Monthly Archives: April 2021
Le pôle d’enquête procède à la saisie des maisons de Ould Abdel Aziz dont l’ex siège de l’UPR
Mourassiloun – Le pôle d’enquête chargé des crimes économiques et financiers a lancé les procédures relatives à la saisie de dizaines de maisons sises à Tevragh Zeina, d’immeubles et d’autres bâtiments appartenant à l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, ont révélé des sources généralement bien informées.
L’ancien siège de l’Union Pour la République (UPR) au pouvoir fait partie des biens saisis, indiquent les sources précitées. Ould Abdel Aziz avait demandé l’année dernière à la direction dudit parti de quitter ledit siège.
Ce qui fut fait, mais, la procédure judiciaire en cours a décidé aujourd’hui de l’inclure dans les biens visés par l’ordre de saisie.
Les immeubles visés par la procédure compte entre autres le « HLM » contigu au stade olympique, initialement destiné à devenir une clinique privée, en vertu d’un accord à long terme signé par Aziz dans ce cadre avec la CNAM, avant son départ du pouvoir.
L’ex Chef de l’Etat Ould Abdel Aziz avait refusé lundi passé de répondre aux questions du juge d’instruction, rappelle-t-on.
Edité par Mourassiloun
Traduit de l’Arabe par Cridem
Editorial : Le premier ministre tape du poing sur la table
Initiatives News – Le changement promis par le président de la République tarde à venir et la léthargie observée au sein de l’équipe gouvernementale devient de plus en plus inquiétante.
C’est dans ce cadre qu’il convient de placer le blâme du Premier ministre qui a déploré le retard dans l’exécution des programmes gouvernementaux. Cette gifle du chef du gouvernement qui a tout dernièrement sillonné plusieurs départements semble être le signe annonciateur de la rupture tant attendue avec les vieilles recettes qui ont fait tant de dégâts.
Ce désaveu du premier ministre ouvre la voie à un changement de cap qui devrait se traduire par un chamboulement au sein de l’équipe gouvernementale, histoire d’insuffler du sang neuf et de repartir sur de nouvelles bases.
Les problèmes d’accès aux droits sociaux d base avec entres autres la pénurie d’eau, y compris dans certains quartiers de Nouakchott, l’insécurité avec la montée en flèche de la délinquance juvénile, le problème de l’emploi, la détérioration des conditions d’enseignement, le pillage des ressources halieutiques, la hausse des prix, les problèmes d’exclusion, les problèmes de la presse, ce sont là autant de problèmes que le président s’était engagé à résoudre dans le cadre de son ambitieux programme « Taahoudati » mais dont beaucoup demeurent en l’état, ce qui a suscité l’ire du premier ministre.
Face à ces grands défis, le gouvernement actuel a montré ses limites même si certains ministres-une infime minorité- ont pu tirer leur épingle du jeu.
Ainsi, malgré les slogans mirobolants et les missions régulières payées au frai du contribuable les résultats se font toujours attendre et le bilan à mi-parcours est fort mitigé.
Pour le citoyen lambda malgré des gouvernements nommés à intervalles réguliers, sur le plan de la gestion des affaires de l’état c’est toujours du kif-kif, la vieille approche tant décriée avec des ministres qui se présentent comme de vrais bonzes évoluant dans leurs coquilles et complètement coupés des réalités. Et jusque là le slogan chouchou à savoir l’administration au service du citoyen demeure un refrain vide de sens.
Les mauritaniens attendent toujours avec toute la patience requise la désignation d’un gouvernement de combat capable de réaliser les ambitions du président de la République, un gouvernement totalement en porte-à-faux avec l’approche anachronique des dosages qui continue à faire des ravages.
Bakari Guèye
Mauritanie – Appel à la Charia, face à l’explosion de la criminalité
– Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre en Mauritanie pour l’application de la Charia face à la recrudescence des crimes et l’impunité des criminels.
Pas un jour ne passe sans son lot de crimes et de cambriolages à mains armées. Des crimes perpétrés par des multirécidivistes fichés par la police et maints fois condamnés. Aguerris par l’ampleur de l’impunité dont ils bénéficient, de la légèreté des peines qui leur sont appliqués et de la nonchalance d’une justice devenue un antre de légèreté, les criminels de plus en plus endurcis, multiplient leurs actes entre deux séjours en prison.
