
Il a fallu la disparition d’Ahmedou Ould Abdel Aziz, frère aîné du président Mohamed Ould Abdel Aziz, décédé à Paris lundi 14 avril 2013, pour que toute la Mauritanie, si divisée ces derniers temps, se retrouvent réunis autour d’un deuil. A voir le président le plus diffamé de la Mauritanie, drapé dans un accoutrement digne d’un manant, serrer les mains sans discontinuer, l’observateur le plus teigneux ne peut que reconnaître aux morts leur pouvoir immatériel sur les vivants. Des milliers de mains, noires, blanches, rosâtres, parfumées, poussiéreuses, sales ou propres, ont serré celles de Mohamed Ould Abdel Aziz. Ces mains n’avaient pas d’idées, ni d’opinions politiques. Elles n’étaient que compassion, cherchant vainement à gommer, l’instant d’un serrement, la vénalité des querelles humaines face au destin tragique et éphémère de la vie.
Alors qu’il y a deux jours, ils l’accusaient de toutes les magouilles du monde, le vouant aux gémonies et aux tribunaux de l’histoire pour ses implications réelles ou supposées dans des trafics illicites, tous les leaders de l’opposition la plus radicale, défilaient au domicile de la famille du défunt Ahmedou Ould Abdel Aziz où son frère de président recevait les condoléances. Ainsi, ce sont tous les leaders de la COD qui défileront, serrant la main de leur principal adversaire politique, lui murmurant d’inaudibles condoléances. Ahmed Ould Daddah, Mohamed Gemil Mansour, et même le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Birame Ould Dah Ould Abeid, dont l’arrivée était la moins attendue. Mohamed Ould Maouloud, leader du parti UFP que Mohamed Ould Abdel Aziz exècre tout en affublant sa formation politique du titre des « kadihines » s’est contenté de lui transmettre ses condoléances, n’ayant pas pu faire le déplacement à cause du décès de sa propre mort. Le président Ould Abdel Aziz lui dépêchera en retour deux émissaires pour lui présenter sa compassion.
Cet effondrement subit des rancunes et des inimitiés face au pouvoir de la mort, si étrange aux yeux de certains, met ainsi en exergue la nature réelle des inimitiés politiques en Mauritanie. Celles-ci ne sont que factuelles et ne peuvent en aucun cas sortir des contingences de la société mauritanienne, où le poids des préceptes religieux restent encore plus fort que toute autre considération. Ainsi, le sentiment de compassion devant le malheur, fut-il celui du pire ennemi, a été ainsi largement traduit par cette ruée vers le domicile de la famille Ehel Abdel Aziz. Tous les Mauritaniens, toutes tendances et conditions sociales confondues s’y étaient rués. Le tableau qui ressort de cette fresque mortuaire, a apaisé les craintes et redonné espoir à tous ceux qui avaient cru que de tels sentiments de fraternité et d’amour, même conjoncturels, avaient déserté le corps social. C’est en tout cas de cette façon que les Mauritaniens ont décrypté ces échanges de compassion et de condoléances entre les frères ennemis de la scène politique nationale. Ces signaux sont d’autant plus salutaires qu’ils constituent un bon rappel pour la rue, dont certains pans, emportés par la passion politique, commençaient à oublier que la Mauritanie, quelle que soit les tensions qu’elle pouvait vivre, ne peut se comparer à aucun des pays qui ont connu le « Printemps arabe ». Ici, la vie humaine a encore de la valeur, tout comme le sentiment diffus ressenti face à la nécessaire cohésion des ensembles communautaires.
Aujourd’hui que les morts sont mis sous terre et que le temps des compassions commence à se faire écraser sous l’impitoyable étau de l’oubli, les frères ennemis de la politique vont-ils déterrer la hache de guerre et reprendre les hostilités là où ils l’avaient laissé, ou bien vont-ils capitaliser les leçons vertueuses de la mort qui vient de leur apprendre que la vie n’est qu’une illusion qui ne vaut pas la peine de cultiver la haine, mais l’amour et la tolérance ?
Source:L’Authentic