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FLAMNET AGORA : Certes, ce n’était qu’un match de football…, par ABOU HAMIDOU SY.
La décision du président Aziz de faire arrêter le match de la super coupe le 28 Novembre dernier à l’heure de jeu, loin d’être un acte insolite banal, est pleine d’enseignements. Elle traduit en effet, d’une part l’inaptitude de la plus part de nos concitoyens à se conformer aux règles et usages qui gouvernent la vie d’un Etat moderne et d’autre part à appréhender la notion même d’Etat et des responsabilités qui en découlent. Ceci s’observe dans nos comportements de tous les jours; faire la queue pour bénéficier d’un service ou d’un produit est pour nous superflue des lors qu’on connait quelqu’un dans les lieux à défaut de passer à force de biceps pour éviter cette corvée inutile. Le code de la route sous nos cieux est un protocole curieux ; pourquoi s’arrêter au feu rouge ou marquer le “stop” alors qu’aucune voiture n’est en vue? Pourquoi exceller alors que le népotisme et le clientélisme sont les seuls critères de sélection?
Pourquoi se torturer à suivre un foutu match de football dont on y comprend rien alors qu’on est le chef de l’Etat?
Seulement ce foutu match est régi par des lois de jeu auxquelles a souscrit la Mauritanie en s’affiliant par le biais de sa fédération de football a la FIFA en 1970. Et la loi 7, relative à la durée du jeu stipule: << le match se compose de deux périodes de 45 min chacune, à moins qu’une durée n’ait été convenue d’un commun accord entre l’arbitre et les deux équipes participantes, tout accord concernant une modification de la durée doit impérativement intervenir avant le coup d’envoi…>>
Bien sur, la FFRIM n’a pas tarder a se fendre en communique plein de détails mais laconique sur la substance : Quand ? Messieurs et dames de la fédération? Avant le match, durant, à la mi-temps ou quelques minutes avant le crépuscule ??? Toujours est-il qu’on n’arrête pas un match par ce que le président veut s’en aller. Qu’il s’appelle Aziz, Al Sissi ou Kim Jong Un; que le match déroule à Nouakchott ou à Noumea, à Moudjeria ou à Mogadisio les lois du jeu doivent être respectées.
Cette désinvolture du premier des mauritaniens est d’autant plus malheureuse qu’elle intervient au jour anniversaire de la naissance de notre pays en tant qu’Etat indépendant. Un demi- siècle après avoir acquis ce statut, la Mauritanie continue à être gérée comme une quelconque escale sur la route des caravanes … C’est a dire un Etat réduit à sa plus simple expression: un groupement de populations vivant sur un même territoire et soumis a une même autorité.
Or, un Etat par essence, se sont des lois, des règles de fonctionnement, des codes de conduit et des méthodes d’organisation.
Pour faire plus simple, citons Montesquieu qui disait :<< l'Etat, c'est à dire une société ou il y a des lois>>. Et le rôle premier de l’autorité est d’amener les citoyens à adhérer à ces règles et codes de conduite. Et c’est à l’aune de cette adhésion que se mesure la force, voire la viabilité même de cet Etat.
La nature de la de dévolution de pouvoir chez nous; succession de coups d’Etat et même de ré-coups d’Etat dans le cas d’espèce fait du président de la république une sorte de primat au-dessus des autres institutions de la république. C’est cette supposée primauté qui en fait le dépositaire de tous les pouvoirs jusqu’a se confondre à l’Etat. Pouvoir de faire emprisonner les militants anti-esclavagistes, pouvoir de refuser la reconnaissance du parti FPC sans arguments fondés, pouvoir de faire arrêter le colonel O.Beibakar pour avoir osé parle des sujets qui fâchent. Quid d’un match de foot? Qui peut le plus ne peut il pas le moins ? Comme se serait écrié Louis XIV il y a 200 ans, notre cher président pense certainement au plus profond de lui:<< l'Etat, c'est moi>>.
La lutte continue.
Abou Hamidou Sy
FPC/Amerique du Nord
Le marché politique des crispations identitaires (1)
Maître Taleb Khyar Ould Mohamed Maouloud – Les artisans de l’indépendance mauritanienne ne s’accordent, ni sur l’identité de ce territoire nouvellement émancipé, ni sur son appellation. Pour certains, la relation de la Mauritanie avec le panafricanisme est fondatrice ; ce caractère doit être nettement perceptible à travers l’appellation recherchée.
Pour d’autres, la vocation existentielle de la Mauritanie est de servir de tête de pont du panarabisme en Afrique de l’Ouest ; ceux-là veulent de la même manière et avec le même engagement, traduire cette aspiration à travers une appellation suggérant un tel dessein.
On le voit ; les prismes idéologiques, à travers lesquels les pionniers de l’indépendance se représentaient l’identité de la Mauritanie, étaient donc antinomiques, porteurs de germes conflictuels.
L’histoire officielle nous enseigne qu’un consensus fût trouvé ; d’un commun accord, les protagonistes auraient retenu l’appellation « République Islamique de Mauritanie », le référent religieux ayant été présenté comme fédérateur, à l’opposé et au contraire de l’argument idéologique.
Avec le recul, on peut affirmer que ce consensus était provoqué par des artifices argumentaires, plus qu’il ne l’était par une dynamique unitaire. Son contenu réel sera très vite dévoilé par l’orientation arabophone de la politique de l’éducation, exposant à l’exclusion du système éducatif, tous les négro-mauritaniens dont les langues seront bannies à tout jamais des programmes scolaires.
Aux velléités de résistance à l’acculturation, pressentie dans les nouveaux programmes éducatifs, et que les négro-mauritaniens exprimèrent en mil neuf cent soixante six (1966) dans le « Manifeste des 19 », on opposât une répression d’une violence sans précédent dans l’histoire des états nouvellement indépendants.
L’exclusion des négro-mauritaniens va se poursuivre, avec l’enterrement définitif de cet espace du vivre ensemble qu’est l’école, qui de facto, avait cessé de jouer cette fonction depuis bien longtemps, sauf que cette fois-ci, la ségrégation y sera institutionnalisée ; les élèves sont séparés en deux communautés, celles qui ont en partage la langue « hassania », considérées d’office comme arabophones, dont les enseignements seront dispensés en arabe ; les communautés négro-mauritaniennes dont le « hassania » n’est pas la langue maternelle, indexées de francophones et dont les enseignements seront d’autorité dispensés en français ; pour cette partie de la population, ce sera le début d’une véritable ghettoïsation culturelle.
