La loi protectrice des femmes est-elle véritablement contraire à l’Islam ? La controverse n’en finit pas
Le Calame – Le texte de loi visant à protéger les femmes contre diverses formes de violences suscite une véritable controverse en Mauritanie. Le gouvernement et les acteurs de la Société civile qui ont travaillé à sa confection se heurtent à des religieux qui le jugent « contraire à la Chari’a » et la polémique publique enfle à la veille de la rentée parlementaire qui doit en débattre pour la troisième fois au moins.
Approuvé par le gouvernement en 2016, le texte entend protéger les femmes contre les violences qui montent en flèche. « La violence sexuelle et conjugale, le mariage des enfants, la mutilation génitale féminine… toutes ces outrances sont en train de prendre de l’ampleur […] agressant la dignité des femmes et réprimant leur épanouissement », dénonce la présidente d’une ONG de défense des droits des femmes.
Rejetée par les députés en 2017, la première mouture prévoyait en particulier l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel et la fondation de chambres spécifiques dans les tribunaux pour les affaires de violences sexuelles.
Malgré les amendements apportés par le ministère de la Justice qui y introduisit des dispositions sans lien direct avec celles-là, notamment sur la sanction de l’adultère, et réduisit certaines peines prévues initialement en cas de coups et blessures ou de séquestration par le conjoint, le texte est à nouveau rejeté en 2018.
Les députés ont notamment épinglé le concept de «genre » qu’ils attribuent à des« valeurs étrangères » et divers articles portant sur le droit de voyager sans autorisation du mari ou concédant aux organisations d’aide aux victimes le droit de se constituer en parties civiles.
Un texte différent
Pour les barbus contestataires, la notion de genre est contraire à la Chari’a en ce qu’elle ouvre la porte à de graves dérèglements : transgenre, homosexualité, etc. Une critique battue en brèche par le gouvernement dont le porte-parole a rappelé qu’aucun texte contraire à l’islam ne sera présenté au Parlement.
« Le nouveau texte en discussion est différent du précédent », a-t-il tenu à préciser. Une position appuyée par le Conseil national de la fatwa et diverses autres institutions religieuses pour qui cette nouvelle version est en tous points conforme à notre sainte religion.
e leur côté, les organisations de défense des droits des femmes accusent lesdits barbus de jouer la surenchère pour éviter l’adoption de la loi. « Ils ne défendent que leurs intérêts que le texte pourrait éradiquer : mariages précoces, secrets ou forcés, héritages… », affirme la présidente d’une ONG. « Nous avons demandé des aménagements sur la question de l’héritage, afin de responsabiliser les femmes trop souvent privées des biens de leur défunt mari, alors qu’elles doivent s’occuper de l’éducation et de la santé de leurs enfants mineurs », renchérit la présidente d’une autre organisation de la Société civile qui s’interroge sur les « deux poids deux mesures » de notre communauté : « on accepte d’appliquer certaines dispositions de la Chari’a, on le refuse pour d’autres (vol, viol, assassinat…). »
D’une manière générale, la Société civile se prononce sur la validité religieuse du texte présenté par le gouvernement et dénonce l’attitude discourtoise de certains religieux vis-à-vis de la représentante spéciale des Nations Unies sur les discriminations à l’égard des femmes et des filles, madame Meskerem Geset Techane, lors de sa récente visite en Mauritanie. « Ils s’en sont pris violemment à elle », déplore une présidente d’ONG mauritanienne, « certains allant jusqu’à exiger qu’elle s’exprime en arabe ! Quelle mauvaise publicité pour notre pays ! »
Au cours d’une conférence de presse, ladite experte des Nations Unies a déclaré que « malgré les efforts considérables déployés par la Mauritanie pour l’autonomisation des femmes et des filles, des lacunes subsistent et entravent leur épanouissement ».
Un avis repris dans le communiqué publié à l’occasion de cette visite : « l’oppression patriarcale fait obstacle à la participation des femmes, en dépit de la réelle volonté politique de faire progresser l’égalité de genre. […] malgré les efforts entrepris pour faciliter leur scolarisation, 39% de filles mauritaniennes abandonnent l’école en raison d’un mariage précoce ».
Notons enfin que le projet de loi a été également salué par l’ONG Human Rights Watch qui évoque « un pas en avant […] mais loin d’être satisfaisant, notamment parce qu’il maintient la criminalisation des relations sexuelles consensuelles hors mariage et l’interdiction de l’avortement[…] et ignore plusieurs autres formes de violences fondées sur le genre, comme l’excision », [déjà criminalisée dans la loi mauritanienne, ndr], « et les mariages forcés. »
Dalay Lam