Daily Archives: 14/09/2021
FLAMNET-RETRO: UNE INTERVIEW DU DOYEN ABDOULAYE MALICKEL SY
UNE INTERVIEW DU DOYEN ABDOULAYE MALICKEL SY ancien Secrétaire national aux finances des Flam et des FPC.
Il nous parle de son arrestation en 1986 après la publication du manifeste du négro- mauritanien opprimé, de la prison de Oualats et de son exil.
INVITÉ DU SITE FLAMNET
FLAMNET : Bonjour doyen, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de FLAMNET?
ABDOULAYE SY: Bonjour Kaaw!
Agé de près de 63 ans, je suis né à M’Bagne sur le Fleuve Sénégal dans une famille maraboutique.
Modeste instituteur, j’ai servi de 1962 à 1986 dans les postes suivants: Nouakchott, Bir Moghrein, Dar El Barka, Kaédi, Toulel, Nouadibou, Mbagne, Bababé et Nouadhibou . De 1971 à 1986 à Nouadhibou, j’ai occupé, cumulativement avec mes fonctions de Directeur de l’école, les postes électifs non rémunérés ci-après : Secrétaire Général de la Ligue Omnisports, Président de la même ligue, Président du Comité Local du Croissant Rouge Mauritanien, Coordinateur de la Zone nº 4 Cansado. J’étais très près de la population, vivais leurs problèmes mais sans faire de politique.
FLAMNET : 14 Mars 1983 que représente pour vous cette date?
ABDOULAYE.SY: C’est la période de la démystification, des désillusions et de l’émancipation du mouvement.
Le manifeste des 19 avait dénoncé des abus du système. Moctar O/Daddah avait réagi contre les signataires mais avait reculé pour mieux sauter. Il n’a pas réussi á le faire mais d’autres, avec les régimes successifs ont voulu parachever sa tâche. Des cadres plus jeunes, plus déterminés qui ont vite compris que le régime continue toujours de dénégrifier le pays, se sont élevés pour dénoncer les maux du pays.
C’est la période où des Hommes et Femmes épris de paix et de justice dénoncent les fléaux qui gangrénent la Mauritanie, á savoir : Le racisme qui continue sa ségrégation dans les emplois, le chauvinisme, l’esclavagisme, l’injustice, le tribalisme et le népotisme. Ils dénonceront tous ces maux jusqu’á ce que le pays soit débarrassé de toutes ces calamités.
C’est le temps de recueillement sur les centaines et des centaines de morts enterrés loin des leurs sans bain, sans prière et sans linceuls;
C’est le temps de penser aux veuves et orphelins qui pleurent leurs disparus et qui demandent justice;
C’est le temps de trouver une solution définitive á l’occupation du Sud de la Mauritanie, l’expropriation des terres et des biens et le viol des femmes.
C’est le temps de solidarité agissante avec les Réfugiés qui végètent encore au Sénégal et au Mali qui ne demandent qu’un retour digne et organisé;
C’est enfin l’éveil et l’émancipation de tout un peuple qui souhaite vivre dignement et pleinement dans son pays.
FLAMNET : Vous êtes un rescapé de Oualata, la prison mouroir, si on vous demandait de nous raconter votre odyssée avec nos camarades dans ce camp de terreur que nous diriez-vous et que vous rappelle aujourd’hui Oualata quand on évoque ce nom?
ABDOULAYE SY: En entendant Oualata, me reviennent en esprit ces paroles prononcées par le Lieutenant Ghali O/Souvi alors commandant le tristement célébre fort de la mort. Au petit matin, le camion qui nous transportait s’arrêta devant le fort. Pendant qu’on nous faisaient descendre comme des moutons, le lieutenant cria á haute voix, comme pour se faire entendre de tous:” Fouillez-les et débarrassez-les de tout ce qu’ils portent sur eux.” A la réplique du camarade feu Ly Moussa : “Mais… Lieutenant mes médicaments… ”
“Vous êtes venus pour être tués á petit feu”. Retorqua le Lieutenant. ” Et si quelqu’un réplique, je le flingue et envoie un message á Nouakchott : “Mort suite á une Diarrhée gastéro entérique aiguë…”
Oualata c’est aussi les tristes paroles de Feu Tène Youssouf Guèye après l’enterrement de Alassane Oumar Bâ. Afflaibli par la faim et la maladie il n’avait pas pu accompagner Alassane á sa dernière demeure. Dès qu’il me vit, car j’étais rentré le premier dans la salle.
