Daily Archives: 08/07/2021
Ould Ghazwani à Rosso : La ruée de tous les laudateurs
Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani était à Rosso et à Keur Macène le lundi 5 Juillet. Ce déplacement occupe tout le gouvernement dont le ministère de l’agriculture, maître d’œuvre de cette visite où le Président donnera le coup d’envoi de la campagne agricole 21/22. Une fois de plus, des milliards seront annoncés pour améliorer la production et des engins exposés pour faire croire que ces gadgets sont là pour les exploitants. Toujours la même rengaine, les mêmes discours, les mêmes visages, les mêmes mains à applaudir le Raïs… et les mêmes dépenses pour les mêmes luxueuses voitures dont certaines furent mal acquises.
Pour en revenir à la campagne agricole, on se rappellera qu’en dépit des milliards injectés et des hectares promis à l’emblavement, notre pays peine, depuis l’UNCACEM, à atteindre son autosuffisance en riz et légumes. Nos marchés sont inondés de produits en provenance du Maroc et, désormais en moindre mesure, du Sénégal, deux pays voisins qui n’ont pas plus de terre et d’eau que nous, ni beaucoup plus de bras. Au lieu de dresser un sérieux audit de ce secteur prédateur, nos gouvernants continuent à appliquer la politique de l’autruche. Circulez, y a rien à voir !
Côté discours
Lors du lancement de la campagne 20/21, le ministre du Développement rural – à l’époque Dy ould Zeïn – avait fixé l’objectif de mettre en valeur 250 000 ha dont 70 000 dans l’irrigué, en vue de produire 458 000 tonnes dont 108 000 de céréales traditionnelles et 35 000 de riz blanc. Le ministre espérait ainsi porter à 87,5% la couverture des besoins nationaux en riz à la fin de la campagne et atteindre l’autosuffisance en 2022, grâce, disait-il, à « l’extension de technologies nouvelles dans le système de production pluviale, la sélection des semences, la préparation à la menace des criquets pèlerins et l’adoption de mesures mieux adaptées à l’environnement (30 nouveaux barrages et 200 digues, pour une superficie totale de plus de 4 000 hectares) ». La production par hectare devait passer, quant à elle, de 5,4 tonnes à 5,5 et les superficies cultivables atteindre 80 000 hectares. À l’heure du bilan, son remplaçant à la tête du département doit livrer des chiffres et nous indiquer, preuves à l’appui, si les objectifs furent atteints, avant de décliner, lui aussi, sa feuille de route.
Côté folklore
Les déplacements du président de la République à l’intérieur du pays sont devenus, depuis des années, l’occasion d’un show des acteurs politiques, embarquant dans leur spectacle les pauvres populations qui devraient rencontrer le Rais pour lui exposer de vive voix leurs préoccupations ; et les élus locaux toujours accusés de ne jamais transmettre les doléances de leurs électeurs ; pis, de faire le plus souvent écran, filtrant les audiences, entre celui-là et les citoyens lambda. Depuis quelques jours, ceux de Rosso inondent les réseaux sociaux pour se plaindre de l’inactivité de leurs élus. Il suffit de constater l’état piteux des voies de la ville et l’image pitoyable qu’elle offre à chaque saison des pluies pour comprendre leurs récriminations…
En plus de l’obstacle des élus, les populations-hôtes sont envahies par des hordes de laudateurs venues d’on ne sait où ni pourquoi. En tout cas, pas pour les beaux yeux des Rossossois. Et le président Ghazwani ne semble pas décidé à enrayer cette compétition dans le « voyez-moi » et l’exhibitionnisme dont font montre les élus et cadres locaux, accompagnés de leurs amis des autres régions et de leurs troubadours. La circulaire publiée par le ministère de l’Intérieur le 24 Février 2020 interdisant des réunions à caractère tribal avait été pourtant bien appréciée par l’opinion. Chassez le naturel, il revient au galop. Aussi bien à Timbedra, Kaédi qu’à Rosso, les rencontres entre les « accueilleurs convenus » du Président tombent presque toutes sous le coup de cette circulaire. Et de se livrer une compétition effrénée en alignant des cortèges de luxueux 4×4, chameaux ou pauvres citoyens sous le soleil et la poussière. Tout cela pour des positionnements politiques avec, à la clef, la promotion d’un cadre de la tribu ou de la famille.
