
Mais un constat s’impose dans cet amas humain, que tout le monde fait : il n’y a que des négro-mauritaniens, à l’exception de quelques rares maures issus du mouvement du 25 février, venu pour l’occasion réclamer aussi la fin d’une «loi scélérate», à travers notamment son représentant Abdel Vettah Ould Habib qui soutient à la tribune qu’ «Aziz est un clone de Taya, qui reconstruit le même système bâti sur un racisme d’état répugnant».
«C’est dommage qu’il n’y ait que des négro-mauritaniens, c’est une cause et une injustice nationales» dit désolé, un journaliste radio de la place, venu couvrir l’occasion.

«Pourtant on voit nos frères maures mobilisés pour la question palestinienne. Malheureusement ils ne se mobilisent que pour les questions arabes, et c’est cela qui doit changer si on veut réconcilier les cœurs ici» avance pour sa part, Fatim Sall, jeune étudiante à l’université de Nouakchott, et orpheline de Baydi Sall, officier torturé et mort en prison durant les années dites de braise.

La loi «N° 93-23 du 14 juin 1993 portant amnistie» dont l’article 1er disposait qu’une «amnistie pleine et entière est accordée aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violence».
Pourtant cette loi est reconnue par les avocats qu’elle n’est pas valable. «Elle repose sur une conception erronée de la notion même d’amnistie et viole des normes impératives du droit international auxquelles il ne peut être dérogé. Elle ne peut, donc, faire obstacle à la recevabilité de plaintes, l’investigation des faits, la poursuite, l’arrestation et la punition des auteurs de ces violations» explique l’avocat Omar Ould Dedde Ould Hamady.
Le président du collectif des victimes de la répression (COVIRE), Mamadou Kane, victime lui-même de la répression d’état de 1992, va au-delà de cet aspect illégal de cette loi d’amnistie : «On parle d’unité depuis quelques années maintenant dans ce pays. Allez voir ces orphelins et veuves qui sont à dix mètres de nous, qui n’ont jamais pu prier sur le corps de leur parent. Allez leur dire qu’il n’y aura ni vérité, ni justice, ni réparation décente, ni mémoire pour le mal innommable qui leur a été fait. C’est cela que cette loi empêche : déposer des plaintes pour mettre en branle ces quatre points qui constituent la base de la réconciliation dans ce pays».

A la tribune où se succèdent des ténors de la lutte sociale, politique ou associative mauritanienne, la plupart mettent le doigt sur l’impunité «écoeurante», pour Abdoul Birane Wane, coordinateur du mouvement Touche pas à ma nationalité, «enrageante» selon Brahim Ould Abeid, représentant d’IRA-Mauritanie.
«Nous marchons dans la rue et nous voyons des généraux, des colonels, des vice-présidents d’assemblée nationale qui ont les mains pleines de sang et qui ne sont pas inquiétés. C’est une insulte à ceux qu’ils ont torturés et tués, et à leurs familles» crie Brahim Ould Abeid.
Cette impunité est le fruit d’un «racisme d’état maintenu» en Mauritanie souligne au micro, Dia Alasane coordinateur de «l’autre» TPMN.

L’ex-colonel El Arby Ould Sidi Aly Ould Jiddeine, actuel vice-président de l’assemblée nationale, est symbolique et significatif à plus d’un titre, il est un des rouages essentiels de l’institution qui devrait permettre l’abrogation de cette loi d’amnistie, et dans le même temps, le COVIRE le dénonçait clairement et précisément, par rapport aux officiers torturés et abattus, dans une liste de ses victimes parue il y a deux ans.
«Il a sur les mains le sang de 89 personnes. 89 Bon Dieu ! Et il se trémousse librement sur son fauteuil à chaque session de l’assemblée nationale !» enrage Aboubacri Sy, représentant du collectif des rescapés militaires, (COREMI).

Pour que cela ne se reproduise plus, le doyen de l’événement, Bâ Mamadou Alassane, président du PLEJ, insiste sur le fait que les communautés noires du pays doivent être plus unies. «Les consciences doivent être plus aigues pour permettre une unité forte qui ne pourra que porter ce combat».
«L’unité et la réconciliation sont possibles dans ce pays, mais d’abord les cœurs doivent être apaisés, et les gens doivent se parler, pour que tout puisse être pardonné et pouvoir passer à autre chose. On se fout de notre gueule quand on voit des ministères organiser on ne sait pour qui, des festivals dits d’unité nationale. Il n’y aura unité et réconciliation que lorsqu’il y aura vérité !» soutient Mamadou Sarr, SG du forum national des droits humains (FONADH).

Après plus d’une heure et demi de tribunes et d’animations musicales, la foule composée maintenant de près de 2000 personnes à 18h30, se met en mouvement vers le Parlement, où un seul député, Kane Hamidou Baba, du Mouvement pour la refondation, recevra des mains d’Ibrahima Sarr, la lettre demandant l’abrogation de la loi d’amnistie de 1989.
«Malouma Mint Bilal devait être là mais son enfant est souffrant, il se pourrait qu’elle revienne. Et d’autres députés qui ont des contretemps ou ne sont pas sur place» justifie sa solitude, le président du MPR.
Ce que quelques manifestants en colère souligneront et commenceront à crier après la remise la remise de la lettre, et que la foule se dispersait : «Il faudra nous dire clairement si on peut vivre ensemble dans ce pays, et qu’on en tire les actions qui s’imposent».
Mamoudou Lamine Kane