A la fin des années quatre-vingt, les toucouleurs, considérés comme la communauté négro-mauritanienne la plus rebelle au processus d’assimilation culturelle, seront victimes d’un véritable nettoyage ethnique, avant de faire l’objet d’une déportation aveugle, suivie d’une appropriation massive et sauvage de leurs terres sur la vallée, par les entrepreneurs politiques de violence.
Les auteurs de ces barbaries seront rapidement amnistiés par une loi scélérate, perçue par la communauté juridique, comme une prime au génocide. Les leaders historiques de la Mauritanie ont pensé la culture comme un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir.
Cette appropriation de la légitimité par la culture, s’est fortement incrustée, de façon indifférente, dans les mœurs politiques de ce pays, affectant de manière structurelle sa cohésion sociale et constituant une menace permanente à sa stabilité.
L’empire des Indes sous domination britannique, va abriter dès 1906, la mise en place d’un marché politique à la faveur duquel , va naître le parti de la ligue musulmane dont les penchants séparatistes vont s’affirmer très vite, face au parti du congrès qui exerce le pouvoir , parti majoritaire à connotation hindouiste , dont l’essentiel des revendications est axé autour du départ de l’occupant, autour d’une logique indépendantiste.
Le clivage entre ces deux visions atteindra son paroxysme, quand le parti du congrès décidât en 1937, de faire voter musulmans minoritaires et Indous majoritaires dans des collèges électoraux séparés ; les musulmans se sentiront à jamais confinés dans leur statut de minorité.
Encouragé en cela par l’occupant britannique, le parti de la ligue musulmane va alors faire de la théorie des deux nations, son principal argument politique. Ce concept est à l’origine de la création du Pakistan, en 1947, suite à la partition des Indes, qui avec plus de dix millions de déplacés, est considérée par les observateurs, comme l’un des exemples les plus dramatiques de toute l’histoire des constructions identitaires.
Le Pakistan, dont l’appellation signifie en langue ourdou « pays des purs », va peu après sa création, se trouver confronté à son tour à la théorie des deux nations, soulevée cette fois-ci par la ligue Awani constituée de Benghalis qui ne tardent pas à faire sécession. Le Bengladesh voit le jour après un conflit sanglant.
La sécession du Bengladesh est vécue comme un prélude à l’éclatement du Pakistan. La solution imaginée par les dirigeants pakistanais pour prévenir une telle éventualité, sera de recourir à la surenchère islamiste ; le Pakistan va alors devenir « République Islamique du Pakistan » et son tout nouveau premier ministre, Zulfikar Ali Butho, ne tarde pas à modifier la constitution en y introduisant un amendement , repris dans son article 260, qualifiant d’apostats les « Ahmadis », exposant de la sorte ces chiites de confession qui représentent plus de 20% de la population pakistanaise, à la pire des persécutions , contre laquelle ils ne manquent pas de réagir par des actes tout aussi violents, au sein d’un Etat effondré « failed state », fragilisé sur le plan institutionnel et qui, dépossédé de toute capacité médiatrice du jeu social, n’a plus les moyens d’assurer la sécurité de ses sujets ; un pays où très vite, l’absence de référent étatique sera remplacée par la montée de référents identitaires, particularistes.
Aujourd’hui, le Pakistan n’est plus qu’une poudrière où sunnites et chiites, soutenus respectivement par l’Arabie Saoudite et l’Iran, s’affrontent à coup d’attentats ciblés et de crimes de masse.
Au Rwanda, Le Hutu Habyarimana, sentant dans les années quatre vingt dix son autorité s’effriter, va, dans une démarche populiste, faire de la thèse du complot un argument politique ; si l’Etat rwandais est menacé, c’est parce que les tutsis complotent pour sa perte et pour la vôtre, vous les hutus ; d’où cet appel terrible de la radio dite « radio des mille collines » pour médiatiser et planifier le génocide des tutsis.
D’avril à juillet mil neuf cent quatre vingt quatorze (1994), des rwandais vont assassiner d’autres rwandais dans une hystérie meurtrière ininterrompue, d’une atrocité abominable, monstrueuse, à coups de machettes, de houes, de haches, de gourdins cloutés……………
Des enfants furent tués dans leurs écoles par ceux-là mêmes qui étaient chargés de leur éducation, des blessés achevés jusques et y compris, dans les hôpitaux…….Plus les victimes vous étaient proches et plus il fallait afficher à leur égard une grande atrocité pour ne pas s’exposer aux représailles envisagées à l’encontre de ceux qui refusaient de faire le « travail ». Au-delà d’un million de morts en une centaine de jours !
En République Démocratique du Congo, on compte environ une quarantaine de groupes armés, à connotation ethnique, pour la plupart, et dont les affrontements, ont fait depuis les indépendances à nos jours, plus de six millions de morts.
Aujourd’hui, ce pays qui regorge de richesses et de compétences est devenu le théâtre permanent de règlements de comptes tribaux, débouchant sur des conflits sanglants prenant des formes variées ; politiques, économiques, foncières, et dont les conséquences effroyables sur les populations civiles sont d’une actualité poignante ; esclavage sexuel, recrutement d’enfants soldats, kidnapping, expropriations, déplacements, exil…….
On notera la saignée du Liban dont la pluriconfessionnalité, naguère encensée, ne sera d’aucun secours aux centaines de milliers de victimes de conflits intercommunautaires à caractère religieux ; les atrocités, toutes à caractère identitaire, que les populations civiles vivent au Soudan du Sud, en Centrafrique , à bien des égards en Côte d’Ivoire, et dans une moindre mesure, mais de manière inquiétante, en Guinée ; le cas du Burundi qui, en violation des accords d’Arusha, renoue avec les vieux démons de l’ethnicisme , à telle enseigne que la communauté internationale alarmée par ce qui ressemble de plus en plus à des assassinats ciblés, a saisi le conseil de sécurité, dans une démarche préventive pour éviter qu’une hystérie identitaire ne s’empare à nouveau de ce pays, aujourd’hui au bord de la guerre civile ; la Birmanie, où les rohingyas, parce que de confession musulmane, sont déchus de la citoyenneté, expropriés de leurs terres, victimes d’une épuration ethnique, dans un pays qui abrite un Nobel devenu subitement silencieux, devant les atrocités que vit une minorité, quoique considérée par l’ONU comme la plus persécutée au monde.
