Les Forces Progressistes du Changement (FPC) Mauritanie

Daily Archives: 19/01/2023

Mauritanie – Islam : Le Cheikh Ibn Bayyah, une riposte africaine à l’extrémisme

APA-Nouakchott (Mauritanie) Par Barka Ba

L’érudit d’origine mauritanienne qui fait autorité dans le monde musulman est l’initiateur de la Conférence pour la paix en Afrique de Nouakchott, désormais un événement très couru sur le Continent.

C’est un ballet singulier de personnalités qui a défilé du 17 au 19 janvier 2023, au Palais Al Mourabitoune de Nouakchott, à la périphérie de la capitale mauritanienne, où se déroulait la troisième édition de la « Conférence pour la Paix en Afrique ». 

Ce forum, rare sur le continent, qui réunit autour de dizaines de sommités religieuses du monde musulman, des politiques, des diplomates, des experts et des journalistes venus du monde entier, est destiné à réfléchir sur les ripostes possibles au phénomène de l’extrémisme. 

Signe de l’importance grandissante de cette rencontre, le président nigérian Muhammadu Buhari a assisté à la cérémonie d’ouverture, en présence de son homologue mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, tandis que ses homologues Mohamed Bazoum du Niger et Paul Kagamé du Rwanda s’y sont virtuellement invités en délivrant des messages par vidéo. 

L’initiateur de ce forum est l’érudit d’origine mauritanienne, Cheikh Abdallah Ibn Mahfoudh Ibn Bayyah, 88 ans, basé entre l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, dont la production intellectuelle est très suivie dans le monde musulman où ses avis font autorité. Actuellement président du Conseil de la Fatwa des Émirats arabes-unis, le religieux qui fut longtemps professeur à l’Université du Roi Abdulaziz de Djeddah, a été durant les années 1970 ministre de la Justice dans la régime du père de l’indépendance de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah au pouvoir de 1958 à 1978.  Issu d’une grande famille d’érudits de l’Est mauritanien, près de la frontière malienne, cet adepte de la confrérie soufie la Chadhilia ( une branche de la Qadiriyya) est l’une des rares sommités religieuses musulmanes influentes dans  les pays du Golfe qui n’est pas issue des courants wahabbites ou salafistes.

Ce polyglotte, aussi bien à l’aise en arabe qu’en français, a connu une consécration planétaire lorsque Barack Obama, alors président des Etats-Unis d’Amérique,  l’a cité lors d’un célèbre discours devant le Conseil de sécurité de l’Onu en 2014, en le donnant comme l’exemple même du guide religieux éclairé. Mais Ibn Bayyah est surtout célèbre pour avoir émis une fatwa qui a eu un immense impact dans le monde musulman, intitulée « Ceci n’est pas le chemin du paradis », qui démonte, sur la base d’un argumentaire islamique implacable les thèses radicales de  l’Organisation de l’Etat islamique qui déstabilisent une partie importante des pays musulmans. Le Mauritanien est aussi connu pour avoir  porté la contradiction lors des « Printemps arabes » à feu Youssef Al Qaradawi, célèbre prédicateur proche de la puissante confrérie des « Frères musulmans » et star incontestée de la chaîne qatarie Al Jazira. Alors que l’égyptien naturalisé qatari, donnait sa bénédiction aux soulèvements  qui allaient emporter plusieurs régimes arabes, Ibn Bayyah prenait son contre-pied en prônant la reforme au lieu de la révolution, disant en substance que même un mauvais gouvernement est préférable au désordre et à la Fitna (discorde). 

L’une des spécificités de la Mauritanie est que ce pays, par le prestige et le rayonnement intellectuel dont jouissent dans les pays musulmans certains de ses ressortissants, est en train de développer à bas bruit un véritable soft power religieux. Outre le cheikh Ibn Bayyah, la Mauritanie est aussi le pays de naissance  de Mohamed El Hassan Ould Dadaw, un des principaux guides religieux de la version mauritanienne des Frères musulmans, le Tawassoul, qui est aussi un des idéologues les plus influents de la confrérie des « Frères »  et de leurs alliés au pouvoir, dont l’Emir du Qatar et le président truc Recep Tayyip Erdogan.

Un peu plus controversé, Mahfoudh Ould al-Walid, alias « Abou Hafs Al Mouritani», lui aussi natif du « pays aux million de poètes », surnom de la Mauritanie dans le monde arabe, était l’ami, le maitre spirituel et le conseiller d’Oussama Ben Laden, le fondateur d’Al Qaïda dont il était d’ailleurs le numéro 3 dans la hiérarchie, avant de faire amende honorable et de rompre avec le jihadisme. Un épisode raconté par le journaliste Lemine Ould M. Salem dans un livre de référence,  « L’Histoire secrète du djihad. D’Al-Qaïda à l’État islamique »,  paru en 2018 aux éditions Flammarion, révèle un détail peu connu du grand public, mauritanien et sénégalais notamment  Abou Hafs dont le père possédait plusieurs commerces entre les deux rives du Fleuve Sénégal, a été apprenti boutiquier à…Rufisque !

