Daily Archives: 14/10/2023
FLAMNET-RETRO: A Propos de la loi d’orientation …Par Samba Thiam.
J’ai lu attentivement la loi d’orientation du ministre de l’Education nationale portant sur la réforme du système éducatif. L’appréciation que j’en fait est qu’elle constitue un recul net par rapport aux ambitions du Comité Militaire de Salut National (CMSN), pour reconduire et renforcer les aspects négatifs et désastreux de l’arabisation, issue de la réforme de 1999. Elle consacre, de facto, une ‘’folklorisation’’ de nos langues nationales pulaar, sooninke et wolof, ni plus, ni moins. Et c’est inacceptable !
Le CMSN prônait, à travers l’exposé de motifs et le décret 81017/Pg/MEN, ceci : ‘’ Elaborer un système éducatif {…} qui se fondera sur l’officialisation de toutes nos langues nationales, la transcription en caractères latins et l’enseignement du pulaar, sooninke et wolofs qui devront donner les mêmes débouchés que l’arabe ‘’. Le ministre choisit de passer sous silence toute éventualité ‘’d’officialisation’’ de ces langues. Le CMSN poursuit : « les langues nationales doivent prendre place et être utilisées comme véhicules du savoir, sous toutes ses formes… », à quoi ce ministre oppose qu’elles seront des langues de communication ; que la langue ’arabe sera enseignée à tous les enfants non arabophones comme véhicule d’apprentissage des sciences et autres disciplines, que ‘’l’apprentissage des connaissances et aptitudes de compréhension et les disciplines scientifiques se fera dans la langue arabe’ ’. Le CMSN insiste et rappelle « qu’il ne s’agit pas d’utiliser ces langues nationales comme relais ayant pour fonction de faciliter les apprentissages dans une autre langue – c’est exactement ce que fait ce ministre -, mais de les installer d’emblée dans une dynamique propre à assurer leur plein développement et leur insertion dans tous les secteurs de la vie sociale », tout le contraire de ce projet ! Enfin le CMSN met en garde : « il est indispensable que vous compreniez tous que cette décision n’est pas une mesure ‘’politicienne’’ qui cache un calcul sordide et sans lendemain». Exactement le cas d’espèce qui nous occupe avec cette loi d’orientation scélérate ! A la clarté de langage du CMSN dans les choix opérés, le ministre oppose des calculs et des agendas inavoués, l’ambiguïté et le flou le plus total sur bien des aspects …Flou sur le statut des langues ; tantôt l’arabe est langue véhicule de toutes les disciplines pour tous, tantôt elle est langue de communication ; tantôt ce sont les langues pulaar, sooninke et wolof qui le sont, tantôt c’est le français ! Flou sur les caractères arabes de l’alphabet introduits au préscolaire sans en fixer les limites, ce qui , par glissement et par stratégie, pourrait s’installer et signifier, sans le dire, une remise en cause même des caractères latins, acquis …Ce texte parle de généraliser l’enseignement des langues nationales mais à la carte ! On fait preuve de cynisme, lorsqu’on pose qu’il faut ‘’capitaliser l’expérience réussie de l’ILN qui a été abandonnée sans justification valable’’ et, qu’en même temps, on annihile la substance et l’essence même de ce qui ‘faisait de cette expérience une réussite’, à savoir l’érection du pulaar , sooninke et wolof en langues d’enseignement , langues véhicules du savoir, et non comme langues de ‘’facilitation pour l’apprentissage d’autres langues’’ comme c’est le cas proposé ici ; c’est-à-dire comme langues d’appoint et d’appui essentiellement à l’arabe, ici dans ce projet. C’est hors de question ! C’est faire fi des raisons cognitives et pédagogiques qui sont à la base même de la théorie du recours aux langues maternelles dans l’approche nouvelle de l’apprentissage ! Non seulement ce projet fait abstraction de toute idée d’officialisation, mais remet en cause et le statut de langues véhicules et le choix des caractères latins acquis depuis les années 70. Nous faisons face à un choix partisan qui installe les enfants d’un même pays dans des conditions de départ inégales et injustes d’acquisition du savoir. C’est inique et immoral ! L’injustice semble inscrite dans l’ADN des pouvoirs mauritaniens ! Enfin et surtout, les auteurs du projet de loi