La série de crimes perpétrés en une seule nuit il y a deux jours à Nouadhibou, causant la mort de deux personnes et la blessure grave de trois autres à l’arme blanche, représente un cursus non négligeable de l’ampleur de la criminalité en Mauritanie.
En effet, le banditisme et les gangs armés étaient jusque-là circonscrits à Nouakchott, la capitale tentaculaire de la Mauritanie, aujourd’hui scindée en trois régions qui représentent chacune un échantillon représentatif de l’empire du crime.
Le cœur de cette faune visqueuse se trouve à Dar-Naïm, un département qui concentre à lui seul 60% des actes criminels perpétrés à Nouakchott, selon les statistiques de la police divulgués par une source qui a requis l’anonymat.
Suivent en ordre non moins négligeables Arafat, Riadh, El Mina, Sebkha et Teyarett. Nulle place dans la Capitale n’est plus réellement sûre, prise en tenaille par des bandes de jeunes drogués, perdus et sans repères.
Les actes les plus horribles sont rapportés quotidiennement par les médias locaux. Tels cet incident qui s’est produit il y a quelques jours à Toujounine, où deux jeunes filles et leur maman ont été tailladées à la suite d’une tentative infructueuse de viol. Quant aux attaques à l’arme blanche dans les rues de Nouakchott, elles ne se comptent plus.
La hardiesse des gangs est arrivée à un tel point, qu’ils n’hésitent plus à opérer en plein jour. C’est le cas de l’attaque massive conduite par des jeunes au marché de Sebkha, dépouillant les boutiquiers du coin et détroussant les passants sous la menace de couteaux et de haches.
C’est aussi le cas de cette jeune fille qui a échappé de justesse à Dar-Naïm à un jeune déséquilibré qui voulait l’immoler dans une maison abandonnée.
Des citoyens paisibles sont agressés en pleine nuit dans leur domicile, dépouillés par des bandes de plus en plus hardies.
Le crime s’est transporté dans d’autres villes et localités du pays, connus pourtant il y a quelques années pour leur tranquillité, comme Adel Bagrou, Touil, Kiffa, Rosso, Zouerate. La Mauritanie toute entière est aujourd’hui à la merci d’une multitude de jeunes, victimes du chômage, des divorces intempestifs, de la pauvreté et de la misère qui frappe les trois quarts de la population.
La drogue, les séries télévisées, la chute des valeurs, la désocialisation et la déscolarisation, sont autant de facteurs qui ont jeté des milliers de jeunes sur les routes du crime organisé.
Face à tant d’innocentes personnes tombées victimes de ces gangs criminels, des voix s’élèvent de plus en plus hautes pour réclamer l’application de la Charia qui recommande de couper la main du voleur et les membres opposés du brigand et de tuer les auteurs de crimes.
Exactement comme cela est appliqué dans plusieurs villes américaines qui continuent selon leurs arguments, à appliquer la peine de mort. « Nous devons appliquer les recommandations divines sur la loi du Talion, nonobstant l’avis des organisations des droits de l’homme et de l’Occident.
L’Etat mauritanien doit protéger l’intégrité physique de ses populations, préserver la paix civile et sauvegarder la vie et les biens des citoyens » a déclaré tout dernièrement un imam de mosquée.
Un avis qui n’est pas loin d’être partagé par des pans de plus en plus importants de la population.
Pourtant, les services de police ont toujours, et avec promptitude, arrêté tous les auteurs de crime, dans des délais relativement courts. Tous les cas de cambriolages, de viols, de vols, et de meurtres ont tous été résolus par la Police.
Là où le bât blesse, selon plusieurs observateurs, c’est au niveau de la justice. Ils soutiennent « la police arrête et la justice relâche ». Plusieurs dossiers judiciaires pendant devant les tribunaux ne connaissent pas selon eux les mêmes traitements.
Des meurtriers retrouvent la liberté trop tôt, au bout de deux ou de trois ans, alors qu’ils doivent être condamnés au moins à la perpétuité, selon l’un des observateurs. Aujourd’hui, une partie non négligeable de la population demande tout simplement qu’ils soient exécutés. Pour l’exemple.
