Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

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De l’invisibilité institutionnelle à l’amnésie mémorielle. Par maître Taleb Khyar o/ Mohamed Mouloud

Il ne faut pas se voiler la face ; les populations dont l’amnésie mémorielle est recherchée à travers la réforme de l’enseignement, sont bien les populations négro-africaines, c’est-à-dire les toucouleurs, les soninkés et les wolofs.

Ce sont ces populations dont on veut gommer la mémoire, par l’obligation qui leur est faite d’apprendre une langue dans laquelle ils ne s’identifient point, d’acquiescer à travers cet enseignement à des valeurs qui ne sont point les leurs, pour se voir à terme assujetties à une culture dont les promoteurs veulent faire de l’enseignement un levier de suprématie et de domination.

Gommer la mémoire est une arme d’extinction , alors que les communautés concernées, sont déjà victimes d’une exclusion, comme cela est perceptible à travers les privations de leur élite de toute responsabilité majeure dans l’administration, l’armée et la justice, en violation flagrante de la constitution en son article 12 qui dispose que « Tous les citoyens peuvent accéder aux fonctions et emplois publics sans autres conditions que celles fixées par la loi ».

Dans la même veine, on peut rappeler l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Mauritanie, aux termes duquel : « Tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, d’accéder dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays », et cet article de poursuivre : « Toutes les personnes sont égales devant la loi, et ont droit sans discrimination, à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination, et garantir une protection égale et efficace contre toute discrimination………………. ».

On pourrait ajouter, s’il en était besoin, les dispositions pertinentes de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, qui figure en bonne place également dans le préambule de la constitution mauritanienne, et qui prévoit en son article 21 alinéa 2, que « Toute personne a droit à accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques de son pays », dispositions reprises par la Charte africaine des droits de l’homme, à laquelle la Mauritanie est partie prenante, comme cela est proclamé dans le préambule de la constitution. 

Il faut regretter qu’en la matière, les dispositions pertinentes de la constitution, comme celles des conventions internationales auxquelles la Mauritanie est partie prenante, soient sans cesses transfigurées par toutes sortes de passe-droits, d’instructions et de circulaires anticonstitutionnelles, débouchant sur des voies de fait, et autres exclusions arbitraires et discriminatoires, empêchant ces communautés de postuler à toute fonction, ou de s’y maintenir, victimes comme elles le sont déjà, d’une invisibilité institutionnelle.

Pour revenir au propre du sujet, il suffit de rappeler que l’éducation doit viser le plein épanouissement de la personnalité humaine, tendre vers le renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que « les parents ont par priorité , le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » comme le prévoit l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, en son dernier alinéa.

Au moment où la langue soninké se voit bénéficier d’un statut international, où la langue peulh est l’une des plus écoutées sur les radios internationales, et l’une des plus parlées au monde, avec plusieurs dizaines de millions de locuteurs, aussi bien en Afrique de l’Ouest, que Centrale, qu’en Afrique de l’Est, y compris jusqu’aux berges de la mer rouge, où le wolof qui est en nous comme nous sommes en lui*, connaît un rayonnement culturel, aussi bien en Afrique, qu’en Europe, qu’aux Etats-Unis ; vouloir à ce moment-là gommer ces langues, est une erreur stratégique qui vient exacerber les antagonismes d’une pluralité culturelle mal assumée, ce qui explique d’ailleurs, que de temps à autre, il y ait une activation de l’offre identitaire par des entrepreneurs de violence, qui font de la survalorisation d’une identité au détriment des autres, un fonds de commerce florissant. La fonction essentielle de ces entrepreneurs de violence, ici comme ailleurs, est de calquer leur stratégie sur les dysfonctions sociales, en prévision d’une défiance généralisée, propice à des affrontements intercommunautaires.

Dans des pays où le concept de société civile ne porte pas écho, où l’allégeance à l’Etat est prompte à céder le pas aux allégeances tribales, communautaires, religieuses, les entrepreneurs de violence, qui parient sur les exacerbations identitaires, auront toujours le beau rôle; on a vu ce que cela a donné au Soudan, avec une partition du pays, qui se poursuit malheureusement ; on a vu ce que cela a donné dans la région des grands lacs, avec des conflits intercommunautaires virant au génocide, outre une remise en cause du principe de territorialité* ; on a vu ce que cela a donné en Ethiopie, mais aussi en Syrie avec l’extermination des yazidis, extermination également des kurdes aussi bien du côté syrien que turque ; ce que cela a donné au Nigéria devenu le Pakistan noir de l’Afrique, avec des conflits intercommunautaires à connotation religieuse, outre les conflictualités classiques, entre éleveurs et agriculteurs que l’on retrouve du reste un peu partout, dans les pays confrontés à de tels dysfonctionnements,…………..etc.