parlent ‘’d’égalité des langues comme patrimoine national ‘’, mais refusent le caractère officiel à toutes . C’est inacceptable ! Ce sera Identité contre Identité ! Pour divertir l’opinion on continue, bien sûr, à travers ce projet, à jouer sur l’opposition, fictive, entre le Français et l’arabe, disparue depuis longtemps à l’école ! Même stratégie de dupe qui s’exprime par : ‘’ la généralisation interviendra aussitôt que l’expérience aura été jugée probante’’ …Un piège à con ! Comme si nous n’avions pas vécu similaire promesse, envolée en pleine expérimentation de l’ILN ! Seule l’officialisation de nos langues pourrait nous garantir la pérennité de leur usage, et nous prémunir des humeurs capricieuses de plaisantins, légion…Toute la problématique du système éducatif mauritanien réside dans son inégalité et dans son iniquité structurelle entre enfants devant l’acquisition du savoir. « La crise identitaire en mauritanie existe, nous dit Maitre Taleb Khyar, en raison de plusieurs facteurs dont le plus important est l’école républicaine {…} dans laquelle un enseignement suprématiste faisant l’apologie de la supériorité d’une culture, d’une race, d’une langue sur les autres est dispensé ». C’est exactement le cas qui nous occupe précisément, mais exprimée de façon sournoise et cynique à travers cette loi d’orientation … La culture continue ‘’ d’être pensée, en mauritanie, comme un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir’’, soulignait-il ; à des fins de domination, d’assimilation et de prolétarisation des négro mauritaniens, devrait-il ajouter… L’agenda d’assimiler les négro-africains n’est pas abandonné, loin s’en faut ! Il explique cette résistance acharnée et obstinée de nos gouvernements successifs à refuser toute officialisation de nos langues nationales, à l’image du berbère -Tamazight au Maroc et en Algérie. C’est Identité contre Identité.
Nous sommes face à un projet non viable, qui va accentuer davantage les inégalités, sécréter deux sociétés parallèles. Nos partenaires doivent comprendre qu’il y a toujours un écart entre ce qui se dit et ce qui se fait chez nous … Nous excellons dans le faire-semblant et dans l’art de mystifier nos partenaires ou le reste du monde, même si certains partenaires internationaux ne sont pas dupes, mais optent pour la complaisance. Ces journées nationales de concertations et toute la suite sont de la poudre aux yeux, un maquillage destiné à faire valider et légitimer, par un semblant de cachet populaire , un projet concocté et ficelé, en amont, par le ministère .La réforme scolaire préconisée dans cette loi d’orientation s’inscrit en droite ligne d’un Système qui cherche à imiter l’ordre social au maghreb , où des millions de noirs, assimilés, sont relégués aux basses besognes, à la culture de l’olive ,au creusement de diguettes d’irrigation, au travail de la forge ou au débouchage d’égouts, comme en Algérie avec près de 6 millions de noirs . Des millions de noirs, quasiment invisibles dans la superstructure, dans tout le Maghreb… Voilà le projet en gestation, voilà le destin, à moins et long terme, qui nous guette dans notre pays et que nous réservent les tenants du Système. Nous ne l’accepterons pas ! Comme nous n’accepterons pas l’unité du cavalier et de sa monture …Nous affirmons notre choix pour un pays qui accepte réellement et franchement son identité plurielle, sa diversité culturelle et ethnique. C’est feu Yehdih qui disait, plaidant pour l’Azawad, – ‘’ que si l’on ne peut vivre ensemble qu’au prix de l’oppression à l’égard d’une composante, c’est une position pas raisonnable qui, surtout, n’est pas tenable’’. Trop d’injustices de nos gouvernements ! Un racisme d’Etat chaque jour plus accentué, affirmé et assumé ! Nous sommes poussés dans nos derniers retranchements. L’entêtement à vouloir poursuivre et préserver un ordre inique, un Système où un seul groupe ethnique a contrôle sur tout, la main mise sur tout, est dangereux à terme. C’est le bon sens qui nous le souffle. ..Notre pays est à la croisée des chemins , à chacune et à chacun de prendre ses responsabilités aux fins de redresser sa trajectoire , pour un devenir en commun plus sain et plus équilibré .