Ceux d’entre les birmans qui se réclament de l’opposition démocratique font valoir que la solution la plus appropriée serait l’expulsion pure et simple de ces musulmans qui refusent de renier leur religion. Confinés dans des camps de relégation, les rohingyas continuent d’être victimes de véritables pogroms à l’instigation de moines bouddhistes fondamentalistes, instrumentalisés par la junte militaire.
C’est le lieu de déplorer l’attitude de la communauté internationale qui s’est laissée prendre au jeu de l’identitarisme en vue du règlement de la crise de l’ex-Yougoslavie en mil neuf cent quatre vingt quinze ( 1995) ; les accords de Dayton, n’étant ni plus ni moins, qu’une instrumentalisation de l’ethnicisme au niveau international.
Ces accords, qui ne font que remodeler les frontières, en fonction du référent ethnique, ont cependant fait jurisprudence comme mode privilégié de règlement des conflits intercommunautaires, au détriment de l’intangibilité des tracés frontaliers hérités du découpage colonial.
La partition du Soudan en est une illustration, celle de l’Irak bien que non achevée une ébauche, et n’eût été l’intervention de la France au Mali , dans un combat d’avant-garde en totale rupture avec la grammaire de Dayton, l’intégrité territoriale de ce beau pays, par sa richesse culturelle et sa mixité sociale, aurait tout simplement volé en éclats.
Il faut croire hélas, que le Yemen et le Soudan du Sud, demeurent éligibles à la solution du morcellement, ainsi qu’à terme, le Nigéria qui vit un processus identique à celui qui a débouché sur la partition de l’Inde et la naissance du Pakistan.
Avec un Sud chrétien et riche, un nord musulman et pauvre, et en arrière- plan la montée de fondamentalismes religieux aussi biens islamiques que chrétiens (Wahhabisme au nord, évangélisme au sud), la crise que connaît le Nigéria, conduira de façon inéluctable à la naissance d’un Pakistan noir au nord, dont les conséquences déstabilisatrices, affecteront toute l’Afrique de l’ouest, considérée déjà comme une zone potentielle de conflits pour le futur.
Afin d’éviter à ces pays et à d’autres, le plongeon vers l’inconnu, on ne peut que souhaiter voir la conception fondée sur l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, retrouver son lustre d’antan, au détriment de la thématique géo-ethnique des accords de Dayton.
Il faut espérer que l’union Européenne qui a brillé par son absence, lors du règlement de la crise de l’ex-Yougoslavie, renoue avec la place qui devrait être la sienne, pour peser de tout son poids et participer avec détermination à l’émergence d’une gouvernance mondiale, moins portée vers l’ethnicisation des relations internationales.
Plusieurs facteurs militent pour une alternative à l’approche de Dayton, dont le plus pertinent réside dans la mutation de la politique étrangère des Etats-Unis qui , sous les effets croisés de la multipolarité des conflits, d’un déficit budgétaire chronique et béant, ont renoncé au contrôle de la géopolitique planétaire, et militent avec l’engagement qu’on leur connaît, pour une nouvelle vision des relations internationales, moins tourmentée , plus apaisée, privilégiant la persuasion au détriment de la coercition.
Contrairement à une idée largement répandue, l’identitarisme, loin d’être inné, est un construit social. On ne naît pas identitariste, on le devient. La négation de l’autre est un comportement qu’on acquiert, qu’on vous fait acquérir en vous désignant l’autre comme une entrave au mieux –être auquel vous aspirez, une menace à votre vie, vos biens, votre culture, votre être.
La crise identitaire existe parce qu’il y a des acteurs qui la construisent, des entrepreneurs de violence qui font fortune en exacerbant les particularismes, en gommant les espaces classiques d’intégration, dont le plus important est l’école républicaine ; en excluant des programmes scolaires les activités qui favorisent le vivre-ensemble : sport, scoutisme, colonies de vacances, théâtre ; en instituant un enseignement suprémaciste, faisant l’apologie de la supériorité d’une culture, d’une race , d’une langue sur les autres ; en confisquant les libertés individuelles et collectives, au nom d’arguments populistes dont le recours aux surenchères , religieuse, ethnique, linguistique, régionaliste.
Pour usurper un fauteuil, extorquer une voix, confisquer une fonction, les entrepreneurs politiques de violence n’hésiteront pas à désigner l’autre à la haine publique, le contraindre à l’exil, l’envoyer à la potence.
Ils ont réussi le pari machiavélique de hisser l’identitarisme au niveau de pathologie majeure de la mondialisation, au même titre que les terrorismes ambiants, d’ordre politique, criminel , religieux; au même titre que la socialisation de la guerre ; la prolétarisation galopante des états ; le développement irrésistible de la criminalité transfrontalière et de son versant cybernétique ; la prolifération de trafics en tous genres : armes, stupéfiants, personnes, organes humains, médicaments.
Plus un coin ou recoin habités de cette planète terre où la fièvre identitaire ne fasse des ravages ; des contrées les plus hostiles aux agglomérations les plus attrayantes, des sociétés les plus policées aux démocraties les plus abouties ; chaque pays a ses ouigours, ses rohingyas, ses zones tribales, ses banlieues, ses camps, ses chiites, ses sunnites, ses yazidis, ses coptes, ses kurdes, ses beurs, ses black, ses touaregs, ses musulmans, ses chrétiens, ses haoussas, ses hutus, ses tutsis, ses pygmées, ses albinos, ses métis…..
A cause de ses implications cognitives, le discours identitaire a toujours exercé, depuis la profondeur des siècles, une puissante attraction sur les foules et disposé à leur égard d’une capacité mobilisatrice insoupçonnée. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir les leaders d’opinion, politiques ou religieux, succomber à la tentation de faire de l’identitarisme, une variable pivot dans leur quête de légitimité.
Ceux-ci, doivent toutefois intégrer une variable nouvelle ; celle d’une mondialisation mal maîtrisée, à l’ombre de laquelle, l’instrumentalisation des crispations identitaires est devenue une menace stratégique à l’existence même des états.
Maître Taleb Khyar Ould Mohamed Mouloud
Avocat à la Cour
Ancien membre du Conseil de l’Ordre National des Avocats
Source: cridem
Face à l’occupation coloniale : Peut-on parler de résistance ? Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibecar
Il convient d’apprécier à sa juste valeur, la « résistance » célébrée et immortalisée depuis le cinquantenaire, pour éviter un amalgame contreproductif. Il s’agit d’une résistance féodale armée, contre la pénétration française, organisée et dirigée essentiellement par les émirats arabo-berbères et négro-mauritaniens, laïcs et sanguinaires, dont certains sont alliés à des ambitieuses confréries religieuses soufistes belliqueuses, qui avait pour but essentiellement de préserver un ordre établi, qui leur profitait depuis le dix-huitième siècle.