On pourrait prolonger à l’infini la liste des pays, où les tutelles clientélistes, sectaires, ethniques, religieuses, ont remplacé l’allégeance citoyenne aux Etats, contribuant de la sorte aux rivalités intercommunautaires.

Evidemment, je vous fais grâce des atrocités qui accompagnent ces dysfonctionnements sociaux :pauvreté, insécurité alimentaire, pillages, viols collectifs, tueries en masse, création de camps où les populations civiles, qui deviennent réfugiées dans leur propre pays, et les seules victimes de ces dérives identitaires, se retrouvent parquées dans des camps de fortune, en attente d’une hypothétique protection, et d’une prise en charge non moins hypothétique, par des associations, de plus en plus en mal de financements.

Revenons à la Mauritanie, pour dire simplement que ceux qui ont renoncé à leur berbérité, ne devraient pas se croire autorisés, pour se faire bonne conscience, à imposer leur choix aux autres nationalités négro-africaines de Mauritanie, qui tiennent elles, à leur négrité*.

*Avocat à la Cour

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre

*N’oublions pas que nous avons avec les wolofs, une ancêtre commune en la personne de la reine du Walo Djeumbeut Mbodge

*Ces conflictualités finissent immanquablement par impliquer les populations qui se trouvent d’un côté comme de l’autre des frontières communes au pays concerné avec ses voisins, ce qui remet en cause le principe de territorialité, et au-delà, conduit à l’internationalisation de la crise.

*La négrité est un concept d’usage peu courant, dont la charge militante est plus radicale que celle de la négritude.

La négrité est à la négritude ce que l’arabité est à l’arabisme

FLAMNET-RETRO: Mauritanie: Nous voulons nos langes nationales, par Samba Thiam

Plaidoyer pour l’Officialisation des langues nationales pulaar, sooninke , wolof ‘’ Les leaders historiques de la Mauritanie ont pensé la culture comme un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir’’, maître Taleb Khyar.

Cette posture explique, peut-être, pourquoi la question des langues est toujours abordée avec passion , sans l’objectivité minimale requise . Dès qu’on évoque l’officialisation des langues nationales pulaar , sooninke , wolof , bambara c’est la levée de boucliers . Cette Officialisation répond cependant à la raison, à une nécessité, à des impératifs de plusieurs ordres :

– d’ordre éthique et de droit :

En se fondant sur la position principielle ou du droit, nous ne pouvons dénier à personne le droit d’apprendre et parler sa langue, si nous admettons que ‘’tous les hommes sont porteurs d’une dignité qui ne peut être aliénée’’, et donc que ‘’ toutes les langues ont droit au respect de leur dignité’’, dira A Maalouf.

‘’L’islandais et l’anglais remplissent exactement le même rôle du point de vue du besoin d’identité ;C’est dans’’ leur rôle d’instrument d’échange qu’elles cessent d’être égales’’ précise -t-il…

Par ailleurs, l’officialisation des langues nationales renvoie à un double souci d’équité et de justice sociale. Elle corrige l’inégalité structurelle persistante de notre système éducatif , pour restaurer l’égalité des chances à l’école et l’opportunité pour chaque enfant, de s’enraciner et de s’épanouir dans sa propre culture…’’La langue maternelle , nous rappelle Mohamed Abdel Haye, constitue pour tout un chacun l’outil irremplaçable de toute production scientifique effective et le socle de tout esprit créatif ‘’.

Cette officialisation restitue l’esprit de justice tel que préconisé dans la réforme initiée par le CMSN, qui avait été dévoyé par celle, inique, de 1999, en vigueur, opérée sous le prétexte, fallacieux, d’unifier le système.

Avec cette réforme, vicieuse, de 1999, l’Ecole mauritanienne cessa, depuis , de constituer un creuset par lequel les enfants accèdent aux mêmes chances de promotion culturelle et sociale …L’Ecole républicaine, tant ressassée actuellement, n’a de sens que pour autant qu’elle garantit l’égalité des chances ; or il y a inégalité structurelle à la base de notre Ecole que l’officialisation de ces langues redressera, encore une fois.

