Déclaration de l’IRA et des Organisations de Réfugiés Mauritaniens au Sénégal.
En novembre 1990, au soir du 31eme anniversaire de l’accession de notre pays à son indépendance, le régime du dictateur Sid’Ahmed Ould Taya va procéder à l’exécution de vingt-huit militaires négros-mauritaniens dans le camp militaire d’Inal situé au Nord du pays. Ceci en vue de commémorer cet anniversaire. A cet égard, nous vous livrons un témoignage poignant de Mr Mahamadou Sy un rescapé dudit camp.
« …le 27 novembre dans l’après-midi, des prisonniers sont choisis dans les hangars et sont marqués d’une croix avec un feutre bleu. Plus tard, ils se voient attribuer des numéros allant de un à vingt-huit par le capitaine ould Demba… vers minuit, le groupe des prisonniers numérotés est placé devant le grand hangar… Khattra et d’autres mettent en place des cordes… Diallo Abdoulaye Demba…porte le numéro un. Pendant que Khattra lui passe le nœud de la corde autour du cou, il tourne la tête vers le hangar comme pour solliciter de l’aide, la dernière image de la vie qu’il emportera avec lui sera ces sombres formes allongées ou assises étroitement ficelées et dont les yeux exorbités ne peuvent se détacher de lui. Avec l’aide d’un autre soldat, Khattra le hisse jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus terre…D’autres prisonniers suivent…Quand arrive le tour de Diallo Oumar Demba et son frère Diallo Ibrahima…chacun ne voulant pas assister à la mort de l’autre, demande à passer le premier…un tirage au sort organisé par les bourreaux les départage, Ibrahima Demba, l’ainé, passe le premier…Samba Coulibaly, un soldat de mon escadron, qui porte le numéro vingt-huit ferme cette marche .» (Extrait du livre L’enfer d’Inal, « Mauritanie : l’horreur des camps.»)
Cet événement tragique s’inscrit dans le cadre des violations massives des droits de l’homme de caractère raciste des années 1989-91 qui se sont traduites par des exécutions sommaires, des viols, des enlèvements d’enfants maintenus en captivité, des vagues de déportations au Sénégal et au Mali, des expropriations à grandes échelles, des radiations de la fonction publiques… dont furent victimes les noirs mauritaniens. D’autres événements aussi dramatiques ont très souvent marqué la Mauritanie depuis son indépendance. A cet égard, des militants des droits de l’homme n’ont cesse de réclamer, à juste titre, la mise en place d’un Etat de droit et la fin de l’impunité.
En ce jour du vingt-huit novembre, de nombreuses organisations mauritaniennes et étrangères vont outrepasser l’interdiction de manifester émanant des autorités mauritaniennes qui ne sauraient les empêcher, par devoir de mémoire, de rendre hommage aux pendus d’Inal et à la même occasion à toutes les victimes des violations des droits humains en Mauritanie.
C’est la raison de notre rassemblement d’aujourd’hui. Pour s’inscrire dans l’actualité, nous tenons à rappeler que le régime politique très instable du général Mohamed Ould Abdel Aziz n’a fait qu’accentuer la crise multiforme que vivent les mauritaniens tant à l’extérieur qu’à l’intérieur et ceci à tous les points de vue (politique, social, économique, identitaire).
Aussi, faut-il tout d’abord souligner, que l’existence des réfugiés mauritaniens, encore présents au Sénégal, victimes des déportations, représente l’une des faces les plus hideuses du comportement raciste et brutal des différents pouvoirs qui se sont succédés en Mauritanie et ceci envers la communauté negro-mauritanienne. Les réfugiés mauritaniens continuent de payer les conséquences dramatiques de ce comportement. Leur exil est loin d’être facile, il est vécu avec douleur, avec son lot de manques tant au plan sanitaire, alimentaire, du logement qu’au plan administratif, même s’il faut reconnaitre que sur ce dernier point les autorités sénégalaises ont fait tardivement des efforts qui doivent être encouragés notamment par l’octroi aux réfugiés mauritaniens enfin d’un statut qui doit être reconnu à tous ceux qui sont encore laissés en rade. Si la situation tragique du réfugié est insupportable, elle l’est encore plus pour les femmes. Les femmes refugiées, cette moitié oubliée, sont devenues brusquement des chefs de ménage sans préparation et sans appui conséquent, elles vivent douloureusement ce calvaire. Il nous est aussi, insupportable de voir nos enfants grandir, sans connaitre leur patrie, s’accrochant à la réalité brutale de l’exil.