Cet ordre établi caractérisé par la violence, la terreur, l’arbitraire et le recul des valeurs islamiques, est composé des entités fondées sur la raison du plus fort. Ces entités ou Emirats vivaient essentiellement du commerce de la gomme, du sel et surtout d’esclaves musulmans razziés parmi les populations noires riveraines, et du pillage systématique des plus faibles, avant d’être, heureusement, battues, pacifiées et soumises à la « colonisation » française, beaucoup plus clémente.
Avec ou sans la présence des français ces tribus guerrières n’avaient qu’une seule raison d’être : Razzier. « Razzier est un sport lucratif, pour des gens pauvres, une occupation noble pour ceux qui s’ennuient, une œuvre pie… La paix a tué la richesse des guerriers.
L’ère des rezzous, des belles randonnées lucratives, est passée, le guerrier a perdu, avec son but de vie et sa raison d’être, sa fortune en animaux et en captifs, car seulement dans la guerre il pouvait la renouveler», disait le général TRANCART, ancien commandant du Groupement Nomade d’Idjil 1937-39.
La résistance armée des émirs, des almamys et des chefs des confréries, suicidaire à cause du rapport de forces qui lui est très défavorable, engagée dans une guerre asymétrique motivée par un intérêt essentiellement féodal et égoïste, n’a aucun lien de cause à effet avec notre indépendance, qui a été octroyée par la France ce lundi 28 novembre 1960, malgré l’opposition de cette même féodalité, majoritairement favorable au maintien du statu quo colonial dont elle profitait aussi, et ne doit pas être célébrée concomitamment avec cette journée historique.
Vérité en deçà des Pyrénées….
Cette « résistance » timide et désorganisée, avait certes réalisé quelques succès, au cours d’escarmouches sporadiques, échelonnées sur une trentaine d’années. Elle fait incontestablement partie intégrante de notre histoire, ses combattants farouches et téméraires, appartiennent pour la plupart à nos grandes tribus, leur épopée a été chantée et immortalisée par des griots et des poètes terrorisés et soumis à leur autorité.
Mais leur combat n’était pas indépendantiste et n’avait pas pour objectif de libérer notre patrie, la Mauritanie, qui n’était pas encore née. Ce combat n’était pas non plus jihadiste, surtout en ce qui concerne le gros des troupes, fournies par les tribus guerrières arabo-berbères et négro-mauritaniennes, qui n’étaient pas particulièrement préoccupées par les choses de l’au-delà.
Cependant on peut trouver à ces « résistants », une date à leur convenance, qui leur permettra de célébrer discrètement et localement leur résistance, dans sa vraie dimension.
Les Emirats de l’Adrar, du Tagant, du Trarza, du Brakna du Walo, du Fouta, du Tekrour, du Macina ou toute autre entité ou tribu qui a combattu la « colonisation française », peuvent célébrer leur résistance chez eux ou sur les champs de bataille et à leurs frais, et ériger des musées régionaux pour immortaliser leurs héros ainsi que leurs batailles fratricides avec leurs voisins.
Cependant cette célébration ne doit ni correspondre avec l’anniversaire de notre indépendance, ni être encouragée par la République. Nos historiens doivent avoir le courage et la détermination d’écrire notre histoire, objectivement avec toutes ses contradictions, et d’élucider le dilemme de cette résistance vaincue qui veut se faire passer pour une résistance nationale victorieuse qui nous a libérés du colonialisme et provoqué notre indépendance, en dénaturant notre histoire. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
Pour mieux comprendre ce dilemme, prenons deux exemples des plus décisifs dont se vante régulièrement cette résistance féodale [oB1] [oB2] [oB3] : Le coup de main de Tidjigja et l’embuscade d’Oum Tounsi. Le coup de main de Tidjigja qui a abouti à l’assassinat de Coppolani est un acte isolé, motivée par une illumination.
En effet Sidi Sghir ould Moulaye Zeine moqadem de Cheikh Elghazwany, arrière-grand-père du général de division, lui-même moqadem de mon cousin, le grand Cheikh du Hodh, Cheikh Mohamed Laghdhav ould Hmallah Ejaaveri, avait dit, quelques jours avant son acte, devant l’émir de l’Adrar et sa djamaa, à chinghitty, qu’il avait fait un grand rêve.
Que dans ce rêve, son cheikh lui avait révélé qu’à l’occasion de sa ziara dans le Hodh cette année (quête annuelle pour sa zaouiya) que Coppolani mourrait de sa main, et que lui aussi mourrait le même jour en martyr.
Pour l’accomplissement de son illumination, il recruta 27 guerriers de la tribu des Tenaki pour l’accompagner dans sa ziara. Ils quittèrent Chinghitty en passant par Zarga, Timinit, Ain Essavra et accèdent au Tagant. Arrivés à Ghilinsi au nord de Tidjikja, ils laissent six hommes pour garder les chameaux volés qu’ils avaient montés depuis Zarga.
A trente kilomètres au nord de Tidjikja, deux hommes seront affectés pour garder les moutons raflés en cours de route dont un important troupeau enlevé à la tribu Tejekanet non loin de Tidjigja. Traditionnellement les Ehl Tenaki, comme tous les grands guerriers, profitent de leurs randonnées, pour piller les gens sans défense rencontrés sur leur passage pour faire du butin.
Sur leur trajet, ils avaient rencontré un parent à eux nommé Sidi Ould Boubeit, un évadé du camp, qui était placé en liberté surveillée par Coppolani. C’est celui-ci qui sera le cerveau de l’assassinat du fondateur de la Mauritanie. Car c’est lui qui avait donné au chérif tous les renseignements nécessaires pour réaliser son rêve.
Il lui avait donné avec précision la situation du dispositif de sécurité intérieur et extérieur de la caserne , les effectifs et le nombre de postes de jour comme de nuit, le modèle de l’armement utilisé ainsi que le positionnement des unités et la répartition des missions.
Il lui avait précisé l’itinéraire le plus sécurisé pour accéder au camp et fixé le moment idéal et l’endroit le plus favorable pour donner l’assaut avec la position exacte de Coppolani.
En effet, Sidi Ould Boubeit, qui avait refusé de servir de guide au chérif, lui avait préconisé d’utiliser la palmeraie pour se camoufler, dès le crépuscule, et d’accéder au camp côté nord par la porte principale, car c’est là où se trouve le domicile du pacificateur, et d’attendre tranquillement jusqu’à la fin de la prière du Ichaa.