Cheikh Aïdara
Source : Thaqafa
Trarza: des gangs de vente de drogue et de passeurs d’étrangers arrêtés
Essahraa – La Gendarmerie nationale a neutralisé deux réseaux de vente et de distribution de drogue à Tiguent, en plus de groupes de passeurs des étrangers, au niveau de des moughataas de Rosso, de Merdredra et de Ouad Naga.
Deux autres réseaux spécialisés dans le vol d’animaux avaient été également démantelés à R’Kiz et Ouad Naga, indique l’AMI, citant des sources au sein de la gendarmerie.
Les mêmes sources ont confirmé l’arrestation de la gendarmerie nationale ce samedi 24 avril courant, au niveau de la ville de Tiguent, d’un gang composé de quatre personnes, s’activant dans le domaine du transport entre Nouakchott et cette ville et dont les membres confisquent sous la menace d’armes blanches les passagers de leurs biens.
Le gang compte en son sein un multirécidiviste, ajoutent les sources précitées, selon lesquelles, c’est l’une des victimes du réseau qui a alerté les services de sécurité. Lancés à la quête des malfaiteurs, les éléments de la gendarmerie ne tardèrent pas à neutraliser la bande dans un temps record.
Habib Ould Mahfoud (1960-2001) : (Habib Ould Mahfoud, Mauritanides, Paris, Karthala, 2012)/Par Abdel Wedoud Ould Cheikh
J’ai été un lecteur assidu et souvent ébloui des « Mauritanides » de Habib. Il m’est arrivé, dans diverses circonstances, de le rencontrer. Je garde en mémoire le souvenir du sourire lumineux et du regard plein de malice de ce sceptique dont les chroniques laissaient deviner le caractère à la fois facétieux et inquiet. Ces rencontres épisodiques et les différences des cercles de fréquentation, liées notamment à la différence d’âge, ne me permettent pas cependant de faire état d’une connaissance personnelle de quelque étendue de cette figure totalement atypique du paysage culturel mauritanien des années 1980. Je dois l’essentiel des éléments de biographie ci-dessous à l’aimable assistance de Mohamed Fall Ould Bah qui fut, lui, l’un de ses plus proches amis.
Habib Ould Mahfoudh est né en 1960 aux environs de Nyivrâr, puits pastoral situé à quelques quarante kilomètres au nord de Méderdra, au cœur d’une région – l’Iguîdi – qui constitue la patrie historique d’un ensemble tribal « maraboutique » – Awlâd Daymân – universellement connu dans la société maure pour la finesse d’esprit de ses ressortissants et leur humour pince sans rire. Ce natif de l’Iguidi appartenait pourtant, par son ascendance généalogique, à la strate « guerrière » de la société maure traditionnelle. Il convient de noter que les distinctions statutaires rigides de l’ordre social précolonial (« guerrier », « marabout », « ancien esclave », « griot », etc.) et les stéréotypes comportementaux qui les accompagnaient demeuraient encore vivaces du temps où Habib rédigeait ses chroniques, tout comme ils le sont encore aujourd’hui. On retrouvera quelque chose de cette double culture locale, « maraboutique » et « guerrière », dans les pérégrinations langagières des « Mauritanides ». D’un côté, la touche « maraboutique », ordonnée autour de la maîtrise de soi, de la pudeur, de l’indifférence feinte à toutes les agitations du monde, qui accompagnent le jeu subtile et ravageur sur le langage, caractéristique du « parler des Awlâd Daymân » (klâm Awlâd Daymân) ; de l’autre, l’allure directe et sans détours de propos qui ne craignent pas de mettre les pieds dans le plat, d’attaquer de front des sujets tabous, maraboutiquement intouchables, comme la sexualité, par exemple, dans le style débridé et sans fard des habitants du Mahsar[1].
Lecteur boulimique
Au reste, la bourgade de Méderdra, où Habib terminera le cycle primaire de sa scolarité à la fin des années 1960, constituait une petite capitale de l’émirat des Trarza, un lieu de rencontre et de complicité antagonique entre ces deux facettes de l’héritage culturel régional, à l’ombre d’une nouvelle hégémonie administrative et culturelle, celle de l’école « francophone » héritée de la colonisation. Le futur lecteur boulimique éprouva très tôt, semble-t-il, la jubilation que procuraient les jeux, libérés en quelque sorte des impératifs culturels et statutaires locaux, sur et avec les mots d’une langue « neutre », venue d’ailleurs, le français. Il devint précocement « littéraire ».