Propositions concrètes de réajustement , pour la paix sociale :Revenir à l’esprit et à la lettre de la réforme du CMSN , à ses ambitions pour l’enseignement de toutes nos langues nationales ; s’en tenir à ce principe : ‘’ le choix des langues d’enseignement dans l’Ecole repensée, au service d’une cohésion nationale apaisée, doit obéir à l’impératif d’offrir l’accès le plus efficace, surtout le plus équitable au savoir’’. D’où lever le flou et les ambiguïtés qui entourent ce projet sur le statut des langues, en posant clairement les options ci-après :
-Toutes les langues nationales sont officielles et toutes sont des langues véhicules de savoir ou d’enseignement
– Que chaque enfant démarre ses apprentissages dans sa langue maternelle.
– le pulaar, le sooninke, le wolof sont des langues d’enseignement au primaire pour les enfants non arabes, en attendant leur plein développement pour l’expansion au secondaire et au supérieur.
– l ’arabe est enseignée à tous les enfants non arabophones, comme langue de communication et inversement.
– la langue arabe sera la langue d’enseignement pour enfants arabophones.
– le Français est enseigné comme langue de communication au primaire.
– Dans les Examens et Concours il sera introduit, dès à présent, une épreuve en langues nationales ( pulaar, sooninke ,wolof).
Au préscolaire, poser clairement
– que Les enfants apprendront dans leurs langues maternelles (1ere et 2ème année), en alphabet latin pour les non arabophones.
– que l’apprentissage du Coran se fera dans des mahadras, librement choisies par les parents d’élèves.
Pour les mesures administratives et juridiques,
– Réhabiliter immédiatement l’ILN et le détacher du Supérieur
– Associer, au plus près, la Direction première de l’ILN aux préparatifs de démarrage des travaux d’implémentation de la réforme.
– Convoquer et réemployer, à titre transitoire, l’ensemble du personnel enseignant et technique disponible, impliqué dans l’expérience de 1979 de l’ILN.
– Sur le plan législatif, s’appuyer sur les textes initiaux de 1979, à réactualiser au besoin.
En période transitoire :
_opérer un réajustement des coefficients, fantaisistes, affectés aux matières en arabes qui pénalisent les enfants non arabophones.
_Délester les élèves de matières et contenus de tout ce qui n’est pas indispensable pour la formation personnelle, professionnelle, ou pour la poursuite des études, et consacrer l’essentiel du temps à la formation de l’esprit critique, d’analyse et de raisonnement.
Samba Thiam, Inspecteur de l’Enseignement Fondamental, Président des FPC.
Nouakchott, le 15 mars 2022.
La loi protectrice des femmes est-elle véritablement contraire à l’Islam ? La controverse n’en finit pas
Le Calame – Le texte de loi visant à protéger les femmes contre diverses formes de violences suscite une véritable controverse en Mauritanie. Le gouvernement et les acteurs de la Société civile qui ont travaillé à sa confection se heurtent à des religieux qui le jugent « contraire à la Chari’a » et la polémique publique enfle à la veille de la rentée parlementaire qui doit en débattre pour la troisième fois au moins.
Approuvé par le gouvernement en 2016, le texte entend protéger les femmes contre les violences qui montent en flèche. « La violence sexuelle et conjugale, le mariage des enfants, la mutilation génitale féminine… toutes ces outrances sont en train de prendre de l’ampleur […] agressant la dignité des femmes et réprimant leur épanouissement », dénonce la présidente d’une ONG de défense des droits des femmes.
