Mali: Un dilemme à trois têtes
Le casse-tête malien s’est retrouvé au centre de la 67ème session de l’Assemblée Générale (AG) de l’Organisation des Nations Unies (ONU), tenu à New York, cette semaine. La partition de fait de ce pays, dont les deux-tiers, constituant sa partie Nord, sont occupés par divers groupuscules terroristes, plus ou moins liés à la nébuleuses Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) – un acronyme qui renvoie, de plus en plus, l’image d’une organisation narco-islamiste ; un comble, pour un musulman! – a fait l’objet d’un débat au sein du Conseil de Sécurité (CS) de l’organisme mondial, le jeudi 27 septembre dernier.
Cette étape est le résultat d’une évolution. En effet, après plusieurs mois d’hésitation et même de tergiversations, le pouvoir transitoire du Mali s’est résigné à demander une intervention des forces militaires de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), pour «l’aider à recouvrer l’intégrité de son territoire national». Une requête dont la tardiveté réside, du moins en partie, dans le contexte politique d’un pays plongé dans une transition bancale, sous fond de défaite militaire. Un Etat qui, malgré le souci de sauver les apparences, se trouve encore fortement sous l’influence de la junte militaire auteur du putsch du 22 mars 2012. Un pouvoir venu mettre «fin à la corruption, au laxisme et faire la guerre» et qui aura, finalement, accéléré le processus de désintégration de la patrie de Soundjata Keïta, perdant le Nord en quelques jours.
Parmi les chefs d’Etat ayant prononcé un discours devant l’assemblée générale, certains poussent à une intervention rapide, à l’image du sénégalais Macky Sall, dont le pays, voisin du Mali, est également membre de la CEDEAO. Une volonté de promptitude encore plus explicite, avec le discours du chef de l’Etat français, François Hollande, pour qui «toute perte de temps, tout processus qui s’éterniserait pourraient faire le jeu des terroristes». L’invitation, faite au Conseil de Sécurité, à prendre ses responsabilités, en validant l’intervention du contingent de la CEDEAO dans le désert malien, est clairement pressante.
Quelle alternative à l’intervention militaire ?
Mais, face à la résolution de Paris, quelques membres de la haute instance mondiale, à l’image des Etats-Unis, observent une grande prudence. Le commandant en chef des forces armées américaines en Afrique (AFRICOM), le général Carter S. Ham, était à Nouakchott et Alger, au cours du week-end écoulé. Il a été reçu en audience au plus haut niveau, c’est-à-dire par les chefs d’Etat. Même si la teneur des entretiens avec Ould Abdel Aziz et Bouteflika n’a pas été divulguée, il est clair que ce voyage n’est pas fortuit et qu’il a été fortement dominé par la question malienne.
Fidèle à une vieille tradition, l’Algérie, puissance sous-régionale et leader des pays du champ saharo-sahélien, fait tout pour éviter une intervention «étrangère» au Mali. Celle-ci entraînerait, inévitablement, une implication des forces occidentales, notamment par «un soutien logistique», dans un conflit dont le théâtre d’opérations relève de son espace vital.
La position de la Mauritanie relève d’une lecture encore plus difficile. Car, pour cet exercice, il faut tenir compte de plusieurs paramètres qui complexifie notablement l’équation. Nouakchott est, à la fois, tiraillée par une série d’impératifs : volonté de lutte contre le terrorisme ; sympathie, non avouée, pour l’irrédentisme touareg qui aura, pourtant, déclenché un conflit dont il est, aujourd’hui, le plus grand perdant, au même titre que la République du Mali. Il y a, aussi, la nécessité de ménager, à la fois, la France, un partenaire historique, et le grand voisin algérien.
Quant au Niger, autre pays du cercle de feu également membre de la CEDEAO, partisan, depuis plusieurs mois, d’une action armée contre les groupuscules terroristes, il devrait, logiquement, s’aligner sur les vues de Paris, capitale avec laquelle les liens se sont resserrés, avec l’arrivée de Hollande aux commandes.
Comment la CEDEAO et ses alliés comptent-ils gérer les conséquences d’une action militaire et, tout particulièrement, l’aspect lié à la propagation des armes, inévitables en ce cas de figure ? Au-delà de la position des uns et des autres, l’affaire malienne reste, on le voit, d’une extrême complexité et comporte tous les ingrédients d’un véritable imbroglio. Et ce n’est pas l’infiltration des groupuscules terroristes (Ex-GSPC, Ansar Dine, MUJAO) par les services algériens, mauritaniens et maliens – une réalité qui relève d’un secret de Polichinelle – qui simplifie les choses… A priori, le travail de libération du septentrion malien devait être la mission de l’armée de ce pays. Tenus à un devoir de solidarité, les troupes des pays de la CEDEAO et des autres voisins devraient simplement servir de complément. Cependant, dire que l’armée de Bamako est incapable de libérer le Nord, dans les circonstances actuelles, est plus qu’un euphémisme.
Quant à l’option de la négociation, dans une république laïque, avec des groupes terroristes prônant l’application de «leur» Charia et tenant à conserver le statu quo dans l’espace conquis, elle est tout aussi peu crédible. Entre négociations impossibles, partition définitive, aboutissant à l’avènement d’un Etat narco-islamiste, ou intervention de troupes étrangères, le Mali fait, décidemment, face à un dilemme à trois têtes.
Pour ne rien arranger, les partisans du capitaine Sanogo ont réinvesti la rue, pour protester contre un éventuel déploiement des forces de la CEDEAO, dénoncé comme «une violation de la souveraineté nationale». Une rhétorique tout de même bizarre, dans un pays dont les deux-tiers sont occupés par des forces étrangères disparates, n’obéissant à aucun commandement intégré.
Amadou Seck
Source: Le calame