Comme il fera un très beau clair de lune ce soir-là, vous verrez –lui disait-il- les deux chefs de Tidjigja traverser la batha pour apporter du lait à Coppolani et converser avec lui pendant quelque temps. C’est à ce moment précis que vous pouvez profiter de la distraction de la sentinelle qui va prendre le lait et appeler le cuisinier pour le lui remettre, pour donner l’assaut.
Après avoir traversé le poste de garde, vous accèderez immédiatement à la grande cour et à quelques dizaines de métres, à telle direction, vous allez voir un jeune nasrani habillé en djellabia blanche assis seul sur son lit, en attendant les deux chefs, c’est lui Coppolani.
Le chérif et sa troupe avaient respecté scrupuleusement les consignes d’Ould Boubeit. C’est seulement avant de donner l’assaut que Sidi Sghir Ould Moulay Zeine avait révélé à ses compagnons l’objectif de sa mission, il leur avait dit en substance : « Nous sommes venus ici pour tuer coppolani, ce mécréant, il se trouve dans ce camp. Je vous rendrais invisibles aux yeux de ces mécréants pour accomplir notre mission.
A la fin du combat si l’un de vous aurait un problème quelconque qu’il s’adresse à mon beau-frère, Mohamed El Mokhtar Ould Hamed chef Général des Kountas qui se trouve à Rachid, il le protégera. Un groupe va m’accompagner, les autres vont se mettre en retrait et donneront l’assaut lorsqu’ils m’entendront dire ALLAHOU AKBAR ».
Qui atué Coppolani ?
Puis le cherif se posta avec son équipage non loin du portail principal en attendant le déclenchement de l’opération. Après 21h, les deux chefs traversèrent la batha sous le clair de lune et se dirigèrent comme prévu vers le poste principal, et au moment où la sentinelle se détourne de sa consigne de surveillance, en appelant le cuisinier pour prendre le lait, le chérif fonce avec son groupe, force la rentrée principale et rentre dans la cour. Le poste de garde riposta tardivement.
Lorsque Coppolani entend les coups de feu, il appela son cuisinier : « Diallo apporte-moi moi mon revolver ! » avant de se précipiter pour rentrer dans sa résidence à la recherche de son arme.
Il est aussitôt repéré par Sidi Sghir qui l’a bien identifié, grâce aux renseignements précis donnés par Ould Boubeit. Le chérif en profite pour crier ALLAHOU AKBAR – donnant ainsi le feu vert à ses combattants – le poursuivit et le tira à bout portant d’une balle dans le dos devant la porte de sa chambre, avant de se débarrasser de son fusil qui n’était armé que d’une seule munition traditionnelle, et de mettre son sabre au clair. C’est son cheikh qui lui aurait remis ce sabre pour tuer Coppolani.
Blessé mortellement, le pacificateur disparait dans sa chambre et s’écroule à plat ventre. En entendant ALLAHOU AKBAR, les autres assaillants escaladèrent le mur et foncèrent eux aussi aux cris d’ALLAHOU AKBAR, vers la résidence, sans aucun souci de protection, persuadés qu’ils étaient invisibles, et commencèrent à tirer dans tous les sens.
L’un de leurs tirs avait touché Coppolani toujours souffrant dans sa chambre. Selon le capitaine Frèrejean, c’est ce deuxième coup qui aurait achevé Coppolani, ce qui laisse penser que le chérif n’était pas le véritable tueur. Officiellement et dans les procès-verbaux établis pour la circonstance, c’est bien Sidi Sghir qui est l’assassin de Xavier.
Le lieutenant Etiévent, qui était de faction cette nuit-là, reprit l’offensive et au moment de rentrer dans la résidence du fondateur de la Mauritanie, il est assommé d’un coup de sabre sur le crâne par le chérif. « D’un coup de revolver, Etiévent abat son agresseur. Il l’achève d’un second coup. Puis, de son propre sabre, il le cloue au sol. Ses hommes refoulent les maures».
Le combat a duré cinq minutes, de 21h25mn à 21h30mn, Coppolani est mort 30mn après sa blessure vers 22h55mn le vendredi 12 mai 1905. Avant de mourir il avait dit avec sa voix habituelle : « Ces misérables m’ont tué, ils ne me méritent pas».
A l’issue du coup de main, les assaillants ont perdu 8 hommes sur 20, dont le chef du commando et quatre de ses hommes morts sur place, deux morts de leurs blessures entre Tidjigja et l’Adrar et un prisonnier, le téméraire Ahmed Ould Bah Ould Ameira, mortellement blessé qui avait été jugé sommairement, avant d’être exécuté par pendaison.
Les douze survivants de cette opération sont rentrés en Adrar et comme tous les guerriers en pareilles circonstances, chacun a sa version de l’événement dont il est le héros principal. Les pacificateurs ont eu 5 morts dont le fondateur de la Mauritanie et quatre tirailleurs, 11 blessés dont un lieutenant français.
Comment peut-on considérer ce coup de main, ordonné par télépathie par un cheikh soufiste, planifié par un intrus, et exécuté par un moqadem téléguidé à travers un songe, comme étant une action exceptionnelle de résistance nationale ? Qui a vraiment tué Coppolani ? Est-ce Cheikh Elghazwany, le chef d’état-major virtuel de la résistance, qui avait donné la mission et fixé son objectif ?
Ou bien Sidi Ould Boubeit chef du bureau opérationnel de cette résistance qui avait méthodiquement planifié ce meurtre en livrant le fondateur à son assassin ? Ou bien Sidi Sghir Ould Moulay Zeine commandant le 1er Escadron des forces spéciales de la résistance qui a exécuté ce crime ? Ou bien l’auteur du deuxième tir qui l’aurait achevé ?
Est-ce que l’action suicidaire de ce commando, qui savait bien que Coppolani était gardé par plus de 500 soldats tirailleurs et algériens armés jusqu’aux dents, et dont le chef était persuadé qu’il allait mourir dans cette opération, était conforme aux préceptes de l’Islam ? Est-ce que un djihadiste sunnite a le droit de mettre en péril la vie d’autres musulmans sur la base d’un songe ?
L’assassinat de Coppolani est certes un acte téméraire et spectaculaire, mais il n’a ni affaibli, ni mis fin à la « colonisation ». Au contraire il l’a endurcie, et le Colonel Gouraud était dans l’obligation d’utiliser la force militaire pour pacifier le Tagant et l’Adrar avec pour conséquences des centaines de morts parmi nos valeureux guerriers dans les deux camps.