BB/Los/APA

Barka Ba

APA – Nouakchott (Mauritanie)

Procès Aziz et cie : Une arme de dissuasion massive ?

Les premières auditions, avant le procès proprement dit d’Aziz et ses compagnons, ont démarré le jeudi 12 Janvier 2023 à Nouakchott. Certains redoutaient des manifestations de sympathisants de l’ex-Président, on n’a cependant noté aucun mouvement de foule dans la capitale, alors que des forces de l’ordre étaient déployées autour du palais de justice qui abrite le « Tribunal de la Corruption » et le long de plusieurs axes de la ville, surtout du côté de la Place de la Liberté. Visiblement, les récentes sorties médiatiques de MOAA n’ont pas porté les fruits qu’il espérait. Se plaçant en victime harcelée et tentant de déporter exclusivement le dossier sur le terrain politique, Ould Abdel Aziz en appelait au soutien des Mauritaniens par leur présence massive – ou du moins significative – au Palais de justice. Chou blanc sur toute la ligne.

Après donc une longue attente des Mauritaniens dont certains commençaient à se lasser des gesticulations de l’ex-Président tenant le pays quasiment en haleine et les lenteurs de l’enquête qui poussaient à douter de la volonté du gouvernement d’aller au bout de l’affaire, voilà le procès enfin entamé. Ould Abdel Aziz et ses co-accusés ont été convoqués afin de leur signifier la date de leur comparution. Rendez-vous est pris pour le 25 Janvier courant.

Le débat est un double défi. Celui d’abord au pouvoir de Mohamed Cheikh El Ghazwani. Après avoir accepté la formation par l’Assemblée nationale mauritanienne d’une commission d’enquête sur les dix ans de règne de son prédécesseur –et alter ego durant près de quarante ans… –il affirmait laisser la justice jouer son rôle en toute indépendance. « Foutaises ! », ont glapi de concert l’accusé et ses conseils, « le dossier est purement politique, ce n’est qu’un règlement de comptes, juges et magistrats sont manipulés, les droits de la défense ne sont pas respectés… » et tout à l’avenant. Si l’on suit cette logique de l’ex-Président, le voilà déjà condamné.

Graves accusations

Mais il n’en demeure pas moins présumé innocent jusqu’au jugement. Le gouvernement doit donc continuer à démontrer qu’il est en dehors du dossier et qu’il appartient à la justice de trancher en son âme et conscience. Il y gagnera en montrant à l’opinion nationale et internationale que la lutte contre la corruption est une option nationale, une réelle volonté politique à ce que personne, eût-il été par le passé président de la République, ne bénéficiera de l’impunité s’il est convaincu du moindre détournement de deniers publics, blanchiment d’argent, trafic d’influence et/ou obstruction à la justice…

Le défi lancé à MOAA et ses conseils paraît beaucoup plus immense : ils doivent démonter et déconstruire l’image désastreuse dont celui-ci se trouve accablé. Il fait l’objet de graves chefs d’accusation, indignes d’un chef de l’État qui s’arrogea le titre de président des pauvres pour se retrouver, au terme de dix ans de règne, à se vanter devant les Mauritaniens et l’opinion internationale d’être à la tête d’une immense fortune. Où, quand, comment, alors qu’il prétendait ne rien posséder à son arrivée au pouvoir et que l’écrasante majorité de ses compatriotes n’ont cessé, eux, de tirer le diable par la queue, quand ils ne l’ont pas trouvé ailleurs ?

Les avocats d’Aziz vont devoir aller au-delà des arguments portant sur le « harcèlement et la chasse aux sorcières ». En zappant bien évidemment sur ladite question, fondamentale mais on ne peut plus gênante pour leur client. L’équipe dirigée par maître Ichidou sortira donc probablement la grosse artillerie des arguties juridiques pour tenter d’exploiter les éventuelles failles et vices de forme du dossier et de limiter au mieux les dégâts. 