Inscrit au « Collège de garçons » de Nouakchott à partir de 1972, il surclassait aisément tous ses petits camarades dans sa matière de prédilection, le français. Il composait des poèmes et écrivit même une pièce de théâtre, alors qu’il n’était encore qu’élève de troisième. Au « Lycée National », la filière « Lettres Modernes » (dite « bilingue ») était essentiellement francophone, et encadrée à l’époque, quasi uniquement, par des professeurs français. Elle lui offrit la possibilité de marquer pour de bon une amorce de spécialisation dont les contours avaient déjà commencé à se dessiner. Il pourra plus tranquillement délaisser tout ce qui n’est pas de l’ordre du littéraire et consacrer même une bonne partie de l’horaire dévolu aux autres matières — qui ne l’intéressaient guère — à des exercices de style où il laissait libre cours à son imagination. C’est ainsi, par exemple, qu’il faisait lire à certains de ses camarades un « quotidien intime » qu’il avait nommé « Boite à bachot news », où on pouvait lire des nouvelles loufoques du genre : « Au moment où nous mettons sous presse, nous avons appris que M. Arnaud[2] s’est grièvement blessé en heurtant un obstacle épistémologique dressé par un certain Gaston Bachelard à l’entrée du lycée… ».
Le traitement désinvolte que Habib réservait à tout ce qui n’était pas lettres ne l’empêcha pas d’obtenir son baccalauréat en 1980. La commission des bourses de l’Enseignement supérieur mauritanien l’orienta, suite à ce succès, vers des études de cinéma à Alma Ata, dans l’ex-URSS. Il ne voulut pas de cette offre et préféra s’inscrire dans la filière « lettres françaises » à l’Ecole Normale Supérieure de Nouakchott. L’établissement et ses enseignements ne réussirent pourtant pas à le retenir longtemps. Deux ans seulement, juste le temps d’achever ce que l’on appelait alors « le cycle court » de l’ENS. Une formation suffisante toutefois pour devenir enseignant de français dans le secondaire.
Son premier poste d’affectation, en 1982, est Aïoun El-Atrous, dans l’Est de la Mauritanie, à quelques sept cents kilomètres de son Trarza natal. Et surtout à fort bonne distance des principaux marqueurs culturels de ce microcosme très spécial qu’était l’Iguidi. Finies la « froide » bouillie épaisse de mil (‘aysh) et les litotes sibyllines de ses chers iguidiens. Place au couscous et à la décontraction décoiffante des femmes Awlâd an-Nâsir. Aux quatre ans qu’il passera à Aïoun viendront s’ajouter, au fil de ses changements d’affectation, des séjours à Nouadhibou, dans l’extrême nord-ouest mauritanien, puis à Atar, dans le centre nord, avant que son périple ne s’achève à Nouakchott. Ce tour de Mauritanie, élargi à divers autres déplacements, permettra à Habib d’étoffer, sur le terrain, sa connaissance du monde mauritanien, plus particulièrement celle du monde maure, dans toutes ses facettes et sous toutes ses latitudes. L’environnement scolaire, sis au cœur de cette expérience voyageuse, sera évidemment très présent dans les plis des « Mauritanides », une fois que l’écrivain contrarié et enseignant par nécessité aura cessé d’enseigner. Car en 1991, à un moment où la Mauritanie connaît un début timide d’ouverture politique, un groupe d’amis lui proposa de participer au lancement d’un hebdomadaire. Celui-ci, qui prit le nom de Mauritanie-Demain, fut le point de départ de sa carrière de chroniqueur. Il la poursuivit dans un héritier de Mauritanie-Demain (Al-Bayane), puis dans une publication qu’il fonda lui-même en juillet 1993, Le Calame. journal qu’il dirigera et animera jusqu’à sa brutale disparition survenue dans un hôpital parisien le 31 octobre 2001.