Et les français avaient continué la pacification jusqu’en 1958, dernier combat contre les Rgueybatt à la fin de l’opération Ecouvillon, deux ans seulement avant l’indépendance, provoquant, inutilement, beaucoup de victimes. Alors que le pacificateur voulait faire bénéficier notre chère Mauritanie des bienfaits de la paix française, sans effusion de sang.
Les répercussions désastreuses pour la Mauritanie et pour les mauritaniens, du coup de main de Tidjigja, sont comparables aux conséquences dramatiques pour les musulmans et pour les arabes de la folie du 11 septembre 2001.
Cette folie spectaculaire a provoqué la mort des centaines de milliers d’innocents, détruit et déstabilisé systématiquement des pays leaders comme l’Irak, la Syrie la Libye et le Yémen. Et ça continue. Qu’Allah protège les musulmans.
A suivre.
le calame
FLAMNET-AGORA: Vous avez dit “Revitalisation du Patrimoine des valeurs” , monsieur le Premier Ministre? Par Samba Thiam président des FPC
Ould Hademine prêche avec conviction, nous semble -t-il , pour ‘’la restauration des valeurs, nationales devant reposer sur “l’équilibre”, pour le renforcement de ” l’identité culturelle nationale”, pour la reconnaissance des différences , le respect de l’autre ; il parle de garantir la sincérité, puis souligne les dangers liés aux “identités culturelles des peuples desquels résultent de fortes secousses qui entraînent la désunion ….”. Le Premier Ministre clôt son propos par cette formule habituelle « que Dieu guide nos pas …et assure justice et équité ».
D’abord rélevons qu’au lieu de se résoudre à s’attaquer, par lui-même, à l’instauration de la justice et de l’équité, Monsieur Hademine le demande à Dieu…
L’on ne peut, par ailleurs , ne pas faire remarquer que la logique du Premier Ministre ne semble apparemment pas génée par le paradoxe : en effet, comment ‘’ garantir la sincerité ‘’ si tant est qu’on peut la garantir-, face à l’hypocrisie ambiante, généralisée de notre société ?
Comment parler de justice quand tout nouveau promu à un poste s’empresse d’embaucher sa parentèle et uniquement sa parentèle, et que nos conseils de ministres nous offrent les mêmes spectacles tous les jours ?
Comment parler de respect de la culture de l’autre face à l’hégémonie imposée de sa propre culture qui, seule, s’exprime?
Comment “admettre nos différences” devant la volonté manifeste d’assimilation de l’autre ?
Comment prôner la tolérance quand l’expression de toute différence est étouffée ?
Comment créer un Etat moderne en s’appuyant sur des Ulemas et des juristes aux croyances et traditions moyenâgeuses ?
Visiblement, le Premier ministre enjambe, allégrement, ces paradoxes …
Non, le changement ne se fera pas comme ça. C’est pourquoi il est à craindre que l’ambitieux projet de Mint Ainïna qui, je crois , veut ou souhaite que ” chacun soit fier de sa langue et de sa culture, sans dénigrer ni mépriser personne” demeure juste un discours, malgré toute sa bonne volonté; car le changement ne s’obtiendra pas en vase clos. Il va résulter d’un vaste mouvement d’ensemble, au travers de réformes ambitieuses et hardies.
Le Président Ould Abdel Aziz semble manquer de vision, manifestement; sa méthode pèche, par déformation professionnelle du soldat, habitué aux ordres, habitué à faire du forcing , tête baissée !
Et puis par-dessus ces considérations évoquées, il y a les socles qui demeurent l’obstacle majeur : rien ne se fera, le changement y compris, dans un environnement où règnent la culture de l’impunité dans toutes ses formes, le désordre généralisé, l’absence de contrôle à tous les niveaux, l’absence de réelle liberté, la violation, enfin, de la loi par ceux-là mêmes censés l’appliquer et la faire respecter; loi soumise ou réduite à la seule volonté du chef, fonction de ses humeurs du moment, appliquées à la tête du client …
Discours d’un Premier ministre, discours non dénué de profondeur et de solennité …
Traduit –il une ère nouvelle ? une volonté réelle de changement d’esprit et de pratiques , ou constitue-t-il, plutôt, une somme de petits mots glissés à la “Awlad Deyman” ?
L’avenir nous dira…
Je termine par cette phrase amusante du journaliste commentateur du texte qui dit tout : « symboles à rejeter, entre autres, la falsification des marchandises importées ou produites localement, les détournements … la mendicité » …
Pour ma part je demanderais, qu’à défaut de pouvoir éradiquer la mendicité dùe à l’étendue de la pauvreté actuellement constatée, on pourrait , tout au moins, nous débarrasser des mendiants au beau milieu de la chaussée !
La lutte continue!
Samba Thiam
Président des FPC.
Journée de réjouissance ou de deuil ? Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibecar
Le mois de novembre, qui symbolisait pour nous, pendant trente ans les moments de joie et d’allégresse, les moments d’euphorie pour l’unité nationale et cette communauté de destin fondée sur l’islam, des moments de souvenir des pères fondateurs et bâtisseurs, des moments d’espoir d’une vie meilleure, a perdu tout son charme et toute sa fierté depuis ce fameux 28 novembre 1990 où la tristesse a remplacé la joie et le désespoir. A la joie de l’indépendance et de la liberté se sont désormais mêlées la souffrance morale et la détresse de la cruauté, pendant ce jour mémorable.
En ce mois de novembre 1990, des centaines de nos frères négro-mauritaniens, civils et militaires ont été froidement exécutés. Plusieurs centaines d’âmes croyantes exécutées sans aucune raison valable, ou morts sous la torture. Certains ont été abattus de sang froid en public, leurs corps exposés pendant très longtemps devant leurs proches, empêchés de leur donner une sépulture, d’autres ont été enterrés vivants comme à Azlatt et à Jreida. Certains ont été pendus comme à Inal et à Rach Tachedbit dans le département de Rosso au 1er BCP, d’autres morts sous la torture à Nouadhibou et ailleurs.
Les viols ne se comptaient pas, certains viols avaient été effectués devant les parents des intéressées, d’autres devant les enfants des intéressées. Les pillages, les humiliations et les bastonnades étaient monnaie courante.
