Les «experts» européens débarquent au Sahel
Au Sahel comme ailleurs, la nature a horreur du vide. L’incapacité de Bamako à contrôler le nord de son territoire, laissé depuis plusieurs années aux trafiquants de tous ordres et à des combattants islamistes de plus en plus radicalisés, a eu des conséquences tragiques.
Les autorités maliennes ont perdu en quelques jours le contrôle de la moitié Nord du pays. Terrible humiliation pour le drapeau national.
Les voisins du Mali, comme les Occidentaux, n’ont qu’une hantise: l’effet domino. Et surtout la contagion au pays voisin le plus fragile, le Niger.
L’incapacité de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à envoyer une force militaire au Mali pousse donc les Européens à agir.
Des experts européens ont commencé à discrètement se déployer au Niger début août. Au total, la mission baptisée Eucap Sahel Niger comptera une cinquantaine d’experts et devrait étendre son champ d’action au Mali et à la Mauritanie.
Sa mission est de former les forces de sécurité locales. Basée à Niamey, la mission aura des officiers de liaison à Bamako et Nouakchott.
Comme le souligne l’UE, «le Sahel occupe une place importante dans l’agenda politique de l’Union européenne. Les intérêts de l’Europe dans cette région sont multiples: ils comprennent la lutte contre l’insécurité et la criminalité organisée, la sécurité énergétique et l’immigration illégale».
Sécurité énergétique. L’UE n’insiste pas sur ce thème mais tout le monde a compris. Le Nord malien ne représente aucun intérêt stratégique vital pour les Européens. Il n’en est pas de même pour le Nord-Niger, notamment pour la France.
La mine géante d’Imouraren
Personne n’a oublié que la société française Areva y exploite de l’uranium, qui alimente les puissantes et nombreuses centrales nucléaires françaises. Elle y exploite deux gisements à Arlit et Akokan.
Mais surtout, elle doit —si la situation sécuritaire le permet— exploiter en 2013-14 la mine géante d’Imouraren, toujours dans le grand nord, qui sera alors la deuxième plus importante mine du monde.
«Sauver le soldat» Niger
Et il est bien sûr hors de question, pour les Occidentaux, que cet uranium tombe aux mains des «fous de Dieu». On imagine sans mal l’utilisation qui pourrait en être faite au moment où l’Iran, accusée d’être en train de se doter de l’arme nucléaire, menace de rayer Israël de la carte…
Il faut donc «sauver le soldat» Niger, d’autant plus que le régime au pouvoir à Niamey n’est pas une sanglante dictature tropicale. Mahamadou Issoufou a été élu en mars 2011 lors d’une présidentielle «juste et transparente» et sans heurt.
Le président Issoufou est donc le partenaire idéal, sans grand risque de déclencher la colère des organisations de défense des droits de l’Homme. Fin juillet, le ministre français des Affaires étrangères a d’ailleurs débuté à Niamey sa tournée africaine, preuve de toute l’attention que Paris porte à son allié.
Le Niger constitue en outre un maillon essentiel dans la lutte anti-terrorisme, car situé entre le sanctuaire malien d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et les fanatiques de Boko Haram qui terrorisent depuis plusieurs années le Nord du Nigeria.
Renforcer l’armée nigérienne, c’est aussi empêcher les islamistes de constituer un corridor entre ces deux foyers islamistes. D’autant plus qu’aujourd’hui, les frontières sont poreuses et les échanges entre Aqmi et ses frères nigérians existent déjà.
Mais le renforcement de la présence d’experts, civils et militaires, de pays occidentaux, France et Etats-Unis en tête, dans les pays sahéliens, a le don d’irriter les Algériens.
Mais Paris juge avoir fait preuve de suffisamment de patience. Un rapport parlementaire français, publié en mars, avait critiqué l’attitude d’Alger, attitude jugée trop passive par rapport à la dégradation de la situation sécuritaire à ses frontières méridionales.
«Il est incontestable que, jusqu’à présent, l’attitude de l’Algérie face à la menace représentée par Aqmi sur son flanc sud a été ambiguë et a pu confiner au double, voire au triple langage», selon le rapport. La critique, exprimée en terme diplomatique, n’en est pas moins virulente.
Et c’est bien cet immobilisme suspect d’Alger et la défaillance de la Cédéao qui a poussé les Occidentaux à agir rapidement et dans la discrétion pour contenir l’incendie islamiste.
Obama ne veut pas s’embourber dans les sables du Sahara
Que l’Algérie le veuille ou non, il y a aura de plus en plus de militaires français et américains dans la bande sahélienne.
Si Alger avait voulu éviter cette situation, il aurait fallu qu’elle envoie ses hommes soutenir l’armée malienne. Maintenant, il est trop tard. Mais l’envoi d’«experts» ne signifie pas pour autant que les Occidentaux préparent une intervention militaire.
Juste avant une élection présidentielle, Barack Obama ne veut pas s’embourber dans les sables du Sahara. La crise syrienne et la menace iranienne mobilisent déjà suffisamment la diplomatie américaine. Quant à l’armée US, elle se retire progressivement d’Afghanistan.
Même chose pour la France. Le paisible François Hollande n’est pas l’hyperactif Nicolas Sarkozy, qui a projeté l’armée française en Libye et en Côte d’Ivoire.
Le président français a déjà fort à faire pour éviter que son pays plonge dans une terrible récession économique et doit déjà faire face à des plans sociaux à répétition.
Il a engagé un retrait anticipé d’Afghanistan, soutenu en cela par son opinion publique, davantage intéressée par le maintien de son pouvoir d’achat que par des aventures militaires sous de lointains tropiques.
Si intervention militaire il doit y avoir dans le Nord-Mali, elle sera le fait des Africains. Ce qui est somme toute plutôt normal pour une «Afrique émergent » qui veut prendre son destin en mains. Mais les «experts» européens et américains seront là pour apporter une aide logistique à leurs frères africains.
N’en déplaise à Alger, les choses commencent enfin à bouger au Sahel pour éteindre l’incendie islamiste.
Source: SlateAfrique