-d’ordre didactique et psycho-pédagogique

Les spécialistes de l’apprentissage admettent que la compréhension ou la maîtrise de la langue maternelle est capitale dans le processus cognitif ; Cela signifie que l’apprenant ( l’enfant) progresse plus vite dans l’apprentissage, parce qu’il réfléchit et communique dans sa langue maternelle; par images visuelles, interposées, des symboles et l’appropriation des concepts facilitées, en raison de l’élimination de la barrière linguistique.

Différentes évaluations menées, à travers plusieurs pays, ont montré que les enseignements dispensés dans la langue maternelle sont , de loin, plus faciles à assimiler ; ils augmentent, notablement, les chances de réussite scolaire, donnent de meilleurs résultats .

L’appreneur, à son tour, communique plus facilement son message, grâce à la suppression de la barrière de la langue. Dans la même veine, ces mêmes spécialistes s’accordent à dire que, ‘’un enfant qui démarre ses apprentissages par une langue étrangère accuse un retard de six ans dans sa scolarité’’ .

On en déduit que les écoliers négro-africains qui font face, dans le système actuel, à deux ‘’langues étrangères’’, au sens pédagogique du terme, accusent donc 12 années de retard…Pour des raisons cognitives, d’efficacité et de justice sociale, il nous faut adresser cette situation…’’ Il faut libérer et non pas inhiber le génie créateur de chaque peuple’’,(-et donc de chaque enfant-), nous dit le chercheur burkinabé Guissou.

L’officialisation des langues répond surtout à un impératif d’ordre psychopédagogique, pour ‘’jouer un rôle capital dans le développement psychomoteur, affectif et cognitif de l’enfant, qui ‘’réfléchit, compare, évalue et verbalise à travers sa langue maternelle, condition nécessaire de construction abstraite ‘’.

Bien des chercheurs en science de l’éducation soulignent que la langue maternelle constitue un facteur puissant d’affirmation de l’identité et de construction de la personnalité. Les écoliers négro-africains sont pénalisés depuis 60 ans, par un système scolaire assis sur une inégalité structurelle, que nous devons corriger pour être justes …

-Impératif d’ordre politique ou de cohésion nationale et sociale

L’école est censée offrir à tous les enfants qui la fréquentent les mêmes chances de promotion sociale. Par la discrimination opérée au niveau des langues ,on a créé, de facto ,un filtre qui élimine les uns et favorise les autres .

Le mépris, affiché, pour les langues et la culture des uns s’oppose à la consolidation de l’Unité nationale, tant prônée ; l’Unité ne saurait se construire et se consolider que dans une diversité qui s’appuierait sur le respect des identités respectives … .’’La langue est le pivot de l’identité et la diversité linguistique le pivot de la diversité’’, nous rappelle A Maalouf.

Cette officialisation de nos langues renforce et consolide l’unité nationale en instaurant une sereine diversité pour créer une empathie entre des locuteurs de plusieurs langues nationales que seront nos enfants. L’Unité, comme la diversité, ne se comprend, bien évidemment, que dans le respect des identités respectives.

L’Unité nationale doit découler du respect du principe d’équité (mêmes chances offertes à tous, même respect et dignité pour tous et chacun). ‘’La crise identitaire existe, nous dit maître Taleb Khyar, à cause de plusieurs facteurs, dont le plus important est l’école républicaine {…} dans laquelle est dispensé un enseignement suprémaciste faisant l’apologie de la supériorité d’une culture, d’une race, d’une langue sur les autres ‘’. Or , ’’Il n’y a pas de majorité en matière de vérité ‘’, tout comme il n’y a pas de majorité en matière d’identité.

-Impératif d’ordre du développement et de la citoyenneté

Il est maintenant admis ‘’qu’un peuple ne peut s’épanouir et accéder au développement que dans sa propre langue’’. Le Japon, la Malaisie , la Norvège, entre autres, en sont l’illustration parfaite .L’usage des langues nationales – toutes les langues nationales – constitue donc un facteur puissant de développement économique et social, dès lors qu’il permet de former des adultes, pour en faire de bons paysans, de bons éleveurs et pêcheurs, des parents d’élèves capables de suivre et encadrer leurs progénitures dans leur scolarité, de bons citoyens enfin puisque , comme dit l’adage, ‘’l’instruction favorise et élève la citoyenneté responsable ‘’.