Les victimes dans les unités de l’armée nationale, un peu moins de trois cents hommes, dont plus de la moitié (154) dans la seule fosse commune d’Inal. Inal qui est tout un symbole car c’est ici où sont tombés nos premiers martyrs, sur le champ de bataille le 9 décembre 1975, dont l’adjudant-chef Abdallahi Sy dit lehrour de la gendarmerie, un foutanké du gorgol, le premier martyr des forces armées nationales et le brigadier Mohamed Ould Mahmoudi Ould Moussa MLE 2147 un guerrier du Tagant, premier martyr de la Garde nationale. Ils sont morts pendant la lâche attaque surprise de l’armée algérienne et quelques mercenaires du Polisario, qui a déclenché la guerre du Sahara où nous avons perdu plus de 2000 martyrs oubliés par la République.
Auteurs bien connus
Les tueries au niveau de l’armée nationale ont fait l’objet d’un rapport incriminant une poignée d’officiers. Etabli dans les règles de l’art en mai / juin 1991, par une commission plurielle composée de cinq officiers, dirigée par le chef d’état-major national adjoint, ce rapport avait fait toute la lumière sur ce massacre. Le chef de l’Etat, après lecture de ce rapport, avait été d’une grande naïveté, en demandant à son ministre de la Défense de voir avec la cour suprême la possibilité d’une solution interne, à l’amiable, impliquant des sanctions disciplinaires accompagnées de réparations matérielles.
Le ministre de la Défense a, par lettre N° 0056 du 17 juin 1991, posé deux questions, on ne peut plus absurdes, au président de la cour suprême, dont voici la teneur : « Les chefs d’états-majors détiennent-ils des prérogatives en matière de poursuites des militaires ayant commis des crimes et des délits? La sanction disciplinaire peut-elle se substituer à la sanction pénale ? » La cour suprême toutes chambres réunies, à son audience du lundi 15 juillet 1991, a par délibération N° 95/91 donné l’avis suivant : « Incompétence des chefs d’états-majors en matière de poursuites des militaires ayant commis des crimes ou des délits et impossibilité quant à la substitution de la sanction disciplinaire par la sanction pénale. »
En novembre 1990, à la Garde nationale, sur les seize victimes de ce massacre, plusieurs sont morts sous la torture. Pendant l’occupation de la vallée, dans le département de Boghé, des gardes avaient exécuté froidement un gendarme et plusieurs soldats de l’Armée nationale en tenue et en position régulière, et au lieu d’être sanctionnés, ils ont été récompensés. Ils avaient aussi massacré dans la forêt de BAKAW, plusieurs personnes dont des femmes et un bébé.
Dans le département de Maghama, dans la zone de Sangué Lobali, pendant ces années de braise, les unités de la Garde ont semé la terreur en coupant les têtes de certaines victimes avec lesquelles ils s’amusaient à terroriser les populations des villages riverains. Au niveau de la Garde nationale, il n’y avait jamais eu d’enquête concernant ces massacres, mais les auteurs présumés sont très bien identifiés. Malheureusement, les statistiques des massacres et viols chez les civils, pendant l’occupation de la vallée, ne sont pas répertoriés avec précision. Les ONG qui s’intéressent à ce dossier sont divisées, démunies et diabolisées et les ayant droits sont toujours terrorisés.
Le seul crime des victimes de ces massacres était d’être nées toucouleurs ou soninkés du Gorgol. Car les soninké du Gorgol, contrairement à ceux du Guidimagha plus conservateurs, étaient assimilés par le pouvoir à des toucouleurs, à cause des métissages et de la symbiose qui existaient entre ces deux composantes. Il parait que le but de ce génocide, car on ne peut l’appeler autrement, était de terroriser les ‘’kwars’’ (terme générique désignant le snégros-mauritaniens), afin de les amener à traverser volontairement le fleuve pour s’installer définitivement au Sénégal, considéré par les stratèges nationalistes du pouvoir, comme étant leur vraie patrie.
Certes, les kwars ont été complètement terrorisés au point où ils ne savent plus à quel drapeau se vouer, et où ils n’ont plus que des mains pour applaudir et des voix pour soutenir sans réserve, les gouvernements d’hier et d’aujourd’hui, qui protègent les bourreaux en légalisant l’impunité. Mais, heureusement pour la Mauritanie, les kwars n’ont pas encore traversé le fleuve « Sanhaja ».
Epuration ethnique
Les proches des victimes de cette épuration ethnique, sont depuis plus de 25 ans dans l’expectative. L’avenir de la Mauritanie vaut plus que la vie de tous les officiers, sans exception aucune, en activité ou à la retraite, à plus forte raison d’une poignée d’officiers génocidaires, qui prennent en otage depuis un quart de siècle la justice de tout un peuple, mettant en péril toute la République, et à l’ égard desquels la moindre sympathie ou le moindre sentiment de pitié constitue à lui seul un très grand péché.
Depuis 25 ans, les poursuites contre les auteurs de ces massacres sont suspendues, la justice mise en veilleuse, avec la bénédiction de beaucoup des oulémas et des notables de la République Islamique de Mauritanie. Depuis un quart de siècle, les ayant droits sont privés de justice par ces dictatures militaires qui se succèdent et se ressemblent, soutenues par les baathistes et les nasséristes à tour de rôle.
Depuis 25 ans, les parents des victimes n’ont même pas le droit de pleurer leurs morts, ni de chuchoter les noms de leurs centaines de martyrs, ni de murmurer leurs profonde douleur, ni de prier publiquement pour le repos de leurs âmes. Pourtant tous les auteurs présumés de ces crimes sont connus et beaucoup de témoins sont encore en vie et prêts à témoigner pour Allah devant les juridictions compétentes.
Toute la procédure judiciaire a été bloquée par le premier parlement issu de la démocratie militaire, composé majoritairement de tribalistes arabo-berbères et négro-mauritaniens dont des oulémas, qui avait voté presque à l’unanimité, sous l’impulsion du président du CMSN ère nouvelle, déçu par la réponse de la cour suprême en juillet 1991, et soutenu par des nationalistes arabes, le 14 juin 1993 la loi 93-23 portant amnistie et qui légalise l’impunité et l’arbitraire, dont voici la teneur :
Article premier : Amnistie pleine et entière est accordée :
-1/ Aux membres des forces armées et de sécurité auteurs des infractions commises entre le 1er janvier 1989 et le 18 avril 1992 et relatives aux événements qui se sont déroulés au sein de ces forces et ayant engendré des actions armées et des actes de violence.
-2/ Aux citoyens mauritaniens auteurs des infractions suites aux actions armées et actes de violence et d’intimidation entrepris durant la même période.