Les refugiés mauritaniens que nous sommes ont tout perdu, tout subi, des brimades aux tortures. Nous avons subi dans la chair, ce qu’il faut appeler sans ambages, le génocide de 1989 et l’avons payé au prix de notre sang et de celui de nos proches. Qu’est-ce qui n’a pas été fait, pour banaliser, ignorer et étouffer notre présence dans notre pays d’asile, comme si nous étions des parias. Nous n’avons nullement été associés aux projets que l’on nous destine et nos aspirations légitimes n’ont été que très rarement prises en compte. Au contraire, on nous a le plus souvent culpabilisés, humiliés. Nous estimons que les parties prenantes dans le dossier des réfugiés mauritaniens ont participé au sale boulot consistant à mettre en péril notre avenir. D’ailleurs, face a cette situation assombrie par les échecs permanents de ces décideurs, en ultime recours, nous réfugiés mauritaniens avons déclenché depuis le 19 juin une grève de faim, en face du HCR. Les réactions des autorités sénégalaises et du Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR) face à ce drame frisent l’indignation et la révolte.
Par ailleurs, les refugiés mauritaniens, après les différents programmes mis en place par le HCR et son partenaire l’ Office Africain pour le développement communautaire (OFADEC), reconnaissent qu’il est temps et grand temps de mettre fin à toutes ces entreprises, avant qu’il ne soit trop tard, l’unique solution, pour le moment, face à cette situation insupportable reste la réinstallation. Faut-il rappeler, le malheur qui a frappé le jeune Bassirou Ndongo décédé le 02 Novembre, après avoir été abandonné, oublié sans aucune assistance suite à son accident le 24 Octobre 2012. Ni le HCR ni l’OFADEC n’ont su réagir à temps bien que prévenus. Face à un tel drame, nous interpellons le représentant résident du système de nations unies sur la question de savoir : Est-ce que les réfugiés en général ou les réfugiés mauritaniens en particulier ont-ils accès aux avantages liés aux Objectifs du Millénaire ? De même, nous demandons au ministre sénégalais de la santé et de l’action sociale : Est-ce que les dispositions contenues dans les programmes nationaux de Santé Universelle et de Santé pour Tous sont ouverts aux réfugiés ?
Aujourd’hui, beaucoup de refugiés mauritaniens vivent au Sénégal après 23 ans d’exil, un statut d’apatride. Cette situation, dans certains cas comme celui de Bakel, est dû aux erreurs flagrantes de l’administration sénégalaise durant les enregistrements des réfugiés mauritaniens de cette localité, à leur arrivée en décembre 1989. Autrement dit, ils ont été laissés en rade lors de ces opérations d’enregistrement. Cette situation qui, en Gambie, a fait l’objet de communications au niveau de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, prouve, une fois de plus, la gravité de ce dossier. Si rien n’est fait, pour répondre à cette requête légitime et légale, le gouvernement Sénégalais risque d’entériner un génocide et serait alors tenu comme complice.
Aussi, les refugiés mauritaniens interpellent la communauté internationale, pour veiller au respect scrupuleux des conventions relatives aux refugiés.
En ce qui concerne la situation à l’intérieur de notre pays, la Mauritanie, nous observons que l’arrivée au pouvoir du général Mohamed ould Abdel Aziz , à la suite du coup d’état d’aout 2008, a accentué et généralisé la crise que vit notre pays. Le pouvoir actuel a déjà fait beaucoup de victimes dans les rangs des militants des droits de l’homme, cette répression a causé la mort de Lamine Mangane un jeune manifestant contre le processus d’enrôlement. Un douloureux événement survenu à Maghama, au sud du pays. Il a été tué à bout portant par un gendarme qui jusqu’à nos jours n’a pas été inquiété pour son geste qui reste impuni.
Les militants abolitionnistes d’Ira-Mauritanie et son président Biram Dah Abeid ont été emprisonnés plusieurs mois malgré le rejet de l’accusation par les juges et l’état de santé très précaire du camarade président. Il a fallu une forte pression nationale et internationale pour libérer nos camarades de leur incarcération illégale.