– Raison d’ordre pragmatique, enfin …

L’expérience mauritanienne, menée entre 1980 et 1999, a été une réussite incontestable, au vu des résultats des différentes évaluations menées; celle du BREDA (Bureau régional pour l’Education-Unesco-basé à Dakar) qui retient un taux de réussite de 82,10 % en milieu rural, 93,15% en milieu semi-urbain, et 81,52 pour le milieu urbain, et celle du ministère de l’éducation nationale( MEN), un taux de réussite de 71% pour les enfants de langue maternelle arabe qui apprenaient une 2eme langue négro-africaine… Réussite manifeste, visible de cette expérience sur bien des aspects ; telle est la réalité factuelle, indéniable, des choses …

-Pour lever des méprises, dissiper des malentendus et certaines croyances tenaces et erronées ‘’Croire que les communautés linguistiques, ethno-culturelles et réligieuses finiront par converger de sitôt vers une communauté homogène est une illusion grossière ‘’.

Voilà pourquoi ‘’spéculer que le temps simplifiera la configuration linguistique actuelle dans le sens de l’unilinguisme constitue une erreur tragique’’, avertit Samba Diouldé Thiam, homme politique sénégalais.

Si le facteur religieux constitue, certes, quelque chose d’important dans l’Unité des peuples , le facteur ethnique- et donc culturel – reste plus dominant, plus déterminant dans leur rapport de coexistence ; à titre illustratif on pourrait citer les cas de l’Inde et du Pakistan, des Turks et des kurdes, des kurdes et des arabes, des Wallons et des flamands, un Soudan du nord arabe et le Darfur etc .)

Cessons de penser l’enseignement de ces langues nationales (pulaar , soninke ,wolof) en termes d’opposition à l’arabe ou au français’’ ,car il est communément admis, en milieu scolaire, que la langue maternelle agit comme un accélérateur dans l’apprentissage de la langue no 2 ou ‘’langue étrangère’’. Il y a richesse et complémentarité et non pas opposition et adversité dans la relation.

Cessons également de croire que le plurilinguisme ou la diversité linguistique mène au séparatisme, car c’est une grossière erreur…En réalité, les germes de la division ou de la séparation, partout, naissent et prospèrent sur le terreau d’une longue tradition d’injustices accumulées et du déni des identités .

– Débarrassons-nous, enfin, de cette conception pernicieuse de la culture – toujours vivace dans nos esprits- qui fait dire à Taleb Khyar – que la culture est perçue par nos leaders historiques (et pas seulement qu’eux ) comme un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir; ce que M ould Bedrédine – connu pour son franc-parler – attestait en ces termes, lors d’un entretien accordé à Marion Fresia, : ‘’ les Maures ont voulu rétablir les rapports de force en leur faveur en utilisant deux instruments : la langue et l’Ecole’’. Paix à son âme.

II-Quelques points d’éclairage sur l’expérience de l’enseignement de ces langues menée par l’Institut entre 1982 -1999 ( 2eme partie ).

Elle démarre en 1980 avec la création de l’institut des langues nationales suivie de l’ouverture de classes expérimentales ,sous l’ère du CMSN ;elle perdure jusqu’en 1999, où elle est brutalement interrompue sans raison objective explicite valable. L’expérience portera sur 52 classes réparties dans cinq régions , -ayant pour langue 1ere le pulaar, le sooninke et le wolof ,et l’arabe comme seconde langue-, avec un effectif de 2268 élèves et 77 Enseignants-chercheurs. La date retenue pour la généralisation de l’expérience est fixée à l’horizon 1987- 1988*.

Quel était l’exposé des motifs du CMSN et que disent les évaluateurs de l’expérience ?

– ‘’ démocratisation objective de l’option linguistique pour les élèves dont la langue arabe n’est pas la langue maternelle et volonté d’indépendance culturelle où l’arabe sera la langue unitaire parlée par l’ensemble des mauritaniens’’ ; Option à l’horizon, ‘’ l’ officialisation de toutes les langues nationales, qu’il s’agira d’ utiliser comme véhicule du savoir, sous toutes ses formes{…} et d’installer d’emblée une dynamique propre à assurer leur plein développement et leur insertion , sans restriction, dans tous les secteurs de la vie sociale’’, lit-on dans l’exposé des motifs .

L’expérience fera l’objet de deux évaluations, externe et interne

– Celle du BREDA , portait sur la performance de 9 classes observées sur 14, à travers une mission qui conclut en ces termes :

« A l’oral comme à l’écrit les résultats restent satisfaisants dans l’ensemble {…} Les élèves s’expriment sans difficulté, et la majeur partie d’entre eux ont déjà atteint un niveau de lecture expressive qui dépasse nettement celui qu’on pourrait attendre d’un élève de 3e voire de 4e année des classes traditionnelles. Les mécanismes opératoires de calcul ( addition , soustraction , multiplication et division )semblent bien maîtrisés .