Il dit: “Petit frère êtes vous de retour?”.
– Oui doyen
-“Le prochain sera moi.”
Oualata me rappelle les martyrs qui ne reverront plus leur Fouta chéri: Bâ Alassane Oumar, Tène Youssouf Guèye, Le Lieutenant Ba Abdoul Ghouddous et l’ex-Ministre Djigo Tafsirou.
Oualata c’est l’angoisse des lendemains incertains, les longues nuits d’insomnie, les privations, la famine, les chaines aux chevilles, les maladies sans soins et sans assistances. C’est la tristesse. C’est aussi les retrouvailles au petit matin pour l’interprétation des rêves.
A Nouadhibou on m’avait sauvagement torturé pour me faire avouer que j’étais Flamiste, co-auteur du manifeste alors que je ne savais rien des Flam, des Flamistes et même de l’existance du manifeste.
J’ai connu les FLAM á Oualata. J’ai vécu de près avec des membres de FLAM à Oualata. J’ai apprécié leur grandeur d’âme . J’ai aimé et adhéré aux FLAM à Oualata.
Comme pour beaucoup de mes camarades, Oualata a été une école pour moi.
Oualata c’est la détermination de tous les camarades qui prouvaient aux geoliers qu’ils ne se sont pas trompés de voie.
Il y a toujours quelque chose á dire sur Oualata; mais contentons-nous du célèbre livre du Lieutenant Boye Alassane Harouna: “J’étais à Oulata”.
FLAMNET : Après votre libération contrairement à certains qui ont choisi la résignation ou de changer de camp de lutte, vous avez choisi l’exil qu’est-ce qui a poussé le doyen à abandonner sa famille, ses biens sa patrie pour se lancer dans le chemin d’un exil incertain?
ABDOULAYE SY: On ne s’exile pas de gaieté de coeur. Si on m’avait collé la paix, certainement je serai resté au pays.
De retour à Nouadhibou, après la grâce présidentielle de Décembre 1989, je fus convoqué par le Directeur Régional de la Sureté qui me tient ce language :”Les autorités régionales (entendez le Commandant de la Région Militaire, Gouverneur) m’ont chargé de te dire que le Président Maouilla n’est pas plus généreux qu’elles. Tu ne devais pas revenir ici car tu étais condamné à 4 ans fermes assortis d’une interdiction de séjour à Nouadhibou et une amende de 100.000 UM. Elles te laissent tout t’en informant qu’elles t’ont à l’oeil.
Je compris que j’étais en résidence surveillée. Il fallait tout faire pour vider les lieux et le plus tôt serait le mieux. Mon épouse handicapée moteur et mes enfants en bas âges, dont les études avaient été suspendues avaient stoiquement supporté l’épreuve de la séparation. Il fallait se préparer car je ne voulais pas les laisser sur place.
Je précise que durant les évènements de 89, mon épouse ex-fonctionnaire de la Poste avait été convoquée á 3 reprises á la Direction de la Sûreté régionale. Elle a échappé à l’épuration et a continué de veiller sur nos enfants.
Ma seconde épouse venue me rendre visite à Aioun avait été expulsée sur Dakar. Le Commissaire de Police d’Aioun El Atrouss de l’époque lui avait soutiré ses bijoux et ses habits de valeur.
Avant de réaliser mon plan, je fus à nouveau arrêté et gardé sous silence pendant 6 mois. Un soir d’Avril le Directeur Regional de la Sûreté vint dans le Commissariat qui nous servait de prison nous tenir ce langage:” C’est une erreur. Vous rejoindrez vos familles à 21 heures et vous devez oublier ce qui s’est passé.
On se joue de la vie de personnes et on prétend que c’est une erreur. Dans quel Etat sommes nous?