Malgré les lois déjà votées, l’esclavage n’a jamais été plus d’actualité dans notre pays et l’impunité pour les esclavagistes est favorisée par le pouvoir en place. Nous vivons ces dernières semaines la douloureuse nouvelle de l’assassinat d’une femme esclave victime de la jalousie de sa maitresse qui ne supportait plus que son mari use sexuellement de l’esclave, elle a été tuée puis enterrée. Et la tribu de l’esclavagiste tente de masquer son meurtre par un suicide et malgré la gravité des faits, les autorités trainent dans leur enquête devant éclairer la situation et sanctionner l’assassin de Saada que tout le monde présume être sa maitresse.
Les rapatriés qui son revenus dans leurs pays vivent toujours dans des camps comme des refugiés et ne peuvent occuper ni leurs anciens villages ni récupérer leurs terres agricoles, livrés a eux-mêmes ces refugiés se débrouillent tant bien que mal pour recouvrir leurs droits. Le processus d’indemnisation des anciens fonctionnaires victimes des purges de 1989 est très décrié et comporte beaucoup d’irrégularités visant a éliminer le maximum d’ayans-droit et à cela est venu s’ajouter le processus d’enrôlement discriminatoire visant à faire perdre, à beaucoup de rapatriés du Sénégal, leurs nationalités.
Aussi, nous ne pouvons considérer une unité nationale et une fête nationale d’indépendance dans un pays dont une grande partie de la population est reléguée au second rang et aux oubliettes, victime de toutes les affres d’un pouvoir monochromatique et mono-ethnique.
Au regard de tout ce qui précède, nous réclamons :
Une justice pour toutes les victimes des événements dits de 1989 susmentionnés et qui ne peut avoir lieu sans l’abrogation de la loi d’amnistie votée en 1993, par une assemblée nationale assujettie à un pouvoir dictatorial, qui aujourd’hui sous le régime du général Mohamed Ould Abdel Aziz cherche à soustraire à la justice du pays les responsables de ce qu’il convient d’appeler ici un génocide.
L’application de la loi incriminant l’esclavage et la collaboration des autorités civiles et militaires a cette décision.
Une résolution définitive de la situation des refugiés mauritaniens vivant au Sénégal qui ne peut passer que par une réinstallation en attendant que le pays se stabilise. Ainsi nous demandons au HCR de respecter ses obligations envers les refugiés pour qu’ils vivent dignement.
Une plus grande volonté politique du Sénégal devant se traduire par une demande explicite aux pays tiers et susceptible de favoriser notre réinstallation.
Une prise en compte effective par les autorités mauritaniennes des 15000 refugiés mauritaniens au Mali déjà recensés par le HCR.
La liste des 28 pendus d’Inal:
1 – l’Adjudant-chef Abdoulaye DJIGO
2 – 1ére classe Samba Baba NDIAYE
3 – 1ére classe Samba Oumar NDIAYE
4 – 1ére classe Demba Oumar SY
5 – 1ere classe Mamadou Hamadi SY
6 – Sergent Mbodj Abdel Kader SY
7 – Caporal Djibril Samba BAH
8 -Sergent Adama Yero LY
9 – 1ére classe Amadou Saïdou THIAM
10 – 1ére classe Mamadou Oumar SY
11 – 1ére classe Abdarahmane DIALLO
12 – 1ére classe Mamadou Ousmane LY
13 – Caporal Mamadou Demba SY
14 – Soldat Alassane Yéro SARR
15 – Caporal Amadou Mamadou BAH
16 – Sergent-chef Lam Toro CAMARA
17 – Sergent chef Souleymane Moussa BAH
18 – 2éme classe Oumar Kalidou BAH
19 – Sergent Amadou Mamadou THIAM
20 – Sergent Samba SALL
21 – 2éme classe Abdoulaye Boye DIALLO
22 – 1ére classe Cheikh Tidiane DIA
23 – 2éme classe Samba Bocar SOUMARE
24 – 1ére classe Moussa NGAÏDE
25 – 1ére classe Siradio LÔ
26 – 1ére classe Ibrahima DIALLO
27 – 2éme classe Abdoulaye Demba DIALLO
28 – 2éme classe Samba Demba Coulibaly
Faite à Dakar le 28 Novembre 2012