Aux tests ( opérations avec retenue et énoncés de problèmes ) qui leur ont été administrés sous nos yeux, les classes ont réalisé des succès intéressants : 70 à 80 % des élèves ». La mission poursuit, en conclusion partielle : ‘’ malgré quelques imperfections liées surtout à la qualité des outils didactiques et au métalangage pédagogique, les élèves des classes observées{…} ont un niveau ,à tout point de vue, comparable, sinon supérieur à celui qu’on peut attendre des classes traditionnelles **». Au titre d’observations annexes, cette mission note : ‘’-impact socio-culturel positif de l’expérience sur le milieu scolaire et villageois.

– réelle motivation des élèves qui , dans certaines classes, se livraient à des exercices scolaires en l’absence du maître.

-rapidité inattendue des progrès réalisés par les élèves en avance sur leurs camarades des classes traditionnelles**

– le climat des classes témoigne des conditions d’épanouissement et d’apprentissage hautement favorable.

– les maîtres rencontrés font preuve d’un engagement réel pour ces langues nationales et s’impliquent dans l’alphabétisation des adultes et l’animation socio-culturelle

– dans certains villages où les cours d’alphabétisation n’existaient pas, les élèves se chargeaient eux-mêmes d’enseigner leurs camarades ou certains adultes.

– disposition très favorable des collectivités locales enthousiastes à l’égard de l’expérience en milieu pulaar et wolof surtout qui, volontairement , anticipent la construction de salles de classes .

En conclusion générale, cette mission du BREDA retient : ‘’au double point de vue pédagogique et sociologique l’expérience mauritanienne en matière de revalorisation des langues nationales laisse l’impression d’une opération réussie.’’

Et quelle a été la conclusion des évaluations internes (Ministère de l’Education Nationale et l’ILN) ?

-Voici les termes du rapport de la commission créée en janvier 1988 par le MEN, chargée d’évaluer les travaux réalisés par l’ILN depuis son démarrage jusqu’en 1988 : « Si nous admettons le principe selon lequel la qualité d’un enseignement , pour ne pas dire l’efficacité d’un système éducatif se mesure par rapport au taux de réussite scolaire, force nous est de conclure d’une manière générale que l’expérience de l’enseignement des langues Pulaar , Sooninke et Wolof, dans l’ensemble des classes qui ont fait l’objet de notre évaluation , a connu un succès honorable avec un pourcentage moyen de réussite de 61% pour les filières de langue 1, et 71 % pour les classes de filière arabe du système traditionnel qui font pulaar , sooninke , wolof comme langue seconde » .

-l’ILN , quant à lui, conclut ainsi : « performance positive des élèves des classes expérimentales (-cours d’initiation 1ere année-) qui indique que, dans une large majorité, ceux- ci ont maitrisé les acquisitions instrumentales (lecture, écriture, calcul) » ; « un taux d’abandon scolaire très faible ». L’ILN relève les taux d’admission aux examens et concours –en 1ere ASB, de plusieurs années ainsi (données disponibles ) :

–1988-89 : 11,49% – – 1989-90 : 51,61 %- -1990-91 : 14,28%

-1991-92 :23,6% – -1995-96 : 61,90%.

Visiblement, efficacité nettement supérieure à celle du système en cours, hérité de la réforme désastreuse de 1999 , qui tourne autour de 8% , réforme à la base des maux de notre Ecole actuelle, complétement par terre…

En terme de coût financier l’expérience n’a pas coûté grand-chose, 481 .000.000um en tout et pour tout , en 19 ans, selon nos sources ; une misère !

Au regard de tout ce qui précède l’expérience apparaît, visiblement, comme un succès indiscutable. Malgré tout, elle est brutalement interrompue par l’autorité de tutelle en 1999 ; l’Institut est fermé pour être rattaché à l’Université, affecté aux disciplines des spécialités, délaissé à lui-même .

Qu’est-ce qui justifiait l’abandon d’une telle expérience à succès, à tout point de vue ? Quelles étaient les raisons véritables ou les motivations souterraines, ayant conduit à l’arrêt, arbitraire, sans explications de cette belle expérience qui n’avait que des avantages ?