Scénographie ubuesque
C’est l’essentiel des chroniques publiées au cours de cette période sous le titre « Mauritanides », conservé par Habib à travers ses changements d’affiliation journalistique, qui est ici présenté au lecteur. Le titre, un peu étrange, de ces chroniques, fruit d’une sorte d’acte manqué réussi, entre intention sexualisante de départ et trafic de suffixes après coup, est expliqué comme suit par l’auteur : « C’était au Journal Mauritanie-Demain, le seul qui existait à l’époque, une époque de sueurs d’acier et de gueule fermée, on m’avait demandé un papier. J’étais très fatigué, je voyageais à 15 heures, la poussière rentrait de partout et ne sortait pas. Très peu inspiré, je griffonnai sur la feuille cette question: “Les Mauritaniens sont-ils des obsédés sexuels?” Après moult élucubrations je parvins à répondre : “oui”. Je donnais aux cinq feuillets le titre de “Mauritaniques“, pris mon sac et filai à l’aéroport. La rédaction jugea après moi que le rapport entre la dernière syllabe de mon titre et la première phrase du papier était plus que douteux. Mauritaniques devint ainsi Mauritanides. L’obsession commençait à la rédaction ».
La période de parution des Mauritanides correspond, pour l’essentiel, aux deux décennies de pouvoir du Colonel Maaouiya Ould Taya, parvenu à la tête de l’Etat mauritanien à la faveur d’un putsch perpétré le 12/12/1984. L’ascension sultanienne du héros du « 12/12 », qui étend largement son ombre sur la scénographie ubuesque des « Mauritanides », intervint à la suite d’une décennie de misère et de chaos. La terrible sécheresse du milieu des années 1970 avait déversé sur les principales agglomérations de Mauritanie, et plus particulièrement sur Nouakchott, des flots ininterrompus de naufragés, orphelins de leurs troupeaux et de leurs champs. La guerre du Sahara (1975-1978) avait contribué, elle aussi, à cet exode, et participé, par le gonflement rapide des rangs de l’armée, à l’ébranlement des assises sociologiques « traditionnelles » de la société mauritanienne. La valse des putschistes accompagna, à partir de 1978, l’effondrement rapide d’une administration clochardisée et saisie de paralysie devant l’afflux massif des victimes de la sécheresse. La corruption, articulée aux solidarités primordiales, « tribales » et « ethniques », va connaître des progrès toujours plus étendus. Il fallut de plus en plus, quand on pouvait, tout acheter. Des papiers d’identité aux diplômes, des « entrées » aux marchés d’Etat aux concessions foncières, des prises en charge sanitaires à « l’indulgence » des services douaniers.
Cette « boutiquiarisation » universelle connut un épanouissement remarquable sous le régime de Maaouiya et des institutions politiques qu’il a contribué à promouvoir : son parti, ses hommes de main, ses tournées sultaniennes à travers le pays, etc. L’ironie mordante de Habib trouvera là l’essentiel de ses cibles. Ce n’est pas que les rivaux et les victimes du maaouiyisme aient totalement échappé à l’attention satirique de l’auteur des « Mauritanides ». C’était même un de ses traits d’habilité, quand viendra le temps des « gueules semi-ouvertes », si je puis dire, que de n’épargner de son persiflage quasiment rien de ce qui existe ou qui a existé sur le sol mauritanien, hommes, animaux et paysages confondus. Il réservera cependant ses traits de plume les plus acerbes aux êtres et objets de la galaxie Maaouiya et au terne pluralisme monolithique dont ce dernier s’était fait le promoteur à partir de 1991. Habib s’attachera à débusquer et à ridiculiser, à travers des itinéraires aussi improbables qu’assassins, les travers d’une structure-boutique née sur les décombres de ce que la bonne vieille ruralité mauritanienne comptait de valeurs à peu près sortables. Le personnel politique, les médias officiels, la grotesque personnalisation du pouvoir dont Maaouiya était l’artisan et le bénéficiaire, autant d’agents et de victimes d’une bêtise nationale que Habib n’aura de cesse de brocarder. En opposition à cette avant-scène du mimétisme dérisoire, des cravates mal ajustées et des outrances courtisanes, Habib dessine en creux dans ses chroniques, non sans une pointe de nostalgie, l’image bucolique et dunaire de la saine et simple ruralité bédouine de son enfance. Quand on pouvait encore célébrer, avec Mhammad w. Ahmad Yûra ou Sidiyya w. Haddâr, les pérégrinations du campement de la bien-aimée et lui signifier, en de subtils hémistiches, tout un cortège de mélancoliques regrets.