Parfaitement au courant de ses errements qui coûtent cher à la Mauritanie (location de voitures, carburant, frais de mission…), le cabinet de la Présidence et le ministère de l’Intérieur laissent faire, malgré le COVID 19 dont la troisième vague menace le pays. Opportunisme, quand tu nous tiens ! Un imam de Nouakchott a fustigé celui des religieux qui s’empressent de ramper sous les bottes des politiques, oubliant les enseignements du Saint Coran et du prophète Mohamed (PBL).
Une visite de travail devrait être très circonscrite, ne concerner que les bénéficiaires et les hôtes directs ; pas toute la République ; et ne jamais provoquer l’arrêt de toute l’administration. « « Il faut attendre la fin de la visite du Président » : pénible leitmotiv devenu de tradition dans tous les départements ministériels à la veille d’un tel déplacement. Comme si celui-ci devait primer sur le fonctionnement de nos institutions !
D.L.
le calame
Mauritanie : Malouma, la diva mélancolique
Jeune Afrique – L’incontournable chanteuse a fait de son art un combat politique. Accusée de corruption en 2017, elle reste marquée par cette épreuve.
Lorsque ses doigts se posent sur son ardin, le silence se fait autour d’elle. Les cordes de cette harpe mauritanienne sont autant de fils qui relient Malouma Mint Meïddah à la tradition musicale de son pays. Un patrimoine qu’elle voit disparaître avec nostalgie. Alors, avant qu’il ne s’envole, elle l’a capturé en 2016 dans un double album, Chants populaires traditionnels hassani mauritaniens.
Elle y a réuni dix grands artistes originaires du Trarza (Sud) du Brakna (Sud-Ouest) ou encore du Hodh el-Gharbi (Est) et du Tagant (Centre). Les vingt compositions (appelées echouars) choisies, tantôt bluesy, rythmées ou mélancoliques, suivent les modes de la musique maure, dont son père, Moktar Ould Meïddah, fut l’un des grands maîtres.
Dans ses propres créations – dont la dernière, Knou, est sortie en 2014 –, elle n’a jamais cessé de lui rendre hommage, tentant même de le ressusciter dans ses chansons.
Élue sénatrice
Née en 1960 près de Mederdra, dans le Trarza, non loin des rives du fleuve Sénégal, Malouma a reçu cette éducation musicale en héritage, dès ses 6 ans. À l’âge adulte, très engagée aux côtés des femmes, cette ancienne griotte a combattu les mariages forcés, l’exclusion des plus démunis, le racisme… Ce qui lui a valu pendant de nombreuses années d’être marginalisée dans les médias. Son combat, incarné dans sa poésie, est devenu politique.
Engagée aux côtés de son grand ami, l’opposant Ahmed Ould Daddah (pour qui elle a composé une chanson, Habib Echaab, « le bien-aimé du peuple »), elle a été élue sénatrice en 2007.
Après la sortie de son album Nour, teinté de blues et de sonorités plus pop, la même année, cette amoureuse de musique classique (elle écoute et réécoute Mozart, Wagner, Chopin, Beethoven, Vivaldi…) a un temps délaissé son art pour se consacrer à l’organisation d’événements au travers de sa Fondation Malouma pour la culture, le patrimoine et les arts. Moutribat el-Chaab, « l’artiste du peuple », avait notamment imaginé La Grande rencontre, une nuit de concerts où elle avait réuni des musiciens mauritaniens de tous horizons.
Grande tristesse
Mais depuis 2017 et « l’affaire Mohamed Ould Ghadda », du nom d’un parlementaire accusé de corruption, Malouma l’insoumise est gagnée par la tristesse. Mise en cause parce qu’elle aurait accepté de l’argent pour rejeter le projet de réforme constitutionnelle voulu par le président d’alors, Mohamed Ould Abdelaziz, – finalement adopté –, elle a perdu son poste et évité la prison de justesse.
Placée sous contrôle judiciaire, elle était privée jusqu’au mois de mai dernier de son passeport. Elle a dû renoncer aux tournées internationales, elle qui s’est produite aux États-Unis, en Égypte ou encore en Arabie saoudite. « On m’a enchaînée avec des mensonges ! s’émeut-elle. Mon nom a été gâté, mon honneur blessé, toute ma vie a été touchée. » Ses doigts continuent de faire vibrer son ardin quand, à cet instant, elle fait résonner sa voix dans une grande mélancolie.
Par Justine Spiegel – à Nouakchott