Les inspirateurs et promoteurs de la réforme de 1999 qui arrêtèrent cette expérience nouvelle, prometteuse, proclamaient, mensongèrement, vouloir unifier un système à filière qui divise …Ils n’ignoraient pourtant pas que ce système à filière en vigueur était provisoire, et qu’il serait bientôt remplacé par celui issu de l’expérience de l’Institut en cours, dès qu’elle serait généralisée ! Ils feignaient d’ignorer que cette expérience nouvelle unirait, puisque nos enfants communiquaient déjà entre eux dans, au moins deux langues nationales !

En vérité les réformateurs nous cachaient leur jeu ou leur agenda, dissimulant une double motivation: Ils voulaient, d’une part, sauver les écoliers arabo-berbères naufragés de la filière arabe, engagés dans une impasse, sans débouchés internes ou externes et, d’autre part, surtout arrêter l’expérience de l’enseignement des langues nationales au taux de réussite fulgurant ;

Il fallait freiner cette tendance qui allait créer un réel équilibre pour la première fois dans le système éducatif , en rendant les chances de réussite identiques et égales pour tous .La crise identitaire existe, nous rappelait maître Taleb Khyar, en raison de plusieurs facteurs dont le plus important est l’Ecole républicaine{…} dans laquelle un enseignement suprémaciste faisant l’apologie de la supériorité d’une culture , d’une race , d’une langue sur les autres est dispensé » ; restaurer cette suprématie d’une langue et d’une culture ‘’, c’était leur agenda secret .

Ces réformateurs partisans du statu-quo décrit, mus par un esprit cynique et machiavélique, décidèrent non seulement de freiner le projet, mais de tisser cette réforme de 1999 de telle sorte à assurer un échec collectif, certain, des écoliers non-arabes.

Ainsi, d’un côté ils levaient un écueil*** -retour du Français négligé dans la filière arabe-, de l’autre, ils multipliaient les écueils en imposant la langue arabe aux écoliers non arabes ; langue éclatée, de surcroît, en matières multiples affectées de coefficients accrus que rien objectivement ne justifie : l’histoire, la géographie, la philosophie, la langue, l’instruction civique, l’instruction religieuse sont dispensées en arabe.

D’où l’échec catastrophique, massif, persistant, observé ces 20 dernières années, consécutif au découragement de ces enfants non arabes désorientés, qui abandonnèrent et abandonnent encore massivement l’école ! Instrumentalisation manifeste de la langue arabe à des fins de domination et d’assimilation, ayant conduit au blanchissement**** méthodique, appliqué et continue de l’Administration, à partir des années 80 ; comme pour copier le Maghreb…

L’élite négro-africaine ne s’oppose pas à la langue arabe en tant que telle, mais à son instrumentalisation de plus en plus affirmée et assumée.

Par esprit de sabotage, par absence de volonté politique affirmée, à cause des résistances sourdes, il avait été mis fin, sans explications, à une expérience qui était une réussite et qui , de surcroît, ne coûtait pas tant que ça …

Faut-il reprendre l’expérience immédiatement ? Cela est-il possible ?

Oui, car les textes juridiques de base existent, les acteurs d’hier sont encore disponibles pour la plupart, le contexte politique et social , plus réceptif, le réclame avec force , aujourd’hui plus qu’hier ! Pour toutes ces raisons, il est bon de noter, d’ores et déjà, que toute réforme du ministère de l’enseignement fondamental à venir, qui ne tiendrait pas compte de – l’officialisation des langues – ferait fausse route pour reconduire les mêmes problèmes ,et risquerait , en conséquence , de faire objet d’un rejet massif…Des lobbies chauvins sont, de nouveau, à l’œuvre dans l’ombre, pour tout dévier, tentant une réédition du scénario de la circulaire 02 qui ne passera plus…

Nous Voulons Nos Langues !

Concluons pour dire que la problématique des langues n’existe pas que chez nous, mais partout ailleurs où coexistent des peuples aux habitudes mentales et mœurs différents ; Elle se pose parce qu’elle renvoie à cette notion ultra-sensible et irréductible que constitue l’identité; et parce que la langue – elle aussi – peut devenir un instrument idéologique puissant de domination et d’oppression …Que des pays comme la Belgique ,la Suisse , l’Afrique du Sud , entre autres, aient pu venir à bout de cette problématique devrait nous inspirer , nous inciter à plus d’optimisme et nous encourager enfin à essayer .

Nous réussirons à condition, toutefois, d’être mus par le seul désir de construire, une fois pour toutes, un système éducatif fonctionnel, efficient et juste, qui servirait l’égalité des chances, offrirait les mêmes opportunités à tous, et assurerait au peuple, dans toute sa diversité, développement, bien-être et harmonie.

