Procès Aziz et cie : Une arme de dissuasion massive ?
Les premières auditions, avant le procès proprement dit d’Aziz et ses compagnons, ont démarré le jeudi 12 Janvier 2023 à Nouakchott. Certains redoutaient des manifestations de sympathisants de l’ex-Président, on n’a cependant noté aucun mouvement de foule dans la capitale, alors que des forces de l’ordre étaient déployées autour du palais de justice qui abrite le « Tribunal de la Corruption » et le long de plusieurs axes de la ville, surtout du côté de la Place de la Liberté. Visiblement, les récentes sorties médiatiques de MOAA n’ont pas porté les fruits qu’il espérait. Se plaçant en victime harcelée et tentant de déporter exclusivement le dossier sur le terrain politique, Ould Abdel Aziz en appelait au soutien des Mauritaniens par leur présence massive – ou du moins significative – au Palais de justice. Chou blanc sur toute la ligne.
Après donc une longue attente des Mauritaniens dont certains commençaient à se lasser des gesticulations de l’ex-Président tenant le pays quasiment en haleine et les lenteurs de l’enquête qui poussaient à douter de la volonté du gouvernement d’aller au bout de l’affaire, voilà le procès enfin entamé. Ould Abdel Aziz et ses co-accusés ont été convoqués afin de leur signifier la date de leur comparution. Rendez-vous est pris pour le 25 Janvier courant.
Le débat est un double défi. Celui d’abord au pouvoir de Mohamed Cheikh El Ghazwani. Après avoir accepté la formation par l’Assemblée nationale mauritanienne d’une commission d’enquête sur les dix ans de règne de son prédécesseur –et alter ego durant près de quarante ans… –il affirmait laisser la justice jouer son rôle en toute indépendance. « Foutaises ! », ont glapi de concert l’accusé et ses conseils, « le dossier est purement politique, ce n’est qu’un règlement de comptes, juges et magistrats sont manipulés, les droits de la défense ne sont pas respectés… » et tout à l’avenant. Si l’on suit cette logique de l’ex-Président, le voilà déjà condamné.
Graves accusations
Mais il n’en demeure pas moins présumé innocent jusqu’au jugement. Le gouvernement doit donc continuer à démontrer qu’il est en dehors du dossier et qu’il appartient à la justice de trancher en son âme et conscience. Il y gagnera en montrant à l’opinion nationale et internationale que la lutte contre la corruption est une option nationale, une réelle volonté politique à ce que personne, eût-il été par le passé président de la République, ne bénéficiera de l’impunité s’il est convaincu du moindre détournement de deniers publics, blanchiment d’argent, trafic d’influence et/ou obstruction à la justice…
Le défi lancé à MOAA et ses conseils paraît beaucoup plus immense : ils doivent démonter et déconstruire l’image désastreuse dont celui-ci se trouve accablé. Il fait l’objet de graves chefs d’accusation, indignes d’un chef de l’État qui s’arrogea le titre de président des pauvres pour se retrouver, au terme de dix ans de règne, à se vanter devant les Mauritaniens et l’opinion internationale d’être à la tête d’une immense fortune. Où, quand, comment, alors qu’il prétendait ne rien posséder à son arrivée au pouvoir et que l’écrasante majorité de ses compatriotes n’ont cessé, eux, de tirer le diable par la queue, quand ils ne l’ont pas trouvé ailleurs ?
Les avocats d’Aziz vont devoir aller au-delà des arguments portant sur le « harcèlement et la chasse aux sorcières ». En zappant bien évidemment sur ladite question, fondamentale mais on ne peut plus gênante pour leur client. L’équipe dirigée par maître Ichidou sortira donc probablement la grosse artillerie des arguties juridiques pour tenter d’exploiter les éventuelles failles et vices de forme du dossier et de limiter au mieux les dégâts.
La justice mauritanienne est ainsi très attendue sur ce procès qui se jouera sur le terrain du Droit : arguments contre arguties juridiques ; et qui aura, ce faisant, une dimension pédagogique, aussi bien pour le continent africain que pour le monde arabe. Une arme de dissuasion massive en Mauritanie où les responsables confondent allègrement leurs poches et les caisses de l’État. On remarquera au passage que ces assises sont précédées de peu par le procès de l’ex-président de la junte guinéenne, Dadis Camara, jugé pour le massacre en 2009 de cent cinquante-sept de ses compatriotes au stade du 28 Novembre. Crime de sang là-bas, crimes économiques ici, mais bel et bien crimes dans les deux cas.
Engagé à la veille même des élections locales, le procès de MOAA et cie revêt une dimension plus politique encore, pour ne pas dire politicienne. Même s’il se défend de vouloir revenir au pouvoir, les récentes sorties et accusations d’Ould Abdel Aziz contre l’actuel en place – « Il n’y a pas », dit-il,« actuellement de pouvoir en Mauritanie » ; entendez : de président – démontrent que le procès se joue bel et bien aussi sur le terrain politique. L’ex-Président et son parti entendent se battre pour conquérir des postes de député, conseiller régional et municipal, histoire de se positionner sur l’arène nationale et y obtenir une nouvelle tribune. Ould Abdel Aziz a maintes fois répété qu’il n’abandonnait pas la politique. Et certes : son avenir en ce domaine est bel et bien suspendu à l’issue de son procès…
Dalay Lam
le calame