Esprit rebelle
La guérilla langagière de cet esprit rebelle, installée dans le délire logique d’une poésie désinvolte et ravageuse, visait avant tout à semer quelques cailloux dans les rangers des despotes au petit pied qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie depuis le coup d’Etat de 1978. C’est d’abord en leur direction que sa sociologie sauvage était orientée. Les armes de sa critique faisaient feu de toutes les ressources d’une culture rhétorique nourrie aussi bien d’Alfred Jarry et de San Antonio que d’al-Jâhiz et de Saddûm w. Ndiartu. Abécédaire, chroniques déjantées et loufoques, effets d’échelle et exagérations outrancières, lexicographie piratée et étymologies délibérément fantaisistes, s’associent ici à tous les tropes (litote et oxymore, métaphore et métonymie, assonance et allusions équivoques …) d’un mode d’expression résolument mobilisé contre le gel sémantique ordinaire et ses somnambules victimes.
Je le disais à l’instant, l’un des intérêts majeurs de Habib, tout au long de ses « Mauritanides », était d’instiller le doute et l’étonnement, d’amener ses lecteurs à interroger leur forme de soumission à l’autorité, leur ouvrir les yeux sur les sources indignes de la dignité de ceux auxquels ils consentent, parfois avec un enthousiasme délirant, à offrir leur allégeance. Il savait que la culture tribale (mal) étatisée, qui informe les valeurs et les conduites de la plupart de ses compatriotes, articule, dans la vision qu’elle charrie du rapport à l’autorité, une postulation double. D’un côté, une démission résignée qui conduit aisément à la servilité, voire à la servitude. De l’autre, des atavismes anarchistes, qu’il n’est pas interdit d’associer au mode de vie nomade et aux luttes de classement entre ‘asabiyyât(nécessairement) rivales qui le parcouraient ; en somme, l’héritage de la vieille saybasaharienne de sa « terre d’insolence » que l’auteur des « Mauritanides » aimait d’une passion qu’il ne craignait pas de proclamer.
Habib a exprimé avec un talent inégalé l’esprit d’insoumission qu’il me plait d’associer à l’image de l’authentique guerrier nomade des temps jadis, face aux manœuvres sans gloire de tous les accommodements auxquels invitaient les (sur)vies des temps qu’il a vécus et disséqués. Par les audaces jamais à court d’inspiration de ses irrévérencieuses divagations, il a racheté de sa bêtise efflanquée ou repue tout un peuple de porte-miroirs. Il a fait tinter aux oreilles des courtisans, des bien-pensants et des apôtres, des mots, des calembours et des anecdotes dont les échos ravageurs ne sont pas près de s’estomper. Et si ce fut dans une langue venue d’ailleurs —au demeurant admirablement maîtrisée— l’infusion généralisée des tournures, des expressions et des références à sa culture native, font affleurer partout l’insécable entrelacement du dehors et du dedans, du proche et du lointain, du local et du planétaire. Une manière, en somme, de clin d’œil permanent de Nyivrâr à la terre entière que ce français miné de hassanismes devait transmettre au monde.
Car l’homme n’était pas seulement écrivain et essayiste, il était avant tout un admirable artisan de l’imaginaire, un conspirateur de ces enchaînements improbables qui font tout d’un coup basculer le réel dans le solvant magnifiquement pervers que lui tend le langage. Qui n’a pas aimé les visites guidées dans les labyrinthes habibiens peuplés d’étranges personnages mimant pourtant de si près l’univers prosaïque et rude du nouakchottois de base ? Voyez, par exemple, sa « Lettre ouverte à un chameau ». Mais tous les « Mauritanides » seraient à citer… Par une succession insensible de légers déplacements, de courts-circuits, d’accumulations productrices, l’imaginaire du rusé chroniqueur constituait subrepticement un espace non hiérarchique, un univers « retourné » et protestataire, un monde des équivalents où le roi aussi bien que ses sujets sont nus. Ce monde « déréalisé » restait malgré tout le monde, notre monde. Par la vertu de l’étrange procédé qui veut, comme disait Theodor Adorno, que l’art soit « la magie libérée du mensonge d’être vérité ».
Habib était, à n’en pas douter, un artiste.
(1) Nom qui était donné au campement de l’Emir des Trarza où prédominait la culture guerrière.
(2) Il s’agit de Jean Arnaud, enseignant de philosophie.
le calame