27 Octobre -2020

Samba Thiam

Inspecteur de l’Enseignement Fondamental

Notes

* intermède ou anecdote à noter :

En 1987-88, au bout des 6 ans requis du Fondamental, la 1ere promotion devait passer le concours d’entrée en 6e année ; elle en est empêchée par décision du ministre, sans explications, et sans raison objective apparente.

Année perdue. 1988-89, ces élèves sont forcés de se reconvertir pour passer les examens, et composer obligatoirement en arabe ou en français pour toutes les épreuves, à l’exception de celle des mathématiques qui sera en langue nationale. (On imagine les énormes les difficultés auxquelles ces enfants ont dû faire face pour suivre un enseignement au secondaire dispensé en Français et en arabe ; malgré ce handicap, le taux de réussite sera de 11,49% ! )

Toutes les cohortes suivantes seront soumises cette reconversion subite, avec désormais des langues maternelles reléguées, tout juste, au rang de matière …). Et pourtant dans sa note de présentation le Décret no 81017/PG/MEN dit : ’’{ …} Ce système qui entrera en vigueur dans un délai maximum de six ans se fondera sur une officialisation de toutes nos langues nationales, la transcription en caractères latins et l’enseignement du pulaar , sooninke et wolof qui devront donner les mêmes débouchés que l’arabe’’ :

** Par classes traditionnelles il faut entendre le système à 2 filières (option arabe et option bilingue alors en vigueur ). L’option Arabe totalisait 20 h de français, et l’option bilingue 55h d’arabe. Le français n’est introduit qu’en 2e année dans les deux filières. Le choix de l’une ou l’autre langue est, de fait, ethnique.

*** Tous les maîtres et Prof d’arabe scientifiques furent relevés, recyclés, affectés à des tâches administratives ou reversés dans la diplomatie.

**** L’Armée -dans son corps de commandement- , l’Administration , les Ecoles spéciales ( L’Ecole des mines , de la magistrature , l’Ecole polytechnique , de médecine ,le Prytanée militaire , l’Ecole des officiers , d’Etat major, d’aéronavale, L’Eni de Nouakchott,) sont totalement blanchies. Un Système qui fait des Négro mauritaniens des ‘’citoyens’’ de seconde zone, quasiment invisibles dans les médias, sans pouvoir politique, sans pouvoir financier, sans pouvoir militaire, sans possibilité d’éducation… Une Unité nationale véritable ne saurait se construire de cette façon-là !

Bobo Loonde sur la sortie toka Diagana

Le raisonnement de mon frère, que je respecte vraiment beaucoup, est tout sauf scientifique. On pourrait dire qu’ il est dans un angle qui nous plait peut être, mais dire que son analyse est de rigueur, celà fait partie du manque de respect aux communautés locutrices de ces langues, aux militants pour leur promotion des premières heures. Apparemment,  il ne maitrise pas les travaux abattus  durant tous ces temps pour la promotion de ces langues, et ce, sur tous les plans. En tout cas ces langues ( particulièrement pour le poular dont je connais mieux  les produits) peuvent véhiculer le savoir aussi bien que l’ arabe ou n’ importe quelle autre langue. Ce qui reste, les profils ne sont pas les mêmes et ne seront jamais les mêmes du moment que les propriétés fondamentales diffèrent. Mais, différent ne signifie ni  supérieur, ni inférieur. Différent veut dire différent, c’ est tout. Toutes les langues relèvent du miracle d’ Allah et personne n’ a marchandé ni sa couleur de peau, ni sa communauté et par conséquent, ni sa langue. Nous sommes fiers et remercions Dieu de nous avoir créé comme tels, ainsi nous ne sommes ni supérieurs ni inférieurs à personne, en tout cas pas sur ce plan.

Enseigner ces langues, les officialiser n’ est pas la négation de la promotion des autres langues ni un frein de développement social ou économique, au contraire, c’ est celà qui a été démontré scientifiquement que l’ enseignement par les langues nationales constitue un raccourci et un accélérateur vers les connaissances, tout en restant un moyen efficace pour éviter justement cette grande perte de temps dont vous parlez, un outil ( le seul à mon avis) pour la cohésion nationale tant rêvée.

Notre vivre ensemble ne sera jamais acceptable en me méprisant, ça c’ est fini. Min ngontaa ɗum jaɓde. Ko yimɓe fof poti, ɓural woni tan ko to Allah, wo towwwf.

D.G Boobo Loonde.