Article 2 : Toute plainte, tout procès- verbal et tout document d’enquête relatif à cette période et concernant une personne ayant bénéficié de cette amnistie sera classé sans suite.
Cette loi d’amnistie votée par cette assemblée monolithique, élue dans les conditions que l’on sait, qui n’a d’ailleurs pas plus de légitimité que le CMSN, composée de « députés » béni-oui-oui, dont certains sont plus militaristes que les militaires, et dirigée par un officier, ancien membre du CMSN, ancien ministre de l’intérieur, sans doute pour donner la cadence, est nulle et non avenue. Particulièrement en ce qui concerne les auteurs de crimes de sang, puisque contraire à la charia qui est constitutionnellement, le fondement du droit mauritanien. Seuls les ayant droits peuvent pardonner et seulement dans les cas du ghissas (loi du talion). Les cas de houdoud (châtiment pour un péché) ne peuvent faire l’objet ni de pardon ni de grâce et doivent être exécutés immédiatement.
Des officiers génocidaires ont été décorés les 28 novembre. Décorer les bourreaux, c’est encourager l’impunité, travestir l’histoire, maudire un peu plus cette journée mémorable, insulter davantage la mémoire de nos martyrs, humilier et frustrer les ayant droits, et renvoyer aux calendes grecques les mots comme réconciliation nationale et comme justice tout court.
Le 28 novembre 2015, les festivités pour la commémoration du 55ème anniversaire s’étant délocalisées à Nouadhibou, la cérémonie nationale va s’approcher de la principale nappe de sang de nos martyrs, du point culminant de la barbarie. Elle va se dérouler à 255 km d’Inal, le symbole de l’atrocité, l’adresse de la boucherie, le souvenir du cérémonial solennel de la pendaison de nos 28 valeureux soldats, l’incarnation du génocide.
Elle va se dérouler au commandement de la première région militaire, responsable de ce massacre. Elle va se dérouler à Nouadhibou, notre capitale économique, elle aussi entachée par le sang des dizaines de nos martyrs de novembre 1990. Cette année, notre drapeau national sera hissé publiquement et solennellement, en présence du chef de l’Etat, des membres du gouvernement et des hautes personnalités, dans une mare du sang de nos frères martyrs.
Journée souillée
Le 28 novembre ne peut plus constituer une fête nationale pour notre peuple. On ne peut pas fêter le sacrifice de nos 28 martyrs pendus, pendant ce jour mémorable. Leur sang avait entaché à vie l’anniversaire de notre indépendance, et souillé notre drapeau national. On ne peut pas fêter la pendaison de toute une communauté, de toute une culture. On ne peut pas fêter la pendaison de l’humanité tout entière.
Le sang de ces 28 âmes croyantes sacrifiées comme des moutons ce 28 novembre 1990, par leurs frères d’armes dans une ambiance incroyable, interpelle notre conscience religieuse, notre conscience nationale, notre conscience citoyenne, notre conscience patriotique. La réponse au génocide et surtout au sacrifice d’INAL doit être responsable et contribuer à apaiser les esprits, à consolider la cohésion nationale, le patriotisme, et surtout à renforcer la foi en Allah, après que justice soit rendue. Le fait d’ignorer le génocide est pire que le génocide. Le fait de nier la pendaison est pire que la pendaison. De grâce pleurons le 28 novembre. Exigeons la vérité. Exigeons la justice. Pleurons. Pleurons.
Aussi le 28 novembre 2001, la Mauritanie avait livré le citoyen Mohamedou Ould Sellahi, brillant informaticien, aux USA en violation flagrante de notre constitution. Cet innocent moisit depuis une quinzaine d’années dans les geôles de la plus grande puissance du monde, qui le maintient en prison, hors de son territoire pour tricher, par excès de zèle, malgré son acquittement par la justice américaine. Cette honteuse livraison a souillé un peu plus cette journée mémorable.
On peut consacrer la journée du 25 novembre, encore intacte, à la fête. Date de la création de nos forces armées, premier acte de souveraineté nationale de notre pays. On peut réserver ce jour à la joie de l’indépendance et de la liberté, avec ses discours, ses musiques, ses chants, ses cérémonies officielles, ses défilés, ses levées des couleurs. Et instituer la journée du 28 novembre comme journée des martyrs ou journée de la cohésion nationale, pour partager la souffrance morale et la détresse de tous ceux qui ont souffert, ou qui souffrent de la cruauté de leurs propres concitoyens.
Avec une pensée particulière pour les victimes du génocide, et nos 2000 martyrs oubliés, morts les armes à la main pour défendre notre intégrité territoriale entre le 9 décembre 1975 et le 12 juillet 1979, et surtout les 28 pendus de l’anniversaire. Cette journée du 28 novembre sera une journée de prière, de recueillement et de pardon pour une meilleure harmonie, une meilleure concorde nationale. Pour que cette folie ne recommence jamais.
Les plaies provoquées par le génocide sont très profondes et ne peuvent se cicatriser que suite à un procès juste et transparent, et qui doit réparer administrativement les calvaires vécus par les ayant droits pendant ces 25 ans d’expectative. Le peuple doit connaître toute la vérité, rien que la vérité au sujet de ce massacre. Tenter de dissimuler cette tuerie, c’est comme essayer de cacher le soleil.
L’approche timide choisie pour régler le problème de ces tueries, par le pouvoir en place, en distribuant des miettes aux ayant droits, est contre-productive. Les amalgames créés par l’ajout sur la liste des victimes du génocide, des noms des auteurs des putschs sanglants du 16 mars 1981 et du 8 juin 2003 sont inacceptables et ridicules. La prière à Kaédi ressemble plus à une provocation qu’à un acte d’apaisement. On ne peut réaliser notre unité nationale tant que la justice n’est pas rendue aux ayant droits. Pourtant les parents des victimes sont prêts à pardonner. Mais pardonner quoi ? Pardonner à qui ? Pardonner comment ? Il est indécent de demander pardon avant de rendre justice.
Il ressort de ce qui précède que nous sommes majoritairement des musulmans non pratiquants, citoyens d’une république semi-laïque en voie de disparition, dirigés depuis le 10 juillet 1978 par des gouvernements irresponsables et hors-la-loi. Qu’Allah protège notre chère Mauritanie. Allah donnez-nous des yeux qui voient le meilleur, un cœur qui pardonne le pire, un esprit qui oublie le mal, et une âme qui ne perd jamais la foi.
LE CALAME