La justice mauritanienne est ainsi très attendue sur ce procès qui se jouera sur le terrain du Droit : arguments contre arguties juridiques ; et qui aura, ce faisant, une dimension pédagogique, aussi bien pour le continent africain que pour le monde arabe. Une arme de dissuasion massive en Mauritanie où les responsables confondent allègrement leurs poches et les caisses de l’État. On remarquera au passage que ces assises sont précédées de peu par le procès de l’ex-président de la junte guinéenne, Dadis Camara, jugé pour le massacre en 2009 de cent cinquante-sept de ses compatriotes au stade du 28 Novembre. Crime de sang là-bas, crimes économiques ici, mais bel et bien crimes dans les deux cas.

Engagé à la veille même des élections locales, le procès de MOAA et cie revêt une dimension plus politique encore, pour ne pas dire politicienne. Même s’il se défend de vouloir revenir au pouvoir, les récentes sorties et accusations d’Ould Abdel Aziz contre l’actuel en place – « Il n’y a pas », dit-il,« actuellement de pouvoir en Mauritanie » ; entendez : de président – démontrent que le procès se joue bel et bien aussi sur le terrain politique. L’ex-Président et son parti entendent se battre pour conquérir des postes de député, conseiller régional et municipal, histoire de se positionner sur l’arène nationale et y obtenir une nouvelle tribune. Ould Abdel Aziz a maintes fois répété qu’il n’abandonnait pas la politique. Et certes : son avenir en ce domaine est bel et bien suspendu à l’issue de son procès…

Dalay Lam

le calame

Enjeux réels d’un procès exceptionnel

Mohamed ould Abdel Aziz, encore et toujours à truster le devant de la scène… Mais pour combien de temps encore ? Le lancement enfin de son procès sonne-t-il le glas de sa disparition des radars ? Probablement. Surtout s’il s’en tient à son actuel dispositif de défense articulé autour de deux grandes lignes : « Je suis visé parce que je suis perçu comme une menace politique » et « le régime actuel n’a aucune preuve de ce que j’aurais détourné de l’argent public ». Les deux arguments sont pourtant apparemment de poids : il est effectivement visé pour des raisons politiques et il n’existe, à ce jour, aucune preuve de ce qu’il se soit personnellement servi dans la caisse publique. Ses avocats vont certainement se barricader derrière cette ligne de défense. Mais, ce faisant, l’ex-Président et ses conseils éludent la bonne question qu’ils n’essaient même pas de (se) poser : comment Ould Abd El Aziz est-il devenu riche ?

Et c’est à cette question de l’enrichissement sans cause que les avocats doivent pourtant répondre. L’examen d’un enrichissement sans cause est une évolution significative dans la lutte contre la corruption et la criminalité économique. À une certaine époque, on se limitait à chercher si des biens publics avaient été détournés ou pas. Aujourd’hui, détourner directement de l’argent public est considéré comme la préhistoire de la corruption. En effet la corruption moderne, ce n’est jamais piquer directement dans la caisse publique, nul ne s’y risque, sauf les idiots, pour reprendre les termes de Mohamed El Mounir.

Aussi a-t-on mis au point le concept d’enrichissement sans cause. Un attrape-tout qui couvre potentiellement tout ce qui est illégal : trafic d’influence, par exemple, recours parcimonieux ou excessifs à la planche à billets, ventes manipulées du domaine public de l’État, attributions intéressées de marchés publics, etc. Le plus important avec ce concept est que la charge de la preuve de son inadéquation incombe à la personne présumée coupable. C’est à elle de démontrer que ce qu’elle a acquis l’a été de manière légale. Comme Ould Abd El Aziz ne peut pas et ne voudra pas dévoiler l’origine des quarante-sept milliards saisis en dehors de ses propriétés immobilières, il va persister à répéter qu’il est visé par un procès politique et que la justice n’est pas capable d’apporter la preuve qu’il ait détourné l’argent public.

Petit atout : il sait que la compréhension de la corruption chez le citoyen de base se réduit à piquer dans la caisse et cela explique ses manœuvres populistes. Mais peut-il négliger que ses juges ont évidemment une vision autrement plus affutée des réalités ?  Ses avocats ne pourront longtemps continuer à chercher à inverser la charge de la preuve. Alors, les vices de procédures, voire de l’enquête, jusqu’à obtenir la relaxe de leur client après maints recours ? Le dol est cependant assez conséquent et connu –voire implicitement avoué par l’accusé, dans l’ampleur de son enrichissement sans cause – pour qu’une telle vicieuse fin soit seulement envisageable. D’autant moins, d’ailleurs, qu’elle retomberait immanquablement sur le pouvoir ou, plus exactement, le système qui prétend nous gouverner. Oui, c’est bien leur crédibilité qui est en jeu, au final de toute cette affaire. Et les chances de notre nation multi-ethnique à trouver un modus vivendi acceptable par tout un chacun…

                                                                                                      Ahmed ould Cheikh

le calame