TÉMOIGNAGE : À MON MAÎTRE SAMBA THIAM

Monsieur Samba Thiam, mon cher maître, vous souvenez-vous, alors que je tournais les pages des années noires pour vous atteindre, que notre dernière rencontre remonte à quarante-neuf ans… à un demi-siècle… la vie d’une génération…à avant la guerre du Sahara, avant la chute du régime d’Ould Daddah, et avant la série de coups d’Etat militaires…et avant la profusion des partis et le changement de nom des régions.

Mais ce n’est pas grave, l’épais mur des jours ne peut pas obscurcir ces beaux moments que j’ai vécus enfant dans tes bras, mon grand maître.

Monsieur : Je suis en votre présence aujourd’hui à travers mes lettres et mes pensées. Je suis toujours cet enfant maigre que j’étais, assis à la table d’entrée pour être près de vous.

Saviez-vous que la mémoire de cet enfant se souvient encore de tous les détails : votre boubou gris, votre chemise bleue, la couleur pistache du bracelet de votre montre… Je me souviens encore de votre cravache noire… de l’enrouement tranquille de votre voix et de votre regard baissé quand tu sors vers ton lieu de résidence avec (Tanja) au Service Vétérinaire. Cette maison est toujours intacte. Elle échappe encore à la campagne de cession au profit de certaines personnes influentes des anciennes maisons du gouvernement. Elle continue toujours de refuser la peinture contrefaite qu’ils tentent d’imposer aux façades des maisons peintes au ryhme des cortèges présidentiels d’une décoration temporaire pendant les saisons de visite.

Monsieur, vous souvenez-vous que j’étais le chef de classe et le responsable du magasin de mobilier et de fournitures scolaires malgré mon jeune âge. Vous souvenez-vous que vous m’aviez beaucoup encouragé car je refusais de donner aux maîtres les livres et les cahiers sans autorisations dument signées par le Directeur, puisqu’ils avaient accepté lors d’une réunion de me charger de cette responsabilité ? Vous souvenez-vous que je vous ai défié plusieurs fois lorsque votre fouet corrigeait les bavards et ceux qui n’ont pas fait les exercices à domicile, alors je vous dis : Monsieur, ça suffit ? , ils ne reviendront pas à leurs erreurs, et tu ne répondais à ma pitié…

M. Samba Tihama était un modèle par sa sincérité et un modèle par son comportement. Et un modèle dans son habillement…

Nous le craignions en toute sécurité, et nous l’aimions avec prudence… Son fouet n’était pas plus douloureux que sa réprimande, et sa satisfaction envers nous n’était guère une protection contre sa punition.

Nous avons vu en lui le père qui n’accepte pas que ses enfants s’écartent. Il ressent de la douleur lorsqu’il est cruel envers eux, mais il est très heureux lorsqu’il se rend compte que c’est la sévérité qui repousse le mal et apporte le bien.

M. Samba Thiam m’a enseigné en dernière année de l’école primaire, (CM2), à l’école 1 à Aleg (classe empruntée à l’école 2) au cours de l’année scolaire 74/75, succédant à mon enseignant en CM1, M. Sylla Ibrahima..

La réussite au concours d’entrée au collège était un défi, voire impossible pour quiconque ne le réussira pas au premier essai

Il a déployé d’énormes efforts pour gagner le pari de réussite de ses élèves à la première tentative. Toutes les matières étaient enseignées à cette époque, en français, et seul la matière de l’arabe était donnée en arabe.

Ces matières comprennent la grammaire française : vocabulaire, grammaire, conjugaison, orthographe, dictée et rédaction … en plus des sciences naturelles, l’histoire, l’étude du milieu et l’arithmétique.

Notre Maître a dû faire preuve d’une certaine cruauté pour forcer les élèves à réviser et profiter du temps creux pour faire des devoirs longs et complexes à la maison.

Parfois, il venait s’enquérir de nous la nuit si nous n’avons pas terminé la correction des exercices du soir en classe

Monsieur Samba Thiam est calme et imposant, mais vous vous sentez en sécurité au fur et à mesure que vous vous approchez de lui.

Il a gagné le pari, nous avons donc réussi avec brio la première année de notre examen, et cela a été un grand exploit cette année-là, puisque c’était un événement rare…

Mon cher Maître, malgré les années accumulées et les montagnes de nuits, le souvenir de cet enfant garde encore pour toi beaucoup d’amour, d’appréciation et de désir… et te reconnaît une dette de connaissances qui ne sera jamais oubliée ni effacée…

El Mourtada ould Ahmed Chfagha .