De retour à la maison, mon épouse, en présence de mes enfants me dit:”Vas. Vas ou tu voudras. Laisse nous ici nous saurons nous debrouiller. Sous peu tu risques d´être repris. Vas car on ne sait quand sera la prochaine fois”. Je suis parti et après moi il y a eu les éléctions presidentielles de 92, le saccage du siège et l’assissinat des militants de L´U.F.D Voila pourquoi j’ai choisi l’exil.
Un seul esprit ne suffit pas pour réflechir pour une nation ,un Etat. Il faut une confrontation d’idées et partir de là, chosir les meilleures. Toute cette méchanceté c’est parce qu’on a découvert que le pays renferme des cadres plus intelligents.Ces hommes plus intelligents ont osé penser et réfléchir et ont osé remettre en cause un systeme racial aussi pernicieux que l´apartheíd.
FLAMNET : Quel est votre message aux jeunes militants en tant que doyen et avez vous un message particulier à lancer aux mauritaniens d’une manière générale?
ABDOULAYE SY: L’appel que je lance aux jeune est la mobilisation, la tenacité, la persévérance dans l’Unité car l’avenir est à eux.
Aux Mauritaniens de se mobiliser afin de chasser du pouvoir ce tyran criminel et son système esclavagiste.La lutte continue.
FLAMNET : Merci Boun Malick ,nous vous souhaitons un joyeux anniversaire. Nous disons avec vous , la lutte continue.
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Propos recueillis par Kaaw Touré- 14 mars 2003
UNE GRANDE PERTE POUR NOTRE LUTTE, LE DOYEN ET GRAND COMBATTANT DE LA LIBERTÉ ABDOULAYE MALICK SY N´EST PLUS.
Nous venons d´apprendre avec une grande tristesse le rappel à Dieu de notre cher doyen, le grand combattant de la liberté Abdoulaye Malickel Sy que nous appelions affectueusement Boun Malick. Ancien rescapé de la prison mouroir de Oualata et des camps de détention de Nouadhibou. Il fut un des premiers instituteurs de la Mauritanie indépendante, qui a servi de 1962 à 1986 à Nouakchott, Bir Moghrein, Dar El Barka, Kaédi, Toulel, Nouadibou, Mbagne, Bababé et Nouadhibou.
De 1971 à 1986 à Nouadhibou, il a occupé, cumulativement avec ses fonctions de Directeur de l’école, les postes de Secrétaire Général de la Ligue Omnisports, Président de la même ligue, Président du Comité Local du Croissant Rouge Mauritanien jusqu´à son arrestation en 1986 après la publication du “Manifeste du négro- mauritanien opprimé” et emprisonnement à la prison de Oualata.
Après sa sortie de prison il fut arrêté à nouveau et torturé à mort dans les purges ethniques de 1990-1991 qui a vu la mort de plus de 530 prisonniers politiques noirs dans les camps d´horreur de l´armée mauritanienne.
Après sa libération il rejoindra la résistance en exil et créera la section des FLAM en Afrique centrale avant de rejoindre les FLAM à Dakar et ocupera le poste de secrétaire national aux finances du mouvement jusqu´à sa réinstallation aux Etats unis d´Amérique où il vivait depuis l´an 2001.
Il était un des plus proches conseillers du président Samba Thiam des FPC et un de ses plus fidèles compagnons de lutte.
Parti en vacances en Afrique pour quelques semaines et devait rejoindre sa terre d´asile, le pays de l´Oncle Sam aujourd´hui mais la faucheuse comme d’habitude nous a privé de notre doyen. Il tire sa révérence à
l´aéroport international Blaise Diagne de Dakar ce matin suite à une crise cardiaque.
A Dieu nous appartenons et à lui nous retournerons.
Doyen Boun Malick était un homme de foi et de conviction, très pieux et généreux, toujours jovial et taquin, très sympathique et chaleureux. Un homme en coeur d´or et infatigable combattant de la liberté est parti en laissant un grand vide. Les FPC viennent de perdre un de ses piliers et sages qui ne manquait aucun des moments historiques de l´organisation.
Nos condoléances nos plus attristées à toute la Mauritanie, à sa famille biologique et idéologique, aux FPC, aux populations de Mbagne.
Adieu doyen, ta vie fut combattante, ta mort héroïque, ton sacrifice sacré et ta mémoire à jamais éternelle.
Et la lutte continue!