Rejetée par les députés en 2017, la première mouture prévoyait en particulier l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel et la fondation de chambres spécifiques dans les tribunaux pour les affaires de violences sexuelles.
Malgré les amendements apportés par le ministère de la Justice qui y introduisit des dispositions sans lien direct avec celles-là, notamment sur la sanction de l’adultère, et réduisit certaines peines prévues initialement en cas de coups et blessures ou de séquestration par le conjoint, le texte est à nouveau rejeté en 2018.
Les députés ont notamment épinglé le concept de «genre » qu’ils attribuent à des« valeurs étrangères » et divers articles portant sur le droit de voyager sans autorisation du mari ou concédant aux organisations d’aide aux victimes le droit de se constituer en parties civiles.
Un texte différent
Pour les barbus contestataires, la notion de genre est contraire à la Chari’a en ce qu’elle ouvre la porte à de graves dérèglements : transgenre, homosexualité, etc. Une critique battue en brèche par le gouvernement dont le porte-parole a rappelé qu’aucun texte contraire à l’islam ne sera présenté au Parlement.
« Le nouveau texte en discussion est différent du précédent », a-t-il tenu à préciser. Une position appuyée par le Conseil national de la fatwa et diverses autres institutions religieuses pour qui cette nouvelle version est en tous points conforme à notre sainte religion.
e leur côté, les organisations de défense des droits des femmes accusent lesdits barbus de jouer la surenchère pour éviter l’adoption de la loi. « Ils ne défendent que leurs intérêts que le texte pourrait éradiquer : mariages précoces, secrets ou forcés, héritages… », affirme la présidente d’une ONG. « Nous avons demandé des aménagements sur la question de l’héritage, afin de responsabiliser les femmes trop souvent privées des biens de leur défunt mari, alors qu’elles doivent s’occuper de l’éducation et de la santé de leurs enfants mineurs », renchérit la présidente d’une autre organisation de la Société civile qui s’interroge sur les « deux poids deux mesures » de notre communauté : « on accepte d’appliquer certaines dispositions de la Chari’a, on le refuse pour d’autres (vol, viol, assassinat…). »
D’une manière générale, la Société civile se prononce sur la validité religieuse du texte présenté par le gouvernement et dénonce l’attitude discourtoise de certains religieux vis-à-vis de la représentante spéciale des Nations Unies sur les discriminations à l’égard des femmes et des filles, madame Meskerem Geset Techane, lors de sa récente visite en Mauritanie. « Ils s’en sont pris violemment à elle », déplore une présidente d’ONG mauritanienne, « certains allant jusqu’à exiger qu’elle s’exprime en arabe ! Quelle mauvaise publicité pour notre pays ! »
Au cours d’une conférence de presse, ladite experte des Nations Unies a déclaré que « malgré les efforts considérables déployés par la Mauritanie pour l’autonomisation des femmes et des filles, des lacunes subsistent et entravent leur épanouissement ».
Un avis repris dans le communiqué publié à l’occasion de cette visite : « l’oppression patriarcale fait obstacle à la participation des femmes, en dépit de la réelle volonté politique de faire progresser l’égalité de genre. […] malgré les efforts entrepris pour faciliter leur scolarisation, 39% de filles mauritaniennes abandonnent l’école en raison d’un mariage précoce ».
Notons enfin que le projet de loi a été également salué par l’ONG Human Rights Watch qui évoque « un pas en avant […] mais loin d’être satisfaisant, notamment parce qu’il maintient la criminalisation des relations sexuelles consensuelles hors mariage et l’interdiction de l’avortement[…] et ignore plusieurs autres formes de violences fondées sur le genre, comme l’excision », [déjà criminalisée dans la loi mauritanienne, ndr], « et les mariages forcés. »
Dalay Lam