Défense égrenant respectueusement les noms des victimes et leur consacrant la reconnaissance posthume de la Nation.
Enfin, le Président de la République va à la rencontre des veuves, des pupilles de la Nation et leur présente ses condoléances, celles de la République.
Plus tard, il prendra la parole, devant un parterre d’officiers et d’hommes de troupe, bérets verts et d’autres rouges.
Il trouvera les mots justes et le ton approprié pour dire la colère de la République, la blessure de la Nation, le deuil du pays, la détermination de l’Etat à continuer la lutte contre le fléau terroriste, la résolution du Gouvernement, la solidarité de la Communauté Nationale…
C’est seulement dans la tragédie que la Fonction Présidentielle prend tout son lustre, montre tout son éclat…
Nous marchons alors vers la seconde étape : visiter la caserne attaquée.
Nous marchons quelques centaines de mètres et nous voici en face de cet imposant portail, désormais béant, par lequel est entrée, par effraction criminelle, la voiture de la mort.
Tout est champ de ruine, la scène du crime est encore (presque) intacte, fumante et sanguinolente…
Un immense cratère de quelques mètres creusé dans un sol pourtant dur.
Un grand morceau de châssis, des centaines de petites pièces de métal comme méticuleusement découpées à la scie, des arbres intégralement calcinés, noirs d’ébène (leurs feuilles, leurs branches, leurs troncs …), avec une fine poudre à la surface, comme frappés par une foudre, ou atteints par une chute de météorite, les toits (en zinc) des bâtisses disloqués, des antennes paraboliques défigurées et définitivement inaptes à capter le moindre signal satellitaire, des dortoirs aux meubles en vrac, traces de luttes féroces, attestant du courage des résistants, des flaques de sang couvrent le sol nu, une moquette bien précieuse, des chaussures de sport abandonnées, désormais surement orphelines …
Un ouragan meurtrier est passé par ici.
Il a tout souillé, détruit, tué alentour, les hommes comme les arbres, les plantes comme la terre, les maisons comme les moindres objets de vie …
Nous suivons des explications très documentées et instructives d’un expert militaire nigérien sur les éléments constitutifs du mélange explosif utilisé.
La seule circonstance où les terroristes font dans le syncrétisme : lorsqu’ils fabriquent leurs bombes …
Ils ne sont œcuméniques que pour fabriquer de quoi tuer …
Puis nous entrons dans ce couloir étroit, où on sent la chair humaine, mêlée de gaz lacrymogène, de chevrotine, de plomb.
Il se termine en impasse dans une douche à l’angle de la demeure.
Là s’est suicidé l’un des terroristes assiégé.
Sa tête, nous dit-on, a traversé le plafond de zinc pour retomber dehors.
Sur les murs, la viande humaine hachée, séchée, plus du tout rouge, plutôt brune, des éclats qui ont du gicler puissamment et se coller là, pour se séparer de ce corps malade, chair mourante mais probablement soulagée de quitter cette tête qui l’a menée vers tant de cruauté…
Depuis quand le martyre se conçoit-il dans les toilettes, lieu d’impureté où le Coran ne se lit pas et où la prière ne s’énonce guère ?!
Mais ce n’est pas le seul écart que ces prétendus musulmans, vrais criminels, ont pris avec l’Islam.
Ainsi, ils ont choisi de tuer en plein mois sacré de Rajab où l’Islam a confirmé l’interdiction de la guerre, en vigueur bien avant lui dans la péninsule arabique.
Ils ont aussi pris sur eux d’attaquer, à l’heure de la prière, pour trouver les gens absorbés par leur culte, donc pour massacrer des bons croyants, fidèles pratiquants …
A Arlit, les personnes tuées par l’explosion accomplissaient la prière du Vejr (l’aube) à coté de la centrale électrique …
Peut-on concevoir pire cruauté, plus grande hérésie, déraison plus criminelle ?
Et puis, on m’a raconté l’histoire de cet enfant.
Il avait 14 ans accomplis. Il avait l’habitude, en allant vers la prière d’El-Vejr (l’aube) de passer par la caserne et de se faire accompagner par un cousin soldat.
Ce matin là, il a été fauché par la barbarie terroriste.
Les assaillants disent chercher la Chahada (le martyr) …
Ils en sont bien loin mais pour sur, ils ont donné à Agadez et au Niger 25 martyrs(Chouhada) …
En quittant la caserne, on sort avec la lourde impression d’avoir été témoin de l’après passage de l’apocalypse, The day after (le jour d’après).
La vie va et doit reprendre, dedans comme dehors… pour la mémoire de ces âmes innocentes lâchement arrachées à l’affection des leurs, ombres filantes dans les rues aux foules clairsemées du bel Agadez …
 
                                                                
                                                                                              Niamey le jeudi 30 mai 2013
 
                                                                           Abdallahi Ould Bah Nagi Ould Kebd
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